Chapitre 10
À quatorze heures, je me vois donc rejoindre Louis, souriant à l'idée de me retrouver, je le remercie chaleureusement.
Son maître me salue plutôt froidement, me jugeant du regard ; physiquement il me fait penser à mon oncle. Je lui espère un meilleur caractère.
Dans la berline qui nous mène à l'observatoire, je lui évoque les nombreuses planètes du système solaire et leurs particularités, certaines ont même des lunes. Il s'en étonne, c'est amusant.
— Parmi les académiciens il y a de nombreux étrangers, nous informe l'homme. Cela vous permettra de pratiquer.
Le jeune Duc me lance un regard de détresse. J'en contiens un rire.
— Vous parlerez latin, tous le comprennent.
Il me fait comprendre que cela ne lui est pas plus avantageux.
— Alors je serai là, murmuré-je.
— Merci.
— Je ne crois pas que beaucoup de femmes aient franchi les portes de l'académie, prononce le cinquantenaire, dubitatif.
Il ne devait pas être d'avis que je sois des leurs.
— Il s'agit d'une simple visite, sans aucune prétention, lui rétorque le jeune Duc.
Il me sourit, je peine à lui rendre, un peu gênée.
Soudain, nous approchons, je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait tant de vies, ni que le bâtiment soit si grand.
Des hommes discutent, regardant le ciel, émettant des théories, d'autres marquent le sol sableux.
Je remarque aussitôt, sur le toit, des instruments tels que des sextants ou des lunettes nouvellement inventées.
Je suis surexcitée intérieurement.
L'on s'arrête, descend, et j'assure alors au maître :
— Je vous promets de ne jamais vous faire du tort Monsieur, je sais où est ma place.
Il se contente de plisser ses lèvres.
On nous accueille à bras ouverts, on veut tout présenter au jeune prince.
Je préfère omettre les quelques bavardages à mon sujet dont la discrétion est discutable.
Lorsque je découvre les cartes immenses, les bureaux remplis de calculs, et toutes sortes d'instruments, je me contiens pour ne pas poser des milliers de questions.
On explique en détail les dernières découvertes, je reste attentive. Parfois je sens que Louis opine mais qu'il n'a pas réellement tout saisi.
Je lui réexplique tout bas, son visage s'illumine et il fait mine que c'était évident.
Alors qu'ils décident de nous présenter l'étage suivant, dans les escaliers, son maître lui dit :
— Le plus important n'est pas que tu comprennes tout cela, tu ne vas pas devenir théoricien, mais que tu voies comme la science peut être au service de l'avancée de l'humanité.
Je trouve ces paroles magnifiques.
Lorsqu'on nous assure qu'avec des instruments comme la lunette nous pouvons observer des étoiles si lointaines, je me mets à penser à Jérôme et combien il aurait aimé être ici.
Surtout lorsque je vois ce splendide globe stellaire, précis, et coloré.
Je souris, presque émue, lorsque je reconnais la constellation d'Orion.
Rentrés, nous allions nous séparer, que Louis me retient pour me remercier encore une fois.
— Je vous suis doublement obligé.
— Nullement, c'est vous qui m'avez fait plaisir ! Passez une bonne fin de journée Louis.
Le soir, alors en pleine conversation avec Mélanie lui racontant mon après-dîner, que soudainement, l'on frappe à la porte.
Un valet du Roi s'en dégage :
— Mademoiselle de Lisière ? demande-t-il après une inclination.
— Moi-même.
J'en suis bien troublée.
— Sa Majesté réclame votre présence. Veuillez me suivre.
Mélanie et moi partageons la même surprise. Elle se hâte de me repoudrer, d'ajuster quelques mèches de ma coiffure, et me pousse presque en dehors du logis.
— Savez-vous de quoi il s'agit ? demandé-je à l'homme de la trentaine d'années, en costume bleu.
Il ne me répond pas, et avance avec promptitude, tenir le rythme est difficile. J'ai le cœur battant.
L'heure est plutôt avancée.
Mes hypothèses se bousculent, se confondent, une fois devant les portes royales, je suis tétanisée.
L'homme me les ouvre, et m'annonce.
Je découvre alors la famille royale, en toute intimité, les yeux tournés vers moi, seul le jeune Louis m'accorde un sourire jovial qui me rassure un peu.
Je plonge dans une révérence.
Un homme qui me semble avoir déjà vu est aux côtés du Roi, et lui murmure à l'oreille. Lully. Je me fige.
— Mademoiselle, bonsoir. Nous parlions de la dernière tragédie de Monsieur Lully de la veille, lorsque mon cher petit-fils se mit à nous conter vos talents musicaux avec un avis bien net.
Nous avons là une belle harpe, pourriez-vous nous improviser quelque chose ?
J'en suis abasourdie. Cela est-il possible ? Je regarde avec désespérance le jeune Duc, qui conserve son air jovial.
Est-ce ainsi qu'il me remercie ? Et si je me ridiculisais ? Et ce devant les plus hauts dignitaires du royaume.
— N'ayez d'inquiétude, votre performance ne vous fera pas tomber en disgrâce, c'est par pure curiosité de ma part, m'assure le souverain.
