Chapitre 4

Henrik retourna dans la file en ruminant sa confrontation avec Siméon. S'il avait su que cet homme faisait partie des examinateurs, il se serait abstenu de déclencher sa colère. Henrik allait offrir à Siméon la possibilité de se venger sans éveiller les soupçons. Autant dire qu'il ne donnait pas cher de sa peau.

Les nerfs à vif, le jeune homme passa l'heure suivante à se ronger les ongles, sautiller sur place et soupirer d'agacement toutes les cinq minutes. La queue n'avançait pas assez vite à son goût, et il s'inquiétait de voir chaque candidat ressortir avec une expression décomposée. Henrik miroita l'envie de se faufiler jusqu'à l'entrée pour jeter un œil à l'intérieur, mais l'idée de perdre sa place l'en dissuada.

Lorsque son tour arriva enfin, Henrik franchit les portes coulissantes d'un pas résolu. Sa détermination n'était en réalité qu'une façade. Il appréhendait autant l'accueil que lui réserverait Siméon que le contenu mystérieux de cette première épreuve. À l'intérieur, l'air était frais et la luminosité infime. Quelques braseros disposés à intervalle régulier longeaient les murs en bois, éclairant principalement l'entrée ainsi que la première moitié de la pièce. Henrik fut d'ailleurs surpris de constater que celle-ci, malgré des proportions écrasantes, était entièrement vide. Il se demanda si l'entrepôt était à l'abandon depuis longtemps ou s'il avait été délocalisé pour l'occasion.

— Avancez, je vous prie.

Le jeune homme reconnut la voix rocailleuse qui s'était interposée entre Siméon et lui. Il s'y dirigea sans perdre de temps, se guidant à la faible lueur qui scintillait au centre du hangar. Quelques instants plus tard, Henrik se retrouva devant une table éclairée par deux bougies. Derrière cette table, trois paires d'yeux l'observaient intensément. Une femme et deux hommes, dont Siméon. Celui-ci haussa légèrement les sourcils en reconnaissant Henrik, mais ne prononça pas un mot. Son visage dégageait toujours une profonde austérité malgré un regard moins agressif.

— Bienvenue à la première épreuve d'admission de l'Académie de Drek, énonça la femme, d'un ton neutre et professionnel.

Elle avait dû répéter cette phrase tellement de fois qu'elle ne faisait plus l'effort de paraître chaleureuse.

— Pouvez-vous me donner votre nom et votre âge, s'il vous plaît ?

— Henrik Alton. Dix-huit ans. Bientôt dix-neuf.

— Merci d'avoir fait le déplacement jusqu'ici, monsieur Alton. L'épreuve ne prendra que quelques minutes.

— C'est tout ? articula Henrik, troublé.

Il regretta ces mots sitôt les avoir prononcés ; il aurait dû s'en douter en voyant les portes s'ouvrir toutes les dix minutes.

— Qu'est-ce que je dois faire ?

La femme se pencha pour ramasser la lanterne posée à ses pieds. Elle la tendit à Henrik, puis, sans bouger de son siège, désigna le vaste espace qui était plongé dans le noir total.

— Par ici, je vous prie.

Henrik examina les environs nimbés de ténèbres d'un regard perplexe. Il n'était pas facilement impressionnable, mais comme tout le monde, il se méfiait des dangers tapis dans l'obscurité.

— C'est quand vous voulez, le pressa Siméon.

Henrik se força à garder les yeux rivés devant lui. Il ne donnerait pas à Siméon la satisfaction de le voir chanceler. Conscient d'aggraver son cas en restant immobile, il inspira profondément et obligea ses jambes à réagir. Il avança d'un pas prudent, luttant contre l'angoisse qui rugissait dans sa poitrine. Sa main moite formait un poing serré le long de son corps, avant qu'il ne déplie ses doigts et les essuie sur son pantalon.

