Chapitre 12
Marchant dans ma chambre à coucher qui commence à s'assombrir, je tente de calmer cette pression qui s'accroît. Mélanie est partie me préparer le souper, et malgré tous ses mots d'encouragement, je ne peux m'empêcher de douter.
Et pourquoi ai-je les voix du duc lorrain et de cette femme qui me reviennent ?
Jusqu'à ce que je remarque cette petite boîte, noire, trônant sur ma coiffeuse. Je ne l'avais jamais vue auparavant, me semble-t-il.
Intriguée, je la saisis, l'ouvre, et tombe sur un papier, cachant une épingle sertie de pierreries..
« Pardonnez-moi, je désirais vous le remettre en main propre, seulement mon oncle me fit une visite impromptue, et disposait de projets bien différents...
N'ayez de crainte pour votre représentation. Vous brillerez Élisabeth, et tant qu'on en sera tous ébloui ; je n'en doute point.
À ce soir.
J. »
Je serre immédiatement ce mot entre mes doigts, l'amenant contre ma poitrine. Il ne m'oublie point.
Me voyant dans la glace, les larmes me montent, je me saisis du bijou, et le place dans mes cheveux ; il est magnifique. Je me souris, remuée par l'émotion.
Face à tous ces gens, toute la Cour réunie dont le tumulte s'est tu, je lance un regard au maître de musique, plus confiant que je ne le suis.
Je préfère regarder au Roi, assis sur ce splendide fauteuil, attentif.
Il m'a fait confiance, je ne dois pas le décevoir.
Le jeune Louis sur le côté me fait un léger signe, toujours souriant.
Nous sommes dans le merveilleux Salon de la Guerre, où les couleurs du crépuscule magnifient le lieu paré de miroirs. J'étire un léger sourire lorsque je me souviens de ce soir-là, avec Jérôme, où nous dansions à notre gré ; je le revois.
Je me plonge alors dans une révérence gracieuse, puis je m'approche de la harpe fièrement dressée. Je m'y assois, en fermant les yeux, repensant à ses mots : Vous brillerez.
Je me concentre, et débute.
Je suis émue moi-même de la musique, de son harmonie parfaite, j'espère que ses nuances la rendant plus émotionnelle, plairont..
Je me relève, Lully venant à mes côtés, et, de concert, nous exécutons une nouvelle révérence, sous les applaudissements. Un sentiment inexplicable m'envahit.
On nous félicite, complimente, on ne cesse d'applaudir, et surtout : ce regard, presque semblable à celui de mon père quelques années plus tôt.
Le regard du Roi. Il paraît me dire : « j'ai eu raison de vous faire confiance. »
C'est inestimable.
Du bout des lèvres, j'articule un « merci ».
— Comment ce délicieux morceau se nomme-t-il ? s'enquit-il.
— Le Soleil chassant les Ténèbres, Votre Majesté, répond le virtuose expérimenté.
Il acquiesce, empli d'une fierté fréquente, qui lui sied.
Ce torrent émotionnel tari, je me hâte de retrouver mon meilleur ami, avec qui je suis venue.
Il sèche rapidement ses yeux, me félicitant dans des balbutiements :
— C'était... Magnifique, sincèrement.
— Je t'émeus ?
— Parfois, nie-t-il. Bon, hm, buvons quelque chose puis nous avons des présentations à faire.
Je hoche la tête, le suivant parmi les salons, cherchant déjà du regard celui dont le soutien fut essentiel.
On se presse pour me féliciter, auquel je réponds par des inclinations de tête, des remerciements et des sourires. Quelques-uns ne veulent plus me quitter, et me font la conversation, je réponds aimablement.
— Profite de ton moment de gloire Élie, me taquine mon ami.
Je suis surtout flattée de la présence de ces Princesses Royales, filles du Roi, et notamment sœurs de Louis-Alexandre, qui sont d'une exquise amabilité.
Je rencontre aussi l'honorable père de Jules, enthousiasmé :
— Oh Mademoiselle vous nous aviez caché un tel talent. Quelle fut ma surprise ! Je savais que ce Charles-Henri avait un goût prononcé pour l'art de la musique étant jeune, j'ignorais que vous en aviez hérité. C'était superbe.
Il parvient toujours à me faire plaisir.
— Je me joins à son sentiment, c'était tout à fait plaisant, ajoute son épouse dont je découvre le sourire.
