K
– C'est le truc le plus hideux que j'ai vu de ma vie. Hors de question, refusa, catégorique, Chuuya.
Il avait un poing sur la hanche, signe de son inflexibilité.
Dazai entoura le rouleau de moquette murale de ses bras, faisant la moue en espérant l'attendrir. Le jeune homme ne parut pas impressionné, se contentant de pointer la porte d'entrée.
– Dans tes rêves. Balance moi ça, ajouta t-il impitoyablement.
– S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaîîît ! se contenta de plaider le brun, comme un enfant, sans desserrer sa prise autour du rouleau.
Les grands yeux pleins de larmes n'eurent pas l'effet souhaité, puisque Chuuya se contenta de traverser la pièce à grands pas pour lui-même ouvrir leur porte d'entrée.
L'appartement était encore relativement vide, et le plastique posé sur le sol pour le protéger des dégâts là où ils rénovaient craquait sous ses chaussures crantées. Il appuya sur la poignée avec force sans égard pour les longues minutes que Dazai avait passées à essayer de la fixer correctement (il avait bien failli se poignarder avec la perceuse).
– Ça me donne mal à la tête rien que de le voir, sérieux, vire-moi ce truc, plaida presque le rouquin en se massant le haut du nez.
Dazai soupira profondément.
– Je comprends... accepta-t-il finalement, hochant lentement la tête. C'est pas grave, j'aurais juste à dire à Oda de trouver une excuse... Dire que les enfants l'ont choisie eux-mêmes ! marmonna t-il en soulevant la moquette dans ses bras, une expression peinée sur le visage.
Chuuya le stoppa d'un geste du bras. Il avait perdu son air exaspéré, et ses sourcils levés n'exprimaient plus que la perplexité. On pouvait peut-être lire un peu de peur tout au fond de ses yeux bleus.
– ... Deux secondes. C'est les gosses d'Oda qui t'ont filé ça ? interrogea t-il, semblant regretter la question avant même qu'elle n'ait franchi ses lèvres.
– Chuuyaa, tu ne m'écoutes pas ? répliqua le brun en faisant la moue, maintenant planté devant la porte. Je t'ai dit que j'allais avec Oda pour récupérer le carrelage au magasin ! geignit-il, offensé.
– Excuse-moi pour ne pas avoir miraculeusement deviné que ta demi-douzaine de frères et sœurs vous accompagnaient ! rétorqua immédiatement Chuuya avec sarcasme, alors que son interlocuteur roulait des yeux.
Dazai posa le rouleau de moquette murale sur le sol avec un oof exagéré -il n'avait vraiment aucune force dans les bras. Il appuya le coude dessus, avant de reprendre la parole, comme si leur échange précédent n'avait jamais eu lieu.
– Ils ont voulu nous aider avec l'appartement, qu'est-ce que j'allais dire ? Non ? expliqua t-il, à grand renfort de gestes de bras.
– Pas forcément, mais tu aurais pu les laisser choisir autre chose que notre déco murale ! s'exaspéra le rouquin en retour, gesticulant lui aussi. Bordel Dazai, c'est hideux, tu le vois quand même ?
Le plus grand souffla, se passant une main dans les cheveux alors que son compagnon le transperçait du regard. Leur porte d'entrée était toujours grande ouverte, heureusement il n'y avait personne dans le couloir.
– Oui, bon, c'est peut-être pas le meilleur design, concéda Dazai, non sans peine. Mais ils y ont mis tout leur cœur ! Est-ce que tu sais seulement le nombre de tours à la fête foraine que j'aurais dû faire pour qu'ils me pardonnent si j'avais refusé ? plaida-t-il finalement, frissonnant de dégoût à la simple pensée de l'endroit.
La musique horriblement déformée, les cris incessants, la barbe à papa collante et l'odeur de friture le dégoûtaient. C'était pourtant la seule forme d'excuse que ses frères et sœurs adoptifs acceptaient de sa part. Il en avait horreur.
– Urgh je sais, je sais, compatit Chuuya, baissant finalement les bras -lui aussi avait subi plus d'un tour de manège. Mais pourquoi tu ne m'as pas appelé ?
