Chapitre 8
Une fois dans ma chambre à coucher, changée, Mélanie me démêle les cheveux, peinant à garder le silence qui me suit.
Je sais que trop de questions la secouent.
Au bout de deux coups de brosse, elle n'en puit plus :
— Mademoiselle, dites-moi tout. S'il vous plaît. Que vous arrive-t-il ! Un tel calme ne vous ressemble pas ! Et veuillez bien me conter qu'est-ce qui vous a pris de si bon matin, à peine le soleil levé, de partir ainsi au dehors !
Elle me soutire un léger rire.
— Je suis partie me promener à cheval, comme je l'ai déjà fait en Lisière.
— Oui, mais vous le faisiez lorsque vous vouliez fuir un chagrin trop lourd.. Quelque chose vous met donc en peine ?
Oh non, je sais.
Elle se prend une chaise, se place à côté de moi, et me sourit béatement, posant ses deux mains sur ses joues rondes.
— Mademoiselle a rencontré du monde la veille, à la soirée. Du très beau monde.
— Mélanie...
Je ris, elle ne change donc pas.
— Avez-vous trouvé quelque Monsieur plaisant ?
— Bien sûr.
— Oh qui donc ! s'enflamme-t-elle.
— Jules, m'amusé-je à lui répondre.
La déception est telle sur son visage, que cela valait le coup.
— Mademoiselle... Je sais bien que vous n'avez aucune inclination pour lui, vous jouiez ensemble dès le berceau.. N'a-t-il pas quelques amis ?
— Si, j'ai rencontré le jeune Duc de Bourgogne aujourd'hui.. Bien aimable.
— Il est encore enfant à ce qu'on m'a dit.. Mademoiselle !
Ce petit jeu l'insupporte, mais je crains que si j'évoque Jérôme, elle n'en finira pas de me questionner et ce, sans répit les jours suivants.
— Continue à bien t'occuper de moi comme tu le fais si bien, et n'aie crainte, je te l'assure, s'il s'avère que j'ai du goût pour une quelconque personne tu en seras la première avertie.
Elle se satisfait de cette parole, et reprend donc son entreprise, le brossage de mes longs cheveux blonds.
Me réveillant doucement, et admirant les pâles rayons solaires matinaux, rêveuse je pense déjà au vendredi soir, à l'opéra, et à Jérôme.
Je remarque soudain une boîte de velours sur l'un de mes meubles d'acajou.
Je m'en saisis, l'ouvre, et découvre alors un splendide bijou, un collier de perles avec de petits diamants, accompagné d'un mot :
« Tu ne t'habilles jamais la gorge, aussi ai-je voulu y remédier,
Jules. »
Quand se l'est-il procuré ? Comment ? Et à quel prix !
— Oui, un de ses gens est passé avec ceci tantôt, il est magnifique. Vous avez là un bien bon ami.
Cela ne m'étonne pas de lui. Il m'a toujours gâtée.
— Il se marie parfaitement avec l'une de vos robes bleues..
Et elle part me trouver ladite robe. Sous la boîte, je distingue alors un autre mot, différent :
« Vivement vendredi, que j'ai le loisir de sourire sans que cela ne soit dicté par les convenances, mais par pure et honnête joie de voir un être aussi plein de bonté et de bienveillance que vous l'êtes.
J. »
J'en reste coite, un peu sottement émue, et serre fort le papier entre mes doigts.
Mélanie revenant vers moi, je le cache bien vite dans le tiroir. Après avoir revêtu l'habit, elle me pare du bijou, tout simplement magnifique.
Je vais pour remercier mon meilleur ami, que je croise alors le jeune prince, qui vit au même étage. Épais livre en main, il paraît embêté.
— Oh bonjour Élisabeth ! Comment vous portez-vous ? Me voici bien aise de vous revoir.
— Bonjour Monseigneur, je vais bien, et vous ?
Je lui offre un sourire amical, qu'il me rend.
— J'ai ce bien lourd recueil d'un ennui assuré sur l'histoire du royaume de France à lire..
Il me présente ledit recueil, et il s'avère que je l'ai déjà lu.
— D'un ennui dites-vous ? m'offusqué-je. C'est parce que vous ne percevez pas les choses de la bonne façon, laissez-moi vous convaincre du contraire.
