Chapitre 8

Henrik pénétra dans la salle d'étude de la classe 3 à sept heures cinquante-cinq, comme l'indiqua la grande horloge disposée à côté du bureau. Une odeur entêtante de peinture fraîche émanait des murs badigeonnés de blanc ; les élèves avaient tenté d'aérer en ouvrant les fenêtres, mais les effluves persistaient. Henrik plissa le nez. Ce genre d'odeurs avait tendance à lui donner la migraine. Il espérait que cela ne l'empêcherait pas de suivre le cours.

Quatre rangées de pupitres individuels faisaient face à un bureau dressé sur une estrade. En bon petit élève modèle, Anselme s'était assis au premier rang et bavardait avec son camarade de gauche. Henrik considéra son uniforme d'une moue grognon. Il ne s'agissait que d'une simple tunique blanche, brodée du chiffre 3 et accompagnée d'un pantalon en lin noir, mais Anselme le portait comme s'il était né pour ce moment. Henrik ne pouvait pas en dire autant. Non seulement sa tunique était trop large, mais il n'était pas habitué à ce type d'étoffe. Son reflet dans le miroir lui avait donné l'impression d'être un imposteur.

Henrik se prépara à une réaction condescendante, mais Anselme ne daigna pas lui adresser un regard, pas plus que la classe entière. Rassuré, il traîna des pieds jusqu'à la dernière table libre, au fond de la salle, et s'y installa paresseusement. Face à lui, un cahier vierge, un encrier et une plume attendaient d'être utilisés.

Le jeune homme fit glisser le bout de ses doigts sur la couverture rigide. Il n'avait que très peu fréquenté les bancs de l'école. Sa mère et sa grand-mère lui avaient enseigné l'alphabet et les chiffres, puis à leur mort, son père l'avait expédié dans un établissement local pour parfaire son éducation. Henrik y avait appris la lecture, l'écriture et le calcul mental, connaissances indispensables pour réussir dans la vie, lui disait-on. À l'orphelinat, l'étude de la géographie lui avait permis de s'émanciper des quatre murs de sa chambre, lui faisant comprendre que le monde était assez vaste pour son frère et lui. Henrik avait dévoré toutes les cartes disponibles en préparant sa fuite dans le secret absolu. Puis, la veille du départ d'Aslak, il avait réveillé son frère en silence et ils s'étaient tous deux éclipsés dans les profondeurs de la nuit.

Un éternuement étouffé lui fit tourner la tête. Dos à la classe, Fernand était en train de se moucher discrètement. Lorsqu'il se retourna, Henrik aperçut des auréoles rouges autour de ses yeux humides.

— Fernand, c'est ça ? demanda-t-il. Tout va bien ?

Son camarade ouvrit la bouche, mais la sidération le coupa dans son élan. Tout doucement, un sourire de gratitude releva le coin de ses lèvres. Henrik aurait mis sa main au feu qu'il entendait son véritable prénom pour la première fois.

— Ce n'est rien, murmura-t-il avant de s'éclaircir la gorge. Juste des allergies. C'est sûrement à cause des fleurs. Il y en a plein de ce côté-là.

Fernand désigna la fenêtre ouverte à sa droite. Sceptique, Henrik contourna la table et se pencha au-dessus du rebord. Son camarade disait vrai. Un océan de couleurs déployait sa palette rayonnante au pied du bâtiment. À quelques mètres, les ramures d'un arbre dansaient au gré de la brise printanière, déversant ses ombres majestueuses au milieu de l'herbe haute. Henrik respira l'air vivifiant à plein nez, puis rentra la tête à l'intérieur.

— On peut changer de place, si tu veux ? suggéra-t-il. Ça ne me dérange pas d'être à côté de la fenêtre.

— Vraiment ?

— Si je te le propose.

— Merci beaucoup.

Fernand se décala sur le pupitre voisin sans demander son reste. Adossé contre son siège, Henrik replia sa jambe droite sur sa cuisse et inclina la tête en réfléchissant.

— Si tu es allergique aux fleurs, pourquoi tu t'es installé ici ?

— Il ne restait que ces deux places quand je suis arrivé, expliqua Fernand, les bras allongés sur la table. Je me suis assis à côté de la fenêtre à cause de l'odeur de peinture, mais je n'avais pas vu qu'il y avait un parterre de fleurs juste en dessous. J'étais sur le point de changer de place, mais tu es entré à ce moment-là.

— Tu aurais dû me le demander, rétorqua Henrik dans un haussement d'épaules.

