Chapitre 15 : Raven
Le premier week-end des vacances passa lentement. Il eut des nouvelles de Darren et de Harmon, reçus des appels de ses amis du Texas. Il n'eut aucun message de Dylan, aucun post-it de sa mère. Cette année, il était évident qu'il allait passer les fêtes seuls et elle n'avait pas besoin de mentir.
Après deux jours à tourner en rond dans la maison et à se gaver de séries télé, il sentit qu'il devenait fou. La musique résonnant dans toute la maison (et sûrement dans les maisons voisines) il tenta d'avoir des nouvelles de l'oncle Jerald, espérant qu'il pourrait lui amener sa voiture durant les vacances. Il ne parvint toujours pas à le joindre. Tout ce qu'il reçut, ce fut un message de son père.
De Fantôme 1 :
Arrête d'appeler Jerald. Il a vendu ta voiture comme je le lui ai demandé. Si tu dois te déplacer, prends le bus.
Il avait vendu sa voiture. Son bébé qu'il avait entièrement retapé pour s'occuper, sa princesse qu'il avait customisée et qui avait abrité beaucoup trop de choses. Des ébats nocturnes, des disputes, des hurlements solitaires, des échanges sincères et ouverts avec ses amis, des nuits à la belle étoile, allongé sur le capot...
Sa voiture avait été son refuge et ils lui avaient arraché ça aussi. Ils lui avaient tout enlevé. Sa maison, ses amis, sa cachette. Les poings serrés, il considéra le salon, tournant sur lui-même. Il força le verrou et sortit une bouteille du meuble. Il but et but, hurlant sa rage et sa haine au silence, tout ce qu'il aurait voulu pouvoir leur dire en face à face.
Quelque part dans le fond de la bouteille, il se retrouva à regarder cette unique photode lui et son frère. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu qu'ils affichent cette photo ? Pourquoi celle-là seulement ? Pourquoi ?!
Il hurla, jetant le reste de la bouteille sur la photo. Une pluie de verre tomba au sol, le cadre de bois se fracassa sur le carrelage et la photo s'imbiba d'alcool, les couleurs se mélangeant, détruisant cette image de bonheur filial.
Il récupéra une seconde bouteille qu'il commença boire sans se préoccuper de ce que c'était. Il avala l'alcool amer et brûlant, le laissant anesthésier son esprit. Il tituba jusqu'à la porte d'entrée lorsqu'il perçut le son de quelqu'un tambourinant dessus. Un homme dans la quarantaine se tenait sur le seuil, visiblement furieux.
- Baissez le son ou j'appelle les flics ! Compris ?!
Raven lui claqua la porte au nez et la verrouilla. Qu'il appelle les flics ! Au moins, ses parents se bougeraient peut-être pour venir exiger des explications, pour le sortir de taule juste pour ensuite se défouler sur lui. Son père était le roi, pour ça, quand il était là.
Une profonde lassitude l'étreignit brusquement. Il se laissa glisser contre le mur de l'entrée, avalant une nouvelle gorgée d'alcool. Il redressa la tête lorsque la musique se coupa au profit de la sonnerie de son téléphone.
Il ne chercha pas à aller répondre, restant là où il était. Il ne savait pas qui c'était et il s'en fichait. Il continua de boire alors que son téléphone cessait enfin de sonner pour remettre la musique. Il ne fallut pas longtemps pour qu'il recommence à sonner. Et qu'il s'arrête. Et recommence. Et s'arrête.
On vint à nouveau frapper à sa porte. Il se hissa pour ouvrir, se demandant depuis quand les flics étaient aussi rapides pour le tapage nocturne. En tout cas, dans le Texas, ils n'allaient pas aussi vite. Peut-être parce qu'ils avaient plus important à gérer.
Sauf que, sur le seuil, ce n'était pas les flics mais Steven. Il n'attendit pas la permission d'entrer et força le passage pour aller éteindre la musique. Le silence envahit la maison, pesant et lourd. Raven se traîna dans le salon, claquant la porte derrière lui. Il tenait à peine debout.
- Je peux savoir ce que tu fais ? cria-t-il, la bouche pâteuse, la langue lourde.
Steven ne répondit pas, regardant autour de lui. Raven alla poser une main sur son épaule pour le forcer à le regarder. Steven le repoussa. Le brun s'étala au sol, sa bouteille se fracassant à côté de lui.
- Maintenant, tu vas arrêter, dit Steven. Tu vas monter te coucher.
- Va te faire, chantonna Raven.
Steven le força à se remettre sur ses pieds et planta son regard gris dans le sien.
- Darren m'a demandé de venir voir ce qu'il se passait. Je le fais pour lui parce qu'il s'inquiète. Alors tu vas aller te coucher.
- Comment il sait ? Darren ?
- L'un de ses amis est un de tes voisins. Il l'a prévenu.
Steven le traînajusqu'à sa chambre et le força à s'allonger. La nausée monta et il eut à peine le temps d'atteindre la corbeille qu'il vidait ses tripes. Steven patienta jusqu'à ce que Raven soit profondément endormi avant de sortir de la chambre.
