Chapitre 3 (partie 1)

Henrik pensait que livrer des journaux serait un jeu d'enfants, mais trois semaines à arpenter les rues de Carnak n'avaient pas tardé à le faire changer d'avis. Le travail serait simple si ses corvées à l'auberge ne l'accaparaient pas le reste du temps. Henrik se levait à trois heures et se couchait après vingt-deux heures. Chaque matin, il lui fallait toute la volonté du monde pour ouvrir les paupières et trainer son corps épuisé hors du lit. Les premiers jours, l'excitation de la nouveauté et le salaire à la clé avaient suffi à le motiver, mais le temps passant, son énergie était retombée comme un soufflé. Henrik s'était même endormi à une table qu'il venait de nettoyer au beau milieu de la journée. Seul le tintement de la clochette de l'entrée était parvenu à le réveiller.

Henrik tâchait néanmoins de se raccrocher au positif : le traitement d'Annette semblait porter ses fruits. Le docteur Lampron passait la voir tous les trois jours afin de mesurer ses progrès et, si besoin, Annette ne rechignait plus à prendre une pause. Henrik était soulagé qu'elle fasse preuve de bonne volonté. Sans l'inquiétude pour lui ronger l'estomac, il arrivait presque à dormir sur ses deux oreilles.

Sa quatrième semaine à La Gazette Jaune suivait un rythme tout aussi mouvementé. Henrik s'était familiarisé avec l'itinéraire qu'on lui avait attribué, si bien qu'il aurait pu le retracer les yeux fermés. Pendant deux heures, il balançait les journaux sur les porches, laissait des piles sur les comptoirs des immeubles ou les distribuait directement aux domestiques des familles fortunées. À la fin de son service, en plus de son salaire journalier, il recevait toujours un exemplaire gratuit qu'il feuilletait sur le chemin du retour.

Henrik franchit la porte de l'auberge à sept heures tapantes. Avant de rejoindre Mariella en cuisine, il s'autorisa un détour par la chambre d'Annette. Les premiers rayons de soleil filtraient par l'interstice des rideaux, éclaboussant les draps froissés à la manière d'une flamme étincelante. La lampe à huile trônait sur la commode, juste au-dessus du tiroir à la poignée cassée. Sur le bureau en acajou se trouvait le chapeau d'Annette, dont les plumes blanches, passées de mode, commençaient à perdre leur éclat. Henrik était déjà tombé sur un modèle similaire exposé derrière une vitrine, mais le prix l'avait rapidement fait changer de trottoir.

— Tu sors ? demanda-t-il en s'appuyant contre le chambranle de la porte.

— J'ai quelques emplettes à faire, répondit vaguement Annette.

— Tu as besoin d'aide ?

Annette lui jeta un regard amusé en terminant d'accrocher les épingles dans ses cheveux.

— J'ai l'impression d'avoir entendu cette question autant de fois ce mois-ci qu'au cours des dix dernières années. Quand allez-vous cesser de me dorloter ?

— Jamais ! plaisanta Henrik. On t'aime trop pour ça.

— L'amour et l'inquiétude sont deux sentiments très différents, Henrik. Ne mélange pas tout.

— Je dirais plutôt qu'ils vont de pair, argumenta le jeune homme. C'est parce que nous t'aimons que nous sommes inquiets. Il n'y a rien de mal à ça.

— Tu as toujours réponse à tout, n'est-ce pas ? soupira Annette.

Satisfait, Henrik lui dévoila son plus beau sourire, mais Annette ne se laissa pas prendre au piège. Munie de son réticule et de son chapeau à plumes, elle traversa la pièce d'un pas traînant avant de s'arrêter devant lui. Elle lui caressa la joue avec une tendresse presque maladroite, son pouce traçant la courbe dessinée sous sa paupière. Une lueur malheureuse éclaira ses prunelles tandis qu'elle contemplait son visage en silence. Henrik se demanda ce qu'elle voyait en lui, sans oser lui poser ouvertement la question.

— Tu devrais te coucher plus tôt, murmura-t-elle. Je n'aimerais pas que tu tombes malade à ton tour.

