Chapitre 13 : Raven

La rumeur ne fit qu'enfler, de plus en plus improbable et hilarante. Raven adorait en écouter toutes les variantes. L'imagination de ses camarades n'avait pas de limites. C'était différent de ce qu'il avait l'habitude d'entendre sur lui au Texas et le changement n'était pas désagréable. Il préférait amplement associé aux frères Goodwind romantiquement plutôt que d'entendre ce qui était dit sur lui dans son ancien lycée.

Durant les vacances, il était censé repartir dans le Texas pour passer les fêtes dans la famille de Sean. Il avait envie de le faire, de repartir. Mais comment ? L'oncle Jerald ne lui avait toujours pas amené sa voiture et, lorsqu'il avait tenté de lui téléphoner, il n'y avait pas eu de réponse. Il avait un mauvais pressentiment, sentant qu'il ne reverrait jamais sa voiture.

Il soupira et sortit du lycée, observant les deux frères déjà loin, côte à côte, presque épaule contre épaule. Il espérait que les choses s'arrangent entre eux. Qu'ils discutent et s'entraident, se soutiennent. Ils en avaient besoin.

Il prit la route de chez lui, la musique pulsant contre ses tympans. La maison était aussi vide qu'il l'avait laissée. Cependant, un brin de ménage avait été fait. Ils avaient mis longtemps avant d'embaucher une femme de ménage, cette fois. Preuve qu'ils ne comptaient pas rentrer souvent.

Il monta dans sa chambre et jeta son sac dans un coin. Il envoya un message à Sean pour lui dire qu'il n'aurait sûrement pas sa voiture pour les fêtes et qu'il ne pourrait donc pas être là. Il allait passer un énième Noël seul dans une maison froide.

Chaque année, c'était la même chose. Ses amis savaient qu'il était seul pour les fêtes et tentaient de le convaincre de venir chez eux. Et deux jours avant, il avait un message de sa mère lui disant qu'ils seraient là pour Noël et qu'il avait intérêt à être présent et à bien se tenir. Il tombait toujours dans le panneau, se retrouvant seul parce que, bien évidemment, ils ne rentraient jamais.

Ils étaient censés vivre un renouveau en déménageant ici. C'était censé être un nouveau départ. C'était plutôt un retour à la case départ. Rien ne changerait jamais. Leurs promesses étaient vides de sens et de sincérité. Leur vie tournait autour de leur entreprise et il n'y avait rien d'autre qui comptait. Même pas le fils qui leur restait.

Pour se détendre, il envahit la cuisine. Il avait toujours trouvé un certain réconfort à créer quelque chose à partir des aliments qu'il avait chez lui. Il se prépara des lasagnes qu'il mettrait plusieurs jours à manger. En plus de lui changer les idées, ça lui permettrait de ne pas avoir à cuisiner les jours suivants.

Il s'assit sur l'îlot et regarda le four cuire son plat en discutant avec Sean. Son meilleur ami n'était pas ravi de la nouvelle qu'il lui avait annoncé et tentait de trouver une solution. Il aurait aimé que ses amis puissent monter dans l'Oregon mais il savait qu'ils ne le feraient pas et que, de toute façon, il ne leur demanderait jamais ça. Leurs familles étaient soudées et aimantes, pas comme la sienne.

Il avait vraiment horreur des fêtes.

Toutefois, il devait avouer qu'il n'y avait pas que des mauvaises choses. Il passait du bon temps au lycée. Taquiner Dylan était devenu son passe-temps préféré. Désormais, le lycée lui paraissait être son seul refuge. Il n'y avait que lorsqu'il était au milieu de ses camarades qu'il oubliait ses soucis. Il vivait par procuration, en écoutant les vies des autres, alors que la sienne s'était transformée en un blanc lisse et uniforme, sans intérêt.

Il ne dormit presque pas, fatigué, las. Il vit le lever du jour au-dessus des toits et il se prépara dans une léthargie qu'il détesta. Il n'avait pas envie d'aller au lycée, il n'avait pas envie de rester enfermé chez lui. Il s'était habitué à faire quelque chose tous les jours, à vivre la vie cent à l'heure. Cet arrêt brutal rendait l'ennui encore plus violent et insupportable.

Il prit son temps pour se préparer un petit-déjeuner de roi, allant jusqu'à préparer des brownies. Il en fit bien trop, oubliant que ses amis ne seraient pas là pour les manger avec lui. Il les découpa en plusieurs parts, les emballa dans une boîte en plastique. Il pourrait partager avec les frères Goodwind et Harmon. Steven aussi, peut-être. Il ne cernait toujours pas le grand silencieux du groupe.