— Oh, je ne veux guère vous être importun.. Peut-être avez-vous des obligations..
— Oh non, je vous le propose car il s'agit de mon plaisir Monseigneur.
— Merci bien Élisabeth. Et pouvez-vous me nommer Louis ? Après tout, ne sommes-nous pas du même âge à peu de choses près ?
Seulement trois ans nous séparent, j'acquiesce, honorée et ravie.
Il me mène donc à son cabinet de travail, il y a aussi une bibliothèque réduite.
— Avez-vous quelques cartes ? Elles sont parfois nécessaires.
Il me donne ce que je lui réclame, et alors, commençant la lecture qui débute avec les gaulois, je prends plaisir à y mettre le ton, à commenter, à lui montrer, et lui à me répondre, à rire, et à me questionner.
J'essaie somme toute de donner vie à cette histoire, de l'animer, de faire revivre ces événements marquants, et cela passe parfois par une imitation peu crédible mais bien risible des principaux personnages historiques concernés.
Je lui découvre un intérêt particulier pour le Nouveau Monde et ce qu'il s'y rapporte. Tant d'inconnus, de mystère, et de découvertes.
— Élisabeth, vous êtes formidable, vous êtes parvenue à vos fins, vous êtes ingénieuse. Je le concède ce livre a de nombreuses vertus.
— Je déplore que nous n'en soyons encore qu'à la moitié... Mais il vous faut dîner.
— Merci grandement Élisabeth.
Si l'on a de la reconnaissance à mon égard, peut-être ne suis-je pas si inutile..
— Je vous suis obligé, vous me le rappelerez.
J'acquiesce, souriante, l'en remerciant. Il me raccompagne jusqu'à la porte de sortie. Traversant les Appartements du Dauphin, nous croisons son père.
Je me plonge dans une révérence, surprise.
Imposant, des boucles blondes solaires, à peine la quarantaine d'années, je l'ai déjà croisé la veille à la Chasse, à laquelle il fut fort bon par ailleurs.
— Père, n'ayez d'inquiétude, j'étais à mes études, la compagnie d'Élisabeth ne m'a été que propice à la concentration.
Je garde un sourire figé.
— Je vous souhaite le bonjour Monseigneur.
— Oui, bonjour, ainsi c'est vous que mon fils ne cesse d'évoquer. Je vous dois beaucoup si vous êtes parvenue à lui donner du goût pour les livres et pour la Chasse. Hier, n'était-ce pas seulement la deuxième fois que tu nous accompagnais ? Cela a fait plaisir à ton grand-père.
Mon jeune ami opine, semblant ravi, et moi encore plus. La famille royale reste une famille, au-delà de son devoir de représentation et de divinisation. Oui, j'ignore pourquoi, penser au Roi souriant sincèrement de la présence de son petit-fils m'émeut.
— Allons dîner mon fils. Bonne journée Mademoiselle, je suppose que nous nous reverrons tantôt. Je connaissais votre père, j'ai fait le siège de Namur avec lui, il était alors commandant, un bon tacticien.
Si je pensais pouvoir me vanter d'avoir côtoyé le Roi et le Dauphin quelques instants, mon père fit bien mieux. Je me sens plus légitime à me mouvoir parmi la Cour.
Je me sens proche de lui comme jamais ressentie encore.
***
N'en ayant rien dit à Mélanie, quelle surprise lorsque j'annonce à cette dernière, cinq heures venant de sonner, que je me rends au Palais du Louvre, le soir même.
— Mademoiselle, c'est une plaisanterie ! Je..! J'en perds mes mots..! Mais c'est qu'il faut que vous soyez bien arrangée ! Roseline, allez quérir des rubans et des perles ! s'affole-t-elle.
Je ris devant tant d'entrain, mais à dire vrai, j'en suis autant excitée qu'elle.
— Du calme Mélanie, du calme, lui intimé-je amusée.
Elle tente de se ressaisir, faisant un exercice de respiration, puis attachant négligemment son épaisse chevelure de feu, elle se hâte d'ouvrir ma garde-robe et d'y juger chacune des robes qui la compose, éternellement insatisfaite.
La fameuse Roseline nous rejoint, embarrassée.
— Mademoiselle, je crains que... Vous savez, les fonds sont plutôt limités..., murmure-t-elle le regard baissé.
