Lunaris
Elle courait. Jenna fuyait la ville vers le plus proche pont pour franchir le Fleuve Sombre. Tout ce qui lui importait en cet instant était de s'éloigner au plus vite de Drassir. Des passants l'avaient reconnue et avaient crié partout que leur héroïne, celle sans qui la dernière bataille aurait été perdue, était en ville. Mais la guerrière était terrifiée à l'idée de cette reconnaissance, qu'elle ne pensait pas mériter. Elle estimait ne pas pouvoir prétendre à cette reconnaissance et pour cause, elle partait du principe que les vrais héros ne laissaient pas leurs frères périr. Car, bien qu'elle affirmât avoir achevé son deuil, une partie d'elle continuait de culpabiliser pour la mort d'Orion.
Jenna vit enfin le pont qu'elle franchit sans attendre. Ralentissant pour ne pas bousculer les nombreuses personnes traversant en sens inverse, elle se faufila à travers le convoi venant de Classy. Ceux-ci ralliaient Drassir ou peut-être Gognan. Jenna savait que nombre des enfants dans ce convoi n'en étaient pas vraiment. Cela faisait des années que ce genre de voyage existaient. Ils abritaient des réfugiés nains car ce peuple était non seulement en guerre contre les autres peuples de la contrée mais ils se battaient également entre eux. Et cela avait poussé nombre d'entre eux à fuir les montagnes d'Uswein et la terreur qui régnait depuis les guerres fratricides qui avaient vu mourir la grande reine.
Jenna avait lu les textes publiés anonymement. Ces textes avaient commencés un an après le début des Guerres Naines, la jeune femme avait alors dix-sept ans. C'était cela qui l'avait motivée à apprendre à se battre.
Avançant dans le sens inverse du convoi, elle finit par percuter quelqu'un. Cette personne tomba. Jenna baissa les yeux vers celle-ci, c'était un nain, du moins, elle supposa que ce n'était pas un enfant et qu'il était un réfugié.
-Excusez-moi, dit-elle. Je n'ai pas fait attention.
Elle lui tendit sa main pour l'aider à se relever, mais il la repoussa violement en grommelant :
— Pas besoin d'ton aide, l'humaine...
Il se releva sans lui adresser un regard et s'éloigna. Jenna resta là, se rendant compte que les multiples guerres avaient eu raison d'une possible entente entre les deux peuples.
— Excusez-moi, fit-t-elle. Je sais bien que vous n'avez aucune raison d'apprécier ceux de mon peuple. Mais...
Le nain se retourna et l'interrompit :
— Oui j'sais, y a pire qu'les humains.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire.
— C'en reste pas moins véridique. J'dois vous rapp'ler que j'suis un Nain ? J'sais c'qu'il fait subir, à vot' peuple particulièrement.
Il insista sur le "il", Jenna comprit immédiatement de qui il voulait parler : Gondom le roi nain qui avait, après seulement quelques années de règne, déclenché plus de guerres que l'on ne peut l'imaginer.
— Il n'est qu'un Nain parmi les autres. Je ne peux certes pas dire que j'apprécie votre peuple. Mais je n'ai jamais rencontré l'un d'entre vous qui me donne de raison pour changer d'avis.
— Avec c'qui s'prépare, c'pas aujourd'hui qu'ça va changer, maugréa-t-il.
— Comment ça ? demanda Jenna, curieuse.
— Il veut attaquer un village. J'ai oublié l'nom. Un truc avec Lune. Mais y a personne pour l'défendre, c'village. Ç'va être un massacre. Pour ça qu'je suis parti.
— Vous avez déserté ? s'étonna-t-elle.
— C'tout c'que vous r'tenez ? J'vous dis qu'ils veulent détruire c'te village, et vous vous étonnez que j'déserte ? S'rtout qu'c'est pas comme si l'grande héroïne d'guerre qu'vous êtes avait pas déserté aussi.
La guerrière regarda le Nain avec incompréhension.
— Ben quoi ? Tout l'monde ici vous connait. Y a les affiches, avec vot' tête. Celle qu'a remporté la dernière bataille. C't'un peu vot' faute, d'ailleurs. Pour Lun-j'sais-plus-quoi.
— Lunaris... murmura-t-elle. Il faut prévenir le commandant Dayshade ! ajouta-t-elle, criant presque.
Angel Dayshade était un soldat qui avait gravi les échelons et gagné en grade grâce à de multiples batailles. Il était le commandant du campement le plus proche du village que les nains prévoyaient d'attaquer. Jenna n'avait encore jamais combattu à ses côtés, mais elle ne doutait pas que c'était un homme bon, qui saurait prendre des bonnes décisions.