Henrik se força à déglutir, bravant le nœud coincé dans sa gorge. Lorsque les yeux d'Annette se remplirent de larmes, il ne put rien faire d'autre que s'écarter. Il refusait de la voir pleurer à cause de lui. Cette idée lui était intolérable. Annette ne s'offusqua pas de sa réaction et le contourna pour sortir. Dans son élan, le réticule qu'elle avait glissé à son poignet heurta la jambe d'Henrik, qui fronça les sourcils en retour. Le poids du sac était bien trop lourd pour ne renfermer que quelques piécettes. Troublé, le jeune homme retint Annette par le bras, les yeux rivés sur l'objet de son attention.

— Tu as combien d'argent là-dedans ?

Annette ne chercha pas à mentir. Elle dégagea doucement son bras et recula d'un pas pour affronter le regard de son protégé.

— J'ai rendez-vous avec mes créanciers, avoua-t-elle. Et non, Henrik, il est hors de question que tu m'accompagnes. Je me suis toujours débrouillée seule et il n'y a aucune raison pour que ça change.

— Ce n'était pas ma question.

— J'ai ce qu'il faut pour rembourser ma dette mensuelle. Le reste ne te concerne pas.

Annette s'éclipsa avant qu'Henrik n'ait le temps de protester. Il avait conscience de dépasser les limites, mais c'était plus fort que lui. Il ne digérait toujours pas d'avoir été mis à l'écart de ses problèmes financiers. Plutôt que de ruminer leur conversation, le jeune homme prit la décision de changer les draps et de débarrasser les meubles de la poussière envahissante. Dans une bâtisse telle que celle-ci, boisée du sol au plafond et soumise à un taux de fréquentation élevé, le ménage était une nécessité avant d'être une corvée. Suite à son rendez-vous, Annette serait sans doute soulagée de rentrer dans une chambre propre.

Henrik extirpa un lot de draps blancs du dernier tiroir de la commode, mais renonça à sortir la belle parure de lit au motif floral. Mariella, Noah et lui s'étaient cotisés l'année précédente pour l'offrir à Annette à l'occasion de son anniversaire. Leur mère adoptive chérissait ce cadeau comme un trésor, au point de le laisser enfermer dans un meuble. Elle craignait qu'une trop longue exposition au soleil ne détériore la couleur du tissu.

Henrik s'apprêtait à refermer le tiroir quand un détail retint son attention. Un pan de la parure était relevé, dévoilant la couverture en cuir d'un livre de comptes. Annette utilisait le même pour les dépenses de l'auberge, mais elle le rangeait toujours sous le comptoir de l'entrée. Celui-ci était différent. Il criait aux secrets, à l'existence d'un fardeau qu'Annette avait été obligée de partager avec eux. Henrik l'ouvrit avec mille précautions, comme si un simple toucher aurait pu lui brûler la peau. À l'intérieur, il découvrit des colonnes interminables de chiffres et de noms. Annette avait tout répertorié, classé, calculé. Elle savait précisément quelle somme débourser chaque mois, quand et à qui remettre l'argent. Henrik en resta bouche bée. Mais le choc de cette découverte ne fut pas aussi brutal que celui de la dernière page.

Trois semaines plus tôt, Annette avait prétendu être endettée à hauteur de dix mille lys. C'était en réalité le double. D'après ses calculs minutieux, en déduisant le coût de son traitement et les frais quotidiens de l'auberge, il lui restait plus de vingt ans de crédit à rembourser.

Henrik se laissa tomber sur le lit, emportant avec lui le poids abominable de ce livre maudit. Les économies de Mariella et ses pauvres lys gagnés à La Gazette Jaune lui parurent soudain insignifiants. Il leur faudrait des années avant de pouvoir remettre les comptes à zéro. Henrik lutta contre l'envie de hurler. L'impuissance lui nouait l'estomac, le faisait trembler d'une rage ingrate. Annette se donnait corps et âme pour cette auberge qu'elle aimait tant. Elle ne méritait pas de goûter à la déchéance.

— Hé !

Le jeune homme tourna la tête vers l'entrée. Aslak se tenait dans l'encadrement de la porte, les bras croisés dans une posture nonchalante.

— Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il. Tu as oublié que Mariella t'attend en cuisine ? Elle va encore râler après toi.

Henrik s'éclaircit la gorge, doutant de pouvoir contrôler le tressautement de sa voix.

