Chapitre 9

Je  décide de rejoindre le jeune Louis, plus amène, son jeune visage respirant l'honnêteté.

— Bonsoir Elisabeth, je suis bienheureux de vous voir ici. Avez-vous apprécié le jeu ?

Je retrouve le sourire.

— De même, et oui, j'ai trouvé la musique surtout, d'un accompagnement parfait, me réjouis-je.

— Oh oui, vous êtes musicienne, vous devez avoir l'oreille pour ces choses, confirme-t-il.

— Je l'ignore, mais c'est bien aimable.

Je suis si anxieuse lorsque je saisis que le maître virtuose de la musique est en pleine conversation avec le Roi, juste à côté.

Soudain, je me fige complètement. Ils ont tous deux cessé de parler et leur attention semble se tourner vers nous. Je m'incline maladroitement.

— Bonsoir Mademoiselle. Vous avez apprécié la représentation ? demande Sa Majesté.

— C'était très beau, répond de suite son petit-fils.

— Tant de contrastes et de paradoxes..., poursuit-il.

Soutenant son regard, je murmure en me souvenant :

— « Les enchantements les plus doux sont les plus redoutables.. »

Oh oui, Sire, et ils sont véritables ; les sentiments amoureux sont une parfaite illustration de la complexité humaine.

Et la musique elle.. Elle m'est allée droit au cœur.

— N'est-ce pas ? Un vrai chef-d'œuvre, Monsieur, assure le souverain.

Le compositeur et musicien m'adresse un sourire engageant ; je désire lui conter toute l'admiration que j'ai pour lui et son œuvre, mais je reste comme paralysée.

— C'est un honneur, Sire. Honoré de ce que mes humbles talents puissent satisfaire Sa Majesté, si grande.

Il lui répond d'un léger signe de la tête, puis s'adressant à moi, bien aimablement :

— Mademoiselle de Lisière, passez une très bonne soirée.

Il prend congé, je m'incline.

— Je crois que mon grand-père ne déprécie pas votre présence, me murmure le jeune prince. J'en suis bien aise, car je compte vous voir régulièrement.

— Ahah, moi aussi Louis. Vous avez donc pu rendre votre rapport sur l'Histoire de France ?

— Oui, mon maître Fénelon était tout aussi étonné que moi que je sus retenir autant de choses ! C'est à vous que je le dois.

J'en suis bien contente.

Nous parlons encore un peu, puis je tente de rejoindre les portes de sortie, il y a tant et tant de monde, même dehors.

J'ignore si je reverrai Jérôme.

La nuit est désormais tout à fait tombée, le ciel est dégagé, et les étoiles brillent.

Soudain, je pense le reconnaître dans toute cette profusion de brocarts, de chapeaux larges plumés, et de robes à jupons brodées.

Je crois que lui aussi, je m'aventure dans les jardins qui entourent le Palais, il m'y rejoint assez tôt.

— Nous nous sommes perdus pour nous retrouver, c'est ce qui importe, murmuré-je avec un sourire particulier qu'il ne pourra distinguer. La soirée était tout de même bien agréable, je vous remercie.

— Nous n'aurions pu tomber mieux concernant la qualité de l'opéra.

— Je suis bien d'accord. J'en étais si pénétrée..., dis-je encore émue.

Nous éloignant de la foule bruyante, nous nous contons nos passages favoris, nos avis sur les costumes, le jeu, ils se rejoignent souvent.

— « Quelle erreur, quelle folie, de ne pas jouir de la vie.. », murmure-t-il de sa douce voix, citation de l'opéra.

Petit à petit, le silence nocturne nous environne.

Je me prends à contempler le ciel, il fait de même.

À la lumière opaline de la lune, pleine ce soir, j'ai le loisir de voir son visage sous ces rayons. Le revoir rire quand je riais, émue quand je l'étais, enveloppe d'une telle chaleur ma poitrine.

— Reconnaissez-vous les constellations ? demande-t-il soudain. Voyez-vous, Orion, qui se présente à nous ?

Il tente de me la présenter de son index. Il en est presque admiratif. Je reconnais que le ciel étoilé est d'un plaisir extrême pour les yeux.

— Ce chasseur à grande force de la mythologie grecque ? Oh oui je le reconnais, il semble même qu'il est muni de sa massue, remarqué-je fièrement.

