La Fille De Mort
Les immenses portes de Classy s'ouvraient devant elle. Jenna était arrivée avant que le soleil se lève, et l'aube avait apporté ce spectacle. Les portes, dont le bois avait été acheté aux elfes silvestres, étaient éclairées par la lumière encore faible mais qui faisait briller les gravures sur le bois. Le blason était ainsi représenté sur la porte. Il s'agissait d'un grand phénix aux ailes déployées. Des plumes étaient gravées autour de l'oiseau et l'ensemble était encadré d'un immense cercle. Au-dessus de la tête du phénix, des écritures reprenaient la devise de la ville, « Marcher Main dans la Main ».
Jenna pénétra dans la quatrième ville humaine qui avait plus l'air d'un immense village aux rues serpentueuses et assez étroites. Des simples maisons étaient construites sur le bord des routes et leurs façades étaient peintes dans des couleurs vives. Classy était une explosion de couleur qui ne s'arrêtait pas qu'aux habitations. De grandes bannières festives étaient tendues entre les bâtiments. De la musique s'élevait partout où Jenna se rendait. La guerrière se laissa prendre par la gaité ambiante. Elle déambula durant toute la journée à travers les rues de la ville. Les gens qu'elle croisait arboraient des tenues colorées et des sourires radieux. La joie de vivre régnait dans cette grande ville qui abritait plus que des Hommes. Jenna avait croisé un certain nombre de nains, venus se réfugier ici, mais également des jeunes elfes. Elle rencontra même un gobelin avec qui elle conversa longuement.
Avant même que le soleil n'ait atteint le point le plus haut dans le ciel, elle avait troqué sa cape grisâtre et sa tunique noire pour des vêtements plus colorés. Elle se rendit après dans une taverne où elle loua une chambre afin d'y déposer son épée et son armure avant de retourner dans les rues. Elle écoutait les musiciens qu'elle rencontrait, parlait avec eux, et les sujets de conversation étaient si légers qu'elle oublia presque que la guerre était dehors, et que quelques jours plus tôt elle avait dû se battre pour un village, et que des innocents y avaient perdu la vie.
Au soir venu, Jenna continuait d'errer dans la ville. Elle en avait visité près de la moitié, et elle avait hâte de voir à quoi ressemblait Classy une fois que la lune prenait sa place dans l'immensité du ciel.
Les rues se vidaient peu à peu au fur et à mesure que la nuit tombait. Elle se dirigea sur la grande place, où un certain nombre d'Hommes s'étaient déjà réunis. Un groupe de musiciens jouait, emplissant la place d'une musique entrainante. Alors qu'elle avançait sur la place centrale de Classy, la guerrière se fit la remarque que tous ces sourires autour d'elle, ces éclats de rire, cette bonne humeur ambiante qui flottait dans l'air avait quelque chose d'apaisant. Jenna songeait qu'elle aurait bien aimé grandir dans cette ville. Et peut-être même y vivre. S'éloigner de la guerre, au moins pour un temps. Oublier comme tous ces gens autour d'elle que les combats faisaient rage, que la mort était partout.
Peut-être était-ce cela la solution ? Pour oublier, pour pardonner. S'éloigner de ce qui faisait mal, et ce qui faisait souffrir Jenna, c'était le souvenir de son frère, c'était la guerre. Se battre constamment lui rappelait qu'Orion avait perdu la vie lors d'une bataille.
La musique s'arrêta un instant avant de reprendre, et une chanteuse s'avança sur l'estrade qui avait été installée pour l'occasion. Sa voix mélodieuse s'éleva, et Jenna esquissa un sourire.
Un homme s'approcha d'elle.
— Eh bien, mademoiselle ? Vous avez l'air perdue.
Elle secoua la tête. Elle songea d'abord qu'elle n'était pas perdue. Mais il était vrai que c'était étrange et nouveau pour elle, toutes ces festivités. Elle n'avait réellement connu que la solitude lorsqu'elle vivait dans une ferme avec ses parents et son frère, et la guerre. Mais ce qui l'interpella le plus, c'est que l'homme ne semblait pas l'avoir reconnue. Et pourtant, ces derniers temps, tout ceux qu'elle croisait savaient qui elle était. Elle s'était petit à petit habitué à cette célébrité due à sa victoire à la Bataille de la Lune. Alors ça lui parut étrange.
— Vous ne savez pas qui je suis ? demanda-t-elle.
— Je devrais ? répliqua-t-il.
— C'est que, tout le monde semble me reconnaitre dehors.
— Hmm, fit l'homme en hochant la tête. Vous êtes une fille de mort.
— Une fille de... ?
Jenna n'était pas sûre d'avoir compris.
— Une fille de mort. Vous êtes une guerrière. C'est comme ça qu'on appelle les gens comme vous ici.
— Ah ? Et d'où vient cette rancœur à l'égard des guerriers ? Sans vouloir vexer.
— La où il y a des guerriers, il y a la guerre, ça semble évident. Et la guerre apporte la mort, vous devez le savoir.
Jenna hocha la tête.
— C'est vrai, mais il y a bien des guerriers à Classy ? Pour défendre la ville ?
— Certainement pas ! s'exclama l'homme.
— Et en cas d'attaque ? Votre ville est au pied des montagnes tout de même !
— Cette ville n'a pas subi une seule attaque depuis sa création !
L'homme rigolait.
— Ça n'arrivera pas ! ajouta-t-il.
Jenna n'était pas vraiment convaincue de cela.