— Puisque tu es enfin descendu, tu ne pourrais pas l'aider, pour une fois ?

— Elle ne veut pas de moi, répondit Aslak.

— À qui la faute ? Tu n'as jamais voulu apprendre le métier.

Aslak tourna les talons avec un air d'indifférence. Son départ motiva Henrik à se remettre en selle. Il n'avait pas le temps de se lamenter sur l'état déplorable de leurs finances. Annette serait de retour d'ici peu et Mariella comptait sur son assistance pour faire tourner l'auberge. Il n'avait pas le droit de les décevoir.

*

Au cours des trois prochains jours, Henrik ne cessa de penser au livre de comptes qu'il avait découvert. Sa présence dans la chambre d'Annette, et plus encore le contenu qu'il renfermait était devenue une véritable obsession à ses yeux. Chaque matin, alors qu'il se rendait aux locaux de la Gazette, il priait l'univers pour une solution miraculeuse qui les sortirait de la ruine. Mais chaque matin, Henrik se retrouvait confronté à la même désillusion. Il effectuait sa tournée journalière le moral à plat, n'échangeant que quelques mots de courtoisie lorsqu'il y était obligé.

Son service touchait à sa fin lorsqu'un violent orage éclata au-dessus de la ville. Des trombes d'eau se mirent à pleuvoir du ciel couvert de nuages noirs. Par chance, Henrik eut le temps d'éviter l'averse en se précipitant dans le hall d'entrée de la Gazette. Il se glissa derrière les livreurs qui faisaient la queue pour recevoir leur paye. Henrik sautilla sur place et souffla dans ses mains pour se réchauffer. Il n'aimait pas attendre, et c'était encore pire quand il avait froid. L'humidité et les basses températures le rendaient toujours d'une humeur exécrable, ce qui était assez ironique après toutes ses années de cavale dans les rues. À l'époque, lorsqu'il était frigorifié et ne sentait plus ses membres, il se blottissait contre son petit frère pour profiter de sa chaleur corporelle. Emmitouflés dans une couverture miteuse, ils se murmuraient des plaisanteries et se racontaient des histoires afin d'oublier la morsure du froid.

— Suivant !

Henrik chassa ses plus sombres souvenirs et se campa devant la secrétaire qui l'avait reçu lors de son entretien. Celle-ci lui remit ses seize lys journaliers ainsi qu'un exemplaire de la gazette. Henrik la remercia d'un sourire affable avant de quitter la file au pas de course. La pluie tombait toujours à torrents, si bien que le jeune homme hésita à prendre l'omnibus pour rentrer. Cette idée lui sortit rapidement de la tête ; il refusait de dépenser son maigre pécule dans un ticket de transport.

Forcé d'attendre une accalmie, Henrik s'abrita sous le porche de l'immeuble et, adossé contre la façade, se plongea dans la lecture du journal.


L'Académie de Drek rouvre ses portes !

Pour la 66ème année consécutive, l'Académie de Drek, chargée de la formation des futurs Localisateurs, s'apprête à accueillir 200 nouvelles recrues. Deux épreuves – dont le contenu demeure à ce jour inconnu - sont prévues afin de déterminer qui, parmi les candidats, aura la chance d'intégrer cette prestigieuse école.

Celles et ceux qui passeront l'étape d'admission se verront ouvrir les portes de l'Académie pour une durée de six mois, tous frais payés. Dès lors, un programme strict et rigoureux sera mis en place afin de garantir le succès de ces futurs soldats d'élite. À l'issue de la formation, les nouveaux Localisateurs seront envoyés dans les différentes unités des grandes villes côtières : Arlès, Villexir, Ternas et Satbury.

À noter que le salaire mensuel d'un Localisateur s'élève à plus de 4000 lys en début de carrière et peut atteindre 6000 lys au bout de cinq ans.


— Six mille lys ? s'écria Henrik.

