Elle jura. Qu'est-ce qui lui avait pris de venir ? Pourquoi avait-elle accepté ?

Autour d'elle, des centaines de guerriers humains. Et en face, l'armée naine. Au fond d'elle, Jenna savait qu'elle aurait mieux fait de rester à Classy avec Hayden. Et pourtant, quand le héraut du roi de Drassir était venu à Classy annoncer que Gondom souhaitait de nouveau la ville, elle n'avait hésité à aucun moment et avait annoncé au garçon qu'elle devait retourner se battre. Il avait hoché la tête, peu surpris de cette décision, et il l'avait laissée partir. Jenna avait promis à Hayden de revenir mais il avait haussé les épaules.

— Tu peux pas promettre ça, avait-il répliqué. Les morts ne tiennent pas leurs promesses.

La guerrière avait voulu répondre qu'elle survivrait quand elle avait réalisé qu'elle pouvait tout aussi bien mourir. Rien ne l'assurait de sa survie.

Elle avait quitté Classy emplie de doutes. Et désormais, elle était près de Drassir, à quelques instants d'une bataille. Et pour la première fois de sa vie, elle avait peur de mourir.

Sa main se resserra sur la poignée de son épée. Un autre guerrier s'approcha d'elle.

— Jenna ? Tu vas bien ? T'as l'air crispée.

Elle haussa les épaules, se forçant à paraître plus sereine.

— C'est rien, répondit-elle.

Il ne parut pas convaincu, mais il n'insista pas.

Elle se reconcentra sur l'armée naine.

Leur commandante, Lucy Mev arriva et s'adressa à ses soldats.

— Dans un instant, vous allez peut-être mourir.

Mev avait une manière bien à elle d'encourager ses soldats. Sa réputation disait d'elle qu'elle racontait les pires horreurs pouvant arriver. Elle s'inspirait de tout ce qu'elle avait pu voir depuis qu'elle avait commencé à se battre. Elle avait vu tant des siens mourir sans jamais frôler elle-même la mort, et on la disait maintenant immortelle.

— Vos ennemis peuvent vous décapiter d'un simple geste. Vous transpercer à coup de hache. Ils peuvent vous frapper et vous laisser mourir lentement au milieu de vos souffrances.

Jenna ne l'écouta pas plus. Elle savait très bien qu'elle pouvait mourir. Alors peu importait comment, ou de quelle main.

La commandante reprit :

— Tout ça, c'est ce qu'on appelle la guerre. La guerre nécessite la mort. Battez-vous pour tuer. Et non pour survivre. Ceux qui veulent survivre sont ceux qui meurent.

Jenna soupira, songeant qu'elle n'aurait pas dû revenir. Elle ne savait pas si elle était prête à tuer de nouveau. Mais il le fallait. Sa main se crispa sur la poignée de son épée.

Elle se détourna de Lucy Mev au moment où celle-ci s'approchait d'elle.

— Donc toi, Evenhell, t'as pas été gradée ? demanda-t-elle.

— Non.

Jenna se tourna de nouveau vers la commandante.

— Eh bah, t'as bien d'la chance. J'suppose que t'en a déjà bien assez d'être une héroïne, rigola Mev.

La guerrière la regarda, surprise.

— Ben ouais, c'est vrai. On t'a refilé la pression d'avoir sauvé tout le monde à l'autre bataille, et maintenant bam, tout le monde attend de toi que tu recommences.

La commandante haussa les épaules.

— J'ai pas demandé tout ça, répliqua Jenna.

— J'me doute bien. Mais c'est comme ça. Tu sais, si tu continues comme ça, toi aussi un jour tu seras immortelle.

— Ou je pourrais mourir aujourd'hui.

Ce fut au tour de la guerrière de hausser les épaules.

— Vous l'avez dit vous-même, reprit-elle, on peut tous mourir aujourd'hui. Ça sera peut-être moi. Ou vous. Ou n'importe qui. On est pas immortelles, Mev. On est chanceuses.

— Ou peut-être bien que la chance est contre nous. Puisque qu'on doit voir nos proches mourir.

Jenna détourna le regard. Lucy Mev avait raison.

— Quoi qu'il en soit, on va devoir se battre aujourd'hui, Evenhell. J'espère que t'es prête, j'aimerai beaucoup voir si t'es comme ta réputation.

— Et toi ? répliqua Jenna. Ta réputation elle est vrai ? J'ai bien envie de voir ce qui se passe si tu meurs, l'immortelle.

La guerrière s'éloigna. Mev l'avait énervée. Elle aimait trop la guerre. Cela lui serait fatale.

Mais leur conversation lui avait rappelé qu'elle était pareil quelques mois auparavant. Une vague de détermination monta en elle, et elle se sentit enfin prête. Elle allait se battre, elle allait tuer. Et elle allait survivre.

Le combat commença. Les Nains fonçaient vers les Hommes, brandissant leurs armes, et bientôt leurs adversaires firent de même. Jenna tenait son épée à deux mains tandis que les ennemis affluaient autour d'elle. L'armée naine était plus nombreuse que celle des Hommes. Deux nains s'attaquèrent à la guerrière, la frappant des deux côtés à la fois. Elle riposta, frappant tour à tour ses deux ennemis. Elle ne leur laissait pas le temps de l'attaquer, mais ils arrivaient tous deux à esquiver ou parer ses coups. Leurs échanges s'éternisaient. Jenna ralentit alors un peu son rythme pour permettre à l'un de ses adversaires de l'attaquer, le forçant à baisser sa garde. Elle profita de la faille qu'elle avait créée et le toucha. Suffisamment pour le blesser et le gêner, mais pas assez pour l'empêcher de combattre ou le tuer. L'autre nain l'attaqua et la toucha à l'épaule avant qu'elle n'ait le temps de se retourner pour parer. Elle accéléra de nouveau la cadence de ses attaques. Elle parvint enfin à se débarrasser de l'un des deux Nains, celui qu'elle avait déjà blessé. Elle se concentra donc sur l'autre, l'éliminant plus rapidement maintenant qu'elle n'avait pas à s'occuper d'un autre ennemi.

