Chapitre 25.1
— Votre mère est en chemin. On vient de m'apprendre qu'elle est entrée dans l'enceinte de la ville, m'informe Mélanie. Nous devrions nous rendre chez votre oncle.
Je me pince les lèvres, je n'oublie pas ces vérités qu'elle doit me révéler. Je crois préférer mon ignorance.. mais elle dut être ravie de mon billet.
— Que Jules soit des nôtres, j'aurai besoin de lui.
Mon amie acquiesce et s'empresse d'aller le quérir, disparaissant derrière la porte.
Pleine d'appréhension, je m'avance à pas lent vers cet hôtel particulier où je vécus de longues semaines.
Plus d'hésitation, je me dois de garder la tête haute. On m'ouvre, et m'amène dans l'antichambre où ma mère est déjà assise, savourant un thé encore fumant. Toujours vêtue de couleurs sombres, et ses cheveux blonds bien attachés.
Plus de trois mois que nous nous sommes quittées. Trois mois durant lesquels ma vie changea du tout au tout. J'ai la désagréable sensation de voir en elle une étrangère.
Je prends mon courage à deux mains, et tombe dans une inclination polie. C'est mon oncle qui me salue en premier, m'invitant d'un signe de la main à m'asseoir.
— Bonjour Elisabeth. Ou devrais-je dire Mademoiselle la comtesse.
Elle lève les yeux vers moi, ses yeux bruns, profonds, si souvent accablés par le chagrin.
— Comment allez-vous, chère enfant ? commence-t-elle, affable.
Je lui réponds d'un timide sourire.
— Et vous, Mère ?
Elle hoche doucement la tête. Mon oncle nous interrompt, de ce ton sec qui lui sied :
— Bien, trêve d'amabilités. Nous avons à parler sérieusement.
— Oui... Ainsi, Mère, vous ne vouliez pas vraiment que je vienne à Versailles afin d'exposer mes talents musicaux ? Je pensais qu'enfin, vous me souteniez, que vous croyiez en moi... Naïvement..
J'ignore pourquoi je débute par cela. C'est peut-être ce qui m'a le plus blessé.
— Oui. Je comptais sur cette naïveté, répond-elle calmement.
La frustration grandit. Soudain, elle me surprend en étirant un sourire voire un demi-rire, posant délicatement sa tasse.
— Finalement, vous voici musicienne du Roi, logée et nourrie aux frais de la Couronne, et affublée du titre de courtoisie de comtesse. Oh, je peinais à croire les mots de mon frère. Mais à vous voir ainsi, aussi richement parée, cela ne fait plus aucun doute.
Je suis prise d'un étrange malaise, comme honteuse.
— Je suis bien aise que vous m'ayez mandée pour évoquer le mariage et mon avis à ce propos. Mais avant, nous devons, votre oncle et moi rétablir toute la vérité et vous parler honnêtement.
D'un geste de la main, elle invite son frère à poursuivre.
— Oui. En fait, comme vous avez pu vous en rendre compte par vous-même, votre père, feu Charles-Henri, avait un penchant pour les jeux d'argent, ce qui, vous vous en doutez, représente une part non négligeable de vos dettes.
Mais ce n'est pas tout.
Ma mère garde la tête haute, mais n'ose plus me regarder dans les yeux. Je fronce les sourcils.
— Concernant votre père, votre mère a toujours été si... naïve. Elle niait toutes les rumeurs, lui vouait une confiance aveugle, sans voir ce qu'il y avait juste sous ses yeux, ignorant qu'il n'y a pas de fumée sans feu.
Votre père multipliait les liaisons, Mademoiselle. Et il en entretint une avec Madame de Luynes, que votre mère considérait comme son intime. Et ce durant plusieurs années.
Il garde son air suffisant, son ton hautain, pendant que je reste interdite.
— Et oui, votre si cher ami, n'est autre que votre frère, Mademoiselle. Heureusement qu'il s'est entiché de cette jeune bretonne, j'eus cru au début qu'il n'avait jeté quelque dévolu sur vous. Je vous avoue que j'en étais quelque peu inquiété et que je me risquais à tout lui révéler...
Et il s'autorise à en rire, rendant l'atmosphère encore plus lourde qu'elle ne l'était.
— Vous me faites accroire..., murmuré-je.
— Si seulement. Le faquin !
Ma mère, à ma surprise, s'insurge :
— Je vous ai interdit de l'injurier, on respecte les morts !
— Je ne vois pourtant aucun autre mot pour mieux le qualifier ma chère. Ce n'était déjà pas assez qu'il vous vole une amitié, ainsi que votre honneur, mais il a fallu qu'il ait l'audace, ou plutôt l'insolence de léguer une partie de sa fortune et de ses terres, notamment du Nouveau Monde, à cette catin et à leur fils !
— Pas d'injure, Léandre, j'ai dit ! s'emporte ma mère.
Je peine à respirer, les larmes me piquent les yeux.
— Oh, vous et votre grand cœur, je vous avais bien dit d'examiner son testament lorsque j'appris qu'il était malade, peste-t-il.
