Chapitre 7

— C'est à cheval, tu sais toujours y monter ? me demande mon ami, sur le chemin des écuries.

Les écuries m'auront vu maintes fois aujourd'hui. J'allais lui répondre que, oui en lui parlant de ce matin, que je me ravise.

— Bien sûr, à mon domaine j'ai continué à monter pour des balades, réponds-je plutôt.

Approchant, je découvre un tel monde, chevaux, aristocrates... Et surtout, sa figure centrale devant laquelle il y a tant d'inclinations. Elle se dresse si fièrement sur la plus belle des montures, dans toute sa splendeur, l'habit coloré et riche de brocarts.

J'ignore pourquoi cette scène me décroche un sourire. Je comprends mieux pourquoi l'on va jusqu'à assister à son lever ou à son coucher, il diffuse une aura particulière, on se sent privilégié rien que de pouvoir l'observer.

— Normalement, nous devrions retrouver mon père et Louis-Alexandre, mais je doute pour ce dernier.. Je crois qu'il est piqué de ce que hier soir je me suis désisté. Je devais aller avec lui à une fête parisienne.

J'ai un sentiment de culpabilité.

— Ne crois-tu pas que tu devrais cesser de rester à mes côtés tout le long de la journée.. Ça ne me dérangerait pas de passer quelque temps chez mon oncle, je lirai, et tu sais comme j'aime cela.

— Tu ne supportes déjà plus ma personne ? s'offusque-t-il, ironiquement.

— Jamais je ne dirai une telle chose ! Ahah, tu le sais bien, seulement...

Il m'interrompt :

— Élie, quatre ans que j'attends de pouvoir partager mon quotidien versaillais avec toi, j'en suis si heureux, ne gâche pas mon bonheur.

Que dire devant des paroles aussi sincères ? Rien, je monte en même temps que lui sur nos chevaux, le jeune Duc se joint à nous, et c'est ainsi que nous rejoignons le groupe de chasse.

J'ai déjà vu mon père partir chasser, mais je n'étais pas à ses côtés non plus, je sais seulement qu'il faut être bon observateur.

Monseigneur, s'en va naturellement près du Roi, son grand-père, celui-ci semble en pleine discussion avec un personnage important de la Cour.

— Oh Élisabeth ! Vous voici parmi nous ? m'interpelle cet aristocrate qui n'est autre que le père de Jules.

Ma joie de le croiser s'est vite dissipée. Je sens le lourd poids des regards, et surtout celui du Roi.

— Oui, c'est moi qui lui en fait la demande, s'immisce rapidement le jeune Louis.

— Sire, laissez-moi vous présenter Mademoiselle de Lisière, la fille aînée du feu comte, vous souvenez-vous ?

— Par quel hasard.. Je me demandais justement comment se portaient sa veuve et ses filles. Toutes mes condoléances Mademoiselle. C'était un homme courageux.

Bienheureux que vous soyez des nôtres parmi la Cour.

J'en suis intimement touchée.

— Merci Votre Majesté, prononcé-je simplement.

— Vous êtes une intime de mon petit-fils donc ?

— Oh, je ne puis dire cela...

— Nous nous sommes rencontrés ce matin grand-père, mais elle est d'une bien plaisante compagnie.

Il le dit le plus librement du monde, je sens une franchise et une innocence juvénile appréciables en lui.

Le Roi se permet de sourire énigmatiquement comme toute réponse. Finalement il me murmure :

— Je l'entends, vous êtes si agréable à la vue.

Je reçois ses paroles, tel un grand-oncle qui ne m'ayant vu depuis longtemps, me complimente par convention.

La chasse commence véritablement.

Elle fut fructueuse, c'était assez impressionnant, les chiens courant à en perdre haleine, les sons stridents des cors, la prestance du Roi, et Jules au milieu de tout ça, bien fier d'avoir repéré un cerf.

Chevauchant ainsi dans les bois, je ne peux que me rappeler de l'aube et de Jérôme. Une chaleur et une confusion inexplicables m'emplissent le cœur en y repensant, je souris niaisement.

Nous nous sommes si aisément confiés et compris.

Je me demande d'ailleurs s'il apprécie ce loisir.

— À quoi donc penses-tu ? se demande Jules, alors que nous arrivons à ces appartements.

J'ignore pourquoi je ne lui ai pas encore parlé de lui, le connaît-il seulement ?

— L'ambassade germanique, qui est ici en ce moment, comprend aussi la Lorraine, c'est cela ?

