Chapitre 19

J'entends mes pas résonner dans le long et sombre couloir vide. Mon bras sous celui de mon meilleur ami, il me raccompagne jusqu'à mes appartements. Il s'interroge du choix du Roi concernant les joueurs de billard... jusqu'à ce que je lui en révèle l'origine.

Me reviennent alors des mots de Constance, elle m'assurait que je jouissais d'un pouvoir. Je suis contrainte de le reconnaître.

— Cela m'effraie.., lui avoué-je.

Nous entrons dans ma sombre antichambre, Jules s'assoit un instant, pensif.

— Cela est peu surprenant, Elie...

Soudain, on frappe à ma porte, se dégage un valet du Roi.

— Mademoiselle, vous êtes mandée par Sa Majesté, articule-t-il.

Mon ami s'en surprend et s'en inquiète.

— N'aie crainte, j'ai déjà été mandée ainsi l'avant-veille...

Il m'interrompt, en haussant un peu le ton :

— L'avant-veille ! Et tu n'as pas jugé bon de m'en informer ?

— C'était pour que je lui joue un peu de harpe. Je suis à son service, Jules.

Puis, c'est alors qu'il se saisit de ma main, il plante ses yeux luisant d'inquiétude dans les miens ; j'en suis toute étonnée.

— Élie, tu sais que tu peux tout me dire, me murmure-t-il. Rassure-moi. T'a-t-il déjà touché ?

Stupéfaite, je balbutie :

— Non, je.. Que.. N'aie crainte ! Sincèrement, je te l'assure. Dans son regard je... Je ne vois aucune inclination pour ma personne, seulement de la bienveillance mêlée à la naissance d'une amitié. Presque... Paternel, oui.

Il se mord la lèvre, dubitatif.

— Je n'en suis pas si sûre... Que la Maintenon soit sa favorite officielle n'est d'aucune barrière, son intérêt pour la gent féminine ne s'en est point amoindri, j'en suis convaincu.

— Nous avons un tel écart d'âge Jules..., souligné-je.

— Ce qui est obligeant pour le Roi.

Je ne sais que dire.

— Vas-y puisqu'on te l'ordonne, je t'attendrai...

J'acquiesce, confuse, rejoignant le valet que je suis dans le vaste château.

Mes pensées se confondent, mon cœur bat à tout rompre, non jamais je n'ai avancé l'hypothèse que le Roi puisse avoir du goût pour ma personne, à tort. Voilà l'unique réponse à tous mes questionnements quant à mon ascension parmi la Cour.

Pourtant... Lorsqu'il adressait ce regard tendre à la Maintenon, j'étais si persuadée qu'il s'agissait d'amour. La peur me saisit, je peine à respirer, je fais des efforts considérables pour la surmonter.

Comment peut-on oser résister aux avances d'un Roi ?

Sur le perron de la porte, j'ai le pas hésitant, je déglutis.

— Votre Majesté, Mademoiselle la Comtesse.

Assis à son bureau, il me fait signe d'approcher, perdu dans quelques papiers.

Je garde les yeux baissés, m'avançant prudemment.

— Nous nous sommes séparés bien vite ce soir, commence-t-il. Je n'ai pu vous dire quelle délicieuse idée avez-vous eu cet après-dîner. Je salue votre spontanéité, vous étiez bien adorable.

Non je ne parviens pas à le traduire en inclination. Il écarte ses dossiers, semblant les ranger, pour poser à nouveau son regard sur moi.

— Mon petit-fils a semblé penser la même chose. Il n'a eu de cesse de vous admirer.

Louis ? Qu'insinue-t-il ?

— L'amour rend aveugle dit-on, je le crois. Bien qu'il vous ait si bien contemplé, il n'a point remarqué votre goût certain pour le Duc de Lorraine. Car je vois juste, n'est-ce pas ?

Je commence à me maudire moi-même, ayant un tel mal au cœur pour mon jeune ami princier, surtout que j'avais eu le dessein de l'éclairer.

— Ceci explique l'opiniâtreté du Duc concernant la moindre clause de nos traités, qui auraient dû déjà être conclus voilà une bonne semaine.

— Sire, oui, je..

Il m'interrompt de sa main.

— Non point, non point. Nous ne pouvons décider des soubresauts du cœur, je ne peux vous blâmer pour cela.