Fernand se rembrunit ; la gêne lui fit mordre sa lèvre inférieure, où des marques rouges étaient déjà présentes.

— C'est un peu difficile pour moi d'aller vers les autres, révéla-t-il. Je n'ai pas... Je n'ai pas l'habitude d'être écouté.

— Eh bien, il va falloir t'y habituer, déclara Henrik d'un ton frivole. Puisque nous formons un binôme, ça veut dire que nous allons être amenés à passer beaucoup de temps ensemble. Si on veut s'entendre, on n'aura pas le choix que de communiquer. Donc, à l'avenir, n'aie pas peur de t'adresser à moi. Parce que, je te préviens, moi, je ne vais pas me retenir !

Fernand se libéra de ses dernières défenses dans un éclat de rire, vif et spontané. L'alliance du soulagement et de la reconnaissance faisait pétiller ses prunelles d'un bleu tendre.

— Entendu, Henrik.

Au claquement de la porte, Henrik reporta son attention sur le nouvel arrivant. Siméon déposa son cartable en cuir sur le bureau et retira sa veste avec une sorte de délicatesse exagérée. Henrik frotta ses paupières, simulant un coup de fatigue, pour s'empêcher de lever les yeux au ciel.

— Bonjour à tous, salua Siméon dans un effort de courtoisie.

Quelques murmures respectueux lui répondirent et Henrik songea qu'il allait passer les deux heures les plus ennuyeuses de sa vie. Siméon leur demanda d'ouvrir leur cahier d'étude avant de s'installer au fond de sa chaise, qui grinça sous son poids. Henrik s'attendait à le voir réciter une leçon soigneusement rédigée au préalable, mais Siméon se contenta de croiser les mains sur la table en leur adressant un regard impénétrable.

— Ce premier cours portera sur l'origine des Forlonn, avec une introduction à leur mode de vie et une étude générale de leur anatomie.

Henrik gribouilla les trois points mentionnés en haut de la première page.

— Les Forlonn font partie des plus anciennes créatures de notre monde, relata Siméon. Il y a de cela plusieurs siècles, des contemporains du roi Lubban ont retrouvé des preuves attestant de leur présence dans l'Archipel bien avant l'arrivée des premiers hommes sur cette terre. À cette époque, cependant, les Forlonn n'étaient pas encore les créatures imposantes que nous connaissons aujourd'hui. Ils ne mesuraient que trente à quarante centimètres d'envergure et se tenaient éloignés le plus possible des humains.

Sous ses notes, Henrik griffonna le schéma d'un Forlonn en y ajoutant ses dimensions originelles. Ces informations lui donnèrent matière à réfléchir. Peut-être les Forlonn avaient-ils toujours souhaité envahir les hommes, mais y avaient renoncé jusqu'à être en mesure de rivaliser avec eux ? Henrik réfuta aussitôt cette hypothèse. Si les Forlonn étaient antérieurs aux humains, ils n'auraient eu aucun problème à s'approprier le territoire avant eux, à moins qu'une menace extérieure les en ait empêchés. Le manque de place dans l'Archipel était-il réellement à l'origine de leur conquête ? Leur évolution les contraignait-elle à rechercher une terre plus vaste, capable de tous les accueillir ?

— Ça veut dire qu'ils ont muté ? s'enquit un élève du premier rang.

— En quelque sorte, acquiesça Siméon. Il y a environ quatre-vingts ans, un chercheur et naturaliste prénommé Wystan Landay s'est intéressé à la biodiversité de l'Archipel. Il fut le premier, depuis l'époque du roi Lubban, à débarquer dans les îles. C'est grâce à lui que nous possédons aujourd'hui toutes ces connaissances sur les Forlonn.

Henrik leva la main.

— Oui ?

— Comment a-t-il survécu ? Je ne pense pas que les Forlonn l'aient accueilli à bras ouverts. Ou à pattes ouvertes, si vous préférez.

Fernand toussota pour masquer son ricanement, mais Henrik l'entendit. Il ravala lui-même un petit sourire effronté. Un spasme agita les mains de Siméon qui, insensible à la plaisanterie, expliqua :

— Wystan Landay travaillait sous les ordres du duc Harold de la Maison Jaune. Beaucoup de moyens ont été déployés pour assurer sa protection, notamment une garde rapprochée. De plus, Wystan avait la faculté de se fondre dans le paysage. Il pouvait rester des heures caché dans un arbre à observer le monde extérieur.

— Si je comprends bien, il possédait le don de Localisation ?