Dazai le regarda fixement, sans cligner des yeux, pendant quelques secondes. Puis il leva le sourcil droit, donnant à son visage une expression incroyablement condescendante.
– Évidemment j'y ai pensé, mais quelqu'un ne m'a pas débloqué, dit-il d'une voix totalement dépourvue d'inflexion.
Chuuya eut le bon goût d'avoir l'air repentant. Il se massa la nuque, grimaçant.
– Oui, bon, d'accord, maugréa t-il. Excuse acceptée.
Il ferma la porte qu'il avait maintenue ouverte, pour démontrer sa sincérité. Le coin des lèvres de Dazai se soulevèrent, signe de sa joie à la vue de sa victoire, mais il eut l'intelligence de ne rien dire.
Chuuya n'avait cependant pas totalement concédé. Il refusait toujours d'accrocher cette chose dans son champ de vision. Et il débattait intérieurement la possibilité de demander à Kouyou de donner quelques leçons de design aux enfants d'Oda parce c'était urgent.
– On a qu'a leur dire qu'Arahabaki a pissé dessus par accident, soupira t-il, désignant le rottweiler tranquillement allongé près de la baie vitré, qui n'avait pas ne serait-ce qu'ouvert un œil face à leur dispute.
Dazai jaugea l'immense rouleau de moquette murale et le chien assoupi pendant plusieurs secondes, avant de lancer, dubitatif :
– Sur toute la moquette ?
– C'est un grand chien ! se défendit Chuuya, bras croisés.
– C'est aussi un grand rouleau ! rétorqua le brun, poussant le-dit objet entre eux pour appuyer ses dires.
Le silence entre eux s'étira pendant un temps indéfini. Un coup de vent passa par le velux entrouvert et fit s'agiter le plastique couvrant les quelques meubles déjà présents dans la pièce.
Finalement, Dazai prit de nouveau la parole, visiblement après un peu de calcul mental.
– Si on part du principe que ton chien démoniaque a une vessie toute aussi démoniaque, on peut jeter au moins trois quarts du rouleau, avança t-il comme compromis.
Ce qui lui valut un froncement de sourcil menaçant, et une remarque acide alors que le rouquin couvrait les oreilles de son bien-aimé compagnon à fourrure :
– Je te signale que c'est légalement notre chien, et on sait tous que la seule raison pour laquelle il ferait ses besoins dans l'appartement est que tu aurais oublié de le sortir.
Dazai lança une grimace enfantine à son partenaire qui lui répondit d'un doigt d'honneur tout aussi mature.
Le rottweiler était originellement à Chuuya, qui l'avait récupéré dans un refuge à l'état de chiot, mais le chien adorait Dazai. Depuis que les deux hommes vivaient ensemble, Arahabaki lui demandait en permanence des caresses. Le brun était listé comme son deuxième maître dans la fiche transmise au vétérinaire, et, s'il ne l'avouerait jamais, il prenait toujours soin d'acheter les croquettes les plus chères du rayon pour le canidé.
Dazai n'insista donc pas, et s'affaira plutôt à calculer ce qui leur restait de l'affreuse moquette murale, une fois la partie soi-disant souillée éliminée.
Le résultat n'était pas très réjouissant. Le rouleau était étalé sur le sol, Dazai à quatre pattes devant en train de mesurer à l'aide d'un mètre à moitié couvert de peinture. Chuuya l'aida de mauvaise grâce à maintenir la moquette en place en utilisant son pied, mais c'était comme si la matière le brûlait à travers ses chaussures.
Leur rottweiller continua de les ignorer, poursuivant sa sieste au calme dans une flaque de soleil.
Après avoir peiné pendant de longues minutes, ils parvinrent à la conclusion joyeuse qu'ils avaient éliminé le plus gros, et celle moins joyeuse qu'il leur restait environ l'équivalent de deux Dazai empilés de tissu.
Ils le regardèrent avec un dégoût mêlé de résignation.
– Ça te dit on le brûle ? lança Chuuya, qui fouillait déjà dans ses multiples poches de pantalon de bricolage à la recherche d'un briquet.
Le bras de son partenaire s'interposa entre lui et la moquette, l'empêchant de passer à l'acte.
