Chapitre 2

Henrik entra si précipitamment que la porte claqua contre le mur. Il se rua dans la chambre d'Annette et trouva celle-ci sur son lit, entourée de Mariella et du médecin, un certain Edmund Lampron. Henrik n'avait jamais apprécié cet homme à l'air pincé. Sous ses petites lunettes de forme ovale brillait un regard de fouine qui lui donnait envie de le frapper. Il n'observait pas les gens avec le détachement requis par sa profession ; il les jugeait sévèrement, comme s'il détenait un droit quelconque sur eux. Bien qu'il approchât de la quarantaine, ses favoris le vieillissaient d'une dizaine d'années et réduisaient le peu de charme qu'il possédait. Henrik ne s'étonnait pas qu'il soit encore célibataire.

Assis au chevet d'Annette, le médecin se leva tranquillement à son arrivée et rangea ses instruments dans son énorme trousse en cuir.

— Bonjour, Henrik, le salua-t-il.

Le jeune homme ne s'embarrassa pas d'une réponse et préféra se concentrer sur Annette. Adossée contre les oreillers, elle s'efforçait de respirer aussi calmement que possible. Le bas de sa robe était relevé, dévoilant ses chevilles gonflées. Bouleversée, Mariella lui caressait la main avec délicatesse.

— Que s'est-il passé ? demanda Henrik.

— Elle a fait un malaise à la cuisine, résuma son amie.

— Et ce n'est pas le premier, commenta le médecin, un soupçon d'agacement dans la voix.

Annette tourna vers lui des yeux suppliants.

— S'il vous plaît, docteur, laissez-moi leur parler.

— Vous auriez dû le faire il y a déjà plusieurs semaines, Annette. Vous me l'aviez promis.

— Je sais, je sais... Mais je n'en ai pas eu le courage, vous comprenez ?

— Qu'est-ce qui se passe, à la fin ? grogna Henrik, planté au pied du lit.

Si le jeune homme n'était pas réputé pour sa grande patience, c'était encore pire dans les situations stressantes. Contrôler ses nerfs lui demandait un effort insurmontable. Mariella le supplia de se calmer d'un regard appuyé.

— Je vous laisse, annonça le médecin. Je repasserai demain matin, Annette. Nous rediscuterons de tout cela. Bonne journée.

Henrik ne lui accorda pas un quart de son attention, pas plus qu'à Noah qui venait d'entrer à son tour. Lorsque la porte se referma, Annette tendit sa main libre vers les deux garçons. Un léger sourire étira ses lèvres pâles.

— Approchez...

Noah s'installa de l'autre côté du lit, face à Mariella. Henrik refusa de se joindre à eux. Il détestait la scène qui se jouait sous ses yeux : Annette allongée sur un lit, faible mais résignée, entourée des personnes qu'elle chérissait le plus.

Elle avait recueilli chacun d'entre eux sans rien exiger en retour. D'abord Noah, que les parents avaient abandonné à l'auberge quand il avait six ans et qui ne s'était jamais remis de ce traumatisme. Puis Mariella, enfant des rues, qui sanglotait dans le froid de l'hiver, blottie contre le corps de sa mère décédée. Henrik et Aslak avaient rejoint cette famille brisée quatre ans auparavant, après avoir survécu à un accident de chariot. Avant cela, les deux frères sillonnaient les grandes villes, dormaient dans les ruelles et volaient pour se nourrir. Ils n'avaient aucun avenir. Annette était apparue sur leur chemin comme un ange tombé du ciel, au moment où ils avaient le plus besoin d'une main tendue.

Henrik lui devait tout. Ses vêtements, son travail, sa vie. Voilà pourquoi il ne supportait pas de la voir aussi diminuée. Cette image d'Annette couchée dans un lit ne pouvait pas être réelle. Il se refusait à y croire.

Annette les considéra un long moment, détaillant leur visage avec le même amour inconditionnel. Le ventre d'Henrik se tordit d'une douleur indescriptible.