J'opine, si frustrée.

— Je vous ai mandé pour m'assurer à ce sujet. Sachez qu'en offrant votre amitié à mon petit-fils, vous avez su l'ouvrir, que je ne l'avais jamais vu de la sorte, et que vos sentiments n'y auraient rien changé. Il ramène tout à vous, s'intéresse à tout pour vous.. Laissez-le vous aimer. Il en est heureux.

Je le revois si jovial, la douleur grandit.

— Le laisser m'aimer..? reprends-je dans un murmure, une fois seule dans les couloirs nocturnes du palais.

Nous avons bien mal jugé avec mon meilleur ami, depuis le début il était uniquement question de Son Altesse.

Je n'ai cessé d'y songer toute la nuit, je revoyais toujours ce jeune garçon si aimable, si honnête, si prévenant..

Je l'ai tôt considéré comme un ami, j'apprécie tant son ingénuité qui dénote de cette Cour empoisonnée par le vice.. Notre différence d'âge est même moindre qu'avec mon duc, mais..

Jérôme parvient à faire ce que personne jusque-là n'était parvenu ; un sourire, tout s'envole, un mot et me revient toute détermination, nous nous comprenons.

Je n'ai guère ce genre de relation avec le jeune prince royal.

Qui sait s'il ne prépare en ce moment même un moyen de me déclarer ses flammes ? Comment réagirai-je ? Il faudrait qu'il se rende compte par lui-même de mes sentiments pour le duc de Lorraine...

J'ai alors une idée, que le pâle soleil de ce matin conforte. Par billet, j'en préviens mon meilleur ami et Louis, puis je me rends à l'hôtel particulier de mon Jérôme.

— Bonjour, duc, le salué-je.

Il vient se saisir de ma main gantée, pendant qu'innocemment il me contemple de sorte que je pourrais en être embarrassée si moi-même je n'agissais pas de même à son égard.

— Bien le bonjour, Elisabeth. Que me vaut le plaisir de cette entrevue matinale ?

— Savez-vous jouer à la Paume ?

— Plutôt, oui.

— Je vous invite à rejoindre mes amis pour une partie, cela vous est-il de quelque attrait ?

Je lui offre un grand sourire, qu'il me rend :

— Je suis tout à vous.

Il me présente alors son bras, et c'est ensemble que nous pénétrons dans le quartier de la vieille ville, jusqu'à la salle dédiée à ce jeu.

Je ne m'étonne pas d'y voir déjà mon meilleur ami, balle et raquette en main.

— Si vous pouviez me laisser prendre ma revanche, Monsieur, je vous en serai obligé, commence-t-il en se dispensant de salutations.

Son Altesse apparaît avec deux autres raquettes, bien jovial ; j'ai si mal au cœur.

Je me reprends la main de Jérôme, entremêlant nos doigts, il me serre davantage.

— Bien le bonjour Monsieur le duc, je ne pense pas que je serai à votre égal, je puis compter sur votre indulgence ?

— N'ayez crainte Votre Altesse, je réserverai mes forces pour Monsieur de Luynes, dit-il suffisamment fort pour que le concerné fronce des yeux.

Louis garde un sourire amusé, avant d'incliner un peu la tête devant moi.

— Bonjour Élisabeth, vous avez toujours de riches idées.

Gênée, je tente de n'en montrer rien.

— Bien, trêve de plaisanteries, qui de Son Altesse ou du duc j'affronte en premier ? clame Jules, avant d'ordonner un brin railleur : Élisabeth, arbitre, en espérant pouvoir compter sur son impartialité quant à Monsieur.

Nos mains se séparent ; Jérôme laisse le jeune prince débuter, pour laisser à mon meilleur ami l'« opportunité de s'entraîner avant ».

Je fixe la corde et les clochettes, prenant mon rôle très au sérieux ; Jules est remonté, il ne cesse de faire courir le pauvre prince.

Après une partie, ma foi, tout à fait honorable, je salue la persévérance de Louis, mon duc prend place. Il débute d'un coup sec et violent, Jules en est resté coi.

— 15-0 ! m'exclamé-je fièrement.

Contenant un soupir de dépit, il se place de façon étrange, à l'apparence technique. La balle file devant mes yeux.

La partie s'annonce longue et serrée. On enchaîne les parties amicales, auxquelles s'est ajouté quelques joueurs de paume.