— Sa massue ? Où la voyez-vous ? Je vois sa ceinture, si vous voulez mais...

— Plus haut ? Ici ? essayé-je de lui montrer.

— Oh à côté de celle du Taureau, ma foi, oui ! C'est exact.

Et il en sourit, content innocemment.

— Vous connaissez le ciel ? reprends-je.

— Il est fascinant lorsqu'on s'y attarde..., sa voix se brise, il baisse le regard. Disons que j'eus quelques temps où je n'avais d'autre chose à laquelle m'intéresser...

Nous nous regardons, ressentons cette oppression partagée, qui m'empêche presque de respirer.

La solitude. Quelle atrocité. Les larmes et le malaise me viennent.

— Mes frères me sont bien plus jeunes. Je les observais s'amuser de ma fenêtre, poursuivant ma troisième heure de cours sur le négoce et les monnaies.. Enfance bien agréable me direz-vous.

— Navrée.. C'est un sentiment partagé. Le seul qui prenait le temps de m'écouter, mon père, me quitta et dès lors je...

— Vous étiez proches ?

— À dire vrai, non, comme peut l'être un père et sa fille de notre condition, mais une fois qu'il ne partit plus à la Cour, nous passions du temps ensemble. Nous lisions, jouions d'instruments, parlions de tout...

Je me remémore ces doux souvenirs.

— Ce devait être d'excellents moments, commente-t-il.

— Oui, je chéris ces souvenirs.

J'en souris, je me sens presque comme dégagée d'un poids, simplement voir ces temps comme joyeux, passés, mais chéris.

— Me concernant, mon seul confident fut mon destrier, noir, un frison, il en rit presque. Ne me demandez pas s'il me répondait, mais au moins, il m'écoutait, précise-t-il.

— Je n'étais point en train de vous juger, ahah.

— C'était une bien belle monture, mes meilleures balades étaient en sa compagnie. Il lui arrivait certes de manger mes cheveux, mais.. Je lui ai pourtant maintes fois expliqué que ce n'était pas comestible !

J'en ris malgré moi, surtout si je me mets à l'imaginer.

Arrivés aux bordures du jardin, nous revenons sur nos pas, pour nous asseoir sur un banc.

— Vous avez évoqué les instruments avec votre père.. Les maîtrisez-vous ?

Baissant les yeux, plissant ma robe, je prononce doucement :

— Suffisamment pour vous lire une partition, oui. Je me suis essayée à l'écriture de quelques morceaux...

Il en reste presque coi, puis la voix empreinte d'enthousiasme :

— Vous êtes pleine de surprise. Ce serait un tel honneur de pouvoir les écouter ! Enfin, si vous le désirez.

Un tel intérêt me surprend et m'enchante à la fois.

— Si vous y tenez.

— Que faites-vous après ? demande-t-il brusquement.

— Oh, je n'ai rien prévu.

— Je crois que votre spontanéité est contagieuse, voudriez-vous que nous rentrions à Versailles ensemble ? À moins que vous ne trouviez cela inconvenant, j'en conviens..

Je l'interromps :

— Nullement, je vous en remercie. J'allais devoir rentrer seule, mon oncle m'ayant emmenée doit rester sur Paris pour affaires...

À dire vrai, moi non plus je ne voulais plus le quitter.

Nous parlons aisément de bien des choses, nous rions, racontons des anecdotes, évoquons notre enfance. J'apprends beaucoup sur Vienne, et les paysages germaniques, que je rêve désormais de pouvoir contempler.

Puis viennent parfois des silences, doux et savoureux, où la présence de l'autre est appréciable.

— Y repensant, j'ai un clavecin dans mes appartements, dans l'antichambre. Si vous n'êtes point trop épuisée, peut-être..., hasarde-t-il.

— Oui, c'est d'accord, réponds-je immédiatement. Volontiers.

Nous arrivons, nous descendons dans la cour intérieure, puis au moment de rentrer, je n'entends que mon cœur battre. Savoir qu'il me jugera, je l'ignore...

Et si je n'étais pas à la hauteur ? Que je le déçois ?

Puis, le voyant, sous ce clair de lune, me souriant naturellement, je lui rends, et me sens tant à mon aise.

