Sacrifice


J'admirais le flacon soigneusement déposé sur un petit plateau argenté. Ma vision vacillait à l'idée d'en ingurgiter le contenu. Un dernier regard vers Tenten dont le visage impassible ne m'apporta aucun secours. Je devais le faire, c'était tout ce qu'il me restait de Tsunade-sama afin de préserver ma liberté. Je ne pouvais pas la décevoir, alors que le dénouement était si proche. Temps restant avant la fin des festivités : cinq jours. Le Tournoi en marquerait la fin. J'ôtai à la hâte le bouchon et ma main tremblante dirigea le goulot de verre à mes lèvres. Le goût de la mixture se passait de commentaire.

« -De ce que m'a dit Yûhi-senseï, l'empereur insiste pour que vous preniez cette décoction » dit soudainement ma nouvelle servante.

-C'est un médicament créé par Tsunade-sama pour renforcer mon système immunitaire, répétai-je, sans ciller. Le mensonge m'allait tellement bien dans ce genre de situation. Ce contraceptif faisait effet durant sept jours. Je serais tranquille au-delà des cérémonies, et si le destin me forçait à courber l'échine dans la couche d'Itachi Uchiwa, je n'aurais plus à en craindre les conséquences. Mes yeux inquiets admiraient désormais la brunette s'agiter devant ma garde-robe en ébène laqué dont elle avait violemment ouvert les portes. Elle mettait à terre toutes les précieuses pièces de tissus, hanfu et kimonos se succédaient dans une envolée de couleurs. Je penchai la tête sur le côté, perplexe.

« -Tenten-san... » l'interpellai-je. Non pas que je tenais à ces vêtements, mais son attitude me mettait mal à l'aise. Une domestique n'était pas censée faire cela ? Si ?

« Pardonnez-moi, Sakura-sama. Toutefois, j'ai surpris Shisui Uchiwa-san poser des questions à Kurenaï Yuhi au sujet de votre robe sombre.

-Que.... »

Je me souvins brusquement de l'attitude sévère de l'empereur lorsqu'il me vit portant l'habit de luxe, sa colère sourde qui m'avait ébranlé d'une onde d'incompréhension.

-Cette robe ? Qu'a-t-elle donc ? L'empereur en était fâché...

-Je crois...qu'elle appartenait à l'ancienne concubine. »

L'ancienne ? L'Uchiwa ? Pardon ? Elle était au courant. J'avais l'impression que tout le monde dans ce foutu palais en savait plus que moi. J'en tirais une espèce de frustration douloureuse. J'avais ce besoin de savoir, pour m'en sortir, pour être plus forte. Shannâro ! Mes mains en tremblaient de rage alors que le regard inquisiteur du souverain traversait à nouveau ma mémoire. Un brasier couvait en moi, et Tenten n'arrangea rien en poussant de petites exclamations injurieuses à chaque habit qu'elle dérobait de son écrin.

« -Tenten... » répétai-je froidement, « Dis-moi ce qui... »

Trois coups portés à la porte de mes appartements m'interrompirent et figèrent la servante. Derrière la cloison, une voix bien familière perça avec sévérité :

« -Sakura-san. C'est Kurenaï. Ouvrez, s'il vous plaît. Je suis en compagnie de Shisui Uchiwa-dono. C'est important. »

Mes prunelles colorées d'une panique effroyable croisèrent la figure décomposée de la fille aux chignons. Merde. Pourquoi me sentais-je coupable alors que je n'avais rien fait ?

« I..Ino-sama... » soufflai-je doucement, par peur d'être trop brutale. Elle m'avait signifié à plusieurs reprises aimer se lever tard, mais son emploi du temps était chargé en ce troisième jour de cérémonie. Un sourire épanoui fleurissait à ses lèvres prouvant qu'elle n'avait toujours pas quitté le monde des songes. Son front pâle était recouvert d'une fine pellicule de sueur et je ne l'avais jamais vu aussi échevelée. La couche était sans-dessus dessous et j'avais presque honte d'être présente pour assister à ce lever intime. L'empereur devait avoir quitté peu avant l'aube, je supposais.

« -Itachi-sama... »soupira-t-elle en ouvrant les yeux pour les fixer sur mon visage empourpré. « -Il était là, cette nuit. Préparez-moi mon bain, Hinata-san. Je vais en avoir besoin.

