Chapitre 24

Nous sommes à son cabinet de travail, celui que je ne quitte que rarement, mon frère doit lire et répondre au courrier de son père. Je décide de lui faire revivre le débat qui a agité le cercle concernant les Anciens et les Modernes, en exagérant les tons pris de manière à ce qu'il en rit de ridicule. Soudain, il relève une nouvelle importante concernant ses terres, qui nous amène à rejoindre son Père l'en informer.

Nous le découvrons en plein entretien avec ce jeune Comte qui semble se réjouir de cette rencontre inopinée. Il se lève pour nous saluer.

— Mademoiselle de Lisière, quel plaisir. Bonjour.

— Je suis, en effet, une proche de la famille de Luynes..., me justifie-je.

— Avoir l'heureux hasard de vous admirer deux fois dans la même journée..., murmure-t-il les yeux baissés. Et bonjour, M. de Luynes.

— Bonjour, Comte. Nous allons devoir vous emprunter un instant le Gouverneur.

— Faites, je vous en prie. A bientôt Mademoiselle, dit-il, affable.

Pendant qu'il s'éloigne en ne me quittant pas des yeux tout en essayant d'être discret, je murmure à mon frère :

— Il est un membre du salon, on dit qu'il bredouille quelques vers...

— Vous connaissez donc le fils du Maréchal le duc de Duras, M. le Comte de Rauzan ? Il ferait un excellent époux Mademoiselle, dites-le-moi si je peux faire quelque chose pour vous.

Soudainement embarrassée, je réponds en hochant un peu la tête.

Le lendemain soir, je le remarque une nouvelle fois, verre plein en main, en compagnie de comtes et marquises. Mon regard dû être trop insistant, il me voit et lève sa coupe pour me saluer, sous les sourires et murmures malicieux de ses amis à peine dissimulés. Je lui réponds de ce même sourire forcé. Sous les insistances de ses compagnons, il semble se diriger vers moi malgré lui.

Ne voulant pas lui faire face seule, je cherche quelqu'un du regard, que je tombe sur Son Altesse le Duc de Bourgogne, finissant une partie au billard. Je l'implore des yeux, il comprend et devance le Comte.

— Bonsoir, Louis.

J'ai un peu honte, j'ai l'impression d'user de ses sentiments et de son amitié à des fins personnelles. Son visage rayonnant apaise un instant ma conscience.

Avec quelle surprise et appréhension, je découvre le lendemain matin entre les mains de Mélanie, un pli qui m'est adressé avec pour sceau celui de la famille de Duras. De quoi s'agit-il ?

Mélanie tout aussi intriguée que moi lit par-dessus mon épaule. Je tombe sur la déclaration la plus enflammée et déchirante qui m'ait été donnée de lire, à la façon des romans, et dont je doute de la sincérité. Il m'apprend qu'il serait fou amoureux de moi depuis le premier jour que je jouai de la harpe devant la Cour, qu'il n'avait osé m'approcher avant cette entrevue au cercle tenue par l'amie de Constance, qu'il avait été insistant ne sachant comment exprimer ses flammes.

Mélanie se laisse duper, s'émouvant de chacune de ses métaphores toutes plus embrasées. Non j'en suis certaine, il a tout au plus de la sympathie à mon encontre.

— Ma plume, Mélanie.

— Oh, vous allez lui répondre ? Ne brutalisez pas trop violemment ce garçon. Souffrir d'un amour à sens unique est déjà si douloureux.

Nous allons bien voir. Je lui intime de me rejoindre à l'hôtel particulier de mon oncle, pour dix heures.

Après avoir écourté les salutations, et l'avoir interrompu dans son élan, je décide de commencer sans détours, m'asseyant sur le divan. Je cache mon trouble.

— Souffrez Monsieur, que je ne puisse vous rendre vos sentiments. Mon cœur est déjà pris. Je l'ai offert tout entier et sans réserve au Duc de Lorraine. Je peux encore vous proposer que nous soyons amis, même si je sais l'affront que je vous fais. Je serais enchantée de ce que discutions de vers et de belle littérature de nouveau ensemble. Me voici honnête devant vous. Ne m'en voulez pas trop Monsieur, et pas trop longtemps, je vous le souhaite.