— J'aurais dû vous en parler avant, commença Annette, mais je n'arrivais pas à trouver le bon moment. La vérité, c'est que... c'est que je suis gravement malade. Le cœur, d'après le médecin.

— Tu vas mourir ?

— Henrik ! s'écria Mariella.

Même Noah, d'ordinaire très peu émotif, grimaça en entendant ces mots fatidiques. Henrik les regretta aussitôt, mais la panique avait eu raison de lui. Annette émit un petit rire compréhensif.

— Allons donc, ne faites pas ces têtes de déterrés. Bien sûr que je vais mourir. Comme tout le monde ici-bas. C'est dans l'ordre des choses. Mais pour l'instant, j'espère avoir encore un peu de répit.

Pour appuyer ses propos et leur prouver qu'elle était toujours vaillante, Annette se redressa contre les oreillers.

— Le médecin ignore ce que j'ai précisément, poursuivit-elle, mais il affirme que ça vient du cœur. Je ne suis plus toute jeune, même si j'aime le faire croire. D'après lui, il faut que je commence à changer mes habitudes. Il m'a préconisé moins d'activité physique, une alimentation saine et des médicaments à prendre tous les jours... Des médicaments qui coûtent cher et que je n'ai pas les moyens de payer.

Tout s'éclaira dans l'esprit d'Henrik : les symptômes d'Annette et la mise en place d'un nouveau service de restauration. Le médecin lui avait recommandé de se reposer, mais elle se surmenait pour essayer de récolter les fonds nécessaires. Henrik sentit ses joues se réchauffer malgré lui. Il s'en voulait de lui avoir tant de fois reproché sa décision.

— Il doit y avoir un moyen de trouver l'argent, non ? demanda le jeune homme. On ne fait pas toutes ces heures supplémentaires pour rien.

— Ce n'est pas pour rien, Henrik, confirma Annette. L'argent que nous gagnons grâce au service du midi me permet de rembourser mes dettes.

Henrik ouvrit des yeux ronds. Il était au courant de leurs problèmes financiers, mais il n'avait jamais entendu parler de cette histoire.

— Des dettes ? répéta Mariella, incrédule. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Annette se massa les tempes comme si cette conversation lui donnait la migraine.

— Quand il m'a légué cet établissement il y a trente ans, Auguste m'a aussi transmis toutes ses dettes de jeu. C'était un homme bon, vous savez, mais il avait des vices, lui aussi. On ne peut pas lui en vouloir. Ça n'a pas été facile, mais j'ai réussi à rembourser ses dettes. Seulement, les années ont passé, les prix ont augmenté et la concurrence est devenue rude... J'ai dû faire des emprunts à mon tour. Je m'étais promis que ça n'arriverait jamais, et regardez-moi aujourd'hui.

Henrik entama quelques pas nerveux à travers la pièce, tapotant ses ongles rongés contre sa hanche. Il s'arrêta devant la fenêtre, derrière laquelle un omnibus traça son chemin à toute vitesse. Les révélations d'Annette l'inquiétaient. À l'entendre, elle semblait prête à se laisser mourir pour s'assurer que l'auberge continue d'exister. Henrik ne pouvait pas accepter qu'elle privilégie une vieille bâtisse en bois au détriment de sa santé.

En quête de soutien, il se retourna pour guetter la réaction de ses amis. Le silence de Mariella l'étonnait plus que celui de Noah. Elle n'avait pas l'habitude de rester passive quand il s'agissait d'Annette, qu'elle considérait comme sa deuxième mère. Mariella était une jeune femme expressive, volontaire et loyale. Elle aurait dû réagir. Pourquoi se montrait-elle aussi distante ?

— Á combien s'élèvent tes dettes ? demanda Henrik.

— Il me reste environ dix mille lys à rembourser, répondit Annette.