Sa voix sonne bien trop doucereuse. Le mensonge ne lui sied point.
Certains, en voyant que nous sommes des familiers, dirigent leur attention sur le couple cinquantenaire.
— Faufilons-nous, intimé-je à Jules.
Il me suit, et tant bien que mal, nous sortons de l'étroite pièce bondée.
C'est alors les regards noirs, les murmures, les airs suffisants, de quelques femmes mûres, qui me regardent de toutes leurs hauteurs, telle la mère de Jules. Être jugée de la sorte est frustrant. Surtout qu'elles me sont toutes d'un rang supérieur, elles étaient donc tout devant lors de la représentation.
Arrivant dans la salle de Billard, Jérôme paraît alors, n'ayant rien perdu de sa superbe.
Je souris niaisement lorsqu'il me remarque aussi, et s'approche de nous.
— Laisse-moi le saluer en amont, demandé-je à mon ami, le rejoignant.
— Je le savais, vous étiez merveilleuse, me murmure-t-il, tout souriant.
— Merci, duc. Bonsoir, comment allez-vous ?
Tout semble s'évaporer en sa présence, rassurante et gratifiante.
— Bonsoir Élisabeth, et mieux que jamais.
— J'ai à vous présenter Monsieur me semble-t-il, qui m'est si cher.
Le concerné incline alors poliment la tête.
— Oh oui, sincèrement honoré. Duc de Lorraine et de Bar, fils de Charles V de Lorraine, et d'Éléonore d'Autriche, princesse royale de Hongrie et de Bohême, sœur de Léopold Ier, Empereur du Saint-Empire germanique, de la dynastie des Habsbourg.
— De même. Jules de Luynes, fils du Duc du même nom, connétable et Gouverneur de Guyenne, et de la nièce du Prince du Grand Conti, de la branche cadette des Bourbons.
Je pourrais rire devant des présentations aussi solennelles, mais je suis vite rattrapée par le malaise, leurs titres impressionnent, il est vrai.
— Nous avons saisi, vous possédez tous deux les talons rouges, les taquiné-je.
— Ahah, oui, Monsieur, je suis flatté qu'Elisabeth veuille me présenter à vous. Je crois que vous êtes liés par quelque lien d'amitié, commence Jérôme aimablement.
— J'estime hautement Mademoiselle, en effet. Je suis aussi flatté, quoiqu'un peu surpris je vous avoue, de son attachement pour votre personne qui fut si prompt et que je viens d'apprendre.
— J'en suis tout aussi surpris que vous. Je l'entends dans son bon sens. Vous devez connaître ses qualités.
Cette fois-ci je tombe dans l'embarras, bien que touchée. Mon meilleur ami en sourit, jetant son regard sur moi, un regard empli de fierté.
— Des qualités certaines, qui me manquèrent ma foi, atrocement ; vous a-t-elle conté notre histoire ?
— Il me semble que vous vous côtoyez depuis le berceau ? reprend-il.
Sentant que l'entretien est intéressé, je me sens le devoir de les laisser seuls un instant, qu'ils aient le loisir de parler à leur aise, et si je ne veux être submergée par l'embarras s'ils venaient encore à m'évoquer. Je prétexte désirer un rafraîchissement.
Des buffets, j'éprouve un certain plaisir à les voir ensemble de la sorte. On m'empêche bien vite de les regagner, me félicitant encore, ou me faisant la conversation me demandant mon avis sur divers sujets.
Ayant pris congé de toutes et tous, je les retrouve, je sens Jules distrait. J'en saisis aisément la cause.
— Invite-la donc pour une danse.
— Et si elle n'appréciait pas cet art, ne ferais-je pas une faute ? s'inquiète-t-il.
— Regarde-la observer la piste avec envie, il n'y a pas de doute à avoir, le poussé-je presque.
— Monsieur, ce fut un plaisir, cependant...
— J'entends, je vous en prie.
Alors libre, il se dirige vers Mademoiselle, me lançant un dernier regard joyeux, qui me contente.
Je me recentre sur mon ami, et me souviens :
— Oh, merci pour le présent et votre mot... Ils me firent un extrême plaisir.
Il en sourit, murmurant :
— Le plaisir était pour moi, bienheureux qu'ils vous ont plu, je n'étais point assuré de mes actes.
— Ainsi, votre oncle vous a bien occupé ?
— Ahah, oui, il voulut une visite de tout le palais, que je lui présente certaines personnes qu'il connaissait de réputation..