Je découvre alors une splendide antichambre dans l'air du temps, dont les couleurs naturelles rendent l'endroit chaleureux. Des bougies sont en train d'être allumées.

Un superbe clavecin trône. Je m'y approche, m'y assois, et caresse son bois du bout des doigts.

Il revient à mes côtés, ayant quitté sa veste et son chapeau, toujours son sourire aux lèvres – si spécial surmonté de sa fine moustache.

— Vous les connaissez toutes de tête ?

— Oui, même si parfois il est nécessaire que je survole la partition en amont.

Il opine, puis vient amener un tabouret, et s'approche, tout près, de l'instrument et de moi.

— Hier soir j'ai repris un morceau, et l'opéra de ce soir m'a inspiré, je vais vous le reprendre... Il débute ainsi..

Je place délicatement mes doigts sur les touches. Je sens sa respiration, l'entends, et la ressens, il est là, attentif, prêt à m'écouter.

Je ferme les paupières, la mélodie m'apparaît et me revient, puis je joue ; librement, transportée.

— Élisabeth, c'est magnifique..., susurre-t-il.

— Puis, ici j'avais pensé reprendre le début de l'opéra...

Soudain, sa main se joint aux miennes, et fait l'accord auquel je pensais.

— Oui, celui-ci ! confirmé-je.

Alors je reprends le passage, lui continuant de faire l'accord en question.

Ses yeux azur brillant à la pâle lueur d'une bougie, je l'observe jouer avec moi, en harmonie, heureux de simplement être dans la mesure et de jouer.

Je savoure l'instant, désirant que le morceau soit infini.

Je me revois quelques années plus tôt jouer ainsi avec mon père. Je dois en sourire de nostalgie, non de chagrin.

— C'était plutôt agréable à l'oreille ! Qu'en pensez-vous ? dit-il fier de sa performance une fois fini.

— Si, tout à fait.

Soudain, on nous amène un plateau avec deux tasses fumantes.

— Puisqu'il fait frais, j'ai pensé que vous aimeriez boire quelque chose de chaud... Et comme j'ignorais si vous buviez le chocolat avec du lait, j'ai pensé que vous aviez les mêmes goûts que moi... Donc c'est avec.

— Vous avez bien pensé. Merci beaucoup.

J'enserre la tasse de mes doigts, sentant la chaleur se diffuser, puis en buvant une gorgée, je savoure, joyeuse un peu à l'idée que nous ayons les mêmes goûts.

— Tout est de votre propre invention ? reprend-il, après avoir bu une gorgée et posé sa tasse.

— En partie de mon père.. Il était musicien et compositeur à ses heures perdues.

— Il était doué. En avez-vous d'autres de la sorte ?

Alors ravie, j'opine, et lui fait part de mon éventail de musiques préférées. Lorsqu'il s'agit d'opéra d'air plutôt connu, qui ont rencontré du succès, souvent avec un air d'Italie, il prend plaisir à les reconnaître et les nommer. Cela m'amuse.

— Sincèrement Mademoiselle, vous avez du talent. Et je dois vous avouer que la première musique que vous m'avez jouée était tout à fait plaisante et reposante. Lors de moments où l'esprit est embrumé, elle serait un bon remède.

J'en suis si touchée, je souris simplement, les lèvres plissées, les yeux sur le clavier, le cœur enseveli sous la joie.

Touchant ma gorge et mon collier, je repense à mon cher Jules, qui m'a toujours soutenue.

— Monsieur... Il faut que vous sachiez que j'ai pour très proche ami un homme, je désirerais que vous vous rencontriez et fassiez connaissance. J'ignore pourquoi, cela m'importe... Comprenez-vous ?

— Oui, et je suis honoré de ce que vous ayez de tel désir, et cela va de soi. Je serais bien aise de le rencontrer.

Une telle réaction me rassure et me réjouit.

— C'est un ami d'enfance. Nous nous côtoyons depuis toujours. Il est de la famille de Luynes, continué-je.

— Oh je crois voir de qui il s'agit. Il est de bonne compagnie, à ce que l'on dit.

J'opine, ravie.

Nous nous sommes quittés que très difficilement, avec le désir ardent de se revoir le lendemain, après moult souhaits de bonne nuit et de civilités.