Pris dans ses sentiments, mon oncle ne voit pas que Jules vient d'apparaître sur le perron de la porte. Il poursuit avec plus de véhémence :
— Donc Monsieur le comte, en plus de vous quitter avec un demi-million de dettes, ose retrancher une partie de sa fortune. Comme pour piétiner encore davantage votre honneur avant de rejoindre l'au-delà. Oh, c'est vous qui aviez insisté pour ce mariage, ma sœur, et bien jamais je n'aurais dû vous écouter !
Une larme coule sur la joue de porcelaine de ma mère.
— Pardon ? intervient mon meilleur ami, effaré.
Ses yeux verts ont perdu leur gaieté habituelle.
— Que fait-il ici ? Qui l'a mandé ? s'emporte mon oncle. Après tout, il faut bien qu'il sache. Votre deuxième prénom, Monsieur, quel est-il ?
Jules, désorienté, ne détache ses yeux de moi, y cherchant un semblant de réponse, que je ne peux hélas lui fournir. Il s'approche, s'incline, puis répond :
— Jules Ambroise Romain.
— Ambroise, n'est autre que le prénom de votre illustre arrière-grand-père, Ambroise de Raincourt, comte de Lisière et général des armées d'Henri IV. Votre fer à présent. Veuillez le sortir de son fourreau.
Il s'exécute.
— Ne distinguez-vous pas dans ce monogramme ce C et ce H ?
La voix tremblante, mon ami essaie de répondre :
— Je... Ma mère m'avait assuré qu'il s'agissait là de l'héritage d'un de mes grands-oncles qui...
— Allez donc la voir, votre charmante mère, elle vous éclaircira.
— Mais j'y vais de ce pas, marquis, lui répond-il, un brin insolent.
Il me tend sa main. Je m'en saisis, et ensemble, nous prenons congé dans une inclination.
— Élisabeth, pourquoi le suivez-vous ? s'étonne mon oncle, avant de se résigner. Bah, ils ne savent rien faire l'un sans l'autre les pauvres enfants.
Avant de refermer la porte, je lance un dernier regard en direction de ma mère, qui était restée consternée à la vue de mon meilleur ami. Je lis une grande détresse dans ses yeux, ce même regard perdu qu'elle revêt depuis qu'il nous quitta. Je m'essuie les paupières d'un geste brusque de la main.
Une fois dans la cour extérieure, nous remarquons que nous avons toujours nos mains jointes. Aucun de nous n'ose parler en premier, il nous faut encore un temps avant de pleinement réaliser.
Je me refuse à penser.
— Je te rendrai ton dû Elie, j'en fais le serment.
Je m'étonne.
— C'est ce qui compte pour le moment présent ?
Il serre les dents, à la fois agacé et chagrin.
— Ce qui compte, reprends-je, c'est que nous devons être entièrement éclairés. Allons nous entretenir avec ta mère.
Je resserre sa main dans la mienne. Alors, nouvellement déterminés, nous nous rendons à ses appartements, traversant la ville en berline, rejoignant le château royal dans le silence.
Il est brisé une fois par un murmure :
— Alors moi aussi, je suis un fils illégitime...
Moi aussi ? Je réfléchis à qui il fait mention, sans succès. Nous apprenons qu'elle est à la promenade, en compagnie du Roi et des dames de la Cour. Nous décidons de l'attendre dans l'antichambre. L'air est lourd. J'admire les tapisseries, le mobilier... et tombe inévitablement dans ce que je voulais éviter : les souvenirs.
J'ai entendu que l'examen de latin de ton ami Jules était cette semaine ? Il l'a réussi ?
Comment se porte ton ami ?
Que dit son précepteur d'armes à son sujet ?
Mon père n'avait de cesse de s'enquérir au sujet de Jules, parfois même après ne m'avoir vu plusieurs semaines, c'était Jules dont il s'inquiétait d'abord. Était-ce sa façon de l'aimer ..?
Je ne veux plus jamais que tu ne prononces le seul nom de Jules ! Tu ne le reverras plus. Et je t'interdis de lui écrire. Si je te surprends en train de désobéir, je ferai retirer tous les livres de ta chambre. Entendu ?
La colère inexplicable et soudaine de ma mère pour mon meilleur ami... Tout s'éclaire, et cela est si éloigné des hypothèses que j'avais multipliées dans mon esprit.
Sa voix me tire de mes pensées :
— Elle sera présomptueuse et hautaine, comme à son habitude Elie..., regrette-t-il.
— Je sais. Et je veux que tu saches que tout cela ne change strictement rien à notre relation, nous n'avons pas choisi de naître, ni ne sommes maîtres des actes de nos parents.
Il acquiesce timidement de la tête.
— Imagines-tu. Nous avons des liens de sang Jules. Je te considérai comme un frère et voilà que tu t'avères l'être réellement.
La seule chose positive que je tire de ses révélations. Il me rend mon sourire sincère.
Il disparut bien vite quand apparaît la duchesse dans l'entrebâillement de la porte, accompagnée de son aîné.