— Ahah, je vois. Et vous ai-je dit ? Hier j'eus une belle opportunité, j'ai pu me rendre à l'observatoire royal, où siège l'académie des sciences.
Piqué par la curiosité comme je l'imaginais, il s'étonne :
— Vraiment ? Savez-vous qu'il possède une lunette avec laquelle ils peuvent observer les planètes ?
J'acquiesce, heureuse de son intérêt.
— J'ai pu admirer des cartes stellaires splendides !
Puis, à voix basse, j'ajoute :
— J'ai pensé à vous.
Souriant, repensant évidemment à cette belle soirée suivant l'opéra, il demande :
— Vous avez su retrouver Orion ?
— Oui !
Nous en sourions niaisement.
— Élisabeth, je souhaiterais vous proposer quelque chose mais ce serait vous exposer à une Cour qui désormais ne regarde que vous...
Je réponds de suite, le cœur battant :
— Faites. Peu m'importe.
Il se saisit alors de ma main, et doucement me demande :
— Me feriez-vous l'honneur d'une danse ?
Cette fois-ci nous n'avons fait aucun écart aux règles strictes de la danse de Cour, mais nous le faisions à la quasi perfection, du moins ça l'était à mes yeux, qui étaient à dire vrai, davantage concentrés sur mon partenaire.
J'ai savouré chaque instant, même si derrière ses épaules, je ressentais la pression de la Cour et de ses regards.
Plongeant dans la révérence de fin, le cœur serré, on se hâte de m'ôter mon ami.
Me rendant aux buffets, je découvre Constance et Laure discutant, celle-ci venant de finir sa danse avec Jules. Je crains les méchancetés et autres menaces qu'elle doit recevoir. Je me hâte.
— Regrettez-vous votre Bretagne natale ? Il est vrai que la Cour est d'une rigueur à laquelle vous devez être peu accoutumée... Oh bonsoir Elisabeth.
Elle se retourne pour me faire face, cette malicieuse brune aux lèvres carmin. Elle ne pense pas un mot de ce qu'elle vient de prononcer d'un ton si affable.
La jeune bretonne paraît gênée, elle me sourit et incline la tête poliment.
— Bonsoir. Je vous remercie Mademoiselle, je reconnais que je nécessite encore un peu de temps pour m'y habituer entièrement..
Je me prends de sympathie pour elle. Le premier conseil que j'aurais à lui donner c'est bien de se méfier de Constance.
— Mademoiselle de Beaujeu, permettez-moi de vous présenter Élisabeth de Lisière, elle...
— Je sais.. Personne n'ignore qui elle est.. Enchantée. Vous êtes une admirable musicienne. C'était.. fort plaisant.
Elle respire la sincérité, ce qui, aux côtés de Constance, permet de reprendre son souffle.
— De même, Mademoiselle, et merci bien. C'est aimable.
Elle semble pouvoir parler, mais n'ose, un peu gênée.
— Veuillez m'excuser... Je me questionne. Est-il vrai que vous êtes liée d'amitié avec le Duc de Bourgogne ? Je lui ai toujours trouvé un air aimable, de bonne façon..
Elle a une voix agréable, qu'on sent honnête.
— Vous voyez juste.
J'essaie de lui rendre son amabilité.
— J'en étais certaine.. Pardonnez mon malaise. Je ne suis pas du genre à me montrer.. Pas du tout, même, elle ricane, nerveuse. Alors devant vous, qui côtoyez la famille royale.. Je me sens.. Vous voyez, bredouille-t-elle. Veuillez me pardonner, je me sens tout à fait pitoyable.
Elle me paraît morte de honte.
— Oui Élisabeth impressionne, d'autant plus qu'elle n'est ici que depuis deux semaines tout au plus. Sachez que nous sommes à votre disposition si vous avez besoin, n'hésitez pas, lui assure si gentiment Constance.
Qu'elle n'emploie plus jamais le nous. J'irai parler en privé avec Laure.
— Je vous suis obligée. Passez une bonne soirée, prend-elle congé en s'inclinant.
Nous y répondons, elle nous quitte.
Constance perd alors sa mine avenante et son sourire amical, la suivant du regard, elle semble la maudire.
La parfaite illustration de l'hypocrisie qui empoisonne cette Cour.