Les employés qui sortaient à leur tour lui jetèrent un regard en coin. Henrik les ignora, trop occupé à relire la dernière phrase de l'article. Avec un salaire à quatre chiffres, Annette n'aurait plus à s'inquiéter de ses problèmes financiers. Elle pourrait rembourser ses dettes rapidement, obtenir tous les médicaments dont elle avait besoin et rénover l'auberge à son image. Noah serait libre d'explorer de nouveaux horizons et Mariella d'ouvrir la boutique de ses rêves. C'était l'avenir idéal, rempli de promesses et de sérénité. Un avenir coloré qui s'assombrit dès l'instant où Henrik se remémora sa rencontre avec le Forlonn.

Il avait neuf ans, ce jour-là. Il fuyait la milice qui le poursuivait après l'avoir pris en flagrant délit de vol. Aslak l'attendait dans leur planque habituelle. Henrik courait si vite qu'il n'arrivait plus à respirer. Il toussait, trébuchait, mais finissait toujours par se relever. Seule la perspective de revoir son frère permettait à ses jambes de fonctionner.

Henrik s'était retrouvé sur la côte, au beau milieu d'une attaque. Il entendait encore les détonations fulgurantes des pistolets, sentait l'odeur métallique de la poudre à canon et voyait la fumée obscurcir son champ de vision. Henrik n'avait pas repéré les Forlonn immédiatement. La nuit commençait alors à tomber et l'avalanche de tirs autour de lui ne faisait qu'assombrir le paysage. Il avait tenté de fuir, mais ses repères étaient brouillés, noyés sous l'épais nuage des explosions. Henrik avait atterri dans le sable, terrain de jeu préféré de ces ignobles créatures. Il avait glissé, s'était redressé sur les coudes... puis il l'avait vu.

Le Forlonn aux taches d'ambre.

Henrik se rappelait les figures géométriques dessinées sur son abdomen : des points entourés de demi-cercles et des lignes verticales qui semblaient se rejoindre, se croiser, puis s'éloigner. On aurait dit que le soleil en personne avait marqué sa chair d'une myriade de constellations. Henrik en gardait un souvenir frappant, alors même qu'il n'avait pu l'observer qu'une fraction de seconde. Juste le temps au Forlonn de se jeter sur sa proie.

Tout s'était passé si vite. La terreur que le jeune homme avait ressentie ce jour-là était encore vive, gravée à tout jamais dans sa peau. Il n'était pas certain de pouvoir revivre une expérience similaire. Comment réagirait-il en se retrouvant de nouveau face à une telle créature ? Aurait-il le cran d'appuyer sur la gâchette ? Parviendrait-il à se défendre et à défendre les autres ?

La Localisation était un don, mais y consacrer sa vie était un choix. Les soldats quittaient leur famille le matin sans savoir s'ils auraient la chance de rentrer indemnes le soir. Entreprendre une telle carrière nécessitait une volonté inébranlable et l'assurance d'honorer sa décision jusqu'au bout.

Henrik n'eut qu'à considérer le salaire annoncé pour se rendre à l'évidence. Ses peurs et ses incertitudes ne valaient rien face à une somme aussi conséquente. Il apprendrait à s'endurcir, à endormir ses mauvais souvenirs. Avec le temps et l'entraînement adéquat, il deviendrait un guerrier accompli, digne d'empocher quatre mille lys et de les reverser à Annette. Rien ne lui ferait plus plaisir que d'éponger ses dettes et de la voir heureuse. Elle lui avait offert une vie meilleure ; à son tour d'embellir la sienne.

*

Henrik passa la journée à réfléchir à la meilleure manière d'annoncer sa décision à ses proches. Il ne s'attendait pas à une réaction enthousiaste, surtout de la part d'Aslak. Henrik était son repère, son point d'ancrage dans une vie qu'il n'avait pas choisie. Il ne supporterait pas qu'il s'éloigne de cette façon, encore moins pour suivre une vocation aussi périlleuse. Par crainte de le voir faire une scène, Henrik décida de lui parler en tête-à-tête.

Il profita de sa pause, avant le service du soir, pour rejoindre Aslak dans leur chambre commune. Les bruits de la circulation s'infiltraient par la fenêtre entrebâillée. À cette heure, les habitants de Carnak se pressaient dans les auberges ou rentraient chez eux après une dure journée de travail. Henrik avait l'habitude de ce vacarme incessant. Entre dix-neuf et vingt heures, il se mettait toujours à détester la clochette de l'entrée.