Jérôme et Jules jouent désormais dans le même camp en duo face à un autre, et je dois dire que je savoure de les voir ainsi.

Alors que mon duc fait un joli coup, il tourne les yeux vers moi, souriant, je lui rends avec plus tendresse, prenant le temps de l'admirer, ressentant toujours cette chaleur particulière.

— Élisabeth..? me surprend le prince, assis à mes côtés.

— Le Duc de Lorraine aurait-il une place qui lui est réservée dans votre cœur ? me murmure-t-il.

Mon cœur rate un battement. Je tourne ma tête vers lui, essayant de le sonder, prise par la crainte.

— Louis, je...

— Cela semble réciproque, constate-t-il.

On dirait qu'il en est... ravi ?

— Cela vous réjouit-il..?

— Beaucoup, je suis heureux pour vous, car je pense que vous avez bien choisi parmi tous ceux qui prétendent à vous. Il semble vous traiter comme vous le méritez.

Son léger sourire, ses yeux posés sur Jérôme, un regard vague, son visage d'adolescent au teint laiteux, il transpire de gentillesse ; ma peine grandit.

J'ignore si je veux croire ces paroles.

— J'espère qu'il ne saura vous procurer que bonheur et quiétude, continue-t-il.

C'est alors que des murmures s'élèvent, la salle se remplit, la cause : Louis-Alexandre accompagné d'un comte renommé dans la matière, qui se hâtent de défier mes amis.

J'ai un goût amer dans la gorge, que partage Jules, gardant ce regard suspicieux, et la mâchoire serrée.

— Bonjour Messieurs, on vient de nous apprendre que se disputait ici de belles parties. Nous sommes venus pimenter le jeu, déclare ce prince mesquin.

Sous les réclamations de la trentaine de courtisans, Louis-Alexandre se met en équipe avec mon Jérôme, face à Jules et son ami.

— J'en suis bien aise, je ne doute pas de vos excellentes qualités à la paume Monsieur, l'entends-je flatter mon duc.

Je me perds dans la foule, on commence à faire des paris jusqu'à des sommes exorbitantes.

À chaque joli mouvement de mon duc, Louis-Alexandre n'hésite pas à le combler de compliments.

Avec quelles intentions agit-il ainsi ?

La partie finit sur un léger avantage de Jules. Dans le tumulte, je me hâte de retrouver Jérôme, loin de tout ce monde.

— Vous y étiez presque, mais l'esprit de compétition maladif de mon meilleur ami aura eu raison de vous. Vous aviez une meilleure technique. Lui... Plus de force.

Je me saisis d'un mouchoir, puis je viens, doucement, essuyer son front luisant.

Il sourit de mon analyse.

— Merci Élie.

Je suis déconcentrée par son regard insistant.

— Duc, je vous en prie, cessez, lui intimé-je avec un semblant de sérieux.

Il garde son sourire amusé. Nos visages sont si près l'un de l'autre, à me mettre dans l'embarras.

Je me recule, prenant un air plus grave, repensant aux mots du Roi :

— Est-ce moi qui vous retiens en France ? Que les raisons politiques que vous avancez ne sont qu'officielles ?

Il a le regard fuyant, un peu embêté ; j'ignore même ce que je veux qu'il me réponde.

— Oui.. et non. Je suis réellement préoccupé par ce traité, et je m'accommode toujours difficilement des façons de Louis XIV en matière politique, seulement..

Je ne conclurais qu'une fois que j'aurais trouvé le moyen sûr de pouvoir vous voir souvent. Ne doutez point de mes sentiments.. Vous, vous me feriez une grande injustice.., bredouille-t-il.

— Jamais je ne l'ai osé.

Mes lèvres viennent déposer un délicat baiser sur sa joue, le cœur brûlant ; je l'entends me murmurer :

—Vous êtes beaucoup pour moi, Élie.

Le lendemain, je rejoins Jules à son cabinet de travail, ce matin nous avons décidé de s'attarder sur le courrier de son père à tout ce qui est relatif à l'armée, cela me préoccupe, tout de même. Bien sûr, mon ami ne cesse de se vanter de la veille :

— As-tu vu quelle défaite ai-je imposé à ce cher Louis-Alex' ? Il courait à en perdre haleine, et je renvoyais ces balles, avec une telle aisance. Vraiment, c'en était d'un ennui.