Seulement, m'aimez-vous réellement ? Ou n'est-ce là que le fruit de votre orgueil de mâle que vous vouliez flatter en s'attachant à me conquérir ? Nous nous connaissons si peu. Me percevez-vous comme un défi, ou encore mieux, vous a-t-on lancé ce défi ? Vous ne paraissez pas être de ceux qui écrivent ce genre de missives enflammées.

Il semble penaud, un peu surpris de ce que j'ai parlé si ouvertement.

— Mademoiselle... Je.. Pardonnez-moi. Vous avez raison, la passion que je vous ai conté n'est pas la mienne. Je la réserve en réalité à celle que mon cousin va épouser le mois prochain...

Je perçois soudain un cœur qui saigne, un esprit torturé, une douleur profonde.

— Oh, Comte, j'ai été bien crue, je.. Je m'excuse.

— Non, ne vous excusez pas. A la vérité, ce sont mes amis qui m'ont poussé à me déclarer, mais ne leur en soyons pas gré, ils voulaient simplement que je pense moins à elle. J'accepte avec joie votre amitié, en revanche. Considérez-la toute acquise. Même s'il est vrai que l'on ne m'avait pas parlé ainsi depuis mes quinze ans, je suis désormais sûr que vous êtes quelqu'un d'honnête, et c'est une qualité que j'estime. Et je pensais mes mots quant à vos pensées, je les trouvais réellement réfléchies.

Je lui offre un sourire sincère.

— Merci, Monsieur. Puis-je donc vous demander une faveur en cette nouvelle qualité d'amie ? Pourriez-vous assurer, que je me désole de ce que la Lorraine n'est point française, et que je souhaite une victoire éclatante de notre Roi ? Tentez de faire taire de viles rumeurs qui pourraient faire de moi une traîtresse... Elles me blessent tant. Rappelez que mon père s'est battu aux côtés de Sa Majesté et de Monseigneur.

— Mais certainement, Mademoiselle.

J'ai finalement trouvé un allié qui ne sera pas de trop.

— Vous prendrez bien un chocolat ?

— Volontiers.

L'heure est bien avancée, et comme à l'accoutumée ces derniers jours, je trouve difficilement le sommeil. Je me lève, allume quelques bougies, et décide de poursuivre une lecture afin de me changer les idées.

Tout à coup, brusquement, on ouvre la porte. J'ai la surprise de découvrir la silhouette de mon meilleur ami titubant, et empestant furieusement l'alcool.

Je me hâte de le retenir de tomber, inquiète.

— Elie.. Ma chère Élie...

Il s'agrippe à moi.

Je l'entends soudain éclater en sanglots, et après m'avoir regardé dans les yeux, reprendre de plus belle.

J'en reste décontenancée. La dernière fois que j'ai dû voir Jules pleurer, nous devions avoir tout au plus dix et douze ans chacun.

Il s'essuie grossièrement le visage de ses mains.

— Louis-Alexandre... Nous nous sommes revus et j'étais décidé à lui soutirer des informations, éclaircir ses motivations et ses desseins.., dit-il entre deux sanglots. Mais... Il n'a eu de cesse de médire Laure, de s'enorgueillir de ses conquêtes, de vanter les mérites de la guerre, de critiquer son père et sa mère, de s'emporter sur des questions politiques et religieuses... Et surtout, d'essayer de me convaincre de m'éloigner de toi, rapportant sur ton compte d'ignobles propos...

J'ai le cœur affreusement serré.

— Oh, Jules, je..., ma voix se brise.

Je l'oblige à s'asseoir. A la lueur de la bougie, je découvre avec stupeur qu'il saigne du nez. Je me dépêche de lui donner un mouchoir, qu'il contienne l'hémorragie.

— Que s'est-il passé ? Vous vous êtes battus ? m'effaré-je.