— C'est exact. Bien que Wystan n'ait jamais su expliquer le phénomène de Localisation, il a découvert, après de longues années de recherche, que les Forlonn sont porteurs d'un gène leur permettant de se rendre invisible. Ce gène est actif tant que leur cœur bat. À leur mort, il perd son pouvoir et les Forlonn redeviennent visibles.

— On dirait plus un bouclier qu'une arme, nota Henrik.

Siméon le fixa avec une telle intensité qu'Henrik craignit le pire. Il n'avait pourtant rien dit d'offensant.

— Un bouclier dont les Forlonn se servent comme d'une arme, corrigea le capitaine. Ce sont des créatures intelligentes. Elles ont compris que cet atout nous rendait vulnérables.

Henrik se garda de rétorquer que leur intelligence était limitée. Après toutes ces années de défaite face aux humains, pourquoi n'avaient-elles jamais cherché à renouveler leurs attaques ? N'avaient-elles donc rien appris ? Leur prévisibilité au combat ne les rendait pas moins féroces et dangereuses, mais elle desservait leur efficacité. Pour preuve, cela faisait bientôt soixante-dix ans que les Forlonn étaient incapables de franchir le barrage des Localisateurs.

— Avez-vous d'autres questions ? demanda Siméon à la classe.

Anselme ne se donna pas la peine de lever la main.

— Vous avez dit que Wystan Landay avait été le premier à débarquer dans l'Archipel depuis l'époque du roi Lubban, il y a plus de cinq cents ans. Qu'est-il advenu de ses prédécesseurs ?

— Ils ont connu un sort tragique, raconta Siméon. Au temps du roi Lubban, la science et le savoir n'étaient pas aussi évolués qu'ils le sont à notre époque. Le fonctionnement de la société reposait sur de multiples croyances et superstitions. Ainsi, quand certains explorateurs dotés du don de Localisation ont affirmé qu'ils pouvaient voir les Forlonn, ceux qui en étaient incapables les ont accusés de mentir. Des rumeurs ont commencé à se répandre dans le royaume. On pensait à l'époque que l'Archipel était maudit et que les Localisateurs, traités de fou, avaient succombé à son pouvoir maléfique. Beaucoup d'entre eux ont été enfermés ou pendus. Pendant des siècles, personne n'a osé retourner dans l'Archipel... jusqu'à Wystan Landay.

Soudain conscient qu'il avait la bouche ouverte, Henrik baissa les yeux sur son cahier noirci de mots. Toutes ces informations le subjuguaient. On ne lui avait rien raconté de tel pendant ses cours d'histoire à l'orphelinat. Les Forlonn ne faisaient pas partie du programme, comme s'il s'agissait d'un sujet tabou qu'il fallait à tout prix éviter de mentionner.

— D'autres questions ? enchaîna Siméon, qui n'avait pas décroisé les mains une seule fois.

Le silence l'incita à poursuivre. Il retira de sa sacoche un épais rouleau de parchemin qu'il déplia devant la classe. Henrik découvrit une carte relatant la position des différentes îles de l'Archipel, auxquelles un numéro était attribué. Il admira les nuances délicates apportées au tracé plus qu'il ne s'intéressa à la disposition générale des îles. La voix grave et posée de Siméon captura toutefois son attention :

— L'Archipel est composé de huit îles...

— Réparties sur un périmètre d'environ cent kilomètres carrés, murmura Henrik.

— C'est bien cela, Henrik.

Le jeune homme haussa les sourcils, étonné que Siméon l'ait entendu. Celui-ci esquissa un léger sourire qu'Henrik ne parvint pas à déchiffrer. Se moquait-il de sa réaction ou était-il fier de sa réponse ?

— Leur zone d'habitation étant restreinte, les Forlonn peuvent naviguer facilement et rapidement d'une île à l'autre, reprit Siméon. Wystan avait observé que l'île numéro 3, la plus grande et la plus centrale de toutes, était également la plus peuplée. Nous ignorons si c'est toujours le cas aujourd'hui.

Siméon fit passer la carte au premier rang afin que tout le monde puisse l'observer attentivement.

— Si notre théorie concernant la conquête des Forlonn est exacte, cela signifie que l'accroissement de leur population a connu un pic radical au cours des dernières décennies. Il est possible que l'île numéro 3, malgré ses proportions, ne soit plus aussi importante qu'autrefois.

La jeune femme assise devant Fernand leva son index.

— Je vous écoute, dit Siméon.