— Sans compter l'entretien de l'auberge, qui ne nous laisse aucun bénéfice, et l'argent pour ton traitement. En résumé, la situation est catastrophique, n'est-ce pas ?

— Nous pourrions déjà faire des économies si...

— Attention à ce que tu vas dire, Annette ! s'exclama Henrik. Je sais que tu tiens à cet établissement, mais ce n'est pas lui qui va te maintenir en vie. Ne fais pas passer tes besoins en dernier.

Annette laissa retomber sa tête en arrière. Plusieurs mèches de cheveux blancs s'étaient délogées de son chignon et encadraient son visage creusé par la fatigue. Elle était pâle, amaigrie, et la lueur dans ses prunelles avait perdu son intensité légendaire. Pour la première fois, Henrik la vit telle qu'elle était réellement : une femme de soixante-cinq ans épuisée par une vie de lutte.

— Nous allons réfléchir ensemble à une solution, décréta-t-il. Il y en a forcément une.

Annette n'insista pas. Peut-être savait-elle qu'Henrik ne lâcherait pas l'affaire ; ou peut-être n'avait-elle tout simplement pas l'énergie pour protester.

— Est-ce qu'on peut faire quelque chose pour toi ? s'informa Noah, qui lissait la couverture du bout des doigts.

Bien que Noah n'ait pas prononcé un mot depuis son arrivée, Henrik sentit à sa voix tendue que les confessions d'Annette l'avaient secoué. À l'image de Mariella, il n'avait que l'auberge comme maison et Annette comme mère. Il ne supporterait jamais de perdre les deux. Les choses étaient différentes pour Henrik. Il avait eu des parents aimants et avait passé une partie de sa vie dans la rue. L'adversité ne lui faisait pas peur. Il trouverait toujours un moyen de survivre, quoi qu'il lui en coûte.

— Si vous voulez me faire plaisir, retournez travailler, d'accord ? implora Annette. Les chambres ne vont pas se nettoyer toutes seules. De mon côté, je vais me reposer un peu.

Mariella se leva la première et s'élança hors de la pièce. Henrik s'empressa de la suivre, mais il ne tarda pas à se faire distancer lorsque son amie se mit à courir dans les escaliers. Son comportement l'intriguait. Mariella était passée de l'inertie à la réactivité en une fraction de seconde, comme si une idée avait soudain jailli dans son esprit.

Avant d'en discuter avec elle, Henrik monta dans la chambre qu'il partageait avec Aslak. Il s'agissait d'un ancien grenier réaménagé, tout juste assez grand pour contenir un lit, une table de chevet et une vieille commode en bois. Située sous les toits, la pièce devenait une véritable fournaise pendant les mois d'été. Henrik et Aslak ne s'en plaignaient pourtant pas. Après des années à côtoyer les températures extérieures, dormir dans un lit chaud représentait un luxe inestimable.

Avachi en travers du matelas, Aslak était plongé dans la lecture palpitante d'un roman de cape et d'épée qu'Henrik lui avait conseillé. Ses pieds nus dansaient dans le vide et ses cheveux châtain, qu'il n'avait pas pris la peine de coiffer, rebiquaient dans tous les sens. La fenêtre ouverte laissait filtrer les interférences urbaines, mais captivé comme il l'était, Aslak ne semblait pas s'en soucier. Henrik s'appuya contre le chambranle de la porte en croisant les bras.

— Annette est malade, annonça-t-il de but en blanc.

La réaction de son cadet ne se fit pas attendre. Il posa son livre sur l'oreiller et tourna vers lui un regard sceptique.

— Et alors ?

— Je ne te parle pas d'une grippe, imbécile, soupira Henrik. Elle est gravement malade. Le cœur, apparemment.

— Oh...

Même s'il n'était pas proche d'Annette, Aslak eut tout de même la décence de paraître affecté par cette nouvelle.

— Elle ne va pas... Je veux dire...