Son téléphone annonçait quatre heures du matin lorsque Raven se réveilla. La nuit était encore profonde dehors, la lune brillant bas dans le ciel. Il passa par la salle de bains pour se rafraîchir un peu et se changer. Ses vêtements puaient l'alcool. Il lança une lessive avant de descendre dans la cuisine.
Il soupira lorsque les néons vinrent lui brûler la rétine. Il allait passer la matinée à faire de la pâtisserie. Son cerveau prévoyait déjà ce qu'il pouvait faire avec ce qu'il restait dans les placards. Il en connaissait le contenu par cœur. La cuisine était son temple, il en avait appris les moindres recoins. Et le contenu des placards était inscrit sur une liste mentale qu'il ne cherchait même pas à faire.
Il sortit tout ce dont il avait besoin, sépara les ingrédients, les plats, bols et couverts. Il préchauffa le four, imaginant déjà l'odeur des croissants et des pains au chocolat qu'il allait faire. Peut-être même tenterait-il de faire quelques chaussons aux pommes s'il lui restait assez d'ingrédients.
Il eut un temps d'arrêt en remarquant l'absence de l'unique photo de la maison. Il se souvenait de l'avoir cassée mais pas d'avoir ramassé les débris. Pourtant, il n'y avait pas de verre, pas de bois, pas d'alcool par terre. Et la femme de ménage ne venait que le mercredi. Steven devait avoir ramassé. Le silencieux et bizarre Steven avait ramassé son bordel.
Il se massa les tempes avant de se commencer sa pâtisserie, oubliant le reste du monde. Il n'y avait plus que la farine, le lait, les œufs. Il pétrit, battit, roula. Pendant que les croissants doraient dans le four, il prépara les pains au chocolat. Pendant que les pains au chocolat chauffaient, il prépara des chaussons aux pommes.
- Oh, bon sang ! Ça sent bon, ici !
Raven sursauta, cognant son poignet au robinet. Il grimaça et se tourna vers Darren et Dylan qui débarquaient dans la cuisine.
- Qu'est-ce que vous faites là ? Et comment vous êtes entrés ?
- Je leur ai ouvert.
Steven apparut derrière les deux frères. Raven ouvrit la bouche, cherchant à comprendre ce qu'il se passait.
- Il a dormi sur ton canapé, expliqua Dylan en roulant des yeux.
- Mais je suis levé depuis un moment et je ne t'ai pas entendu !
- Depuis quatre heures du matin, répondit Steven. Je suis resté dans le salon pendant que tu préparais... tout ça.
- Flippant... souffla Raven en se massant les tempes. Et pourquoi vous êtes là, tous les deux ? reprit-il pour les frères.
- On se demandait ce qu'il se passait après le bordel que t'as fait cette nuit, dit Darren. Sinon, on peut manger ? Je me sens baver, là.
- Bien sûr, vas-y.
Aussitôt, Darren fondit sur les pâtisseries et mordit dedans comme un affamé. Dylan lui donna un coup.
- Tiens-toi correctement, veux-tu.
Darren tenta d'articuler quelque chose la bouche pleine mais ne fit que projeter des miettes un peu partout. Steven saisit un croissant et mordit prudemment dedans. Raven l'ignora, tournant le dos à ses invités impromptus pour préparer sa boisson favorite du moment : un chocolat chaud à la menthe poivrée.
- Tu fais toujours ça quand t'as la gueule de bois ?
- Faire de la pâtisserie ?
Darren hocha la tête, une grosse bouchée de pain de chocolat dans la bouche.
- La plupart du temps, oui, si je me lève tôt. Sinon, je prépare un brunch. Ou un déjeuner. Ça dépend de l'heure.
- Rappelle-moi de te faire boire. Souvent.
Dylan frappa son frère à l'arrière de la tête. Raven fit glisser des tasses devant eux et se hissa sur le plan de travail, sa propre tasse entre les mains. Ils restèrent dans un confortable silence jusqu'à ce que le minuteur sonne et que Raven doive sortir les chaussons aux pommes du four.
- Oh bordel, ça a l'air trop bon, ça !
- Laisse-les refroidir ou tu vas te brûler.
- M'en fous.
Il changea de chanson lorsqu'il se brûla le bout des doigts. Steven se leva.
- Je ferais mieux de rentrer. Mes parents vont se lever.
Raven accompagna Steven jusqu'à l'entrée.
- Merci, Steven. Vraiment.
L'autre l'ignora et partit. Raven le vit entrer dans une petite maison blanche à cinq cents mètres de là.
- Je crois qu'il ne m'aime pas, lâcha-t-il en retournant dans la cuisine.
- Si c'était le cas, il ne serait pas venu, objecta Dylan en arrachant un morceau de son croissant. Darren aurait pu le supplier, il ne serait pas venu.
- Vraiment ?
Les deux frères acquiescèrent d'un même mouvement. Raven s'appuya contre le plan de travail et récupéra sa tasse, songeur. Savoir que Steven ne le détestait pas le soulageait un peu. Il avait vraiment pensé que Steven ne l'aimait pas sans qu'il sache exactement pourquoi.