Henrik avait sa petite idée sur ce qui l'attendait, sans oser y croire. Son intuition se révéla juste lorsque les contours d'une immense cage en fer se dessinèrent dans les entrailles de l'entrepôt. Dans cette cage, recroquevillé sur le sol, se trouvait un Forlonn.

Bien qu'il s'y soit préparé, le choc coupa la respiration d'Henrik, comme s'il avait reçu un coup de poing dans le sternum. Son instinct lui ordonna de reculer, mais ses pieds étaient cloués au sol, paralysés par ce face-à-face épouvantable. Henrik retint son souffle, la lanterne vacillante au bout de sa main. Le silence pesait sur ses épaules, enveloppait sa chair et crachait son rire machiavélique à ses oreilles.

Pourquoi le Forlonn ne réagissait-il pas, alors que ses yeux noirs, profonds comme la nuit, le fixaient depuis son arrivée ? Il ne pouvait pas être mort, auquel cas on ne l'aurait pas enfermé dans une cage. Quelque chose ne tournait pas rond ; Henrik se surprit à espérer une réaction, n'importe laquelle. Il avait besoin de vérifier que tout ceci était réel, qu'il n'était pas en train d'halluciner.

Armé d'une idée nouvelle, il amorça un pas furtif sur sa gauche sans briser le contact visuel. Le Forlonn ne remua pas. Henrik s'éloigna davantage et obtint le même résultat. Soit la créature ne le voyait pas ; soit elle avait volontairement choisi de l'ignorer. Peut-être était-elle lasse de se battre contre des barreaux en métal.

Profitant de sa docilité, Henrik contourna la cage afin de l'examiner sous tous les angles. Le Forlonn était fidèle à son souvenir : un croisement hideux entre une araignée et une fourmi. Son anatomie se décomposait en trois parties distinctes ; celle du milieu, plus allongée, servait de support à l'emboîtement des pattes fines, élancées et poilues que le Forlonn avait repliées sous son corps. Deux pattes recourbées, moins imposantes mais plus épaisses, étaient visibles à l'avant de sa tête, entourant ses crochets venimeux. Au repos, les antennes attachées au-dessus de ses yeux pointaient vers le bas, flasques et inertes. Henrik remarqua que l'une d'entre elles avait été sectionnée de moitié.

Le jeune homme s'autorisa un deuxième tour afin d'admirer les taches colorées qui striaient la partie inférieure du Forlonn. Des boucles et des zigzags orange, jaunes et rouges serpentaient autour d'une multitude de points blancs. On aurait dit qu'un enfant s'était amusé à déverser de la peinture sur une feuille de papier noire. À l'image du Forlonn qu'Henrik avait croisé quand il était petit, ces gribouillis n'offraient aucune interprétation convaincante. Il ne s'agissait que de formes abstraites et aléatoires.

Lorsqu'il estima s'être suffisamment attardé, Henrik s'empressa de retourner auprès des juges. Siméon leva un sourcil à son arrivée, comme pour jauger sa réaction. Ses collègues affichaient un regard plus neutre, mais qui n'en demeurait pas moins alerte.

— Qu'avez-vous vu ? interrogea la femme.

— Un Forlonn.

— Mais encore ?

Henrik aurait dû se douter qu'elle ne se contenterait pas d'une réponse aussi vague. N'importe qui, en voyant la cage, pouvait déduire ce qu'il y avait à l'intérieur sans posséder le don de Localisation. Dès lors, il devenait facile de mentir aux examinateurs. La complexité de l'épreuve reposait en réalité sur le sens du détail. Pour gagner sa place, Henrik devait leur fournir des éléments que seul un véritable Localisateur aurait pu remarquer. Des éléments propres à l'identité du Forlonn.

— Il lui manque une antenne, se souvint-il, et il a des taches jaunes, orange et rouges à l'arrière de son corps. Et des points blancs. J'ai failli oublier de le mentionner. D'ailleurs, est-ce qu'il fallait les compter ? Parce que je n'ai pas eu ce réflexe. Je peux y retourner, si vous voulez.