Assis au pied du lit, Aslak lisait à la lueur d'une bougie. Ses cheveux châtain avaient poussé, ondulant autour de son visage juvénile. Aslak avait quatorze ans, mais n'en paraissait que dix ou onze. Henrik avait cessé de le taquiner en comprenant que ce sujet lui donnait des complexes.

Sa pipe en main, le jeune homme s'installa en face de son frère. Il fourra une petite quantité d'hectaly dans le foyer et le tassa délicatement, profitant de cette distraction pour éviter le regard d'Aslak.

— On peut parler ? demanda-t-il.

Du coin de l'œil, Henrik vit Aslak poser son livre sur ses genoux.

— Je t'ai raconté qu'Annette avait de gros problèmes d'argent, tu te souviens ?

— Mmh.

— J'ai réfléchi à un moyen de l'aider, poursuivit Henrik. À La Gazette Jaune, je ne gagne pas assez. Il faudra des années à Annette pour rembourser toutes ses dettes. D'ici là, rien ne garantit qu'elle sera encore vivante. J'aimerais qu'elle puisse profiter de l'avenir sereinement.

— Où veux-tu en venir ?

Henrik craqua une allumette avant de coincer la pipe entre ses dents. Il crapota quelques instants, ce qui lui permit de mettre de l'ordre dans ses idées. Contrairement à Mariella, Aslak se moquait de le voir fumer. Les mains à plat sur la couverture de son livre, il attendait patiemment qu'Henrik enchaîne la conversation.

— Je vais essayer d'entrer à l'Académie de Drek, avoua enfin le jeune homme.

Aslak lisait très peu les journaux, mais comme tous les habitants des quatre duchés, il connaissait parfaitement le rôle de cette école.

— Tu es sérieux ? s'écria-t-il.

— Très sérieux. Je gagnerai un bon salaire. Un très bon salaire, même. Annette sera à l'abri du besoin. Et toi aussi.

— Mais tu ne sais même pas si tu as le don de Localisation !

— Tu sais très bien que je l'ai, clarifia Henrik, agacé.

Le jeune homme s'était préparé à mille scénarios différents, notamment à devoir gérer une violente querelle, mais il n'avait pas imaginé voir des larmes couler sur les joues de son frère.

— Tu vas me laisser ici tout seul ?

Une douleur amère transperça le cœur d'Henrik. Bien qu'il ait la certitude de prendre la bonne décision, il ne supportait pas d'être à l'origine de son chagrin. Aslak était sa dernière famille de sang. Ils avaient traversé ensemble les pires épreuves et n'avaient jamais été séparés un seul instant. Ce nouveau chapitre, s'il venait à s'écrire, lui serait tout aussi pénible.

Henrik tendit la main vers son frère, mais suspendit son geste à quelques centimètres de son visage. Il ignorait comment le réconforter sans risquer d'être rejeté.

— Ne pleure pas, s'il te plaît, supplia-t-il. Il n'y en aurait que pour six mois. Ça ne représente rien dans une vie. Si je valide la formation, tu pourras venir habiter avec moi. Je te promets que je ne t'abandonnerai pas.

— C'est vrai ?

— Évidemment ! Comment tu peux en douter ? Toi et moi, c'est pour la vie.

Aslak parut soulagé. Il essuya ses larmes du revers de la main et fit l'effort de sourire à son frère. Henrik apprécia cette marque de bonne volonté. Quitter Aslak en mauvais termes aurait déchiré quelque chose en lui, creusé un fossé que rien ni personne n'aurait su combler.

— Est-ce que je pourrai te rendre visite à l'Académie ? demanda Aslak.

— Je n'en sais rien, mais ça m'étonnerait. Dans le pire des cas, je vous écrirai. Ce sera mieux que rien.

— Tu l'as dit aux autres ?

— Je voulais que tu sois le premier informé, admit Henrik.

Il ne pourrait cependant pas esquiver le sujet bien longtemps : la première épreuve devait avoir lieu le lendemain matin. Henrik aspira une dernière bouffée de sa pipe, la savoura quelques secondes, puis la relâcha sous le nez d'Aslak, qui se contenta d'esquisser une grimace de dégoût. Prêt à se retrousser les manches, le jeune homme rangea son matériel sur la commode et descendit les marches jusqu'au rez-de-chaussée. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top