Chapitre 11 : Raven

Raven ne savait pas bien pourquoi il avait suivi Darren, pourquoi il avait tant senti qu'ils devaient parler. Il fallait mettre les choses à plat entre eux et mieux valait tôt que tard. Aussi l'avait-il rejoint dans la cour, à l'abri de la pluie qui s'était remise à tomber inlassablement noyant le bitume de la cour. La discussion avait si mal commencé qu'il avait sincèrement cru qu'il allait devoir l'assommer pour l'empêcher de déclencher une bagarre qui se terminerait mal pour lui.

Et puis, soudain, une vanne avait lâché chez le cadet. Toute sa tristesse, sa solitude et son chagrin étaient remonté à la surface et il s'était laissé tomber sur le banc, commençant à parler. Darren avait lâché tout ce qu'il avait sur le cœur, la véritable raison pour laquelle il était si furieux contre son frère, pourquoi il détestait tant Raven.

Raven n'avait rien dit, l'avait laissé parler de la mort de son père l'année précédente, de combien il haïssait les fêtes de Noël à cause de ça, de la façon dont son frère gérait la situation, de combien sa mère lui manquait depuis qu'elle ne faisait que travailler, de combien il en voulait à Raven de réussir à remettre un sourire dans les yeux de Dylan... Il s'était contenté de l'écouter, répondant au véritable et profond besoin du gamin.

Darren avait simplement du mal à gérer le mois de décembre et il ne parvenait pas à en parler à son frère. Il avait trop peur de rouvrir des plaies qu'il croyait cicatrisées dans le cœur de son frère. Il ne voulait pas être celui à réveiller le chagrin, le deuil. Alors il se taisait, gardant pour lui tous ces mots qui l'étouffaient.

Leur père avait découvert qu'il avait un cancer en phase terminale fin novembre et il avait passé le mois de décembre à lutter, perdant ses cheveux, s'affaiblissant, finissant par être admis à l'hôpital. En un mois, la vie avait quitté son père et il avait fini par mourir quelques jours après les fêtes de Noël. Il les avait obligés à fêter Noël comme s'il n'allait pas les quitter pour toujours et cette année serait la première qu'ils passeraient sans leur père. Darren ne savait pas gérer le millier d'émotions qui le secouait.

Il avait fini par fondre en gros sanglots qui avait tant secoué son corps qu'il avait paru pris de convulsions. Raven n'avait pu que le prendre dans ses bras pour le consoler un minimum. Il n'était pas franchement à l'aise cependant, il n'avait aucun autre moyen de calmer le plus jeune, de lui faire sentir qu'il n'était pas seul.

Ils avaient manqué la moitié de leur premier cours mais aucun n'en avait quoi que ce soit à faire. Ils restèrent assis sur leur banc, en silence, le temps que Darren reprenne ses esprits.

- Merci, souffla le plus jeune. De m'avoir écouté. T'es peut-être pas si mal, au final.

- Ne t'en fais pas pour ça, mouflet, sourit Raven en ignorant délibérément la seconde partie.

Raven l'entraîna avec lui à l'intérieur, un bras autour de ses épaules. Darren se laissa faire, un petit sourire osant venir étirer ses lèvres, le suivit jusqu'aux distributeurs du troisième étage. Ils s'assirent à même le sol pour boire leurs minuscules gobelets de café, en silence.

Face à eux, une affiche pour le spectacle de Noël les narguait. Darren fit la grimace.

- Stupide spectacle, cracha-t-il. On est toujours obligé d'y assister alors que c'est toujours nul à en mourir.

- J'ai jamais eu à subir ça.

- Pourquoi ?

- Parce que... disons que ça ne s'est jamais passé comme c'était censé se passer.

- Raconte.

- Les fois où ils ont essayé de créer quelque chose de sérieux, il y a toujours eu quelqu'un pour tout ruiner. L'année dernière, c'était hilarant. Ils ont voulu monter une représentation d'un truc de Shakespeare dont j'ai oublié le nom. Le truc, c'est que ni moi ni mes amis ni la moitié du lycée n'avait envie d'avoir à assister à ça. Alors Ricky, Sean et moi avons agi pendant que Tim faisait diversion.

Darren se tourna vers lui, intéressé. Son visage rajeunit, ses yeux se mirent à scintiller. La curiosité de l'enfance ne l'avait pas quittée et il mourait d'envie de connaître les détails.

- Qu'est-ce que vous avez fait ?

- On a démonté la scène.

Darren recracha sa gorgé de café, aspergeant le carrelage de gouttes marron.

- Pardon ?

Raven haussa les épaules.

- Ça nous a pris longtemps et beaucoup d'huile de coude mais ça valait le coup. La tête que le directeur a fait été épique ! Je n'avais jamais autant ri.