-Bien, répliquai-je en serrant discrètement le poing. Le « san » ne m'avait pas échappé. C'était plus qu'un manque de respecté ; c'était une familiarité que je ne pourrais jamais accepter dans cette position d'infériorité. Je n'avais jamais utilisé mes mains pour servir une autre. Ce n'était pas ce que l'on attendait d'une héritière du clan Hyûga. En m'abandonnant si facilement au prince Sasuke et à l'impératrice, je comprenais aisément que mon père ne me ferait jamais l'honneur de diriger notre famille.

-La princesse Temari du Désert dîne avec moi ce midi, je suis vraiment impatiente de la rencontrer. Il faudrait que mes appartements soient apprêtés pour l'occasion. Vous pouvez autant de servantes que nécessaires à cette fin. Concernant ma tenue, j'apprécierai le kimono... »

Et ce que ses lèvres articulèrent m'immobilisèrent d'effroi. J'aurais voulu répliquer que c'était interdit, voire impossible d'accéder à une telle demande. Je secouai doucement la tête.

« -Ne restons pas plantées là. L'heure tourne... » s'agaça-t-elle alors qu'elle se redressait vivement.

Dit celle qui s'était levée le plus tard possible.

« -Oui. Toutefois, concernant votre tenue....le kimono de sang n'est réservé qu'aux impératrices qui ont enfanté un héritier et...il fait partie des affaires scellées de Mikoto-sama, se trouvant au caveau Uchiwa.... »

Un silence assourdissant gronda dans l'atmosphère de la chambre. Les prunelles de clarté d'Ino me dévisageaient avec une étrange bienveillance. Je pensais qu'elle s'énerverait face à mon effronterie, mais au lieu de cela, elle rit de manière étrange et finit par parler doucement :

« -Je comprends. Mais l'héritier sera là, très bientôt. Hinata-san, puisque vous avez si peur. Faîtes-vous escorter par ma garde. Vous ne serez pas seule. Je ne veux pas qu'il vous arrive, malheur. Vous m'êtes précieuse. Sans vous...je serai encore constamment seule. »

Elle claqua soudainement des doigts, me faisant sursauter et apparut l'ombre de Saï. Imperturbable, il s'inclina au pied du lit de sa souveraine. Je reculai d'un pas, dégoûtée. L'idée de faire équipe avec cet illustre inconnu, tout cela pour risquer les foudres de l'empereur me répugnait. C'était jouer avec un feu que nous ne pourrions ni contrôler, ni éteindre.

« -Saï, pourras-tu veiller sur elle quand il sera temps ? demanda-t-elle à son garde du corps.

-Compris, Votre Majesté, sourit-il. Hinata-sama. Me salua-t-il après. »

Il ne me restait plus qu'à préparer le bain impérial et prier pour qu'elle change d'avis. Je me demandais comment Tenten se débrouillait de son côté. Elle me manquait énormément. Sans doute, aurait-elle eu les bons mots pour convaincre l'impératrice.

« -Oh. J'oubliais. Fit-elle à l'attention du brun qui était sur le départ. Tu peux porter une invitation de ma part à Karin, la concubine. J'aimerais prendre mon thé avec elle ce soir. »

Ces sept jours me paraissaient interminables. A contrario, la nuit était passée à la vitesse de l'éclair. C'était la première fois depuis mon opération que j'utilisais à nouveau le sharingan. Cela m'avait un peu pris au dépourvu de retrouver la sensation du chakra libéré dans mes pupilles que j'avais eu l'habitude de ménager. Enfermer mon épouse officielle dans un genjutsu avait été plus ardu que prévu. Premièrement parce que je regretterai d'avoir à la manipuler ainsi. Deuxièmement parce qu'elle avait un mental de fer, paré à toute intrusion ce qui était courant dans son clan. Ces deux points finirent par devenir des formalités. Nous avions tous les deux eu ce que nous désirions : moi, la paix et elle...sa nuit de noces.

L'impatience et l'agacement que j'éprouvais durant ces festivités venaient de se muer en colère sourde. Depuis que j'avais découvert le kimono d'Izumi-san sur les courbes de Sakura Haruno, un feu s'était mis à brûler en moi. Je pensais (et espérais) sincèrement que la toute rose était innocente dans cette affaire. Toutefois, cela prouvait qu'il demeurait des individus au cœur du palais capables d'enfreindre les règles immuables que j'avais instauré. Et ils étaient impardonnables aux yeux de la loi.

