– Voila, je pense que j'ai tout dit, acheva Akutagawa, frappant le tableau blanc une dernière fois de sa baguette en bois, l'air satisfait.

Kyoka étouffa un bâillement, et même les applaudissements de Gin manquaient d'énergie. Atsushi ne les blâmait pas. L'exposé avait duré deux heures après tout.

Il aurait dû être plus malin, en confiant le sujet sur Dazai au jeune homme, il avait joué avec le feu.

– Merci Ryuu, dit-il cependant avec politesse, parce qu'il n'était pas un sauvage mais aussi parce qu'il tenait à l'harmonie dans son couple.

Les regards offensés, surpris ou exaspérés qu'il se prit des quatre coins de la table ne lui firent pas changer d'avis. Il fallait choisir ses batailles, et celle-ci n'en valait pas la peine.

Satisfait, Ryuunosuke éteignit son diaporama et revint s'asseoir sur sa chaise, ne remarquant pas l'air endormi de la moitié des personnes présentes. Atsushi soupira de soulagement.

– Bon, on fait quoi du coup ? interrogea Tanizaki, sans trop laisser le temps au silence de s'installer.

Il était tard, tous avaient travaillé dans la journée (Lucy et Naomi étaient encore au café), et quelques uns commençaient déjà dangereusement à fermer les yeux.

Atsushi se frotta justement les paupières, se forçant à se concentrer sur la maquette proposée qui s'affichait à l'écran devant eux. Cette édition particulière de leur magazine allait de toute manière se concentrer sur Stray Dogs et Port Mafia -c'était leur spécialité, mais ils débattaient le sujet principal.

Akutagawa venait de plaider en faveur de l'album tout juste sorti du premier groupe cité, et plus particulièrement des chansons écrites par leur chanteur principal, Dazai. Le jeune homme avait dédié exactement vingt-sept slides à la décortication et aux louanges du processus créatif de ce dernier.

Kyoka, la petite-sœur d'Atsushi, n'était là que parce qu'elle n'avait pas le droit de rester seule chez eux, mais elle avait avec enthousiasme appuyé l'idée de Gin, qui était de se concentrer sur les figures féminines associées avec les deux groupes, majoritairement masculins. Ce n'était un secret pour personne que la brune avait un crush massif sur la batteuse de Port Mafia, Higuchi.

Kenji, camarade de classe de Kyoka et son voisin de palier, avait rejoint leur petite assemblée plus tôt dans l'année. Atsushi et Akutagawa avaient promis de le garder jusqu'à ce que son frère aîné, John Steinbeck, rentre du travail. L'adolescent n'avait pas de réelle voix dans le vote, mais il était enthousiaste et le laisser proposer des idées lui faisait plaisir. Il aurait voulu que chaque numéro soit consacré à Chuuya Nakahara, qui à ses yeux était la personne la plus cool du monde.

En bref, personne n'était vraiment d'accord. Lucy avait envoyé son avis par SMS, simplement déclarant qu'elle appuyait n'importe quelle idée d'Atsushi, ce qui n'aidait pas du tout le jeune homme.

Tous les yeux tournés vers lui, attendant sa parole décisive en tant que fondateur de la revue (même si Naomi était rédactrice en chef), il sentait la sueur commencer à couler dans son dos. D'une nature douce et suiveur plutôt que meneur, les fortes têtes de son équipe n'avaient pas de mal à le dépasser en autorité et il en était conscient. Ses décisions étaient suivies parce qu'il était reconnu comme le plus pacifique d'entre eux, cherchant la satisfaction de chacun, et justement il s'employa à trouver la solution parfaite.

Finalement, il décida de faire un compromis.

– Qu'est ce que vous diriez des rumeurs sur Double Black ? proposa t-il tentativement, utilisant le nom par lequel le duo Dazai et Chuuya était couramment désigné. Les dernières interviews sont quasiment tout ce dont on entend parler, je suis sûr que ça pourrait intéresser de retracer les origines de la théorie, et comment ils l'ont adressée ! argumenta t-il, gribouillant des ronds sur son carnet sous le stress.

Kenji frappa immédiatement des mains, excité, et le reste de la tablée arbora diverses expressions pensives.

– J'ai les premiers magazines où Dazai en parle, dit Akutagawa, hochant la tête, se ralliant visiblement à l'idée.

Ce dernier étant une des voix les plus fortes, le voyant plier, les autres suivirent bientôt.

– La recherche prendra un peu plus de temps que d'habitude, mais on est sûrs de vendre, ajouta Tanizaki, toujours rationnel.

Ça faisait quatre voix sur six.

Gin haussa des épaules.

– Va pour Double Black, se rendit-elle, voyant bien que la majorité pesait contre son sujet.

Elle pourrait toujours proposer son idée pour le prochain numéro. Celui qui venait de sortir portait déjà sur Higuchi, ça aurait peut-être fait un peu trop d'un coup. Bien que de son avis on ait jamais assez d'articles consacrés à la batteuse.

Atsushi s'autorisa une petite larme de joie. Akutagawa et lui avaient créé le magazine deux ans plus tôt, tous les deux obsédés par Dazai Osamu pendant leur adolescence. Depuis, tous leurs numéros avaient été soit en retard sur la mode, soit pas assez people pour vendre.

Ils ne pouvaient maintenir leur entreprise à flot que grâce au mécénat de Francis Fitzgerald, qui parrainait Lucy et Louisa, leur responsable édition.

Cette fois-ci, il le sentait, ils allaient définitivement décrocher un scoop !