— Je ne supportai plus ses insinuations odieuses. Elie, je ne permettrai plus qu'on te fasse du mal ni qu'on puisse parler mal de toi, tonne-t-il, peinant à tenir en équilibre, encore embrumé par les effets de l'alcool.

Les larmes me montent aux yeux, je me lève pour l'entourer de mes bras.

— Elie, je te demande pardon. Sans moi, jamais tu n'aurais eu à croiser le regard de cet homme, ni à être inquiétée, calomniée... Je m'en veux... Si tu savais comme je m'en veux. Pardon, pardon... Tu mérites tellement mieux.

Je secoue la tête, et le serre davantage contre moi.

Je l'entends qui sèche ses larmes, puis il prend mes mains, et les presse doucement. Il plante ses yeux dans les miens et articule :

— Sois forte Elie. Le duc lorrain est un honnête homme. Je... Il tiendra parole.

Je déglutis et acquiesce de la tête.

— Bien que... Le Dauphin m'évoquait Phillipsburg, un fort qu'il prévoit d'assiéger..

— Oh, mon père participa au siège de Maastricht de 1676 ! Je sais comment cela se déroule, je pourrais t'être utile.

Devant son visage impassible, ses yeux baissés, c'est alors que je réalise.

— Phillipsburg... en Alsace.

— Il s'agit de poursuivre la politique des Réunions et annexer légalement l'Alsace ou...?

— En premier lieu oui, mais si l'Empereur le refuse...

— Le Saint-Empire n'hésitera pas à s'allier à l'Angleterre du Prince d'Orange, finis-je sa phrase.

Jérôme est plus que jamais proche d'être l'ennemi du Royaume de France. 

Je marche, doucement, parmi les courtisans dans la merveilleuse Grande Galerie. Le Grand Couvert vient de toucher à sa fin. Les différents miroirs reflètent les derniers rayons orangés du crépuscule, les torchères brillent. Par les fenêtres, le grand canal se dessine jusqu'à se perdre dans l'horizon.

C'est magnifique.

Alors que j'avance ainsi, toujours à pas lents, jusqu'à mes appartements, dans le couloir qui y mène, on me surprend.

— Cessez vos enfances, m'ordonne une voix que trop familière.

Je me retourne. Il est là, ce prince imberbe, Louis-Alexandre, avec son air fier et suffisant, bien éloigné de sa gaieté originelle hypocrite. Lui qui a fait pleurer mon frère la nuit dernière.

— Vous avez des conseils pertinents à me prodiguer Monsieur ? Vous qui désirez que je ne sois plus de ce monde ? réponds-je sèchement.

— Allons, Mademoiselle de Lisière. Ce n'était qu'un fâcheux incident. Sachez qu'il n'avait mis qu'une quantité réduite, qui n'aurait pu vous tuer, mais je savais que mon cher ami allait superbement échouer. Cela devait seulement vous servir d'avertissement. Et puis, le poison n'est point dans mes habitudes, je suis plus sophistiqué. Enfin, achevons là.

Je vous ai trouvée bien morose ce soir ; je désire donc seulement lever une ambiguïté, dit-il les yeux centrés sur son poignet gauche, réajustant ses manches en soie brodées.

— Avez-vous eu l'audace de penser un seul instant que le duc Lorrain avait le dessein de vous épouser ? Vous, une simple orpheline, alors qu'il est promis de par sa naissance aux princesses allemandes et autrichiennes ? Sa mère était Reine de Pologne, le saviez-vous ? Soyons raisonnables.

Je ne pensais pas que des mots pouvaient avoir de tels effets. Ce qui sort de ces lèvres pernicieuses sonne de manière trop cruelle.

— Vous n'étiez qu'une aventure pour lui, il s'est amusé avec vous. Gageons qu'en ce moment même, il déclare ses flammes à une Autrichienne, n'ayant aucune pensée pour vous. Les mots viennent aisément, ne vous y fiez pas, les hommes sont prompts à la parole.

