Cet amer sentiment de nostalgie
Mary était une jeune fille très enjouée. Monsieur Goldenleaf lui avait interdit de raconter ce qu'il s'était passé. Toutefois, cela ne l'empêchait pas de déblatérer tout un tas de banalités à Cassandre à propos de sa petite vie tranquille. C'est ainsi que la rousse avait appris qu'elle avait deux frères plus âgés qui travaillaient avec ses parents dans un atelier de sceptres en plus de tout un tas d'autres choses futiles qui n'intéressait nullement son interlocutrice.
« Mais tu ne connais vraiment rien à la société des enchanteurs ? insista Mary.
- J'ai été au courant de l'existence de mes pouvoirs au début des vacances d'été... Soit il y a deux mois. Lorsque j'ai fait voler un canapé dans le salon, je peux t'affirmer que mes parents ont fait une drôle de tête.
- Ils ne l'ont pas trop mal pris ?
- ça va... Mais je pense que les enchanteurs de l'esprit y auraient fait quelque chose s'ils avaient été récalcitrants.
- Ah bah tu vois ! Tu n'es pas totalement ignorante ! Enfin, de toute façon, on va avoir un rappel global, lors des premiers cours, j'en suis sûre !
- J'imagine. »
La jeune fille à la peau d'ébène ne pouvait s'empêcher de trouver que sa camarade était renfermée. Elle se disait que si la rousse ne changeait pas un peu son comportement, elle s'éloignerait. Cependant, elle était convaincue que c'était juste une manière de ne pas paniquer : tout devait être nouveau et déstabilisant pour elle. Mary finit par demande à Cassandre :
« Tu as une idée des options que tu voudrais faire si tu peux ?
- Non, pas du tout. J'ai des difficultés à me rendre compte de ce que chacune propose. Et toi ?
- J'en avais déjà discuté avec mes parents. Ils savent que je ne veux pas rester dans l'entreprise familiale. Ça ne les dérange pas plus que ça puisque mes frères reprennent l'affaire. Donc, si je peux, ce sera DE, AEA et CMV. Avec mon affinité pour l'eau, je pense que je m'amuserais bien en AEA.
- "Droit des Enchanteurs", "Application des Enchantements dans les Arts" et "Culture et Manipulation des Végétaux", donc.
- Même pas besoin de regarder sur la plaquette hein ? siffla d'admiration Mary. Eh bien ! Tu as une bonne mémoire.
- C'est un de mes petits talents. »
La jeune enchanteresse de l'eau continua ainsi à monopoliser la parole pendant encore un certain moment. Les autres élèves entraient et sortaient à un rythme régulier de la salle. Tandis que Mary ne cessait de parler, Cassandre en entendant beaucoup se plaindre : l'heure du déjeuner commençait à se faire sentir. La rousse ne comprenait pas pourquoi son interlocutrice s'attachait ainsi à elle. Toutefois, elle pensait que cela ne durerait pas. Ou alors, ce serait la confirmation que cette fille possédait vraiment une bonne volonté à toute épreuve.
« Cassandre Vertbois. Tu passes tout de suite avec Goldenleaf ! »
À l'entente de son nom, elle se leva de sa chaise. Mary la rassura d'un petit sourire, l'air de dire « tout va bien se passer ». Elle retira son ciré pour le confier à sa camarade qui l'accepta en s'asseyant à sa place. La démarche raide, elle franchit le pas de porte comme l'avant précédemment des centaines d'élèves. Elle se retrouva dans un couloir aux parois mobiles. Elle voyait cette particularité au sol qui était passé de la pierre au tatami, mais pas seulement. En effet, le plafond était maintenant la voute de l'église. Les « murs » en bois minces laissaient filtrer sans aucun problème le bruit de fond de chaque épreuve.
Cassandre était persuadée que dès que les évaluations se termineraient, les murs factices seraient retirés et qu'elle trouverait une immense salle pour l'entrainement aux enchantements. Lorsqu'elle arriva à la porte où avait été peint en noir le chiffre « 3 », elle toqua puis ouvrit.
Au milieu de l'endroit, une table avec une chaise avait été disposée. Quelqu'un était en train d'y écrire avec entrain. La rousse s'approcha jusqu'à se tenir face à lui, sans bouger d'un millimètre. Elle fixait calmement son examinateur. Lorsque celui-ci releva la tête, la nouvelle élève put constater que ce n'était pas l'homme le plus laid du monde, il fallait bien l'avouer. Elle avait fini par croire qu'être mannequin faisait partie de la liste de critères à regrouper pour être un enchanteur.
Il était jeune pour un professeur : vingt-cinq ans environ. Ses cheveux, blonds comme les blés, étaient ébouriffés sur son crâne. Ils avaient l'air doux et soyeux. Cassandre eut une subite envie de passer sa main dedans, mais se reprit en se morigénant : « À quoi penses-tu ? Reste concentrée enfin ! ». Ses traits rieurs dévoilaient des yeux si sombres qu'ils en apparaissaient sans fond ainsi qu'un joli sourire. Sa peau était bronzée ce qui était plutôt suspect vu le temps morose de l'île. Il portait un long manteau noir avec l'écusson réglementaire.
Il croisa ses doigts fins sous ses mentons. Son air était engageant. Mais Cassandre le trouvait un peu trop beau pour être honnête. Elle savait que ce type d'hommes avait une propension à la trahison qui lui ôtait instinctivement son envie de glousser.
« Bien. Je vous en prie mademoiselle Verbois, détendez-vous. J'ai l'impression que vous allez me sauter dessus. »
Sa voix avait quelque chose d'envoutant, riche et profonde. Pour autant, la rousse ne rougit même pas d'une teinte. Elle se contenta de lui répondre après s'être raclé la gorge :
« Excusez-moi si je vous ai semblé impolie, monsieur. C'est simplement que je suis nerveuse. Après tout, je ne sais pas à quelle sauce je vais être cuisinée...
- Ne vous inquiétez donc pas, il faut bien passer à la casserole à un moment ! plaisanta-t-il afin d'essayer de détendre l'atmosphère. »
Remarquant que cela ne marchait pas du tout, il se leva et empoigna le sceptre qui était auparavant posé contre la table. Il s'agissait d'un très grand bâton en acajou. En haut, quatre grenats avaient été incrustés et luisaient d'un éclat tentateur. Il s'approcha d'elle sans bruit. Lorsqu'il ne fut plus qu'à quelques pas d'elle, il déclara solennellement :
« Sachez par contre, mademoiselle Verbois, qu'ici, nous avons pour philosophie de pousser nos élèves à leurs limites, quelles qu'elles soient. Pendant ce test, je souhaite voir le meilleur de vous-même. »
Et sur ce il enflamma le haut de son sceptre. Rien ne brûlait vraiment, mais elle pouvait sentir le souffle chaud parvenir jusqu'à elle. Du grand spectacle, parfait pour impressionner les petits nouveaux. Intérieurement, la jeune fille eut envie de rire : cela ressemblait terriblement à une torche. Pour autant, elle maintint son même air grave.
« Vous pensez vous à la hauteur pour rentrer à la SKEA ? »
Doucement, Cassandre leva le menton et plongea son regard dans le sien. Le coeur d'Arthur rata un battement. Pendant un instant, une étrange sensation l'avait envahi.
« Oui, monsieur Goldenleaf. J'en suis même persuadée. »
Publié le 30/06/2017.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top