Son interlocutrice ne put contenir un sourire amusé. Deux sièges plus loin, Siméon dévisageait Henrik avec une lueur féroce, comme s'il s'apprêtait à lui sauter à la gorge.

— Ce ne sera pas nécessaire, monsieur Alton, déclina la femme. Au vu de votre réponse, il ne fait aucun doute que vous possédez le don de Localisation.

L'enthousiasme d'Henrik semblait avoir insufflé une certaine chaleur à sa voix morne. Tandis qu'elle prenait des notes sur un formulaire, son collègue au timbre rocailleux tendit un carré de papier à Henrik.

— Votre billet pour la locomotive de demain matin, annonça-t-il. Vous êtes attendu à la gare d'Arlès à dix heures. L'épreuve aura lieu dans un délai d'une semaine, mais nous vous donnerons plus d'informations sur place. Évidemment, vous serez logé et nourri tout au long de votre séjour. Préparez le nécessaire et ne soyez pas en retard.

Arlès était une ville côtière située à vingt-cinq kilomètres de Carnak, au nord-est du duché de la Maison Jaune. Pourquoi faisait-on venir des recrues inexpérimentées sur le terrain de chasse des Forlonn ?

— J'y veillerai, promit Henrik.

Il glissa le billet dans la poche de son manteau, salua poliment les juges, puis tourna les talons. Sa curiosité l'empêcha toutefois de faire plus de trois pas vers la sortie.

— Est-ce que je peux vous poser une question ?

— Allez-y.

— Pourquoi le Forlonn n'a-t-il pas réagi à mon approche ? Je suis pourtant certain qu'il me regardait.

— Ses pattes étaient-elles repliées sous son thorax ?

Henrik orienta son attention vers Siméon, surpris par son intervention. Ses prunelles étaient toujours imprégnées d'une colère sourde, mais il s'exprimait d'une voix calme, articulant chaque mot distinctement. Henrik acquiesça d'un hochement de tête affirmatif.

— Il dormait, conclut Siméon.

— Les yeux ouverts ?

— Les Forlonn n'ont pas de paupières. S'ils restent immobiles dans des circonstances qui les inciteraient normalement à réagir, cela veut dire qu'ils dorment.

— Ou qu'ils sont morts, non ? avança Henrik. Comment peut-on faire la différence ?

— Un Forlonn endormi recroqueville toujours ses pattes sous son thorax, précisa Siméon. C'est un réflexe défensif. Un Forlonn mort, en revanche, n'a pas ce luxe. Vous apprendrez tout cela quand vous intégrerez l'Académie.

— Alors, vous croyez que j'ai mes chances ?

Henrik se voulait provocant, mais Siméon ne mordit pas à l'hameçon. Il posa sur lui un regard lourd et pénétrant, comme s'il cherchait à décortiquer son âme. Un spasme nerveux secoua ses mains croisées ; il les dissimula sous la table avant de reculer son dos au fond de son siège.

— Tout le monde a ses chances.

Henrik quitta l'entrepôt sur cette réponse évasive. Il n'avait passé que dix minutes à l'intérieur, mais le soleil lui irrita les yeux comme s'il y était resté plus d'une heure. La queue s'était allongée pendant sa courte absence, atteignant les portes du hangar opposé. Henrik ignora tous ceux qui tentèrent de l'interroger et s'élança vers l'arrêt de bus.

Il passa le trajet du retour à réfléchir au contenu de la prochaine épreuve. Si la première consistait à vérifier le don des potentiels Localisateurs, quel était l'objectif de la seconde ? Mesurer leurs capacités face à une horde de Forlonn enragés ? C'était l'hypothèse la plus plausible, compte tenu des informations qu'on lui avait données, mais également la plus stupide. L'Académie n'avait aucun intérêt à sacrifier ses futurs étudiants dans un bain de sang inutile. Quelle était sa véritable motivation ?