— Mourir ? Pas si elle suit un traitement. Elle se repose dans sa chambre, si tu veux lui rendre visite. Je suis sûr qu'elle n'a pas vu ta tête depuis des jours.

Aslak esquiva ce fâcheux commentaire en sautant du lit. Il marcha tranquillement jusqu'à la porte et fixa Henrik jusqu'à ce que celui-ci accepte de se décaler. Ravi que son frère fasse un effort, le jeune homme lui épargna son sermon habituel sur le sens des responsabilités. Il ne manquerait plus qu'Aslak se vexe et décide de faire demi-tour.

Henrik écouta le bruit de ses pas dans l'escalier avant de se diriger vers la commode pour récupérer sa pipe et son sachet d'hectaly. Cultivée sur les terres du duché de la Maison Rouge, cette herbe possédait des propriétés puissantes et se vendait à un prix exorbitant. Depuis le temps qu'il fumait, Henrik avait appris à se méfier des arnaques et à reconnaître les opportunités intéressantes. Il s'en tirait toujours à un coût raisonnable.

Le jeune homme se hissa sur le rebord de la fenêtre et ramena une jambe contre sa poitrine. Il versa quelques pincées d'hectaly dans le foyer, le tassa délicatement avec son bourre, puis coinça la pipe entre ses canines. Henrik garda la fumée en bouche un long moment pour en déguster les arômes. Un jour, Aslak l'avait questionné sur le goût de l'hectaly, mais son frère n'avait pas su lui répondre avec précision. Il l'avait comparé à de la menthe douce saupoudrée d'un soupçon de terre, conscient que cette description n'était qu'une pâle approximation de la réalité. L'hectaly ne pouvait pas se définir ; il ne pouvait que se savourer.

Henrik reposa son sachet et son bourre-pipe sur la commode et referma la fenêtre avant de partir. Il entra dans la chambre voisine sans se donner la peine de frapper. La pièce était meublée de la même façon que la sienne, mais Mariella y avait ajouté un bureau qui lui servait pour ses travaux de couture.

La jeune femme était penchée sur le contenu d'un coffret en métal. Henrik comprit aussitôt ce qu'elle s'apprêtait à faire.

— J'aurais dû m'en douter, marmonna-t-il, sa pipe remuant contre ses lèvres.

Mariella referma son précieux trésor aussi vite que possible. Les pièces tintèrent à l'intérieur, lourdes et palpables, symbole de la petite fortune qu'elle avait amassée à la sueur de son front. Têtue, Mariella toisa Henrik avec un air de défi qui la rajeunissait.

— Et alors ? répliqua-t-elle.

— C'est hors de question.

— Je ne crois pas t'avoir demandé la permission, Henrik.

— Tu as travaillé dur pour économiser tout cet argent, rappela-t-il. Annette n'acceptera jamais que tu l'utilises de cette manière.

— Ça ne la regarde pas.

Henrik tira légèrement sur sa pipe, garda la fumée en bouche quelques secondes, puis l'expira sous la forme d'un épais nuage gris. Mariella agita la main pour qu'il se dissipe plus rapidement.

— Tu es obligé de fumer ici ? Tu sais très bien que je n'aime pas ça.

Henrik accepta un compromis en ouvrant la fenêtre. Adossé contre la vitre, il observa le défilé des véhicules dans la rue en contrebas. Les chevaux hennissaient face aux coups de fouet qui s'abattaient sur eux à foison, là où les hommes braillaient quand un omnibus les frôlait sur le trottoir. Quelques kilomètres plus loin, le théâtre de Carnak surplombait les immeubles jaunes.

Mariella y travaillait deux à trois fois par semaine. Elle s'occupait principalement d'effectuer les retouches sur les costumes des comédiens, mais on lui confiait parfois la réalisation d'une robe ou d'un gilet. Mariella était ravie de cet emploi. Elle économisait une partie de son salaire mensuel afin de financer ses cours de stylisme. Son rêve ultime, qui la motivait à se lever chaque matin, était d'ouvrir sa propre boutique de mode.