Alors qu'il marchait vers le lycée, les mains dans les poches, les écouteurs aux oreilles, un coup de klaxon résonna, le faisant tressaillir. Une voiture bleue passa à toute vitesse à côté de lui, son pneu frappant la large flaque, aspergeant Raven d'eau glacée et sale. Deux coups de klaxon se firent entendre alors que la voiture fonçait droit vers le parking du lycée.

Jurant, Raven essuya l'eau de son visage. La colère commença à bouillir en lui. Ses poings se serrèrent alors qu'il continuait à avancer. Il ne comptait pas rentrer chez lui pour se changer. Il allait trouver qui avait fait ça et le lui faire payer. Bien qu'il ait déjà une petite idée.

Lorsqu'il passa les grilles, tous les regards s'attardèrent vers lui. Il passa devant Harmon sans le voir, rejoignant le petit groupe qui riait aux larmes en le pointant du doigt. Marvin l'hippopotame, Jillian la bécasse et leur cour. Il jeta son sac à terre, se débarrassa de sa cravate et remonta ses manches sans même s'arrêter.

- Oh, on dirait qu'il veut se battre, le nouveau ! ricana Marvin en se levant.

Raven, aveuglé de rage, n'attendit pas. Son poing alla frapper la joue de Marvin avec toute la force et la violence qu'il put réunir. Le caïd tituba en arrière. Raven ne lui laissa pas le temps de réagir que son pied s'envolait vers son visage, le frappant en pleine mâchoire, l'envoyant au sol.

- T'es mort, le nouveau. T'es mort !

Il laissa Marvin se relever et lui faire face. Il cracha un filet de sang à terre avant de se jeter sur Raven qui l'esquiva, seules leurs épaules se heurtant. Ils s'empoignèrent violemment. Marvin parvint à décocher un coup de poing en plein visage, faisant jaillir le sang du nez de Raven.

Il fallut l'aide de trois professeurs pour faire cesser la bagarre. Raven fut maintenu par Darren, Harmon et un professeur pendant que Marvin était encadré par les deux autres professeurs. D'un roulement d'épaule, Raven se dégagea et s'essuya le nez qui continuait de saigner. Il cracha un peu de sang, assassinant Marvin du regard qui le lui rendit bien. Déjà, les bleus commençaient à apparaître sur le visage de l'autre, son œil se mettant à enfler comme un ballon de baudruche.

- Dans mon bureau ! tonna le directeur. Tout de suite !

Raven et Marvin furent traînés jusqu'au bureau du directeur et ils s'assirent, serrant les poings. Le directeur commença à leur crier dessus. Raven était plus occupé à tenter d'arrêter le sang couler de son nez qu'à écouter ce qu'il se passait. Il en avait plein la bouche et une douleur commençait à se faire sentir entre ses yeux, dans tout son nez. Il savait que Marvin ne l'avait pas cassé. Raven avait déjà eu le nez cassé et la douleur était différente.

- Sortez et attendez dans le couloir !

Raven sortit et remonta le couloir jusqu'aux toilettes. Il était plus ou moins intact si ce n'était pour le sang qui couvrait le bas de son visage et imbibait son t-shirt. Il se passa de l'eau sur le visage, se nettoyant un minimum. La porte s'ouvrit sur Dylan qui s'y adossa, les bras croisés, l'air furieux.

- Je peux savoir ce qui t'a pris ? Pourquoi as-tu été te jeter sur Marvin comme ça ?

- Cet enfoiré sait exactement pourquoi je lui ai démonté la tête, répondit Raven.

Dylan s'approcha, le forçant à lui faire face.

- Tu aurais dû l'ignorer ! La violence ne résout rien.

- Je ne me laisserai pas harceler par un crétin pareil. Maintenant, j'espère qu'il a compris la leçon.

Le président des élèves roula des yeux et poussa la porte de l'une des cabines. Il tira plusieurs feuilles de papier et les lui fourra dans la main. Du bout des lèvres, Raven le remercia, s'en servant pour tenter d'endiguer le flot continu de sang qui coulait de son nez.

- J'ai réussi à atténuer ta punition, reprit Dylan. Marvin est exclu jusqu'à la fin de la semaine et tes retenues seront avec moi. Tous les soirs jusqu'à vendredi.

- Pourquoi ?

- Parce que je sais que Marvin l'a cherché. Je ne cautionne pas ta réaction à sa provocation mais je doute que tu aies pris une douche d'eau croupie tout habillé avant de venir. C'est l'un des jeux préférés de Marvin.