L'auberge était calme quand Henrik rentra aux alentours de onze heures. Il trouva Annette et Mariella au premier étage, occupées à changer les draps de la chambre six. La fenêtre était ouverte afin d'aérer la pièce, laissant libre cours aux interférences de la rue. Par-dessus la résonnance des roues sur les pavés, Henrik assista à la querelle enflammée de deux cochers et entendit les cris fracassants d'un enfant insolent.

Agacé, il enjamba le tas de linge sale et s'empressa de claquer la vitre en soupirant.

— Je ne sais pas comment vous faites pour vous entendre avec tout ce remue-ménage, grommela-t-il.

Mariella reposa la taie d'oreiller qu'elle s'apprêtait à enfiler et dévisagea Henrik de haut en bas.

— Comment s'est passée ton épreuve ? demanda-t-elle, hésitante.

— Ils nous ont testés pour savoir si nous possédions le don de Localisation.

— Alors ?

— Alors, je l'ai, confirma le jeune homme. Je peux voir les Forlonn.

Henrik évita soigneusement le regard d'Annette. Il savait ce qu'il lirait dans ses prunelles perçantes et il ne voulait pas ressentir le poids de ses interrogations. Des interrogations auxquelles il n'avait lui-même aucune réponse.

— Je dois me rendre à Arlès demain matin pour la deuxième épreuve et y rester environ une semaine, poursuivit-il. Je ne sais pas ce qu'ils ont prévu, mais à mon avis, ce ne sera pas une partie de rigolade.

Le mot était faible, mais Henrik se garda de rentrer dans les détails. Il ne jugeait pas utile de leur partager ses hypothèses, au risque de les inquiéter davantage.

— Que se passera-t-il si tu réussis la deuxième épreuve ? s'informa Mariella.

— J'intégrerai officiellement l'Académie. C'est ce qui était écrit dans l'article, mais j'aurais peut-être dû demander confirmation aux juges.

D'abord silencieuse, immobile, Annette finit par s'écarter du lit et claudiqua jusqu'à lui. Henrik devina ses jambes gonflées sous sa robe dépareillée et remarqua, lorsqu'elle leva les mains pour encadrer son visage, que ses doigts suivaient la même direction. Le chagrin étreignit son cœur dans une poigne de fer. Henrik était peiné de quitter son entourage dans un moment aussi difficile, mais il savait que c'était la meilleure décision.

Il reçut la tendresse d'Annette sur ses joues fraîchement rasées, laissant ses pouces effleurer ses pommettes avec délicatesse.

— Regarde-moi dans les yeux et dis-moi que c'est vraiment ce que tu souhaites.

Henrik plongea ses prunelles noisette dans les siennes, d'un bleu insondable. Les mots mirent cependant quelques secondes avant de franchir ses lèvres :

— C'est ce que je souhaite.

Annette l'observa longuement, intensément, comme pour évaluer sa crédibilité. Bien qu'elle désapprouve sa décision, elle ne gaspilla pas sa salive à tenter de le raisonner. Henrik ne l'écouterait pas. Il ne l'avait jamais fait.

— Bon, murmura-t-il en se dérobant au contact d'Annette, je vais... je vais voir où est Aslak. Il faut que je lui annonce la bonne nouvelle.

— À propos d'Aslak, s'enquit Mariella, tu n'es pas réticent à l'idée de le quitter ? Je veux dire... Tu penses que tu y arriveras ?

— Pourquoi je n'y arriverais pas ? s'étonna Henrik dans un haussement d'épaules. C'est vrai que nous n'avons jamais été séparés, mais ce sera seulement l'affaire de quelques mois. Il n'y a aucune raison de s'inquiéter.

Le sourire crispé de Mariella lui soufflait le contraire, mais Henrik n'y accorda aucun crédit. Il était parfaitement capable de gérer lui-même sa relation avec son frère.