Sur ces pensées parasitaires, je pris place sur mon trône, au sein du pavillon Amaterasu. Durant les premiers temps de ma maladie oculaire, les couleurs et décors extravagants de l'endroit avaient engendré des douleurs insupportables exigeant que je bande mes yeux rapidement. Quel plaisir de contempler à nouveau ce sanctuaire. La petite assemblée présente s'inclina dans un même mouvement. Les fronts étaient au sol et les dos courbés. La tradition était impitoyable. Et seuls les dignitaires du royaume du Vent y échappaient injustement. Cependant, je ne pouvais pas exiger de mon égal, de ployer genou. Les circonstances ne s'y prêtaient pas puisque nous avions besoin d'une alliance solide avec Suna. A ma plus grande joie, le visage de mon petit frère était apparu près de moi.

« -Empereur Uchiwa, » débuta Gaara, debout, les bras croisés et le regard fixé sur moi. «-N'est-il pas temps de négocier les termes d'une alliance ? Mes vœux pour vos noces auraient pu se contenter d'un messager. »

Le visage de mes ministres étaient graves et tous agenouillés, ils écoutaient attentivement.

« -Je vous ai indiqué nos conditions hier soir, articulai-je avec une pointe de lassitude dans la voix.

-Un mariage, affirma-t-il sans l'ombre d'un sourire. Vous souhaitiez unir ma sœur à l'un de vos princes. Et je n'étais pas de cet avis.

-Vous aviez, en effet, dit que vous feriez ce sacrifice de votre personne »

Il était temps d'en finir. Je m'accoudai confortablement et déposai ma joue au creux de mon poing, observant l'expression impassible de mon interlocuteur.

« -Offrez-moi une de vos concubines. Et l'Alliance sera scellée. »

Ma respiration se figea. Ses mots venaient de glacer mes poumons et je dus ciller. Des murmures éloquents secouèrent l'assemblée. J'aurais dû mal à rétablir le calme après une telle annonce. Venait-il m'humilier ? Dans mon palais ? Quelle étrange stratégie. Peut-être pensait-il pouvoir se passer de Konoha, et que son royaume nous était indispensable dans la guerre à venir ?

« -Vous souhaitez épouser l'un des concubines impériales ? » déclama soudainement Sasuke en descendant les marches de l'estrade qui soutenait mon trône. Je perçus un trouble dans son chakra habituellement si froid.

-C'est ma condition.

-Nous ferons sans votre.... » commença mon cadet avant que je ne l'interrompe :

-Laquelle ? »

Poussons l'audace. Voyons jusqu'au Gaara du Désert se permettait d'aller. Il ne me quittait pas des yeux et avançait, sûr de lui, ignorant le prince. Il déposa un pied conquérant sur la première marche de l'estrade. La barrière de mon nerf optique céda et le sharingan changea la couleur de mes pupilles. La suite dépendrait de sa réponse.

« -C'est ce qu'on appelle être pris la main dans le sac », sourit Shisui.

Un rapide coup d'œil dans un miroir proche me fit prendre conscience de ma pâleur. Et Tenten qui ne bougeait pas, droite comme un I au milieu de cette pile de vêtements. Le soupir de la gouvernante ne fit qu'aggraver les choses. Je resserrai fermement les pans de peignoir de soie blanche autour de moi, dans un geste défensif.

« -Shisui-dono ! » s'imposa la domestique après une courte inclinaison. -Quelle loi enfreindrai-je en m'occupant de ranger le linge de ma maîtresse ?

-Toute une série, si ce linge ne lui appartient pas. Laissez-nous seuls.

-Shisui-san, intervint cette fois-ci Kurenaï. Un brin de sévérité cassait sa voix autrefois bienveillante. -Si vous n'êtes plus son gardien, alors je ne peux accéder à une telle requête.

-Dois-je vous rappeler la gravité des faits ? Ou dois-je comprendre que vous la protéger, ce qui vous rendrait complice. Le mieux à faire, Yûhi-san. C'est de vous faire oublier.

-Je...

-Impossible, affirma Tenten. Décidément, elle n'avait peur de rien et je me sentais inutile, ballotée entre leurs échanges virulents. -Sakura-san doit encore prendre son bain, s'habiller et manger quelque chose. Veuillez repasser plus tard, s'il vous plaît. »

Elle ponctua sa demande d'une révérence rapide.