Darren se redressa lorsque son téléphone se mit à vibrer. Il décrocha, la bouche encore pleine
- Ouais ?
Il bondit sur ses jambes, manquant de tomber dans le processus.
- Oui, oui, j'arrive ! Je suis là dans dix minutes !
Il raccrocha et rangea son téléphone dans sa poche.
- Tu dois aller quelque part ? lui demanda Dylan.
- J'ai rendez-vous avec les mecs à l'arcade et j'ai pas vu l'heure. J'ai plutôt intérêt à me grouiller si je veux pas avoir à tout payer parce que je suis en retard ! À plus !
Il partit rapidement, claquant la porte derrière lui. Raven secoua la tête, consterné mais amusé. Dylan se contenta de boire une gorgée de son chocolat sans rien dire. Raven récupéra les deux tasses vides et les mit dans l'évier avec le reste de la vaisselle qu'il avait à finir.
- Vais-je avoir à poser la question ou vas-tu y répondre seul ?
Raven se tourna vers lui, tentant de garder sa contenance. Il garda le silence, observant Dylan arracher un petit morceau de son croissant pour le mettre dans sa bouche. Depuis quand un geste aussi commun était-il aussi aguicheur ?
- Ça dépend de la question à laquelle tu fais référence.
- Remballe tes hormones, Don Juan. Je parle de la nuit dernière. Pourquoi tout ce bazar ?
Raven détourna le regard, préférant observer le vent souffler dans les branches du chêne massif au fond du terrain. Il sentit ses doigts se crisper autour de sa tasse.
- Mes parents ont vendu ma voiture. Enfin, ils ont demandé à mon oncle de la vendre pour eux.
- Pourquoi ?
- Parce qu'ils savent que j'y tenais. Quand je l'ai achetée, c'était une épave. Avec mes potes, on l'a poussée depuis le garage jusque chez moi parce qu'elle avait même pas de moteur. J'ai passé un an à la retaper, à en faire un bolide qui pouvait faire des pointes à cent quatre-vingt kilomètres heures en quinze secondes. J'ai tout fait de mes propres mains et ils l'ont vendue. Sans me demander mon avis, sans me laisser le choix. Ils se sont contentés de la vendre. Et parce que je n'ai pas de voiture, je ne peux pas aller passer les fêtes chez Sean comme c'était prévu. Ils doivent jubiler.
Il tressaillit en sentant les mains de Dylan se poser sur les siennes, le forçant à lâcher sa tasse pour la poser sur le comptoir.
- La prochaine fois, au lieu de boire et de casser des choses, tu peux passer un coup de fil. Tu n'es pas tout seul, Raven. Nous ne sommes peut-être pas tes meilleurs amis du Texas mais on a de bons conseils et de bonnes épaules.
- Parce que tu me ferais un câlin ?
Dylan éclata de rire face au regard suggestif de Raven.
- Tu n'arrêtes donc jamais !
- Je ne serais pas moi si c'était le cas.
- Je suppose que c'est vrai.
Dylan mit les deux tasses dans l'évier et s'y appuya pour regarder autour de lui.
- Tu ne décores pas ?
- Pour quoi faire ?
- Dans six jours, c'est Noël. Un peu d'esprit de Noël ne te ferait pas de mal.
- Quel intérêt de décorer en sachant qu'il n'y aura personne pour s'extasier sur mon don pour la décoration ?
- Je ne voulais pas décorer non plus, cette année. Mais ma mère nous y a forcés et, au final, ça fait du bien. Vraiment. Darren est moins déprimé.
Raven s'orienta vers Dylan, le regardant longuement.
- Et toi ?
- Moi aussi. J'ai un peu hâte d'arriver à Noël et de passer un peu de temps avec ma mère et mon frère autour d'un bon repas. Nous en avons besoin tous les trois. Et toi aussi, tu as besoin d'un peu d'esprit de Noël pour te requinquer.
Raven secoua la tête.
- Très peu pour moi. Avoir une maison vide décorée, ça serait encore pire que d'avoir une maison vide.
- Tes parents ne passent pas les fêtes avec toi ?
- Non. Et tant mieux. Moins je les vois, mieux je me porte.
- Et... Ton frère ?
- Je n'ai pas de frère.
La voix de Raven claqua et il se redressa, rassemblant ce qui restait des pâtisseries qu'il avait préparé. La dernière chose dont il voulait parler, c'était de Stanford. Et moins Dylan en savait sur Stanford, mieux ça serait pour tout le monde.
S'il pouvait supporter l'absence de ses parents, les coups de son père, la solitude, il ne pourrait pas supporter de voir l'attitude de Dylan changer.
Il ne pourrait pas supporter de voir son nouvel ami le regarder avec effroi et horreur.
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NdlA : Oooooooh ! Le mystère s'épaissit autour de la famille de Raven ! Qu'a-t-il bien pu se passer ?!
Et, oui, Ice Nine Kills is back! Vous les verrez souvent puisque leurs chansons m'ont énormément inspirée pour certains chapitres !
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