— Oh, Jules vous voici. Vous n'êtes pas avec votre père pour l'aider à sa tâche ? Ou à vous occuper de votre régiment ? Vous n'êtes pas non plus avec votre fiancée qui bredouille plutôt qu'elle ne parle ?
Et elle contient un rire moqueur pour ses propres propos.
— Ah, bonjour comtesse. Je ne vous avais pas vu.
— Je suis un fils illégitime, déclare-t-il sans détours.
Elle perd son rictus. Elle fait claquer son éventail richement décoré sur sa main avant d'ordonner d'une voix claire :
— Benjamin, veuillez prendre congé de nous.
Le frère de Jules est désorienté, c'est d'un pas peu assuré qu'il rejoint la porte, nous jetant des regards d'incompréhension.
Elle s'assoit avec manières, ne nous regardant même pas.
— J'ignore comment vous l'avez appris, et à dire vrai, je m'en moque. Certainement grâce à la charmante mère de votre délicieuse amie. Cela devait bien se savoir un jour, je suppose, nous déclare-t-elle platement.
Je hausse un sourcil, comment peut-elle garder la tête haute sans même désavouer son infidélité ? Je l'observe. C'est impensable comme elle apparaît toujours si fière et sûre d'elle.
— Donc vous confirmez ?
Un mélange de tristesse et de regret se ressent dans la voix de mon frère.
— Bien sûr. À quoi bon le réfuter ? Vous êtes le fruit d'une relation passionnée, que j'ai chérie, et qui a passé. C'est ainsi. L'amour est éphémère. La flamme s'allume, brûle puis s'éteint. Ne voyez-vous pas les choses de la même façon mon fils ? Vous qui multipliez les conquêtes féminines jusqu'à ce que vous retrouviez votre amie ?
Mon frère s'offusque, et manque de se lever dans un accès de colère.
Elle aimait mon père... et c'était réciproque, pendant que ma mère souffrait d'un amour à sens unique, oui car je sais à son regard qu'elle devait beaucoup l'aimer.
— Sauf que je ne suis pas marié, rétorque-t-il, et que je n'ai engrossé personne. Je n'ai jamais manqué de respect à qui que ce fût.
Elle hausse les épaules de dédain.
— N'étiez-vous pas l'amie de ma mère ? m'emporté-je. Son intime ? Comment avez-vous pu lui faire une telle chose ?
Son regard se fait plus fuyant.
— Je n'ai pas à me justifier devant vous.
— Madame, il s'agit de mon père, de ma mère, de l'argent de ma famille...
Elle m'interrompt :
— Pour ce qui est du testament et de ce qui nous a été légué, je peux vous dire que c'était en l'honneur du bon temps. Voilà tout. Qu'il me montrait ainsi, seulement, qu'il n'avait pas oublié nos bons souvenirs ni qu'il avait un fils.
C'était un message on ne peut plus clair. N'importe qui le comprend.
Frustrée, je reprends :
— Votre flamme n'a jamais cessé de brûler et la sienne non plus !
L'éclat dans son regard a changé. Il me semble apercevoir son fond, quelque chose en elle qui est blessée. Elle bredouille, le masque tombe :
— Non... C'est faux. Je n'étais pas la seule... Chacune de ses belles déclarations, de ses mots doux, il.. Ses gestes tendres à mon égard.. Il les faisait à d'autres..
Jules et moi nous échangeons un regard.
Mais quelle sorte d'homme était donc mon père ?
— Oh, Mère..., souffle mon frère, empathique.
Il allait poser sa main sur son épaule découverte, qu'elle l'esquive. Elle inspire avant de reprendre cet aspect fermé, hautain, replaçant ses deux mèches brunes bouclées qui encadrent ce visage savamment maquillé.
— Gardez votre pitié.
On reste coi. Elle nous foudroie du regard. Je n'arrive pas à détacher mon regard d'elle. Je pourrais en avoir presque peur.
— Comme vous voudrez... Mais veuillez répondre à mes questions. Si l'on a déménagé à Paris il y a plus de 4 ans, c'était parce que votre liaison était sue de Mme de Lisière ?
Cette séparation fut un véritable déchirement.
— Pas seulement. Il nous fallait les faveurs du roi, et vous savez comment Sa Majesté traite ceux qu'ils ne voient jamais. On devait faire partie de sa Cour. Notre rang l'obligeait. Je m'y résignais d'abord. Puis lorsque Madame de Lisière me fit un sermon ayant tout découvert, que je sus que Charles-Henri lui présenta des excuses en assurant qu'il ne ressentait rien pour moi, plus rien ne me retint.
— Avant que vous n'alliez conter tout cela à votre père, reprend-elle, sachez qu'il est au courant de tout. Cette indifférence ne fit que m'inciter à ces aventures, je dois avouer.
Jamais je n'aurais cru entendre pareille chose. Jules est aussi consterné que moi, il réprime un rire nerveux.
— Je... Ainsi, depuis que Charles-Henri vous a désavoué, vous me haïssez ?
— Je ne vous hais point.
Un semblant d'humanité.
— Bien, je n'ai rien à ajouter. Allons-y Elie.
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