Raven l'observa longuement sans répondre, ne sachant pas comment prendre la réaction de Dylan. Il semblait tellement en colère qu'il semblait improbable que Dylan ait réellement cherché à alléger sa punition.

Et puis, il comprit.

- Mais bien sûr. Tu veux seulement pouvoir te charger de ma punition toi-même, sourit-il froidement.

- On dirait qu'il y a un minimum d'intelligence dans ce crâne épais. Maintenant, tu vas en cours.

- Je peux au moins me changer ? Je suis trempé et plein de sang. Je commence à geler.

Dylan hocha la tête et lui ouvrit la porte. Raven sortit des toilettes et gagna le gymnase sans attendre, soupirant lorsqu'il sentit Dylan derrière lui. Il récupéra sa tenue de sport dans son casier et se tourna vers Dylan.

- Je vais prendre une douche. Tu restes derrière le rideau, chéri ?

Dylan roula des yeux et s'assit sur un banc.

- Je te donne trois minutes. Si tu n'es pas sorti dans trois minutes... Tu iras en cours avec ta serviette.

- Tu adorerais trop ça.

Malgré tout, Raven ne s'attarda pas. La chaleur de l'eau lui donna le tournis et envie de vomir. Son nez continuait de saigner. Marvin avait peut-être fait plus de dégâts qu'il n'aurait cru. Il n'avait pas vraiment envie d'avoir à aller à l'hôpital pour passer une radio.

- Deux minutes quarante sept. Impressionnant, lança Dylan, les yeux rivés sur son téléphone.

Raven ne répondit pas, s'installant sur le banc pour se changer. Sa tête tournait beaucoup trop. Il termina de s'habiller et se releva. Il dut se rattraper au mur, son centre de gravité lui jouant des tours.

Dylan lui tendit quelque chose. Raven fronça les sourcils et s'en saisit. Un paquet de petits biscuits au chocolat venant de l'une des machines. Il ouvrit le paquet et avala un biscuit avant d'en tendre un à Dylan.

- J'en connais un qui n'a pas encore pris de petit-déjeuner.

Le président détourna le visage, une légère rougeur se déployant sur ses joues. Il accepta le biscuit que lui tendait Raven et mordit dedans sans répondre.

- Quelqu'un a récupéré mon sac ?

- Je n'en sais rien. Sûrement.

Ils sortirent des vestiaires et retournèrent dans le bâtiment principal en mangeant les biscuits secs et chimiques. Raven se sentait un peu mieux grâce à tout le sucre qu'il ingérait mais il aurait largement préféré manger les brownies qu'il avait amenés.

Dylan frappa à la porte de la salle de classe et entra dès que la professeur l'y autorisa. Il la rejoignit à l'avant de la classe et lui parla rapidement pendant que Raven s'installait à sa table. Il n'y avait aucun signe de son sac nulle part.

Il ne sut ce qui était arrivé à ses affaires qu'à l'heure du déjeuner. Darren lui avait envoyé un message pour lui dire de les rejoindre à leur table, qu'ils n'attendaient plus que lui. Il avait dû passer par l'infirmerie pour obtenir un cachet pour la migraine qui ne le quittait pas.

Et Jillian lui barra la route. Elle tenait son sac, un index glissé dans la anse, comme s'il s'agissait d'un détritus. Elle le lui lança. Le sac atterrit à ses pieds sans qu'il fasse le moindre effort pour le rattraper.

- Qu'est-ce que tu veux ?

- Que tu dégages du paysage. Tu fais beaucoup trop parler de toi.

- Dis simplement que tu n'aimes pas que je sois proche de Dylan. Toi et moi savons que ce n'est rien de plus que ça.

Elle le fusilla du regard. Raven sourit en ramassant son sac. Il lui parut étrangement léger. Un sourire mauvais étira les lèvres laquées de rouge de Jillian. Elle s'approcha et lui rendit sa boite en plastique, vidée de son contenu si ce n'était pour quelques miettes dans le fond.

- J'espère que tu ne comptais pas en faire profiter Dylan.

Elle s'éloigna, les talons creux de ses chaussures claquant contre le carrelage. Il serra les poings, regrettant qu'elle soit une fille. Sans quoi, il lui aurait sûrement assené un merveilleux coup de boule qui l'aurait mise K.O.

- Je déteste cette fille.

Raven sursauta en entendant la voix de Darren dans son dos.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Je te cherchais. Harmon a déjà presque terminé de manger. Je comprends mieux pourquoi t'étais si long à arriver.