— Oui, et son duc est le tout semblable de son père, je ne perçois aucune différence. La même affabilité hypocrite et la même politique, il assure être pacifique et vouloir assurer nos deux intérêts, mais il continue à recruter des mercenaires et à acquérir des armes par derrière...

Je m'interromps dans notre marche, piquée, et consternée.

Hypocrite, Jérôme ? Bien au contraire, je l'ai trouvé d'une agréable franchise, et d'une parole honnête.

Soudain, Jules se pince les lèvres, paraissant embêté.

— Pardonne-moi Élie, c'est moi le plus vil et le plus à critiquer, je parle sans même l'avoir entretenu plus d'une fois... La Cour m'a rendu bien prompt à juger...

Jules reste l'homme bon qu'il est.

— Oui, tu n'as pensé qu'il est aussi bien jeune, et tu sais mieux que personne quelle lourde tâche représente la direction d'un domaine... Qui plus est toujours au cœur de conflit, comme l'est la Lorraine.

— Tu as raison, je suppose qu'il fait du mieux qu'il le puit.. Mais pourquoi parlons-nous de lui ? Me cacherais-tu quelque chose ? me taquine-t-il sans réellement y croire.

Nous entrons, et tombons sur sa mère assise sur un fauteuil, savourant un thé.

J'étais prête à prendre congé sans cérémonie sachant que je n'étais pas la bienvenue, que mon ami me retient.

Gardant son air suffisant, elle pose délicatement sa tasse, et articule de sa voix criarde :

— Jules, ce soir nous prenons le souper chez la famille d'Aumont. Tâchez d'être aimable.

— Je l'ai toujours été, Mère.

— Vous n'êtes pas sans ignorer les liens que nous entretenons avec cette famille, ni qu'il pourrait bien s'agir de votre future belle-famille.

Nos regards se croisent instantanément, surpris et figés, je lis une sorte de peur dans ses yeux. Il n'a aucune sympathie pour Constance, et moi je ne sais que penser d'elle.

Elle émet un petit rire moqueur.

— Vous l'ignoriez ? Mon fils, je vous pensais plus perspicace. À votre avis pourquoi votre père mettrait-il ainsi tant d'empressement auprès du Duc d'Aumont ?

Je crois qu'elle se fait un malin plaisir de lui annoncer la nouvelle de la sorte.

— Je vous ai toujours promis une belle et riche belle-fille, elle semble disposer des deux. Et elle m'est particulièrement agréable.

— Vous... Vous ne désirez pas que je finisse ma formation militaire avant ? balbutie-t-il.

— Si, bien entendu, le mariage n'aura pas lieu avant l'an prochain, et si vous avez à partir à l'étranger pour vos obligations, ce sera repoussé, elle est encore jeune.

Elle nous rapportera une somme considérable qu'est sa dot, et vous pourrez toujours vivre comme vous l'entendez.

Sincèrement, je n'entends pas la motivation de vos réticences.

— Il y a, mère, que pour Mademoiselle d'Aumont je...

— Vous n'avez aucune inclination ? Et ?

Soit. Si vous parvenez à trouver une jeune fille de sa condition, dont la dot s'élève au même montant, et qui s'avère être à votre goût, je pourrais y concéder.

Il fait une révérence, agacé, me prend la main, et me mène à sa chambre à coucher.

— Elle l'a fait tout exprès ! Elle ne vit que pour mon malheur, c'est insensé, crie-t-il presque.

Il soupire longuement. Puis il ne cesse de marmonner, passant une main sur son visage.

— J'aurais dû me douter que ce jour allait arriver..

Il s'assoit brusquement, puis tournant son regard vers moi, ses yeux se gorgent de larmes.

— Oh Jules.. Je..

Je me précipite pour venir saisir sa main, et la serrer doucement. J'en suis bouleversée autant que lui.

— Ma mère me hait, et pourtant, quelle contradiction, moi je... Je l'aime.

Si j'ai tant mis d'ardeur dans mes apprentissages, c'est parce qu'elle le désirait. J'ignore ce que j'ai pu penser, que si je devenais conforme à sa fantaisie, peut-être m'apprécierait-elle davantage.

Je déglutis, le cœur saisi, les yeux embués.

— Ce sont des pensées naturelles.. Ne te blâme pas. J'ignore qu'elle est la raison d'une telle inimitié à ton égard.. Tu ne le mérites pas, affirmé-je.