— Combien as-tu mis de côté ? s'informa Henrik.

— J'étais justement en train de vérifier. J'en ai pour environ quatre mille deux cents lys.

— Quatre mille deux cents lys ? Tu as conscience de ce que ça représente ?

Mariella pivota sur sa chaise pour faire face à Henrik. Son foulard blanc avait glissé sur ses cheveux bruns, dévoilant de petites mèches rebelles autour de ses tempes.

— Ça ne représente rien si je ne peux pas aider Annette, rétorqua-t-elle. C'est grâce à elle que j'en suis là aujourd'hui, Henrik. Elle m'a donné cette vie. C'est à mon tour de lui rendre la pareille.

— Tu oublies que nous sommes quatre à pouvoir aider Annette.

— Trois, rectifia Mariella.

Henrik leva les yeux au ciel, tapotant son index contre le foyer de sa pipe.

— D'accord, je t'autorise à ne pas compter Aslak, grommela-t-il. Il ne nous aidera sûrement pas. Mais puisque tu occupes deux emplois, il n'y a pas de raison pour que Noah et moi n'en fassions pas autant. Nous pourrons aider Annette, comme ça, tu ne seras pas obligée d'utiliser toutes tes économies.

— Personne n'engagera Noah avec sa jambe, précisa Mariella, rationnelle. Et je te rappelle que tu passes déjà ton temps à te plaindre de faire des heures supplémentaires. Tu ne supporteras jamais un deuxième emploi, Henrik.

— Ça, c'est méchant, Mariella. Je sais me motiver quand les circonstances l'exigent.

— Alors, prouve-le.

*

Le lendemain matin, Henrik se leva deux heures en avance afin de commencer sa recherche d'emploi. Il faisait encore sombre lorsqu'il mit un pied dehors, mais des taches d'ambre parsemaient le ciel camouflé de nuages gris. La météo s'annonçait d'ores et déjà mitigée. Henrik rajusta l'épaisse ceinture autour de sa taille, plongea les mains dans les poches de son manteau, puis s'élança dans les rues.

Il n'était pas exigeant. N'importe quel emploi ferait l'affaire, tant que le salaire était un minimum attractif. Henrik apostropha plusieurs commerçants dès l'ouverture de leur boutique, mais tous lui claquèrent la porte au nez. Tous, sauf un. Henrik dut malheureusement décliner son offre, car les horaires ne correspondaient pas à son emploi du temps à l'auberge. Il pouvait travailler tôt le matin ou tard le soir. La pleine journée étant proscrite, ses recherches prirent une tournure délicate.

Sur son chemin, Henrik croisa plusieurs livreurs de journaux empressés. Leur travail était simple et peu contraignant : s'assurer de distribuer leur chargement avant le réveil des habitants. C'était l'emploi idéal pour un profil comme le sien. Plus motivé que jamais, le jeune homme accéléra le pas jusqu'aux locaux de La Gazette Jaune, journal le plus populaire du duché. Il ne s'attendait pas à ce que la secrétaire soit présente à six heures du matin, et encore moins à ce qu'elle accepte de le recevoir. Elle parut aussi charmée par son sourire mielleux qu'enthousiasmée par sa volonté de travailler, si bien que l'entretien se déroula dans une atmosphère légère.

Vingt minutes plus tard, Henrik quitta le bâtiment avec une bonne nouvelle : il prenait son poste le lendemain matin. Il travaillerait de quatre à six heures, cinq jours par semaine, pour un salaire journalier de seize lys. Au total, Henrik apporterait chaque mois trois cent vingt lys à Annette. C'était peu, mais pour le moment, il n'était pas en position de se plaindre.

À son retour à l'auberge, Henrik retrouva Mariella et Noah dans la cuisine, affairés à la préparation du petit-déjeuner. L'odeur du lait chaud emplissait la pièce et lui mit instantanément l'eau à la bouche. Henrik n'attendit pas que son ventre gargouille avant de soustraire une tranche de pain frais dans l'une des corbeilles.