Une sorte de mal au cœur me prend, j'en ai bien conscience...
— Nous allons faire avec nos moyens, cela n'est pas grave Mademoiselle, nous avons déjà bien suffisamment de quoi ! me rassure mon amie.
J'opine timidement, et la laisse faire de ses mains expertes. Elle parvient encore une fois à me sublimer.
Soudain, entre mon oncle et son traditionnel air suffisant.
— Ah, Élisabeth, vous voici, vous vous rendez à Paris ce soir ? Je vous y mène.
Je me vois dans l'obligation d'acquiescer.
— Joli ce bleu, dit-il à voix basse en refermant la porte.
C'est vrai que sur ce bleu sombre, les broderies dorées ressortent. Il vient de me complimenter ?
Alors qu'elle finit de colorer mes lèvres, j'ai un délicieux sourire qui la rend suspicieuse.
— Que cachez-vous ?
Puis me revient la promesse que je lui ai faite, et je dois avouer que j'apprécie la compagnie de Jérôme...
— Je m'y rends avec quelqu'un, lui avoué-je.
— Oh je le savais ! Qui ? s'impatiente-t-elle.
— Il se prénomme Jérôme. Il est brun, aux yeux clairs.. et je trouve que mon humeur a du rapport avec la sienne.
Elle en est toute émoustillée.
— Il faudra que vous me le montriez ! Il m'a l'air charmant.
Mademoiselle, amusez-vous, profitez, savourez la soirée.
Elle se tapote légèrement le dessous des paupières. J'ignorais qu'elle serait dans un tel état.
Elle change soudain pour un ton bien dur :
— En revanche, s'il s'avère n'être qu'un impertinent, croyez-moi, il y a toujours mieux. Et vous méritez ce mieux.
C'est elle qui m'émeut. Je viens la prendre dans mes bras.
— N'aie d'inquiétude. Nous ne sommes encore que de simples connaissances.
— Oh Mademoiselle..., dit-elle surprise puis resserrant notre étreinte. Allez, il est l'heure, ne faites pas attendre votre oncle. Vous me raconterez ?
Elle pose sur mes épaules un châle délicat.
— Bien sûr.
Dans la cabine, la douce chaleur de mon étreinte amicale avec Mélanie s'est évaporée, c'est un froid glacial qui l'a remplacée, sous le règne d'un silence religieux.
J'ai la main sur mon collier de perles que Jules m'a offert, j'ai insisté auprès de Mélanie pour que je puisse le porter ce soir. Sa soirée de la veille avec la famille de Constance a été des plus détestables..
— Je ne rentrerai pas. Je dois rester sur Paris pour affaires, m'informe-t-il au milieu du chemin.
— Bien, mon oncle.
Il m'observe un instant, hoche la tête, puis reporte son attention sur le paysage défilant, passant une main dans sa courte barbe brune.
Que j'ai hâte de pouvoir admirer le Louvre, et d'écouter cet opéra ; le dernier que j'ai pu voir, c'était avec mon père. Torrent d'émotions, de prouesses musicales et vocales, c'était merveilleux. Je veux revivre un tel moment.
Je ne vais pas être déçue.
Les jardins des Tuileries sont envahis par toute l'aristocratie, les berlines et autres moyens de transport se succèdent, le ciel est déjà voilé, et la sombreur de la nuit donne un aspect presque magique au lieu.
Le Palais, exploit architectural de l'art baroque, est magnifié par les différents éclairages à bougies.
— Splendide, vous ne trouvez pas ? me surprend sa voix masculine.
— Oh c'est vous ..! Oui, en effet.
Mon cœur bat à tout rompre, malgré la faible lueur qu'il y a, je perçois son sourire. Il est superbe dans son habit ocre, doré, aux liserés bleus.
— Je vous avoue que je craignais de m'être trompé, me murmure-t-il. Je serais passé pour un bel impoli.
— Ahah, non, il s'agissait bien de moi.
— Tout aussi belle et ravissante que de coutume. Hm, entrons voulez-vous.
Je prends ce compliment sincère.
Il me semble qu'il s'agit de la première représentation de la tragédie lyrique, cela justifie un tel monde.
Nous entrons dans une grande pièce où la scène et ses épais rideaux s'élèvent.