Ils se mirent en route vers la cafétéria.

- Si un jour mon frère est assez con pour sortir avec elle, je jure que je lui démonte la tête. Je désespère de le caser un jour mais je préfère encore qu'il ne sorte avec personne plutôt qu'avec elle. Je préférerais encore que tu sortes avec lui, tiens !

- Sortir avec moi est un privilège, je te ferais savoir.

- Tu ne me feras pas croire que tu es encore vierge, Raven.

- Je n'ai jamais dit ça. J'ai parlé de sortir avec moi. Pas de coucher avec moi.

- Tu es en train de me dire que tu n'as jamais été amoureux ?

Il n'attendit pas la réponse pour secouer la tête, consterné.

- Je vais peut-être vraiment te caser avec mon frère.

- Parce qu'il est de ce bord-là ?

- Honnêtement... J'en sais fichtre rien. Il n'a jamais manifesté le moindre intérêt pour quelqu'un. Et, pour répondre à ta question, je m'en fous. Du moment qu'il se trouve quelqu'un qui le rend heureux et qui prend soin de lui, je me fous bien pas mal que ça soit une fille ou un mec.

Raven sourit, balançant le poids de son plateau dans une main.

- Mais c'est qu'il tient à son grand frère, le petit mouflet ! s'exclama-t-il en ébouriffant les cheveux du plus jeune.

- Tais-toi ! Il va le savoir !

Raven éclata de rire en suivant Darren jusqu'à la table où les trois autres étaient déjà attablés. Le cadet se laissa tomber sur son siège et soupira.

- Vous avez été longs, remarqua Harmon.

- Jillian est une connasse, que veux-tu, répondit simplement Darren.

- Ton langage, siffla Dylan. Et de quoi parles-tu encore ?

- Ton admiratrice la plus fervente avait le sac de Raven et elle a fouillé dedans. Sans compter qu'elle s'est servi dans ce qu'il avait amené. C'était quoi, d'ailleurs ?

- Des brownies.

Les quatre garçons le regardèrent, surpris.

- Tu sais faire des brownies, toi ? demanda Dylan, ouvertement dubitatif.

- Je suis un cuisiner hors pair, je te ferais savoir.

- Je demande des preuves.

Raven lui envoya son sourire le plus charmeur en se penchant vers son vis-à-vis.

- Viens dîner chez moi quand tu veux, chéri.

- Je ne sais pas. Je ne tiens pas à finir avec une intoxication alimentaire.

- Je ne cuisinerais que le meilleur pour toi.

- Vous avez fini de flirter, tous les deux ? Ça va être froid.

Raven se redressa et reprit son repas sans accorder un regard à Darren. Il aimait trop voir ce léger rose venir colorer les joues de Dylan. Le président des élèves n'avait pas l'habitude de flirter même s'il était doué pour ça. Son sarcasme mêlé d'effronterie qui ne cessait de le défier plaisait énormément à Raven. Ça rendait leurs échanges bien plus intéressants et excitants.

- Sinon, Raven, tu n'es pas obligé d'inviter que Dylan. Je veux bien tenter à ta cuisine aussi.

Dylan tourna la tête vers Harmon, un sourcil haussé. Darren fixa Harmon, abasourdi.

- Tu vas pas te mettre à flirter avec lui aussi, Harmon ! Pitié !

- Quoi ?! Mais non, espèce d'andouille ! Je veux juste manger, moi ! De toute façon, je préfère les filles. Je le laisse à Dylan.

- Comme si je voulais de lui, répliqua le concerné en secouant la tête.

- Tu sais que tu me veux, chéri.

Darren et Harmon explosèrent de rire, le premier crachant quelques grains de riz au visage de Steven. Dylan soupira en se levant et sortit de la cafétéria sans rien dire. Harmon et Darren continuaient de rire, des larmes coulant sur leurs joues.

- Tu n'as aucune honte.

C'était la troisième fois que Raven entendait la voix grave et profonde de Steven. Il releva la tête.

- À vrai dire... Non. J'en ai aucune.

- Mec, tu fais officiellement partie de la bande ! se récria Darren lui assenant une grande tape dans le dos. Si Steven te parle, c'est que tu fais partie de notre bande !

Raven sourit, étrangement content de ce que venait de lui dire Darren. Il s'était enfin trouvé de nouveaux amis. Peut-être la solitude allait-elle le quitter, maintenant.

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NdlA : Ouh ! Des problèmes ! Et Raven qui n'en loupe jamais une ! Qu'est-ce que vous en avez pensé ?

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