Mariella lui tapa sur les doigts sous l'œil moqueur de Noah.

— Ne touche pas à ça, malotru !

— Mais j'ai faim ! gémit Henrik.

— Tu n'avais qu'à être à l'heure pour notre petit-déjeuner. Celui-ci est pour les clients.

— Où étais-tu ? demanda Noah.

Les coudes appuyés sur la table centrale, Henrik s'amusait à retirer la croûte autour de la mie moelleuse. Il répondit avec un sourire énigmatique :

— Il se pourrait que j'aie trouvé un deuxième emploi.

Mariella, qui était en train de retourner les œufs, lui lança un regard étonné par-dessus son épaule.

— Où ?

— À La Gazette Jaune. Je distribuerai les journaux le matin.

— Tu es sûr que tu y arriveras ?

— Je t'en prie, Mariella, ricana Henrik. Même un gosse de dix ans pourrait le faire. D'ailleurs, je crois que c'est déjà le cas.

— Je ne parle pas de ça, Henrik.

Mariella versa les œufs dans une assiette et retira la poêle du fourneau.

— Je me demande juste si tu supporteras le rythme de travail, expliqua-t-elle en s'essuyant les mains sur son tablier.

Henrik la dévisagea comme s'il venait d'entendre une mauvaise blague.

— Ça n'avait pas l'air de t'inquiéter hier, fit-il remarquer. Pourquoi je ne pourrais pas le supporter, selon toi ? Tu passes bien des soirées entières au théâtre et tu te couches à minuit.

— Oui, mais contrairement à toi, j'aime ce que je fais. Au théâtre, mes collègues sont adorables, le travail est facile et je peux voir des pièces gratuitement. Toi, tu vas arpenter la ville en portant des charges lourdes jusqu'à t'en donner mal aux bras. Il y a une différence, selon moi.

Henrik resta muet face à cette logique. Il croqua à pleines dents dans sa tranche de pain, gardant la croûte qu'il avait retirée pour la fin.

— On verra bien. Des nouvelles d'Annette ?

— Elle dormait quand je suis allé la voir tout à l'heure, révéla Noah.

— Le médecin doit passer dans la matinée, ajouta Mariella.

— Je ne comprends pas ce qu'elle lui trouve, à cet Edmund Lampron, commenta Henrik. Il est insupportable. Et encore, le mot est faible.

Noah et Mariella échangèrent un regard au-dessus de la corbeille de fruits, mais le grincement des portes battantes les empêcha de répondre. Henrik se retourna pour voir Annette pénétrer dans la cuisine. Une délicieuse odeur d'amande émanait de ses vêtements fraîchement lavés. Le sourire qu'elle offrit à ses enfants adoptifs suffit à faire fondre le cœur d'Henrik.

— Dis donc, tu ne devrais pas être au lit ? plaisanta-t-il.

— Et toi, tu ne devrais pas être en train d'aider Mariella et Noah à préparer le petit-déjeuner ?

— Je les aide en mangeant ce qu'ils ont déjà préparé, dit-il en agitant son morceau de pain. Comme ça, ils sont obligés de recommencer. Tu vois, je contribue à faire tourner la maison.

— Oh, toi...

Annette fit mine de vouloir le frapper et Henrik d'esquiver le coup. Mariella interrompit leur petite scène en plaçant une assiette chaude dans les mains de son ami.

— Dépêche-toi d'apporter ça à la table deux, ordonna-t-elle. Et ne traine pas. Les autres clients ne vont plus tarder à descendre.

— Oui, maman ! 


C'est terminé pour le chapitre 2. J'espère que vous l'avez apprécié :3

On démarre en douceur, histoire de poser les bases, mais nous allons commencer à rentrer dans le vif du sujet à partir du chapitre 3. 

À la semaine prochaine <3

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