— Ouais Lunaris, c'est ça. Mais va falloir vous dépêcher pour vot' commandant. En fait faudrait qu'vous partiez maint'nant.
Jeanna acquiesça. Elle hésita une seconde avant de demander :
— Vous voudriez bien m'accompagner ?
— Pour quoi faire ?
— Vous savez des choses sur cette attaque, non ? Ça pourrait nous être utile. Je sais...
Elle hésita avant de poursuivre. Elle savait qu'elle n'était pas légitime à demander cela à un Nain qu'elle venait de rencontrer.
— Je sais que c'est beaucoup vous demandez... ça serait trahir les vôtres. Mais vous comprenez que des vies innocentes sont en jeu.
— J'vais v'nir. Z'avez raison sur l'fait qu'c'est des innocents. Ils méritent pas d'mourir comme ça.
Jenna fut surprise, elle ne s'attendait pas à ce qu'il accepte et encore moins à ce que ça soit aussi rapide.
— Oh... très bien merci.
Ils partirent immédiatement, repassant d'abord sur la rive Est du Fleuve Sombre, puis fonçant vers le Nord vers le campement militaire le plus proche de Lunaris. Ils discutèrent durant tout le trajet, échangeant leurs histoires. Le Nain se nommait Thekket. Sa famille était déjà à Gognam et il souhaitait les rejoindre, c'était la seconde raison de sa désertion. Jenna, quant à elle, parla d'Orion et de la bataille de la plaine Kährien.
Ils arrivèrent avant que la nuit ne soit entièrement tombée. La lumière faiblissante leur permettait encore cependant de voir complétement le campement qui semblait bien calme. Trop calme peut-être lorsqu'on savait ce qui se préparait. Jenna se dirigea sans attendre vers le centre du camp, elle était presque sûre d'y trouver le commandant. Thekket resta à côté d'elle, sans doute mal à l'aise au milieu de tous ces Humains. Les guerriers, pour la plupart assis à même le sol, avaient tous retiré leurs armures. Ils regardaient passer cet étrange duo.
— Eh bien, l'humaine, dit Thekket sarcastique, z'ont l'air content d'nous voir les tiens.
Jenna tourna son regard vers le Nain.
— Ça je n'y suis pour rien, répliqua-t-elle en haussant les épaules. C'est contre les tiens qu'ils se battent et qu'ils meurent.
— Ça j'le sais. Mais toi t'es leur héroïne non ?
Elle releva son regard devant elle.
— C'est vrai, mais ça ne veut pas dire qu'ils vont être heureux de me voir, quand je suis là, les soldats savent qu'ils vont devoir se battre, je ne reste jamais dans les campements sinon. Et... j'ai un peu déserté aussi après la dernière bataille.
Ils marchèrent en silence, des dizaines de regards rivés sur eux. Ils atteignirent la place centrale, où un grand homme, distribuait les ordres aux soldats autour de lui. Sans nul doute, ce devait être le commandant du camp. Jenna s'approcha de lui et lui demanda :
— Vous êtes bien le commandant Dayshade ?
— Ouais, c'est moi. Qu'est-ce que vous fichez ici, Evenhell ?
— Il y a une armée naine qui marche sur Lunaris ! Il faut défendre le village.
— Qu'est-ce que vous racontez encore ? Qu'est-ce que les Nains en ont à faire de Lunaris ?
— Personne défend c'village, répondit Thekket, c't'une cible facile. Et ça vous affaiblira. C'ça leur but.
Le commandant ignora la réponse du Nain.
— Qu'est-ce que vous ramenez avec vous, Evenhell ?
— Thekket peut nous aider ! Il sait ce qui se prépare.
— C'est ça, répliqua l'homme, il a surtout réussi à vous faire avaler ces bêtises.
— Mais... commença Jenna.
— Maintenant, sortez de ce camp. Vous n'avez rien à y faire.
— Commandant, cria la guerrière, des vies innocentes sont en jeu ! Vous ne pouvez pas simplement fermer les yeux.
Dayshade l'ignora et fit un signe aux quelques soldats autour de lui. Quatre hommes les forcèrent à quitter le campement, les escortant à l'extérieur. Jenna tourna le dos à ces hommes et partait déjà à grandes enjambées.
— Eh ! l'interpella Thekket. Y a pas d'autres camp'ments dans l'coin ? C'est p't'être pas trop tard pour Lunaris.
Elle arrêta de marcher et se tourna vers lui. Il pouvait ressentir sa colère contre Dayshade.