- Mais comment vous avez fait ? Vous vous êtes faits prendre ?

- Non, bien sûr que non ! On s'est introduit de nuit dans le lycée avec les outils du père de Ricky et on a arraché toutes les planches de la scène. Ça nous a pris toute la nuit. Tout le monde a su que c'était nous même s'ils n'avaient rien pour le prouver. C'est pour ça qu'on a eu aucun problème.

Darren paraissai ttotalement abasourdi. Raven lui ébouriffa les cheveux en se levant. Il lança son gobelet – qui atterrit droit dans la poubelle – et tendit la main au plus jeune.

- Allez, debout. La sonnerie ne va pas tarder à se faire entendre.

- Dylan va m'assassiner pour avoir séché.

- Je suppose que je vais enfin avoir droit à ma première punition.

Darren le regarda, consterné, tout en acceptant l'aide pour se relever.

- Enfin ? T'es pas bien ! On va morfler ! Toi plus que moi, je suis sûr, puisque tu ne cesses de jouer avec ses nerfs. Il va t'assassiner, te réduire en pâté.

- Tu as entièrement raison, Darren.

Les deux garçons sursautèrent à l'entente de la voix de Dylan derrière eux. Celui-ci se tenait les bras croisés, les lèvres pincées, l'air fermé. Autour d'eux, leurs camarades observaient le face à face, attendant que le président ne sévisse. Ils avaient l'air d'animaux avides de sang frais. Pour la première fois, Raven eut presque l'impression d'être de retour dans son lycée au Texas si ce n'était que, là-bas, ses camarades attendaient une bonne baston et pas une punition.

- Je peux savoir pourquoi vous n'étiez pas en cours ?

- C'est de ma faute, soupira Raven. Il avait besoin d'air et je n'avais aucune envie de supporter le vieux prof de sciences. Je jure que ce type en a après ma vie. Du coup, j'ai réquisitionné la compagnie de Darren.

Dylan haussa un sourcil, visiblement peu amusé. Raven lui offrit son plus beau sourire en allant passer un bras autour de ses épaules.

- Allez, Altesse, ne fais pas cette tête ! Il y a plus grave, dans la vie !

Le concerné lui décocha un grand coup de coude dans les côtes que Raven évita de justesse en faisant un bond en arrière sans pour autant relâcher sa prise sur le président. Il rit légèrement, amusé de la tentative.

- Loupé ! chantonna-t-il.

- Je crois que je vais aller en maths, moi, souffla Darren, pâlissant à vu d'œil sous le regard de son frère.

Et il détala, laissant Raven se débrouiller avec Dylan. Peu inquiet, le texan entraîna son compagnon avec lui au milieu de la foule formée par les autres élèves qui continuaient de les observer. Ils espéraient qu'il se passe quelque chose, que Dylan fasse payer son effronterie à Raven.

- On a deux heures de philosophie, c'est ça ?

- Si tu n'enlèves pas ton bras de là, je peux t'assurer que tes chances de produire des enfants deviendront nulles, éluda Dylan sur le même ton qu'il aurait donné l'heure.

- Que de menaces dans une si jolie bouche, c'est une honte.

Dylan plaça son pied devant la jambe de Raven qui trébucha et partit tête première vers le sol. Il ne lâcha pas Dylan qui fit un effet de balance dans la chute. Le dos de Raven prit tout le choc, chassant tout l'air de ses poumons, et le président des élèves s'étala sur lui, les deux se retrouvant nez contre nez en plein milieu du couloir.

- Je savais que je te plaisais, roucoula Raven dans un murmure, ne pouvant revenir un sourire séducteur.

Dylan se releva en soupirant. Raven se redressa sur les coudes et le regarda s'éloigner en riant. Il était certain d'avoir vu les joues de Dylan rosir.

Il se remit sur ses pieds et trottina pour rejoindre le président des élèves qui l'ignora en descendant les escaliers à toute vitesse. Il cherchait clairement à le fuir et Raven s'amusait comme un petit fou. Cette légère couleur sur le visage de Dylan qu'il avait à peine entrevue était juste adorable.

Il se laissa tomber sur le siège à côté du président des élèves et lui envoya un grand sourire. L'autre l'ignora, sortant son cahier et son livre, les installant sur sa table. Le reste de la classe prit place, rapidement suivie par le professeur.

Le cours commença et Raven s'étala sur sa table, un bras tendu, sa main atterrissant sur le dossier de la fille assise devant lui, le visage orienté vers son voisin pour l'observer jouer avec son téléphone.

Dans sa poche, Raven sentit son portable vibrer. Il le récupéra en roulant des yeux et, sans même chercher à se cacher, ouvrit le message qu'il venait de recevoir.


De Son Altesse

Que t'a dit mon frère ?