— Ah Elisabeth, c'est un tel triomphe, vous disposez des grâces du Roi, de celle des Grands.. Si j'avais pu deviner cela le jour où mes yeux se posèrent la première fois sur vous, j'aurais pensé à des chimères, me confie-t-elle bien agréablement.
J'allais lui répondre, que je voie Jules oser demander une seconde danse à Laure, me remplissant des plus beaux sentiments. Ayant vu cela, elle reprend :
— Quoique pour cela je n'y crois pas non plus.. Figurez-vous qu'elle était la dernière personne à laquelle je pensais pour me barrer le chemin, qu'il s'avère qu'elle ait su faire de l'impression à mon promis. Elle qui ne dit mot, si ce n'est des balbutiements confus, qui fuit les rassemblements mondains, et ne se plaît que dans les livres. Si un homme lui adresse la parole, elle en devient toute rose, et trouve toujours un prétexte pour ne pas se laisser seule avec lui. Ce que je donnerai pour qu'on m'apprenne ce qu'il lui plaît chez elle. Même de visage, on ne peut la qualifier de jolie.
Il me tarde de pouvoir mieux la connaître, car je suis persuadée que Jules a dû découvrir ce qui se cachait de merveilleux derrière sa timidité.
— Jules est quelqu'un de sensible qui a dû aller au-delà de votre description de sa personne, répliqué-je.
Elle se sert d'une coupe, et m'en donne une.
— Sans doute. Mais cela ne m'effraie pas, ce n'est qu'une aventure dont il sera las. Je vous prédis même pas le mois, sinon je m'en occuperai personnellement...
Ces paroles ont un goût détestable.
— Élisabeth, dit-elle sérieusement. Vous avez un penchant pour le Duc de Lorraine.. Je me trompe ? Je dois reconnaître votre bon goût.
Je pourrais en pâlir. Me confronter ainsi de façon aussi directe à mes sentiments bien confus, voilà bien une impolitesse que je lui pardonnerai avec difficulté.
— Je vous ai aperçu après l'opéra, vous entriez dans la même berline que la sienne. N'ayez crainte, je pense être la seule. Mais laissez-moi donc me comporter en amie, puisque vous n'avez jamais abusé de la confiance que j'ai mise en vous.
Je n'ai jamais ébruité ses sentiments pour Jules, certes. Elle s'octroie avec moi une liberté de parole que je regrette, s'il s'agit de n'entendre que médisance. Je la laisse poursuivre.
— Vous ignorez tout de lui. Le souci c'est que la plupart aussi, puisqu'il est accoutumé à la Cour de Vienne. Il s'avère que j'ai une cousine en Autriche, qui m'apprit avec plaisir de qui il s'agissait. Elle l'a dépeint comme affable, très courtois avec les dames, et il serait fréquemment en compagnie d'une princesse allemande, de qui il semble lié.. Et elle serait en France, sûrement pour le rejoindre.
Quelle pernicieuse. Son dessein n'est autre que de me piquer de jalousie.
— J'ignorais que nous étions suffisamment proches pour que vous me fassiez des faveurs de la sorte, allant jusqu'à enquêter, y réponds-je froidement.
— Enfin, Élisabeth, certes je n'ai pas toujours été d'une grande amabilité envers vous, mais c'était uniquement parce que Jules entrait en compte. En réalité, vous ne me déplaisez nullement. Au contraire, je vous admire même.
Le sourire est faux, ses yeux luisent de malice, cette voix mielleuse dont elle use me déroute..
— Écoutez, vous plaisez aux hommes, assure-t-elle. J'ai entendu je ne sais combien de louanges au sujet de vos beaux yeux. Vous jouissez d'un grand pouvoir, à user à bon escient. Prenez garde. Je vous laisse.
Elle me quitte donc.
Je regarde piteusement mon breuvage entre mes mains, l'esprit ailleurs, perdue.
Et qu'est-ce donc que cette douleur dans ma poitrine ? Elle grandit et m'empêche de respirer convenablement.
Cette princesse allemande, n'est-ce pas elle que j'aurais aperçue ? Je reconnais que je sentais une complicité entre elle et Jérôme..
J'ai voulu oublier cette vue après avoir reçu ce mot de Jérôme, qui, en évoquant son oncle, me décida à lever tout soupçon.
M'aurait-il menti ? Pour quelles raisons ?
Je me refuse à le croire. Et puis, non. Il est bien en droit de ne pas tout me dire.
Qui suis-je auprès de lui ?
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