— Vous ne pouvez pas en être sûr ! Cette ville n'est pas plus protégée que les autres. Au contraire même ! Si vous ne voulez pas de guerriers pour la défendre.
— Gondom ne nous a encore jamais attaqué. Je ne vois aucune raison pour qu'il commence maintenant. En plus, c'est le Sud qu'il veut toujours attaquer. Son peuple est en conflit avec cette ville-là particulièrement.
— Et le jour où il changera d'avis ? Que ferez-vous ? Il n'hésitera pas même si vous n'êtes pas armés.
— Il hésitera, répliqua l'homme.
— Il a détruit un village. Lunaris, ça vous dit quelque chose ? Il aurait massacré les habitants si je n'étais pas arrivée juste avant pour évacuer les habitants.
— Je crois qu'il y aura toujours la paix à Classy. Et s'il y a tentative d'attaque. Nous réglerons cela par la diplomatie.
Jenna soupira.
— Libre à vous de vivre dans votre monde idyllique. J'aimerai que cela soit la réalité. Vraiment.
— Mais vous ne savez que vous battre, rétorqua-t-il. Vous êtes une fille de mort.
— C'est vrai. Mais je sais aussi ce que coûte les guerres en vie humaine. Et en vie naine.
Elle esquissa un sourire triste.
— Le monde n'est pas celui des contes pour enfants. La mort est notre quotidien.
— Évidement ! Vous répandez la mort autour de vous ! C'est ce qu'on vous a appris. Ici au moins nous apprenons le bonheur.
— Il y a aussi ceux que l'on voit mourir alors qu'on aurait aimé les sauver.
En disant ces mots Jenna songeait à son frère, mais aussi à la famille que ses folies avaient laissée mourir à Lunaris. Un voile de chagrin passa sur ses yeux.
— C'est pour cela qu'on se bat, ajouta-t-elle. Pour sauver les autres. Pas pour le plaisir de tuer.
L'homme haussa les épaules.
— J'espère pour vous que vous trouverez autre chose pour occuper votre temps.
Il s'éloigna, laissant la guerrière avec les réflexions qu'il lui laissait après cette discussion.
Les musiciens n'avaient pas cessé de jouer, et les personnes présentes continuaient et danser.
Jenna trouva soudain ces festivités superficielles. Comme si elles n'avaient pas lieu d'être. Elle s'éloigna de la grande place à grands pas. Il ne restait pas une trace de la gaité acquise durant cette journée et lorsqu'elle arriva à la taverne où elle avait loué une chambre, elle était redevenue la guerrière sans cœur.
Cette nuit-là, Jenna ne dormit que très peu. Ses pensées s'étaient tournées d'abord vers son frère et elle commençait à se demander pourquoi Orion avait perdu la vie.
Elle se leva avec la certitude de ne plus vouloir se battre. Il y avait eu trop de morts par sa main. C'en était assez. Elle se jura de trouver une autre occupation pour le reste de sa vie.
En se promenant dans les rues ce jour-là, Jenna croisa un musicien qui attira son attention plus que les autres. C'était un jeune garçon qui marchait dans les rues en portant deux guitares, une sous chaque bras. Elle s'avança vers lui pour lui proposer son aide. Il accepta en lui tendant l'un des deux instruments. Elle l'attrapa.
— Comment tu t'appelles ? lui demanda-t-il.
— Jenna, et toi ?
— Hayden.
— Tu es tout seul, Hayden ?
— Oui, répondit-il. Toi aussi, tu es toute seule.
Jenna sourit.
— Ces deux guitares sont à toi ?
Le gamin tourna sa tête vers elle, il semblait un peu triste.
— A mon frère. Mon grand frère. Mais il est parti en laissant sa guitare l'année dernière.
— Oh...
Hayden haussa les épaules.
— Ils ne reviendra pas de toute façon, soupira-t-il. Et moi j'ai plus personne pour jouer avec moi...
— Je suis désolée, dit-elle sincère.
Elle pensait savoir ce que le frère de ce garçon était parti faire. Et il était en effet fort probable qu'il ne revienne pas tant c'était facile de perdre la vie sur un champ de bataille.
— Tu jouerais avec moi, Jenna ? demanda-t-il d'une voix qui laissait transparaitre l'espoir d'une réponse positive.
Jenna ne réfléchit que quelques secondes. La voilà, sa porte de sortie. Si elle voulait cesser de se battre, elle ne pouvait pas refuser cette proposition.
— Si tu m'apprends à jouer, je veux bien.
Le garçon se mit à sourire.
— Tu vas voir c'est facile ! Et moi je suis très fort, c'est ce que disait mon frère.
Elle sourit également tandis qu'il la guidait dans les rues jusque chez lui.
Les semaines et les mois qui suivirent, Jenna apprit jour après jour à jouer de la guitare. Après quelques temps, elle commença à se produire en compagnie d'Hayden dans les rues de Classy. Elle se sentait libérée d'un poids depuis ces dernières semaines où elle n'avait pas retouché son épée. Le jeune musicien lui apprit également à écrire des chansons, et durant une nuit entière, elle s'attela à cette tâche, racontant ses batailles, les morts qu'elle avait vues et causées. Elle parla d'Orion et d'un champ de fleurs. Et lorsque le soleil se leva, Hayden la trouva, endormie sur le parchemin qu'elle avait utilisé, apaisée.
Elle ne chanta jamais cette chanson mais le garçon conservait le texte, sachant pertinemment qu'un jour, il pourrait conter cette histoire en musique.
D'autres mois passèrent et l'hiver arriva. Avec lui, une nouvelle qui allait de nouveau changer le destin de Jenna.
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