« -Sortez. » répéta-t-il gravement. « Je m'occupe du reste. »

La brune en charge du gynécée le fusilla du regard et s'empressa d'attraper la servante par le bras, qui malgré sa résistance sommaire, fut traînée hors de la pièce. Avant de quitter définitivement les lieux, elle pointa un doigt accusateur sur la silhouette de l'Uchiwa :

« -L'empereur sera informé, menaça-t-elle. »

Son port altier et son courroux sublimaient ses traits délicats. Hélas, sa furieuse attention se reporta rapidement sur moi :

« -Sakura-san. Nous aurons une discussion sérieuse à ce sujet. Je pense que l'ère du laxisme est révolue. »

Et les portes claquèrent sur son départ houleux. Un peu de sciure tomba du plafond, me remémorant la fragilité des charpentes depuis mon coup de poing ravageur sur le pilier central. Personne n'était encore venu réparer cette bêtise. Mes yeux écarquillés attrapèrent au vol les prunelles ténébreuses de Shisui. Notre confrontation visuelle et silencieuse dura de longues secondes. Elles me parurent durer des heures et lorsque j'aperçus le sharingan que j'avais moi-même contribué à sauver, il était déjà trop tard.

« -La plus effrontée des deux, répondit-il avec calme. »

Dans le dos du roi des sables, mon frère cadet avait également activé son dôjutsu. Karin était agaçante, mais pas effrontée. Cet adjectif convenait parfaitement à Sakura Haruno. Cela voulait-il dire qu'il l'avait déjà rencontré ? Je plissai les yeux, afin de discerner la moindre émotion sur le visage de mon homologue.

« -Vous souhaitez épouser Sakura Haruno. » repris-je. -Est-ce là la condition du royaume du Vent pour renouer une alliance avec l'empire du Feu ?

-En réalité. Je souhaite lui rendre sa liberté. C'est ma seule condition. »

De nouveaux éclats de voix, plus insolents que les premiers murmures de surprise inondèrent le pavillon. Je savais déjà que la rumeur allait se répandre comme une trainée de poudre. La colère bouillait dans mes veines, mais contrairement à Sasuke, je maîtrisais parfaitement mes sentiments. Et il était hors de question que le roi Gaara se doute de l'effet que ses exigences me faisaient.

« -Vous souhaitez consolider l'alliance sur la liberté d'une concubine.

- Pourquoi sont-elles si importantes à vos yeux, empereur Itachi ? demanda-t-il en plantant son regard chargé de khôl dans mes pupilles. »

Je levai la main. En un instant, ministres, conseillers et courtisans quittèrent le pavillon en s'inclinant. Inutile de parler ou d'ordonner. Les murmures ne cessèrent pas durant leur départ. Après ce dernier, ne resta plus que le roi Gaara, son frère et le mien. Un huis clos entre quatre paires d'yeux dont deux brillaient de l'éclat sanglant du dôjutsu Uchiwa. Je me redressai lentement et utilisai une technique de déplacement instantanée pour me retrouver proche de mon homologue. Nous étions désormais côte à côte. D'égal à égal.

« -Savez-vous ce qu'est l'immortalité, roi Gaara ? C'est la possibilité de transmettre son sang et sa volonté infiniment à travers le temps.

-Alors, la seule utilité que vous voyez en elles, est d'être des poules pondeuses ? souffla-t-il. -Pourquoi elles ? Davantage que d'autres ? Et votre épouse. N'a-t-elle pas ce devoir également ? »

Il était agaçant. Autant de questions dans une seule bouche...Je n'avais ni le temps, ni l'envie de répondre à cet interrogatoire impoli. Je n'avais aucun compte à rendre sur la gestion de ma vie « matrimoniale » et encore moins sur les us et coutumes de l'empire du feu. Le concubinage se pratiquait à diverses échelles de notre société : du prince au riche marchand, de l'aristocrate à l'empereur. L'entretien de concubines nécessitait forcément une certaine aisance matérielle ; mais la loi l'autorisait. Chaque homme avait ses raisons ; de la passion au besoin d'avoir un héritier en passant par la concupiscence. Je serrai le poing au creux de la manche de mon kimono, par-dessus lequel j'avais revêtu l'armure impériale.

-J'accepte, tranchai-je froidement.

Il fallait mettre fin à cette mascarade. L'alliance avec Suna était un mal nécessaire pour la sauvegarde de mon empire. Sans le soutien du Vent, nous ne pourrions remporter la victoire sur la nation de l'Eau. Inutile de négocier indéfiniment. Il ne demandait que ça. Et je ne devais absolument pas montrer être affecté par la perte d'une concubine, quand bien même il m'en coûterait. D'ailleurs, j'aperçus dans ses yeux, un fragment de surprise.

« -Je vous offrirai Karin, toutefois. Et cela est non-négociable. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top