Frère qui semblait avoir déserté l'auberge. Le jeune homme inspecta leur chambre et la cuisine avant de se renseigner auprès de Noah, qui travaillait à l'écurie. Son ami l'informa qu'Aslak était sorti se promener ; Henrik n'avait pas le temps de guetter son retour. Il se retroussa les manches et s'enferma dans la cuisine pour préparer le déjeuner des clients. Lui qui préférait manger plutôt que de faire à manger prit plaisir à éplucher les légumes, couper la viande et assaisonner les plats, conscient qu'il vivait peut-être ses derniers moments dans cette pièce. Mariella, Annette et Noah se joignirent à lui. Grâce à leurs efforts conjugués, le service se déroula dans une ambiance chaleureuse qui lui fit presque regretter son départ.

Vers quatorze heures, tandis qu'Annette et Noah s'occupaient de la vaisselle, Henrik et Mariella achevèrent de nettoyer les chambres. Le jeune homme profita ensuite de sa pause pour sauter dans un omnibus afin de transmettre sa démission à La Gazette Jaune. Même si sa place à l'Académie n'était pas encore assurée, Henrik avait d'ores et déjà décidé de quitter le métier de livreur. Si par malheur il n'était pas admis, il trouverait un emploi plus attractif.

Il rentra juste à temps pour la préparation du dîner et l'accueil des nouveaux clients. Sa journée de travail prit fin aux alentours de vingt-deux heures. Henrik était lessivé. Il n'aspirait plus qu'à une chose : fumer dans le calme de sa chambre avant de s'octroyer une nuit de sommeil bien méritée. Il aurait besoin de toutes ses forces pour affronter les prochains jours.

La pièce était plongée dans la semi obscurité. Assis en tailleur devant la fenêtre ouverte, Aslak lisait à la lumière des lampadaires.

— Tu vas t'abîmer les yeux si tu n'allumes pas une bougie, commenta Henrik en étouffant un bâillement peu gracieux.

— J'aime bien cette ambiance, reconnut Aslak. Ça me rappelle notre vie dans la rue.

Ces paroles intriguèrent Henrik. Il attrapa sa pipe, son bourre et son sachet d'hectaly avant de rejoindre Aslak, qui se décala légèrement pour qu'il puisse s'asseoir. Préparer sa pipe lui donna l'excuse idéale pour éviter le regard de son frère. Doté d'une fausse assurance, Henrik ajouta :

— Tu dis ça comme si tu avais envie d'y retourner.

— Ce n'est pas ça, mais...

Aslak soupira, les yeux perdus dans les hauteurs de la ville. Le faisceau des lampadaires marquait son visage d'une traînée blafarde.

— Je ne suis pas à ma place ici.

Cet aveu s'écrasa comme une pierre lourde dans l'estomac d'Henrik. Il s'était toujours douté des sentiments de son frère, mais l'entendre exprimer son mal-être à haute voix lui déchira le cœur plus qu'il ne l'avait envisagé.

— Tu m'en veux ? murmura-t-il.

Aslak l'interrogea d'un froncement de sourcils. Henrik coinça la pipe entre ses lèvres, essayant de paraître détaché, mais il n'était plus d'humeur à fumer.

— Tu allais être adopté. C'est moi qui ai tout gâché quand on s'est enfuis de l'orphelinat.

— J'étais d'accord pour partir.

— Tu avais quatre ans et tu ne connaissais que moi, précisa Henrik. Évidemment que tu étais d'accord !

— Qu'est-ce que ça change ? Je n'aurais pas été plus heureux avec ces gens-là.

— Tu en es sûr ? rétorqua le jeune homme. Parce que je me souviens très bien des vêtements qu'ils portaient. Ils t'auraient offert une vie de luxe, un avenir brillant.