En outre, il savait qu'il n'était que de séjour en France, et qu'avec l'Angleterre les choses n'allaient pas fort. Je le sais, je l'ai abordé moi-même avec lui dès son premier jour à Versailles. Vous étiez condamné à n'être rien de plus qu'une aventure.

Ah les femmes, vous vous emplissez vous-mêmes d'illusions. Retenez mes mots, vous vous éviterez d'autres chagrins. Laissez là ces broutilles, et songez au mariage. Vous cesseriez aussi de vous mettre en danger.

Il me laisse là, figée.

— Pourquoi vous donnez-vous l'allure de quelqu'un qui se soucie de mon sort ! crié-je pour le retenir. Si vous êtes dans quelque affaire douteuse, je ne me gênerai point pour les révéler.

— Je vous en prie, continuez d'essayer de me défier. Je vous ai suffisamment avertie. Il faut croire que j'ai du temps à perdre.

Un peu agacée, songeuse, je peine à avancer, à réfléchir clairement ; mes yeux me piquent, mon esprit me répète inlassablement ces paroles tranchantes.

Condamnée à n'être qu'une aventure.

— Mélanie ! l'appelé-je en entrant.

La voix un peu tremblante, j'articule :

— Es-tu sûre que je n'ai reçu aucun courrier ? Pas un billet, une lettre, un mot..? Rien ?

Je n'attends pas sa réponse, ses traits parlent pour elle.

Je m'enferme dans ma chambre à coucher.

La lame s'enfonce dans ma poitrine, je serre la mâchoire à m'en faire mal, je m'empresse d'essuyer d'un geste brusque les larmes qui affluent.

Pourquoi ai-je le sentiment qu'il n'a dit que l'exacte vérité ?

Non, Jérôme est différent. Il est sincère.

Ses yeux azur avaient cette lueur, son sourire, cette douceur, ce n'étaient pas des faux-semblants. Je le ressens là.

Nous nous sommes trop confiés l'un à l'autre, il est incapable de me trahir de la sorte.

C'est impossible.

Puis la réalité me rattrape. Une orpheline qui épouse le neveu du Saint-Empereur germanique ? Le fils de la Reine de Pologne ? Cousin de la maison des célèbres Ducs de Guise ?

C'est si absurde que je contiens un rire nerveux.

L'évidence est là.

Je n'étais qu'une aventure, une amie qu'il pouvait embrasser, oublier un instant ses soucis.

Dès le début, je me suis trop attachée, je ne suis qu'une sotte.

Je ne lui en veux pas, peut-être m'aime-t-il réellement et pensait tous ses mots, seulement la réalité rend impossible notre relation. Jamais on accepterait notre union, encore moins en cette période de guerre. Le comble.

Les larmes coulent aisément, dans ce silence nocturne brisé par mes pleurs étouffés.

Je suis pathétique.

Inconsciemment, je me pensais toujours à ses côtés.

J'étais persuadée qu'à chaque difficulté de ma vie, il serait là pour m'encourager et me réconforter.

Je suis bien naïve.

Et comme je souffre de son absence !

Je tente de reprendre mon souffle, essuyant mes joues mouillées comme je peux. Sur ma commode, je vois alors la flamme de ce bougeoir éclairer de sa faible lumière orangée. Derrière, je devine ma cassette.

Je m'en vais l'ouvrir.

C'était pour cet argent que je suis venue ici.

Je découvre avec un certain étonnement que je ne dispose point d'autant que je pensais.

Un mot ? Mon oncle.

« Je me permets d'emprunter sur votre compte pour rembourser les dettes de vos parents. Si vous voulez que nous vérifions la chose ensemble, je dispose de tous les documents officiels. »

J'ai un goût amer, refermant ma cassette avec dépit. Ces dettes. Il est vrai que le mariage serait une sécurité sur ce point. Le mariage n'est jamais synonyme de sentiment ou de bonheur, il ne s'agit que de rentes, de dot, de noms...

Après tout, le Comte de Rauzan s'y est bien résolu, au mariage de raison. Il vient d'annoncer à ses parents qu'il était prêt à épouser celle qu'ils désirent en dépit de ses sentiments. Il en existe des hommes biens, pour qui je peux avoir de l'amitié, voire de l'affection...

