Chapitre 1 : Raven

Derrière la vitre, les couleurs se mélangeaient en un kaléidoscope de verts, de gris et de bleus. La voiture roulait sûrement un peu trop vite pour les rues étroites auxquelles elle cherchait à échapper. Raven savait que c'était la dernière fois qu'il verrait les pelouses soigneusement tondues de ses voisins, ces maisons de plain-pied toutes identiques avec leurs façades blanches, leurs larges fenêtres et leurs toits d'ardoise.

Malgré la vitesse de la voiture, il sentait les regards percer des trous dans son crâne. Il sentit la ville entière soupirer lorsqu'ils franchirent le signe criant « vous sortez de Sinew, à la prochaine ! ». Il savait que tout le monde était on ne peut plus heureux de savoir qu'ils partaient dans l'Oregon, si loin du Texas. Qu'ils n'auraient plus jamais à leur faire face et à prétendre que tout allait bien après ce qu'il s'était passé.

Quelque part, il avait attendu ce déménagement. Il ne supportait plus d'aller au lycée et de devoir faire face aux regards, aux remarques, à la peur générale. Pourtant, il aurait dû être habitué. Il était Raven Herron et il était connu dans tout Sinew pour ses frasques, pour la main-mise qu'il avait sur les élèves de son lycée. Il était celui à qui il ne fallait pas chercher de problèmes, celui qui n'hésitait jamais à décocher un bon coup de poing, celui faisait la fête, ignorait les règles et vivait la vie si vite que tous les adultes prévoyaient une fin rapide et terrible.

Tous s'étaient trompés. Ce n'était pas Raven qui avait mal fini, au final... Comme quoi, la vie avait des voies impénétrables.

Il relâcha un long soupir en appuyant la tête contre la vitre de la voiture. Tout ce qu'il voyait, désormais, c'était le profil de son père. Raide, les mains serrées autour du volant, le teint gris de fatigue, les cheveux roux en pétard, une barbe d'une semaine noircissant ses joues. Le père et le fils ne s'étaient jamais vraiment ressemblé. John Herron était de taille moyenne, roux, les yeux d'un vert sombre étrange qui avaient le don de mettre mal à l'aise, des tâches de rousseur sur le nez et les pommettes, les épaules larges et les hanches étroites. De lui, Raven n'avait pris que la carrure physique. Pour le reste, il était aussi brun que sa mère avec les mêmes yeux noirs, le même teint clair.

La tension était palpable alors que la voiture se mêlait à la foule d'autres véhicules qui se pressait sur la deux voies. C'en était fini de la vie au Texas. Pas qu'il l'ait jamais vraiment aimée. Il avait souvent rêvé de partir. Il n'avait pas imaginé que ça serait dans de telles circonstances qu'il le ferait.

Les heures de route se succédèrent et se ressemblèrent. Il ne protesta pas lorsqu'il dut prendre le volant pour laisser son père se reposer. Sa mère était sûrement l'une des seules femmes en Amérique à ne pas savoir conduire. Elle avait toujours refusé de se mettre derrière le volant, ne tenant pas à conduire un engin qui risquait à tout moment de voler la vie d'un passant ou même la sienne. Elle n'avait jamais été l'incarnation du courage, c'était peu de le dire.

Même pour conduire, Raven garda son téléphone à côté de lui, glissé sous sa cuisse droite, les écouteurs dans les oreilles. Il ne voulait pas donner la moindre occasion à ses parents de lui adresser la parole. Cela faisait déjà une semaine qu'il vivait avec les écouteurs vissés aux oreilles pour ignorer les disputes, les cris, les reproches. Pour éviter la haine qui montait dans la maison.

Au bout de deux jours de voyage, ils arrivèrent enfin devant leur nouvelle demeure. Raven fut le premier sorti. L'air frais et humide le frappa de plein fouet et lui fit un bien fou. Il se dégourdit les jambes et les bras en observant le bâtiment qui lui faisait face.