— Mais tu n'aurais pas fait partie de cet avenir ! cria Aslak, irrité. Et moi, je ne voulais pas te quitter. C'est ce que tu m'as promis quand papa est mort, tu te souviens ? Tu as dit qu'on resterait toujours ensemble.

Henrik avait en effet prononcé cette promesse le jour de leur départ pour l'orphelinat. La veille, leur père, Viktor Alton, avait été fauché par une locomotive alors qu'il s'apprêtait à traverser les rails. D'après ses collègues, il était mort sur le coup. Leur voisine était allée chercher Henrik à l'école et lui avait ordonné de préparer ses bagages et celles de son frère.

« Ton papa a eu un grave accident. Il ne pourra plus veiller sur vous. »

Tels étaient les mots qu'elle avait employés pour ménager les sentiments d'un enfant. Un enfant qui, du haut de ses sept ans, avait très vite compris la vérité. La mort ne lui était pas inconnue. Il avait assisté à celle de sa mère, étendue dans un lit taché de sang, à la naissance d'Aslak. Puis à celle de sa grand-mère, son adorable et irremplaçable mamie Lucia, qui les avait quittés brutalement à l'âge de cinquante-quatre ans.

Henrik avait pleuré les deux femmes de sa vie, mais il n'avait pas versé une larme à la mort de son père. Il n'en avait pas eu le temps. Tout s'était passé si vite et Aslak était encore si jeune à l'époque. Il avait besoin d'un repère solide, de pouvoir se reposer sur les épaules de sa dernière famille. Henrik s'était juré d'être son modèle, son soutien, une boussole inflexible dans l'adversité. Mais avec le recul, il n'était pas certain d'avoir pris les bonnes décisions.

Le coude posé sur son genou replié, le jeune homme écarta la pipe de sa bouche et observa les ondulations de la fumée qui s'élevait du foyer.

— Tu aurais le droit de m'en vouloir, déclara-t-il d'une voix rauque.

— Ce n'est pas le cas, insista Aslak. Je te le jure. Je ne te reproche rien.

— Alors, quel est le problème ?

— C'est juste que...

Aslak reposa son livre à côté de lui et serra ses jambes contre sa poitrine.

— Je n'ai rien contre Annette et les autres, mais... J'aurais préféré que nous soyons seuls. Toi et moi, quelque part. N'importe où.

— Ce sera bientôt le cas, affirma Henrik. J'ai réussi la première épreuve du test. Demain, je pars à Arlès pour la deuxième. Si tout se passe bien, dans six mois, je deviendrai Localisateur. Je serai un soldat d'élite. Nous vivrons tous les deux, comme tu le souhaites. Comme je te l'ai promis hier.

Un sourire apaisé illumina le visage d'Aslak. Il n'en fallut pas plus à Henrik pour sentir son cœur s'alléger d'un poids.

— Mais en échange, j'aimerais que tu me promettes quelque chose à ton tour, ajouta-t-il. Promets-moi de faire un effort avec Annette, Mariella et Noah. Ils comptent énormément pour moi. Si tu le voulais, je suis certain que tu les apprécierais, toi aussi.

Aslak ne sembla pas ravi de cette requête. Il nicha son menton dans le creux de ses genoux, l'esprit noyé dans d'intenses réflexions. Henrik prit son mal en patience. Il aspira une légère bouffée d'hectaly, se forçant à en gaspiller le moins possible.

— Je ne sais pas si je pourrais être ami avec eux, mais je te promets d'essayer, déclara Aslak.

Henrik ne ferait pas l'erreur de lui accorder sa confiance, mais il apprécia cette réponse pour ce qu'elle était : les prémices encourageantes d'une nouvelle entente. 


Helloooo <3 J'espère que ce nouveau chapitre vous a plu. Vous attendiez-vous à une épreuve de ce genre ? Qu'imaginez-vous pour la deuxième ? Je suis curieuse de connaître vos hypothèses. 

À très vite ! :3 

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