— Merci Élie.. Tu sais, parfois je pense que peut-être.. J'ai fait quelque chose qui l'explique, que j'en suis le responsable..

Je secoue activement la tête, venant prendre ses deux mains, je lui assure criant presque :

— D'aucune façon ! Jules, écoute-moi. Tu es intelligent, drôle, brave et généreux ! Tout le monde se plaît à tes côtés ! Ta mère ne t'apprécie pas à ta juste valeur, aucunement.

Tu es mon meilleur ami, que je chéris.

Il sourit légèrement, ému, et acquiesce, murmurant :

— Tu fais plus pour moi que n'importe qui. Merci, sincèrement. Comment faisais-je sans toi ?

Je lui tends un tissu, il rit avant de venir essuyer ses paupières.

— Nous trouverons quelqu'un pour toi, une jeune fille plus sincère que Constance.

Il acquiesce, avec un léger sourire, puis, observant les papiers qui abondent sur son bureau, il prononce avec sérieux :

— Élie, la situation en Angleterre. Elle devient inquiétante. On commence à se révolter contre le Roi, car il défend trop le catholicisme à leur goût..., dit-il soucieux.

Je m'étonne de ce changement de sujet, mais j'en saisis la gravité.

— Louis XIV pourrait-il afficher publiquement son soutien au Roi d'Angleterre ? Soutenant la même foi ?

— Cela est possible, et je crains les conséquences d'un tel acte...

J'opine muettement, je sens que nous évaluons mal la portée de tels événements.

Nous discutons ensemble, longtemps, j'ignore même comment pouvons-nous ne pas être à cours. On évoque Louis ; nous sommes d'accord sur son amabilité sincère, qui diffère des autres.

— Je préfère te savoir en sa compagnie, qu'en celles de mes amis..

Il me raccompagne, et traversant l'antichambre de la Duchesse sa mère, j'aperçois alors la belle harpe dorée qui s'y élève fièrement, mon mal au cœur revient.

Comment ai-je pu m'enorgueillir en me persuadant que j'avais quelque talent musical et que l'on puisse venir tout exprès pour m'écouter ?

N'est-ce pas inconvenant qu'une personne de mon rang, se relègue à un tel statut qu'est musicien ? En souhaitant en retirer de l'argent, n'était-ce pas vouloir travailler ? Une dérogeance !

Je suis si sotte. Je suis déçue de mes propres espoirs que j'ai imaginés sans fondement.

Une fois à mes appartements, je suis prise de rage, je me place devant le clavecin ornant l'entrée, munie de mes partitions brouillons.

Si je suis à Versailles c'est pour la musique, et si je n'ai pas encore les talents nécessaires, je m'entraînerai.

Je prends le morceau que ma mère avait dit apprécier et qui m'a mené ici, alors je l'arrange, le reprends, le recommence, emportée dans une boucle en quête de la perfection.

Je me laisse un instant persuader que ce n'est pas trop mauvais, avant de me convaincre du contraire.

J'aurais aimé pouvoir poser cette question à Jérôme. Il m'a dit que lui aussi aimait la musique. Penser soudainement à lui me fait sourire, d'un doux et léger sourire. Mais je me reprends bien vite.

Je m'occupe tant l'esprit et les doigts que je n'entends pas mon oncle entrer.

— Et bien ma nièce, que vous prend-il ce soir ?

M'interrompant soudain, croisant son regard, l'émotion me saisit, et les larmes me montent.

— Me trouvez-vous si mauvaise ? Être du sexe opposé empêche-t-il le talent ?

Surpris, il balbutie :

— Et bien, je.. Je l'ignore. Je ne vous ai jamais entendue.

Je tente donc de me concentrer, sérieusement, flattée au fond de moi-même qu'il prenne ainsi un peu de son temps.

J'essuie mon excès de sensibilité, et place doucement mes doigts sur les touches du clavier. Un œil à ma page noircie de rajouts et de modifications, et je laisse la mélodie me guider.

— Ce n'était pas déplaisant, conclut-il.

Et j'ai appris que vous étiez à la Chasse cet après-dîner, et que le Roi vous a adressé la parole. C'est bien. Ne vous chagrinez plus pour de telles sottises, réjouissez-vous plutôt. Le Roi vous a fait une grande faveur. On demande votre nom désormais, cela n'est que bénéfique pour nous.

Je reste muette. Ne sachant que dire, je l'entends claquer sa langue d'agacement, il me quitte.

Bénéfique pour nous ? 

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