La maison s'étalait sur deux étages dont un qui devait être un grenier. La façade était d'une intense couleur jaune tournesol qui brûlait la rétine et rendait le vert de la pelouse d'autant plus intense. La porte d'entrée blanche ressortait violemment au milieu de tout ce jaune.

Ignorant ses parents qui devaient sûrement lui demander de les aider avec les bagages, il remonta l'allée de graviers qui menait à l'entrée, sauta les deux marches du perron. Il récupéra les clés sous le paillasson laissées là par l'agence immobilière – ce qui n'était pas vraiment responsable de leur part mais bien pratique pour lui. Il déverrouilla la porte et s'invita à l'intérieur.

L'entrée était un long couloir qui traversait toute la maison. À sa droite, Raven trouva un salon large et illuminé, les fenêtres faisant entrer toute la lumière du soleil qui se réverbérait sur les murs blancs. À gauche, une salle à manger toute en longueur avec une vieille table recouverte d'un drap poussiéreux.

Il continua à avancer dans le couloir de l'entrée, dépassa un escalier massif qui abritait un petit placard à manteaux. Tout au bout, le mur était entièrement vitré, donnant sur un terrain trois fois plus grand que celui dans lequel il avait grandi. Un chêne se logeait dans un coin du terrain, projetant des feuilles et de l'ombre. Le salon se terminait face à la baie vitrée, tout comme la cuisine qui s'ouvrait à gauche. Elle ressemblait à s'y méprendre à l'une de ces cuisines vues et revues dans les télés réalités que Sean, l'un de ses meilleurs amis, passait son temps à regarder.

À l'étage, Raven découvrit cinq pièces vides. Deux salles de bains et trois chambres. Les deux salles de bains étaient à l'opposé l'une de l'autre et cela lui convenait à merveille. Les trois chambres étaient concentrée entre elles. Il choisit celle qui lui parut avoir la plus grande surface et qui donnait droit sur la rue.

Il trouva le chemin jusqu'au grenier derrière une petite porte discrète à la peinture fatiguée et écaillée. Sous le toit mansardé, un espace immense s'étalait sans aucune cloison. Le plancher était fragile et pourri par endroits. La hauteur au plafond n'était pas suffisante pour qu'il puisse se tenir droit. Sans quoi, il aurait certainement choisi cet endroit pour établir son quartier général.

Toutefois, le grenier apportait un détail insolite qui plut beaucoup à Raven. Une lucarne large d'au moins un mètre était encastrée dans le côté droit du toit, donnant droit sur le ciel bleu dépourvu de nuages. Rien d'autre n'était visible que le ciel. Il n'y avait même pas de mécanisme pour ouvrir cette fenêtre.

Les déménageurs arrivèrent avec un peu de retard et Raven les regarda décharger avec ses parents depuis ce qui serait sa chambre. Ils terminèrent de placer les meubles et les cartons dans le salon alors que le soleil se couchait. Ils commandèrent des pizzas et la routine qui s'était installée ne changea pas : Raven garda ses écouteurs et ignora ses parents lorsqu'ils voulurent lui parler.

Les jours suivants servirent à arranger la maison. Il se contenta de s'occuper de sa chambre, tentant de retrouver le même atmosphère que dans son ancienne, punaisant les posters de groupes de rock aux murs, bourrant son armoire sans chercher à plier ses vêtements. Il n'avait jamais été doué pour le rangement. Pas qu'il ne cherche à l'être non plus...

éventuellement, il dut faire face à ce qui se profilait. Il allait devoir intégrer un nouveau lycée, découvrir une nouvelle ville. Jusque là, il était resté confiné dans la maison mais dès lundi, on attendait de lui qu'il intègre North East High. Il ne savait même pas où le lycée se trouvait et il était impensable qu'il prenne le bus scolaire qui passait juste devant chez lui. Il n'avait jamais pris cet horrible bus jaune de sa vie et ce n'était pas maintenant que ça allait commencer.

Il saisit une veste et l'enfila tout en descendant les escaliers.

- Où est-ce que tu vas ? l'interpella sa mère.