– On peut passer ça comme involontaire que si on torche l'appart avec, ça en vaut pas la peine, soupira t-il, pour une fois agissant comme la voix de la raison.
C'était un étonnamment bon équilibre; ils se répartissaient assez équitablement le sens commun, quand bien sûr ils ne décidaient pas volontairement d'ignorer toute mise en garde de cette petite voix parfois appelée conscience.
Le rouquin abandonna sa recherche non sans un grognement frustré. Il tortilla une mèche rebelle échappée de son chignon, une coiffure qu'il n'arborait que rarement mais avait revêtue pour les travaux.
– On va devoir le mettre quelque part, c'est ça ? articula-t-il du bout des lèvres, avec difficulté, comme si les mots sortaient contre sa volonté.
Toujours accroupi sur le sol, le meneur de Stray Dogs lui frappa familièrement le mollet.
– Drama queen, se moqua t-il en pouffant, recevant sans broncher une tape sur le crâne.
– C'est ça, comme si tu pouvais parler, rétorqua Chuuya avec un soufflement du nez pouvant passer pour un rire.
Un roulement d'yeux et une bataille puérile de regards plus tard, ils retournèrent à leur dilemme de décoration murale.
– On a qu'à le mettre quelque part qui ne se voit pas, proposa le rouquin, examinant d'un œil critique leur future demeure, et frissonnant intérieurement à l'idée de cette horreur sur l'un des murs.
– Les toilettes ? avança Dazai, le nez froncé, signe qu'il prenait la problématique au sérieux.
– Tu veux dire l'endroit où on va plusieurs fois par jour ? Non merci, ricana sarcastiquement son partenaire pour toute réponse.
Le brun leva les bras en signe de défaite.
– Le but d'une maison c'est d'y vivre, à moins de le mettre dans le garage je vois pas, protesta t-il non sans un peu de mauvaise foi.
– Près de ma moto ?! s'écria immédiatement Chuuya, horrifié, ce qui élimina l'option sur le champ.
Il chérissait ce véhicule, d'un rose flamboyant, avec lequel il avait posé sur plus d'une pochette de ses albums solo. Le garage était presque aussi confortable que l'appartement. Il traitait le véhicule avec autant de tendresse que leur chien, comme si derrière les pièces de métal fushia se cachait un cœur.
Bien entendu, Dazai n'était pas masochiste Ou du moins pas dans ce contexte, et pas à ce point là. Il lâcha l'idée.
– D'accord, d'accord, apaisa t-il en écartant la possibilité d'un battement de la main.
Chuuya donna un coup de pied au rouleau, pour évacuer sa frustration.
– À défaut d'un endroit où on va pas, on pourrait le mettre dans le couloir, marmonna-t-il finalement, après quelques piétinements supplémentaires.
– Hmm... Je suppose que c'est notre seul choix, de toute façon, renchérit Dazai en triturant un fil échappé de son pull deux fois trop grand. Au moins il ne se verra pas vraiment ? ajouta t-il, regardant le motif coloré avec scepticisme.
Chuuya leva un sourcil, mais ne commenta pas.
– On a qu'à le faire passer pour de l'art nouveau, ou une merde du genre, dit-il, demi-sourire aux lèvres. Peut-être que l'absence de lumière le rendra moins horrible, soupira-t-il, pour la première fois heureux de n'avoir pas ajouté de fenêtres à l'endroit.
Dazai grimaça avec empathie.
Finalement, ils l'accrochèrent sur le mur du couloir, seulement visible de quelques angles du salon, et échappèrent à la torture du grand huit.
Chuuya résista et n'en brûla qu'un coin. Il clama que c'était à cause des acariens. Dazai prétendit seulement que la moquette murale n'existait pas : quiconque lui demandait finissait invariablement par se demander s'il n'avait pas halluciné l'horrible mélange de couleurs.
Petit à petit, ils parvinrent même à oublier sa pourtant singulière existence. Ainsi, quand les interviews durent se dérouler à domicile à cause de la situation sanitaire, les deux prirent soin de toujours les conduire dans des endroits opposés de l'appartement, pour empêcher de dévoiler leur colocation...
... Sans se douter que la moquette murale apparaissait dans leurs deux vidéos.
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