— Alors ? redemanda-t-il. T'en connais pas d'autres des commandants ?
— Les campements sont trop loin. Même s'ils nous croyaient, ça serait trop tard, répondit-elle sèchement avant de reprendre sa marche.
Le Nain grommela quelque chose d'intelligible qui devait ressembler à une insulte, puis il se mit à courir pour rattraper la guerrière.
— Et t'vas faire quoi là ?
— Je vais à Lunaris, répondit-elle.
— T'penses vraiment que t'peux sauver l'village ?
Elle hocha la tête.
— T'peux pas toute seule. J'viens avec toi.
Jenna hocha de nouveau la tête. Elle n'avait rien contre le fait que le Nain l'accompagne à Lunaris. Elle voulait y arriver au plus tôt, pour avoir le temps d'évacuer le village avant que leurs ennemis ne viennent les massacrer.
Ils se mirent tous deux à courir. En une heure, ils avaient parcouru une grande partie de la distance les séparant du village. Ils finirent par voir les premières maisons. Tout semblait encore calme quand ils entrèrent dans Lunaris. Les enfants jouaient comme Jenna avait elle-même pu jouer avec son frère il y a des années. L'innocence et le bonheur se lisait sur leurs visages, ils ignoraient tout de ce qui se préparait à arriver. La guerrière sourit devant leur jeu sans pour autant se laisser à oublier la raison de sa venue.
Dès qu'elle et Thekket eurent atteint la place centrale, elle cria, à l'attention de tous.
— S'il vous plait ! Vous êtes en danger !
Par ces mots, elle attira l'attention de la majorité des adultes présents sur la place, les enfants préférant l'ignorer et continuer à jouer.
— Vous savez que nous sommes en guerre, et Gondom a ordonné à ce que son armée s'en prenne à votre village, expliqua-t-elle.
Jenna était hésitante, elle ne savait pas quels mots choisirent pour parler à ces gens qui ignoraient tous des combats, mais qui allaient pourtant se retrouver au cœur de la guerre si elle ne se dépêchait pas à les sauver.
— Réunissez tout l'monde, ordonna Thekket, j'sais bien qu'à priori vous d'vez pas trop nous croire, c'tout à fait normal, on débarque de nul'part comme ça mais on a pas trop l'choix. Vous d'vez quitter l'village si vous t'nez à la vie.
Le ton sec du Nain, doublé de sa manière de parler un peu familière, lui avait permis de se faire comprendre. Déjà, de nombreux parents avaient arrêté les jeux de leurs enfants, et d'autres partaient frapper aux portes de leurs amis.
Quelques minutes après, le village était réuni devant le duo.
— Vous devez évacuer le village. L'armée naine peut arriver n'importe quand et nous ne pouvons prendre aucun ris-
Avant que Jenna n'ait pu finir sa phrase, un cri retenti. L'ensemble des personnes présentes se tournèrent vers la petite fille qui avait crié. Elle avait le bras tendu devant elle, et plus loin, dans la rue principale, les Nains arrivaient.
— Merde, jura la guerrière.
Elle soupira et, attrapant son épée pour défendre les habitants, elle commença à courir vers l'enfant en criant :
— Sortez du village, et rejoignez Drassir.
Elle se mit juste devant la petite fille, pour la protéger. Sans quitter du regard les Nains qui avançaient, elle lui demanda.
— C'est quoi ton nom ?
— Heaven, murmura-t-elle.
— OK... très bien, Heaven. Tu sais où sont tes parents ?
Jenna tourna son regard une seconde pour voir l'enfant. Celle-ci secoua la tête. La guerrière ramena son attention sur ce qui se passait devant elle, les nains se rapprochaient toujours plus.
— Bon, Heaven, il faut que tu les retrouves...
— Je m'occupe d'elle, intervint un vieil homme. Je connais ses parents.
Elle jeta un coup d'œil à l'homme et hocha la tête. Puis elle se reconcentra. Thekket arriva près d'elle.
— Faut qu'on évite l'combat. A deux contre eux, on s'ra morts trop vite.
— Je sais. On doit aider les habitants à partir.