— Cette île était-elle aussi peuplée parce qu'elle offrait davantage d'espace aux Forlonn ou pensez-vous qu'il existait une autre raison ?

— Hélas, nous n'en savons rien, regretta le capitaine. Wystan était un homme audacieux, mais même lui n'a jamais osé s'enfoncer au cœur des îles. Les observations qu'il nous a délivrées ne suffisent pas à affirmer quoi que ce soit à ce sujet.

Siméon contourna le bureau et se laissa tomber délicatement au fond de son siège, comme s'il craignait d'en abîmer le bois. Il pivota de quelques centimètres sur le côté avant de croiser les mains sur le rebord de la table, le buste penché vers l'avant. Sa posture en apparence nonchalante trahissait une légère tension, visible au redressement de ses épaules et à la crispation de sa mâchoire. Henrik avait l'impression dérangeante qu'il se forçait à paraître détaché.

— En revanche, continua Siméon, Wystan nous a rapporté de précieuses informations sur le mode de vie des Forlonn. Comme vous le savez peut-être déjà, ce sont des créatures qui, au même titre que les humains, vivent le jour et dorment la nuit. Bien qu'elles soient... terrifiantes et imposantes, elles se méfient des autres prédateurs terrestres et préfèrent dormir sur une toile tissée en hauteur. Leurs toiles sont solides, mais aussi très sensibles aux vibrations. Si un prédateur tente de les approcher pendant leur sommeil, les Forlonn le sentent et passent à l'attaque. Nous étudierons les différents types de toiles dans un prochain cours.

— Comment pouvons-nous savoir si un Forlonn est endormi ? se renseigna un élève du deuxième rang.

— Je pense qu'Henrik saura répondre à cette question, lâcha Siméon.

Le jeune homme ravala un soupir contrarié ; il aurait dû se douter que Siméon l'interrogerait.

— Quand ils dorment, les Forlonn recroquevillent leurs pattes sous leur thorax, expliqua-t-il. C'est un réflexe défensif. Ça ne sert à rien de vérifier s'ils ont les yeux fermés ou non, ils n'ont pas de paupières.

Siméon hocha la tête en signe d'approbation.

— Les Forlonn vivent généralement en petit groupe, reprit-il. Une femelle se partage l'attention de plusieurs mâles, mais elle seule choisit son partenaire de reproduction. À la fin de l'acte, elle se réfugie en haut d'un arbre, à l'abri des prédateurs, et tisse un cocon de toile dans lequel elle enferme ses œufs pour les protéger. Ces œufs deviennent des larves au bout de quelques jours, mais il faut attendre environ un mois avant d'obtenir un Forlonn capable de se déplacer.

— Comment faisons-nous la différence entre un mâle et une femelle ? demanda Anselme.

— La différence majeure repose dans leur appareil reproducteur, déclara Siméon. Il est donc impossible de distinguer un mâle d'une femelle à l'œil nu. Cependant, il arrive fréquemment que les femelles soient plus grandes que les mâles et leurs antennes plus longues.

Henrik repensa au Forlonn de la première épreuve, mais sans élément de comparaison, il fut incapable d'en déterminer le genre. À l'inverse, il avait la ferme conviction que le Forlonn aux taches d'ambre, responsable de son plus profond traumatisme, était un mâle. Il ne l'avait vu qu'une poignée de secondes, mais il le ressentait comme une vérité saisissante, inexplicable. Un frisson traversa sa colonne vertébrale et sa main, occupée à écrire, trembla légèrement.

— En ce qui concerne leur régime alimentaire, poursuivit Siméon, les Forlonn sont carnivores et se nourrissent essentiellement de rongeurs et d'oiseaux. Wystan avait remarqué à l'époque qu'ils pouvaient tenir plusieurs jours sans manger. La chasse n'est donc pas l'une de leurs préoccupations principales.

— Sauf quand il s'agit des humains, marmonna Henrik.

Bien qu'il gardât le nez plongé dans ses notes, le jeune homme sentit le regard de Siméon lui brûler la peau.

— Pratiquent-ils la chasse sous-marine ? s'intéressa un autre élève.

— Pas à notre connaissance, mais cela n'est pas exclu.

Siméon passa près d'un quart d'heure à leur parler des méthodes de chasse, soulignant le fait que Wystan Landay s'était pris d'admiration pour la grande patience des Forlonn. À terre, ces derniers pouvaient rester des heures entières cachés dans les broussailles ou recroquevillés sous les racines d'un arbre, dans l'attente du meilleur gibier. Les femelles étant de remarquables chasseuses, leur travail consistait à piéger les oiseaux dans les toiles prévues à cet effet. Chacun avait sa place, son rôle à jouer pour préserver l'équilibre de leur quotidien.