Une autre naine s'avançait dans son dos, sans qu'elle ne la vît. Elle leva sa hache, prête à tuer la guerrière. Jenna se retourna juste à temps pour voir la guerrière naine transpercée par l'épée de Lucy Mev.

— Trop tôt pour que tu crèves, Evenhell.

La commandante repartit, montrant toute son habileté au combat.

Alors que Jenna resserrait sa prise sur son épée, elle fut sûre d'une chose. Ils allaient remporter cette victoire. Elle s'élança à la suite de Mev.

Elle rattrapa la commandante.

— Tu tombes bien, lui dit-elle. T'es la meilleure guerrière encore en vie sur ce fichu champ de mort, et on doit aller s'occuper d'un certain roi, pas très loin.

Jenna haussa les sourcils.

— Gondom ne peut pas être là.

— À priori si, rétorqua Mev. Alors bouge-toi.

La commandante se remit à courir vers les lignes ennemies. Jenna la suivit. À elles-deux, elles se frayèrent un chemin à travers leurs adversaires, les éliminant un à un. Quelques-uns leurs donnèrent plus de difficultés, les ralentissant. À deux reprises, Mev sauva la vie de Jenna.

— Au final, t'es peut-être pas la meilleure Evenhell.

Ces mots agacèrent la guerrière qui répliqua, sans cesser de se battre.

— On est au milieu de l'armée ennemie, évidemment que je risque de crever ! Alors si tu veux bien la fermer, on en reparlera quand je t'aurais sauvé la vie.

La commandante éclata de rire.

— J't'aime bien toi.

Elles avancèrent de nouveau, atteignant enfin les lignes arrière.

Plusieurs Nains se précipitèrent pour les empêcher d'avancer plus. Elles se mirent dos à dos, et levèrent leurs armes. Ils attaquèrent, Jenna parait leurs coups, tandis que de son côté, Mev esquivait et contre-attaquait. La commandante fut la première à éliminer ses adversaires, bientôt suivie de Jenna, qui avait laissé ses adversaires s'épuiser jusqu'à ce qu'ils laissent des failles dans leur défense et ainsi pouvoir les tuer.

Une fois leurs ennemis vaincus, les deux femmes échangèrent un regard avant d'entrer dans la tente du roi Nain.

Mais nulle trace du vieux tyran. Il n'y avait qu'un général nain, d'une cinquantaine d'années.

— Où est Gondom ? demanda Mev.

— À Uswein, répondit le nain. Ça semble évident. Ça fait bien longtemps qu'il ne se déplace plus. Vous désirez quelque chose mesdames ?

— Vous devez vous rendre, lâcha Jenna. Y a eu assez de morts.

— Oh, fit-il. Vous arrivez bien tard pour ça. Ils se battent encore dehors ?

Les deux femmes ne répondirent rien. Mais le Nain compris à leur regard que la réponse était oui.

— Excusez-moi un instant.

Il sortit de la tente, et appela un guerrier.

— J'ai demandé à ce que la retraite soit sonnée, il me semble. Je suis le seul à avoir remarqué qu'on a perdu la moitié de nos soldats déjà ?

Les deux femmes échangèrent un regard surpris.

— Et le messager ? Il est parti au moins le messager ? continua le nain.

L'autre guerrier hocha la tête avant de partir sonner la retraite. Le général revint dans la tente.

— Excusez-moi. Votre général ne devrait plus tarder. En attendant, je me présente. Je suis Markus, général de l'armée Naine et représentant de Gondom.

Les guerrières se présentèrent à leur tour, sur leurs gardes. Elles ne se détendirent que lorsque le général Axeblood entra à son tour dans la tente.

— Ah général, fit Markus. Je vous attendais.

— Donc vous vous rendez, demanda Axeblood sans autre forme de politesse.

— Il semblerait que oui. Mes hommes et moi rentrons dès maintenant à Uswein.

— Et pour le traité de paix que demande mon roi ? continua Axeblood.

— Gondom n'aura pas vraiment le choix que d'accepter vos conditions je pense.

— Il y a un autre problème.

Markus jeta un coup d'œil aux deux guerrières. Le général suivit son regard et hocha la tête.

— Mev, Evenhell. Vous pouvez partir.

La commandante quitta immédiatement la tente, et Jenna la suivit, malgré sa curiosité.

Elles s'éloignèrent sur le champ de bataille.

— Tu vas faire quoi maintenant ? demanda Mev. Si la guerre est finie.

Jenna n'hésita pas une seconde.

— Je m'en vais.

— Pour faire quoi ?

Elle haussa les épaules.

— Peu importe.

Les deux femmes arrivèrent à leurs rangs et un soldat portant le blason royal du Sud les approcha.

— Lucy Mev ? Jenna Evenhell ? Le roi vous demande.

Jenna haussa les sourcils, qu'est-ce qu'il pouvait leur vouloir ?

Le messager ajouta :

— Maintenant.

Mev souriait.

— Eh bah Evenhell. T'es une sacrée héroïne si même le roi veut te voir, rigola-t-elle en marchant vers la ville.

La guerrière la suivit, bien moins enthousiaste à l'idée de rencontrer le monarque.