Allongée dans mon lit, dans les appartements vides de mon oncle, je ne saurai décrire comment je me sens.

La nuit fut courte, le sommeil léger.

Très tôt, je suis déjà levée, attablée, avec une Mélanie au sourire béat.

— Oui, Mélanie, c'était merveilleux hier soir. En tout point, lui assuré-je.

Soudain, la porte d'entrée s'ouvre, et une voix familière prononce :

— Ah oui ? Raconte donc.

C'est Jules, ce grand blond aux habits rutilants, qui quitte son chapeau pour venir à mes côtés.

— Installe-toi, petit curieux. Je suis donc dispensée d'un bonjour ?

— Bonjour, Élie.

Il m'offre un grand sourire de satisfaction, encore plus lorsqu'il voit mon amie rousse lui tendre de la brioche.

— À dire vrai, j'ai croisé Louis-Alexandre, il m'a déjà tout conté. Les acteurs, les décors, le triomphe..., marmonne-t-il entre deux bouchées.

— Et Jérôme..., ajoute Mélanie, contenant son excitation.

Il fronce les sourcils, et cesse de manger.

— Qui ? reprend-il.

— Jérôme de Lorraine, dis-je mes yeux dans les siens. Tu sais, le Duc, nous avons passé la soirée ensemble hier.. Je t'ai évoqué, par ailleurs.

— Mademoiselle aurait donc un penchant pour ce jeune duc ? me taquine-t-il. Serait-il donc beau, brave, et charmant ?

— Ma foi..., m'amusé-je à lui répondre, puis plus clairement : J'apprécierai beaucoup que vous vous rencontriez. Demain soir par exemple, à la soirée d'appartement.

— Bien sûr. Je suis certain que nous nous entendrons, et que tous mes préjugés de la dernière fois ne sont que faussetés.

Je me lève de ma chaise, viens derrière lui, et l'entoure de mes bras, posant ma tête sur son épaule.

Sa main se pose sur la mienne, je murmure d'une voix enfantine :

— Merci !

— Tu dois vraiment y être attachée.

Je le ressens ainsi, oui.

— Pour cet après-midi, j'ai promis à Louis que tu l'accompagnerais à l'observatoire.

Je retire mes bras, et m'étonne :

— Comment.. ?

— Avoue que cela te fait plaisir, rétorque-t-il.

— Oui, beaucoup ! Merci !

— Tant que tu y es, je peux avoir un baiser sur la joue, dit-il en me la présentant de son doigt.

Celui-là alors, toujours un enfant. J'obtempère.

Je me rassis, et j'ai alors les mauvais souvenirs de la veille qui me reviennent.

— Jules... Louis-Alexandre je crois que..., commencé-je.

— Il est singulier. N'est-ce pas ? Oui, il m'a évoqué la situation en Angleterre, et paraissait bien informé. Je n'ai même pas saisi où il voulait en venir. Et puis, je le sais contrarié – je me suis encore désisté pour une soirée, j'étais épuisé – mais il en plaisantait, je pourrais dire comme de coutume, mais cette fois-ci... Il semble cacher des choses, il parlait bien trop gaiement pour que cela ne soit pas joué.

Aussi, à un moment, il paraissait vouloir me confier quelque chose, j'attendais qu'il parlât, mais il n'osa. Ce qui croît mes inquiétudes...

— Vous devriez parler en intime, l'entretien est nécessaire...

Je n'ose pas lui évoquer sa haine de la veille, et sa jalousie, il semble y avoir suffisamment de quiproquo dans leur relation, je ne ferais que jeter de l'huile sur le feu.

— Tu as raison...

Soudain, il s'interrompt, déglutit, et prend une voix grave :

— Élie. Ma mère m'a dit qu'hier le Roi t'avait parlée.. Je me fais quelques soucis. Sache qu'on doit te haïr pour cela.. Je le suis aussi, de quelques courtisans âgés auxquels il ne faut pas prêter attention, cependant.. Sois courtoise, comme eux le sont d'apparence. L'envie et la jalousie sont partie intégrante de la Cour.

Je me mords la lèvre inférieure. Je l'ai saisi la veille. J'opine.

— Mais, ne t'en fais pas, je suis là ! fait-il fièrement.

— Et bien Monsieur, vous ne changez point ! rit Mélanie, en revenant à nos côtés.

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