Alors, apparaît la réelle raison de la présence de tous ces gens : Sa Majesté en personne, assise au premier rang, sur le fauteuil le plus élaboré et commode.
J'allais parler à mon ami, qu'il a disparu, je me fais rapidement interpeller par Constance ; j'en reste désorientée.
Elle me paraît de bien bonne humeur, toujours aussi sûre d'elle. Le chignon bien arrangé, la robe bien étincelante, et les pommettes bien roses.
— Oh bonsoir Elisabeth, comment vous portez-vous ? Vous êtes fort belle.
— Je.. Bien, merci, vous aussi.
— Vous voir ici ne m'étonne pas, me dit-elle, malicieuse. Il faut dire que vous êtes plus ambitieuse et réfléchie que je ne le pensais.
Je ne réponds pas, frustrée, ne saisissant pas la totalité de ce qu'elle insinue.
Elle et ses amies m'entraînent et me font asseoir au quatrième rang, j'ai le cœur qui bat à tout rompre, toujours consternée.
Où est Jérôme ?
C'est alors qu'une voix semble m'appeler, une voix familière, c'est le jeune Louis devant, amical.
Je lui réponds d'un signe de la main, avec un léger sourire.
— Je dois reconnaître votre ingéniosité. Le fils du Dauphin venant tout juste d'intégrer la Cour, avec sa jeunesse, il est facilement atteignable. Et il reste un membre de la famille royale.
— Atteignable ? reprends-je, les sourcils froncés.
— Ne faites pas l'innocente. Cela me rassure, laissez donc mon Jules de Luynes. Nous sommes promis. Le savez-vous ?
Elle arbore un de ses sourires en coin victorieux et insolents.
— Mademoiselle...
— Je sais, vous êtes seulement amis. Si vous le dites.
Elle acquiesce avec un petit rire moqueur presque strident.
Je reste dans la brume. D'autant plus que la foule semble s'être toute installée et que je n'ai toujours pas revu le Duc lorrain. Je suis mal à l'aise.
Mon regard errant dans la salle, à ma gauche, un peu éloigné, je le retrouve enfin. Il m'aperçoit aussi, il semble confus et s'excuse à mi-mots. Je le rassure d'un sourire.
Plus loin derrière, c'est un regard étonnement antipathique que je rencontre. Celui de Louis-Alexandre.
Il me trouble un instant, me demandant s'il m'est bien destiné ; mais oui, il s'agit bien de moi.
Je serais bien curieuse d'en connaître la cause.
Quelle étrange soirée.
Je reporte mon attention sur les dires de Constance, qui vante les mérites des acteurs qui joueront, elle m'apprend que le talentueux Quinault a été le librettiste.
Puis le silence vient, les rideaux sont tirés, les musiciens ont pris place, le chef d'orchestre s'approche, Lully en personne ; mon cœur s'arrête.
La musique débute, émouvante, les personnages entrent en scène, bouleversants, les répliques poignantes, l'histoire, m'emporte. Les paupières fermées tu ressens toute la profondeur des sentiments, et savoure l'excellence de leur chant ; les larmes me montent aisément.
Je tourne la tête maintes fois vers mon ami.
Je suis touchée de ce que lorsque je suis pénétrée, il l'est aussi, lorsqu'une réplique me révolte, lui aussi, lorsque je m'émerveille de la mise en scène, lui aussi.
Je vis ce moment avec lui. Nul besoin d'être côte à côte. Nos esprits sont liés.
Le triomphe est unanime. Total.
Les applaudissements font trembler les murs, Lully est loué, le Roi même montre son contentement.
Ce moment restera dans ma mémoire.
Immédiatement, les murmures s'élèvent, on admire telle réplique, tel passage, tel acteur, je me noie sous ce brouhaha incessant.
Soudain, on me retient par le bras. Louis-Alexandre.
— Éloignez-vous de Jules. Vous lui êtes d'une influence néfaste, me dit-il si durement, me faisant presque mal de sa main.
— Je vous demande pardon ? m'offusqué-je.
— Vous savez très bien.
Il me réserve un regard haineux significatif, et me quitte, je le perds parmi ce monde.
Je n'en reviens pas, qu'était-ce ? Qu'ai-je bien pu faire ?
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