Soudainement, je pense à ma mère. Plutôt que de spéculer ainsi sur le sujet, il vaut mieux l'aborder avec elle, que je lui expose ma situation avec Jérôme, sache ce qu'elle souhaitait pour moi. Oui, c'est encore elle qui peut m'éclaircir.

Ainsi décidée, semi-allongée, ma joue contre mon oreiller, je sens une larme qui s'écoule lentement le long de ma joue à peine sèche.

Je n'ai pas dormi de la nuit.

Mélanie s'est horrifiée devant mes paupières gonflées, elle me mit tout le pot de poudre sur le visage.

— Veuillez transmettre ce billet à ma mère et à mon oncle, ordonné-je, nous avons à nous entretenir le plus tôt possible.

Le valet acquiesce, et obtempère.

J'ai la respiration lente, je suis d'un singulier calme olympien, j'ai l'esprit vide. Je petit-déjeune sans savoir ce que j'ai dans la bouche.

On frappe à ma porte, et un rayon de soleil s'en dégage :

— Tu me permets de t'aider à finir ta brioche ?

Mon meilleur ami.

— Bien sûr, sers-toi.

Tout heureux, il se prend un tabouret, et s'attable, posant son large chapeau sur la nappe.

— Merci bien !

Il s'apprête à se faire une tartine de confiture, que je déclare :

— Je suis prête à me soumettre à ma mère.

Il hausse un sourcil.

— Qu'entends-tu par là ?

— Je dois l'entretenir à propos du duc, du mariage... Elle est ma mère. Elle seule peut encore savoir ce qui est bon pour moi. Peut-être que.. que je suis condamnée à n'être qu'une aventure pour Jérôme derrière le spectre de la guerre.

Je me contiens comme je peux après avoir difficilement prononcé ces mots.

— Élie. Sache que je suis et serai toujours de ton côté. Si c'est ce que tu souhaites alors, oui, entretiens-toi avec elle.

Je hoche la tête, avec un léger sourire.

— Mais pour l'heure, ton précieux a besoin de toi au sujet de la bataille de siège.

Il s'empresse alors d'engloutir son gros morceau de brioche tapissée d'orange, attrape son chapeau, et me fait signe de le suivre.

Je lui réserve une mine amusée, et le rejoins bien vite.

Entièrement absorbée par mes raisonnements militaires, les idées s'enchaînent. Je passe outre mes migraines dues à un cruel manque de sommeil.

Nous devons rapidement venir à la bibliothèque du roi et vérifier nos théories auprès des grands comme le marquis de Vauban, qui, au début, nous accorda un regard bien dédaigneux réfutant d'un mot nos stratégies qu'on pensait mûrement réfléchies.

À force de conversation, il reconnaît notre vivacité d'esprit et juge bon d'y songer avec nous ; s'y mêlent alors un général de passage et le capitaine qui accompagnera mon frère dans son régiment au front.

Le Dauphin retrouve Jules à l'heure qu'il avait fixé, bien agréablement surpris de ce qu'il ait du concret à lui proposer. Arborant un fin sourire, Monseigneur vient poser sa main sur son épaule, d'un geste affectif presque paternel. Jules reçoit les compliments le visage grave, reconnaissant le caractère sérieux et important du combat.

Je suis si fière de lui, il est un homme désormais, un homme responsable.

— Rejoignez-moi au Conseil d'En Haut, nous allons aborder cette campagne d'Alsace, lui ordonne-t-il, lui emboîtant le pas.

J'adresse un léger sourire d'encouragement à mon ami, les laissant s'éloigner.

Monseigneur retient la porte, me regardant avec insistance.

— Je sais pertinemment quelle est votre part dans toutes ces affaires-là, j'ai reconnu quelques idées dignes de Charles-Henri de Lisière. Je tenais à vous en savoir gré.

Ces mots me pénètrent, je m'en sens immensément fière et honorée, je m'incline avec reconnaissance.