Thekket partit vers les maisons, vérifiant que toutes étaient bien vides. Mais les nains étaient trop proches de Jenna désormais, et l'un d'eux l'attaqua. Elle se défendit, levant son épée rapidement, et l'arme du Nain percuta la sienne. La force de l'attaque la fit reculer, mais elle garda l'équilibre et frappa immédiatement son adversaire. Il esquiva l'attaque et contre-attaqua, la guerrière para le coup, et continua aussitôt. Du coin de l'oeil, elle vit que les autres guerriers nains allaient aider leur camarade. A une contre une armée, elle n'avait aucune chance. De peur d'être tuée, elle frappa une dernière fois son adversaire avec suffisamment de puissance pour le forcer à s'éloigner d'elle. Puis elle recula rapidement sans quitter ses ennemis du regard. Plusieurs d'entre eux la suivirent tandis que d'autres commençaient à faire bruler des maisons. Jenna bifurqua dans une ruelle, puis dans une autre. Dès qu'elle parvint à perdre les nains, elle courut retrouver Thekket.
Il était en train d'aider une famille à quitter leur maison. Jenna aperçut un garçon. Seul au milieu de la rue, il pleurait, la tête tournée vers elle. Il devait être âgé d'une dizaine d'années. Il avait les cheveux mi-longs et aussi noirs que ceux d'Orion quand il avait cet âge. La guerrière avait l'impression de se retrouver face à son petit frère. Elle s'avança vers lui, et au même moment, plusieurs Nains s'approchèrent de l'enfant. Elle serra la poignée de son épée, prête à le défendre.
Thekket, qui ne la regardait pas, occupé avec la famille, lui cria :
— EH ! La maison là-bas ! Y a encore des gens d'dans !
— Occupe-t-en ! répliqua la guerrière.
Il se retourna vers elle, et la vit attrapant le bras de l'enfant pour le ramener derrière elle.
— Jenna ! Y a une famille entière là-d'dans ! T'peux pas les sacrifier pour un morveux !
Elle l'ignora et attaqua les trois Nains devant elle.
— Reste derrière moi, ordonna-t-elle au garçon.
Jenna parait les coups de ses adversaires, qui ne lui laissaient aucun répit et aucune occasion de contre-attaquer. Elle parait, elle esquivait chacune de leurs attaques, parfois de justesse. Mais ils la forçaient à reculer. L'enfant était toujours caché derrière elle.
— Ecoute-moi bien, dit-elle au garçon. Quand je te dirais de te mettre à courir, tu le feras, et tu ne retourneras pas d'accord ? Je serais derrière toi.
L'un des Nains attaqua, et elle para le coup.
— Cours ! cria-t-elle.
Elle sentit que le garçon partait. Jenna resta concentrée sur son ennemi. Elle lâcha son épée, et se mit à courir derrière l'enfant. Quand elle arriva à sa hauteur, elle l'attrapa pour le porter. Puis elle accéléra encore pour sortir avec lui du village, elle courut encore un long moment pour s'éloigner du village.
Jenna aperçut Thekket, et elle le rejoignit.
— J'peux savoir c'qui t'as pris l'Humaine ? lui cria-t-il. Ils sont morts dans c'te maison, Parce que toi t'as décidé de sauver un gamin plutôt qu'une famille entière. T'as failli y laisser ta peau en plus.
— Je ne pouvais pas le laisser, répondit-elle sèchement.
Elle posa le garçon, qui partit en courant, ayant aperçu ses parents. Elle le regarda s'éloigner et murmura :
— Pas lui. Pas encore...
Le Nain soupira.
— Qu'est-c'qu'il avait c'gamin pour qu'tu t'en inquiètes autant ?
— J'ai cru voir mon frère, je ne pouvais pas le laisser mourir une deuxième fois.
Il haussa les épaules.
— Quat' pauv' gens sont mort, pour ton frère qu'est aussi mort. T'es sûre d'toi là ?
Jenna ne répondit rien. D'une certaine manière, elle savait que Thekket avait raison, mais elle ne pouvait pas ignorer ce qu'elle avait ressenti lorsqu'elle avait vu le garçon.
Le Nain soupira de nouveau et s'éloigna. Elle le suivit, mais ils ne parlèrent pas durant un long moment.
Ce n'est que lorsque la nuit s'apprêta à tomber que Thekket demanda :
— T'vas faire quoi maint'nant ?
— Je ne sais pas. J'irais là où j'irais, peut-être que je vais retourner à Drassir. Et toi ? Où vas-tu aller ?
— J'vais aller à Gognam. Ma famille m'attend.
Jenna hocha la tête.
— Donc tu vas aller vers l'Est et moi au Sud. Je suppose que c'est ici qu'on se quitte dans ce cas ?
— Ça s'pourrait bien.
Le Nain se tourna vers l'Est.
— Mais qui sait ? P't'être qu'on s'reverra ?
— Peut-être, répéta Jenna.
Et ils partirent chacun dans leurs directions.
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