Henrik apprit que si les Forlonn possédaient une très mauvaise vue, leur ouïe était cependant excellente et ils se repéraient facilement grâce aux vibrations. À l'époque, Wystan avait émis l'hypothèse selon laquelle les Forlonn s'orientaient grâce à leurs antennes, mais celle-ci n'avait jamais pu être confirmée.

Enfin, Siméon déroula une grande affiche représentant l'anatomie externe d'un Forlonn. Henrik pensait la voir passer dans les rangs, comme pour la carte, mais le capitaine prit la décision de l'accrocher au mur.

— Voici le schéma détaillé de l'anatomie d'un Forlonn mâle.

Siméon commença par leur présenter la partie inférieure de la créature, une longue masse ovale tenant lieu d'abdomen. À l'intérieur, on y retrouvait notamment le cœur, les intestins, l'estomac et les organes reproducteurs. De minuscules appendices étaient visibles à l'extrémité de leur abdomen.

— Nous les appelons « filières », comme pour les araignées, clarifia Siméon. Ce sont des organes indispensables à la formation des toiles. Nous avons ensuite le thorax qui abrite une partie du tube digestif, mais dont la fonction principale est de servir à l'emboîtement des pattes. Celles-ci sont au nombre de huit et munies de trois griffes qui permettent aux Forlonn de s'accrocher à n'importe quelle surface, qu'il s'agisse de bois ou de pierre.

Henrik se rappela l'aisance avec laquelle le Forlonn s'était agrippé à la falaise d'Arlès et la manière dont il s'était hissé pour atteindre sa proie. Il n'aurait pas imaginé que ses pattes, déjà colossales, puissent être encore plus redoutables.

Siméon recula d'un pas pour exposer la tête imprimée du Forlonn. Il pointa du doigt les deux pattes entourant leurs crochets.

— Voici les pédipalpes. À l'image des araignées que nous connaissons, cette paire d'appendices leur sert à manipuler leurs proies et à se repérer physiquement dans leur environnement. Il s'agit en quelque sorte d'un organe sensoriel. Au-dessus de la bouche, nous avons les chélicères, qui contiennent les glandes à venin et qui se terminent par des crochets verticaux.

— Quels sont les effets du venin ? intervint Anselme.

Henrik releva un soupçon d'appréhension dans sa voix curieuse. Cette question reflétait le malaise de toute la classe, comme un conflit entre le besoin de savoir et l'envie de rester dans l'ignorance. Henrik retint son souffle lorsque Siméon répondit, aussi calme et assuré qu'à l'accoutumée :

— Le venin des Forlonn est très puissant. En quelques secondes, le cœur de la victime cesse de battre et son corps se raidit à mesure que le poison se répand dans son organisme.

Ces mots transpercèrent Henrik comme une lame de couteau. L'angoisse assécha l'intérieur de sa bouche, mais l'espoir, plus virulent, lui donna le courage de formuler la question qui lui brûlait les lèvres :

— Est-ce qu'il est possible de survivre à une morsure de Forlonn ?

Henrik félicita son élocution parfaite, sans l'ombre d'un tremblement ou d'une hésitation.

— Non, attesta Siméon, catégorique. Le corps humain n'a pas la capacité de combattre le venin. Il est trop faible.

— Il n'y a jamais eu d'exception ?

— Jamais.

Siméon ne le quittait pas des yeux, comme s'il ressentait sa vulnérabilité, cette fissure enfouie qui menaçait d'éclater. Comme s'il voyait au-delà de tout ce qu'il essayait de cacher. Comme s'il savait que, sous sa tunique blanche, Henrik dissimulait l'impensable. L'exception se tenait là, en chair et en os, rescapée d'une situation jugée impossible. Et tandis que Siméon le fixait d'un regard implacable, Henrik ne s'était jamais senti aussi seul de toute sa vie.

« Alors, pourquoi j'ai survécu ? »


C'est fini pour le chapitre 8 ! J'ai l'impression qu'il est plus court que les précédents, mais je ne suis pas très bon juge en ce qui concerne la taille des chapitres haha. J'espère que vous l'avez apprécié autant que j'ai aimé l'écrire. Qu'en avez-vous pensé ?

Plein de bisous, à la semaine prochaine <3 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top