- Je suis à côté de toi, tu peux me parler directement.

Dylan lui jeta un regard dédaigneux.

- Je vous dérange, monsieur Herron ? l'apostropha sèchement le professeur.

- Pas du tout ! Continuez donc, c'est génial ! J'adore votre cours !

Le professeur fut si perturbé par sa réponse enthousiaste qu'il se contenta de reprendre son cours comme s'il n'avait pas été interrompu.

Raven soupira et tapa une réponse pour Dylan.


A Son Altesse :

Il m'a dit tout ce qu'il avait sur le cœur.


De Son Altesse :

Ça ne me donne pas vraiment une réponse exploitable.


A Son Altesse :

Il m'a parlé de votre père.


Il observa les émotions jouer sur le visage de Dylan lorsqu'il lut le message. Ça ne dura qu'une poignée de secondes avant qu'il ne reprenne ce visage posé et distant. Il avait vu la douleur, le chagrin, le manque. Pour Dylan aussi, c'était dur. Peut-être plus dur encore que pour son frère puisqu'il était l'aîné.

Raven ramena son attention sur son téléphone.


A Son Altesse :

Tu devrais en parler avec lui. Ça va être votre premier Noël depuis... Il a besoin de savoir que tu es là pour lui. Il ne l'a pas dit comme ça mais je sens qu'il a peur d'aller vers toi pour en parler.


Dylan posa son téléphone sur sa table et soupira longuement. Raven regretta quelque peu de lui avoir avoué cela. Dylan avait toujours l'air distant mais ses yeux étaient si tristes que c'en était douloureux à voir. Nonobstant, les deux frères avaient besoin d'en parler, de panser leurs plaies ensemble. Ils avaient perdu leur père l'année précédente durant les fêtes et ça serait la première fois pour eux qu'il ne serait pas là durant cette période. Rien que le fait d'être en décembre réveillait leurs souvenirs de la maladie, de l'agonie de leur père. S'ils laissaient tout moisir en eux comme ils le faisaient, leur famille risquait d'imploser et Raven refusait de voir ça.

Il refusait de laisser les deux frères auxquels il s'était déjà attaché vivre ce que lui avait vécu.

Le président des élèves leva la main, prenant tout le monde au dépourvu, faisant bégayer le professeur.

- O-Oui, monsieur Goodwind ?

- Pourrais-je sortir brièvement, s'il vous plaît ?

- Oui, oui, bien sûr, allez-y.

Dylan sortit avec un minimum de bruit, fermant délicatement la porte dans un cliquetis à peine audible, à la manière d'un fantôme. Raven hésita quelques secondes avant d'enfoncer la main dans son sac, d'y trouver ce qu'il cherchait et de bondir hors de la salle de classe sans faire cas de l'appel éraillé du professeur de philosophie.

Il courut dans le couloir, cherchant une trace de Dylan. Il ne savait pas où il pouvait être allé. Ce fichu lycée était bien trop vaste à son goût, soudain. Ce fut le son d'une porte se refermant qui répondit à ses questions. Il dévala les escaliers et poussa la porte et atterrit dans le couloir d'entrée. Au vu de la pluie, il était sûr que Dylan n'était pas sorti. Le seul endroit auquel Raven put penser, c'était la salle polyvalente. Le reste des pièces n'étaient que salles d'arts, secrétariats et bureaux. La salle polyvalente était le seul endroit où Dylan pourrait se cacher.

Il sprinta jusque là-bas, s'arrêta devant la porte, reprenant son souffle. Par la petite fenêtre, il vit la silhouette de Dylan assis dans un coin. Il poussa la porte avec douceur. Il alla s'asseoir à côté du président des élèves sans rien dire. Dylan ne lui reprocha même pas de l'avoir suivi. Il garda le silence, la tête baissée, les bras appuyés sur les genoux.

Raven ne chercha pas à initier le dialogue, à faire le moindre geste vers lui. Il démêla le fil de ses écouteurs, les brancha à son portable. Il fit défiler ses chansons jusqu'à en choisir une. Il posa le portable sur ses genoux pour pouvoir glisser les écouteurs dans les oreilles de Dylan.

Et ils restèrent ainsi, en silence, pendant que Dylan pleurait.

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NdlA : Oh, bande de petits veinards ! Vous avez une chance de cocu que ce chapitre soit posté parce que j'ai bien cru que je ne pourrais pas le poster ! Mon pc refusait de se connecter à Internet et j'ai dû sortir mon chapeau d'informaticienne pour pouvoir le récupérer !

Sinon, vous avez pensé quoi de cette énorme séquence émotion ? Je veux tout savoir !

PS: La chanson que j'ai liée au chapitre et la chanson qui apparait tout à la fin ;)

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