Raven jura dans un souffle. Il avait totalement oublié ses écouteurs. Tant pis. Sans chercher à répondre, il sortit en claquant la porte. Il comptait bien faire un repérage de son nouvel environnement. Il aurait pu prendre sa voiture si ses parents s'étaient décidés à la faire remorquer plutôt que d'attendre que l'oncle Jerald ne la ramène.

Les mains enfoncées dans les poches de son jean, il commença à remonter le pâté de maisons, observant les maisons aux tailles variables, aux couleurs claires, aux toits de tuile. La ville lui parut vide et dépouillée. Ce n'était pas si étonnant puisque c'était le milieu de semaine et que les adolescents de son âge étaient en cours alors que leurs parents étaient au boulot. Il avait donc tout le loisir de découvrir la ville sans avoir à faire face à quiconque et ce n'était pas pour lui déplaire.

Il ne tarda pas à trouver le lycée. Il était à vingt minutes de marche depuis chez lui. Il ne se souvenait pas vraiment du chemin qu'il avait emprunté pour y arriver. C'était un enchaînement de virages et de choix impulsifs.

North East High était un immense bâtiment moderne qui s'élevait sur cinq étages. Il était encadré de hautes grilles en métal. Dans la cour, des silhouettes vêtues de l'uniforme réglementaire se mouvaient et chahutaient. Plus que jamais depuis le déménagement, ses amis lui manquèrent. Avec Sean et Ricky, il aurait pu allègrement se moquer de cette tenue affreuse et ridicule qu'il allait être obligé de porter et qui l'attendait quelque part dans sa chambre.

Il continua d'errer pendant plusieurs heures. Il découvrit une petite zone commerciale, un marché couvert, un cinéma et même une arcade. Il fit une note mentale de chacun des bars devant lesquels il passa. Ça pourrait toujours être utile.

Il ne chercha à rentrer que lorsque le vent se leva avec la nuit tombante. Il parvint à retrouver la route du lycée et de là, à retracer ses pas jusque chez lui. Pour la première fois, il bénit la couleur jaune atroce de la maison qui la différenciait des autres et la rendait assez unique pour qu'il ne se trompe pas de porte.

- On peut savoir où tu étais ?! tonna son père dès qu'il passa la porte.

- Ailleurs, répondit-il calmement sans même lui accorder le moindre regard.

- Tu es parti toute la journée !

Enfin, Raven leva les yeux vers son père. Pendant quelques secondes, ce fut yeux verts contre yeux bruns dans le plus lourd des silences. Ce fut sa mère qui rompit le combat en les appelant pour dîner. Le père céda et lui fit signe de gagner la cuisine.

Le dîner se passa dans la tension. Tout ce que Raven voyait de là où il était assis, c'était cette grande photo que ses parents avaient fait encadrer. Cette photo de lui et Stanford, riants et souriants, couverts de sables, les cheveux humides, à peine cinq ans plus tôt lors de vacances en famille. Les dernières qu'ils avaient eues. Après ces deux semaines à la plage, leur père avait obtenu sa promotion et n'avait presque plus été à la maison. Les deux garçons s'étaient retrouvés seuls, pour ainsi dire, si ce n'était pour la vieille voisine qui venaient les babysitter de temps en temps. À vrai dire, c'était le premier mois pendant lequel il avait autant vu ses parents depuis ces vacances. Et il détestait la raison derrière leur soudaine présence.

Plus que tout, il détestait cette photo et tout ce qu'elle représentait.

Plus que tout, il détestait ses parents.

Plus que tout, il haïssait Stanford.

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NdlA : Et voici le premier chapitre ! Bon, autant vous le dire tout de suite, je n'écris jamais à la troisième personne d'habitude alors c'est un peu compliqué pour moi ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez au fur et à mesure pour que je puisse m'améliorer ! En tout cas, j'espère que cette nouvelle histoire vous plaira ! Elle est très différente de ce que j'ai l'habitude d'écrire alors j'espère avoir votre retour sur les chapitres à venir !

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