Je ne peux m'empêcher de rire, tant il amplifie.

— Je ne te vis plus après, étais-tu rentrée avec le duc ?

— Oui, puis je rejoignis la compagnie de la Dauphine et de son cercle autour d'un chocolat. Ces dames ne m'ont jamais aussi bien traitée.

Cela donne du baume au cœur après tant de haine.

— Le bruit des parties de jeu de Paume n'a pas tardé à monter, et je me suis retrouvée à tout leur conter en détails. Elles ne tarissaient pas de questions ni d'éloges à ton sujet.

Je le vois dessiner un sourire de satisfaction et avant qu'il ne se vante de ses charmes, je reprends :

— Bien, si nous nous centrions sur ces papiers importants ?

Je relus toute la nuit les écrits de mon père afin de me changer les idées, j'ai la tête encore emplie de ses mots. Pour certains, la guerre ne paraît être qu'une histoire de chiffres, de manœuvres stratégiques, ou une source de gloire personnelle.

Mon père prenait sa fonction militaire très au sérieux, il voulait faire de son mieux, ses réflexions, profondes et d'une implacable rationalité, le prouvent. Discret, il restait pragmatique.

Aucune victoire ne lui a été attribuée directement, mais on sut reconnaître ses qualités, en particulier lors du siège que Monseigneur le Dauphin mena.

J'avais assimilé en moi ses qualités de général à celle en tant qu'homme, il est désormais évident que cet homme-là n'a pas cessé de dilapider son argent acquis au prix de ses longues et épuisantes campagnes.

Je le revois si souvent rentrer agacé, ne restant que quelques jours, parfois ne quittant pas son cabinet de travail.

Non, je ne le connais pas. J'ignore tout de lui.

J'en ai si mal.

Concentré sur son papier, soudain Jules m'interpelle :

— Élie, le Marquis d'Huxelles est convaincu que nous aurons une opération en Flandres, sur les côtes de la Manche, il y ramène son régiment.

— Qu'est-ce qui l'amène à conclure de la sorte ? Attends... L'ambassade anglaise qui nous a quittés Jeudi, la penses-tu déjà rentrée outre-manche ?

Pensif, il récupère parmi ses effets une carte qu'il déplie.

— Élie, toi qui a toujours été douée pour les mathématiques, j'aurais besoin de tes talents. Sachant que Versailles est ici, les principales routes ici, et qu'ils avaient dit embarquer à Dunkerque...

Après quelques calculs sommaires, je pense pouvoir conclure de leur position.

— Ils sont encore en France, Jules. C'est certain, même en s'étant hâté, le mauvais temps d'hier et l'obligation de changer de chevaux toutes les quatres heures..

— Ma foi, tu as raison.

— Je les pense... Aux alentours de Douai.

Il reporte son attention sur la lettre, ses yeux s'écarquillent légèrement.

— Élie... Il évoque un regroupement de ses troupes aujourd'hui sur Douai, les ambassadeurs pourraient prendre cela à titre personnel, ne penses-tu pas ? s'inquiète-t-il.

— Nous voir déjà s'armer alors que nous leur avons promis d'aider à ce que Jacques II conserve son trône, prouve que nous avons peu de foi dans la réussite de l'entreprise...

— Ou alors cela prouve que nous sommes prêts à les défendre, à respecter nos engagements. Mais...

— Non, non cela est bien trop prompt.. Pourquoi décide-t-il si tôt de regrouper ses soldats ?

— Et si... Ils le prenaient personnellement en pensant qu'ils vont être attaqués dans un acte de forfaiture complet !? Retrouvons mon père.

J'acquiesce gravement. Il prend son chapeau, l'enfile, et nous voici en marche vers la Chapelle où nous sommes certains de le trouver parmi les courtisans.

— Eh bien mon fils, que me vaut ta présence ?

Devant nos visages sérieux, il se hâte de quitter sa compagnie, et de nous rejoindre au cabinet de travail où nous lui exposons le fruit de nos doutes et réflexions. Sous son regard attentif et songeur, il conclut :

— Les enfants, je n'aime pas tout cela. Encore plus lorsque le Marquis m'informe de choses comme celles-là à la dernière minute, je n'ai jamais admiré son sens des responsabilités. Suivez-moi.

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