Me comparer ainsi à la personne que j'estime et considère le plus au monde - mon père, et reconnaître que je peux être autrement utile qu'au travers de mon art, que somme toute, j'ai la tête bien faite...

— Merci, Monseigneur.

J'ai l'irrésistible envie de prendre une plume, et de retranscrire chacun de ces mots à ma mère, et pouvoir lui dire avec force : vous aviez tort. Comme pour la musique que vous jugiez futile, vous aviez tort.

Rien que d'imaginer son regard autoritaire, je m'interromps dans mon transport. Je peux entendre sa voix claire, celle que j'ai toujours écoutée.

Que va-t-elle me dire ? Quels conseils me donnera-t-elle sur la situation ? Me jugera-t-elle sévèrement pour ma passion pour Jérôme ?

J'attends le retour de Jules dans son cabinet de travail, ne cessant d'aller puis de revenir sur mes pas. Je l'entends qui revient.

— Oh Elie, le Conseil d'En Haut... ! Je tremblais sur ma chaise devant la prestance de Sa Majesté ! Un visage impassible, il dit, on accomplit.

J'étire l'esquisse d'un sourire en me figurant la scène.

— Louis-Alex' aussi était là, en sa qualité d'Amiral de France... Il prenait des notes.

Je hausse un sourcil.

— J'en fus tout aussi intrigué que toi..., reprend-il, avant de prendre un air chagrin. Par ailleurs Elie... On nous donna des chiffres concernant les troupes adverses, dont celui-ci... L'armée de Lorraine, qui, supplée par des mercenaires, pourrait atteindre 25 000 hommes.

Je déglutis, j'ai l'estomac noué.

— Je vois...

Après un silence de malaise, je reprends :

— Allons que je ne te retiennes pas trop longtemps, rejoins ta bien-aimée, il me semble que tu dînes avec elle aujourd'hui.

— Ah, oui, ma chère et tendre, t'ai-je dit qu'elle a la mine adorable...

Je l'interromps, contenant un rire :

— Vêtue de sa dernière toilette violette ? Au moins dix fois depuis l'aube.

Il allait ajouter quelque chose, qu'il se ravise. J'en ris, et le pousse gentiment en direction de l'extérieur du château.

— Bon, bon, à très vite Élie. Je suis heureux si j'ai pu te faire sourire. Souris-moi donc de nouveau.

Cet enfant. J'obtempère, un brin difficilement.

— Tu me le dirais, n'est-ce pas, si la situation était trop dure pour toi ?

— Bien sûr. N'aie d'inquiétude.

Un dernier signe de la main, et je le vois s'éloigner, se recoiffant de son élégant chapeau ; il rayonne. J'aime le voir ainsi.

Puis mon regard descend sur l'ornement de ma robe, avec un pincement au cœur.

Il m'a été offert par Jérôme.

Dans l'enfilade des salons, je laisse mes yeux errer sur les nombreuses boiseries et peintures.

Je n'ai que cette aigre douleur, imaginant le doigt d'un général désignant la Lorraine sur une carte.

Je peux entendre les paroles de M. Louvois, citant le nombre de soldats et mercenaires de Jérôme, ses points faibles, et comment nous triompherons...

Un fossé qui semble infranchissable nous sépare.

Qui sait quand est-ce que nous nous reverrons ? Et en quelles qualités ?

J'arrive à l'entrée de la Grande Galerie, dans le salon de la Guerre où pénètre la lumière du crépuscule.

Je nous revois danser ici pour la première fois.

Il faut croire que c'était le destin, notre relation est née dans l'ombre de la guerre.

Le soleil même paraît blême, ces rideaux rouges intenses ne surprennent plus mes yeux, tout pâlit. J'ai les jambes qui traînent, je me sens très affaiblie.

— Mademoiselle, vous sentez-vous à votre aise ? m'interroge Mélanie, bien soucieuse, une fois que j'ai fini de dîner.

J'ai si peu touché mon assiette.

— Ça peut aller, n'aie d'inquiétude, mens-je une deuxième fois. 

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