C'est aimable...
Je m'approche donc de l'instrument, m'y place, et prends le temps de mettre de l'ordre dans mon esprit un instant.
Le poids du regard du Roi est palpable, dont la prestance impressionne, savoir que Lully est ici n'arrange rien, je me sentirai mal pour toujours d'avoir gâté en lui mon image.
Non, il faut voir les choses d'une manière différente.
Louis m'a donné l'incroyable opportunité de faire entendre à Sa Majesté et Lully en personne ma musique. C'est une occasion à ne pas rater.
Je dois avoir confiance en mes talents.
Jérôme me vient alors en tête. Il était sincère hier soir. L'imaginer me rassure.
Je place mes doigts sur les fines cordes, prends une légère inspiration, puis commence une adaptation de mon morceau favori.
Doux, gai, mélodieux, les paupières fermées je reste concentrée, et savoure le son agréable et poignant de ce si bel instrument.
À défaut de pouvoir jouer pour le plus grand nombre, Jérôme et son ravissement suffisent, peu m'importe si ce soir c'est un échec, tenté-je de me rassurer.
J'ai fini.
Je déglutis.
Je rouvre les paupières, lentement. Le silence s'est emparé du lieu.
Le Roi semble pensif, le regard vague.
Soudain, le Duc de Bourgogne se lève, et m'applaudit.
Son père suit, puis au tour des princesses royales, qui me complimentent :
— C'était fort joli.
Puis le Roi jusqu'alors muet, prononce :
— Élisabeth. La lyre est l'instrument divin par définition, tel David qui louait Dieu. Il me semble l'avoir entendu en vous.
L'émotion me monte aux yeux. On ne m'avait jamais fait un tel compliment.
Je tombe dans une inclination.
Sa Majesté se lève, regarde son compositeur de sorte à ce qu'il parle :
— Mademoiselle, les mots de Sa Majesté, et les tonalités de ce morceau me donnent une inspiration nouvelle.
Je ne crois plus ce que j'entends.
— Vous m'envoyez ravi Monsieur. Élisabeth, soyez dès ce jour d'hui mon harpiste.
— C'est un tel honneur Sire, je tâcherai de ne point vous décevoir, prononcé-je maladroitement en refaisant une inclination.
— Nous prenions un chocolat, joignez-vous à nous, m'intime-t-il.
On m'apporte en diligence un tabouret, qu'on place entre le Roi et Louis, je n'ose m'y asseoir encore un peu décontenancée. Louis et son air ravi m'amène à mieux saisir l'ampleur de ce qu'il vient de se passer.
— Élisabeth, c'était magnifique ! J'en étais certain. Et mon grand-père, il en frémissait. L'art a toujours eu le don de le saisir et de l'intéresser.
— Oh, Louis, merci...
— Tenez, prenez une tasse de chocolat.
Il me tend ladite tasse encore fumante, j'essaie de lui sourire, et apporte à mes lèvres le délicieux breuvage.
En face, je croise une femme distinguée au visage bien pensif, celui de La Maintenon, dont l'habit est d'une élégante simplicité. Elle me garde son regard méfiant.
Les conversations reprennent, Louis me conte ses passages préférés, que soudain, le Roi m'interpelle dans un murmure :
— Élisabeth, comment se porte votre mère ?
Je baisse les yeux, et me pince les lèvres.
— Le deuil est difficile.. D'autant plus qu'il s'accompagne de lourdes dettes..
— Vraiment ? Certes, votre père était enclin aux jeux d'argent, mais il me paraissait suffisamment sage pour ne point tomber chez les usuriers.
Il me confirme lui-même le goût de mon père pour les jeux...Un étrange sentiment me tord le ventre.
— Je dois vous avouer Sire, que l'on m'a appris à ne pas me mêler de ces choses, et de rester à la place qui est mienne... J'ignore tout cela, réponds-je, me trouvant pitoyable.
— Vos rentes et sa gratification reçue pour ses loyaux services devraient largement suffire... Je trouve tout ceci bien étrange.
— Mon oncle est l'intendant de nos biens, ma mère ne désirant pas être douairière, son état ne le permet pas..
Il se contente d'opiner, puis changeant de sujet :
— Vous ne jouez que de la harpe ?
— Du clavecin aussi, si cela plaît à Sa Majesté.
— Parmi un orchestre oui, seul je ne sais..
Ce jeudi au soir, il y a appartement, vous y joueriez de la harpe.
Mon cœur pourrait s'interrompre. Ce que j'ai toujours désiré m'est donné ainsi sur un plateau doré.
— Comme il plaît à Sa Majesté.
— Voyez cela avec mon compositeur.
J'opine, croisant le regard du concerné, qui opine à son tour.
J'ai bien apprécié mon entretien avec le Roi, la parole étant facile, l'embarras presque disparu, son intérêt à mon égard me réconforte.
— Oh, et merci de ce que vous aidez mon petit-fils. Il semble plus épanoui.
Je suis plus que flattée.
Plus tard, marchant dans les couloirs du palais, je réalise ce qu'il vient de m'arriver et une sorte d'euphorie m'emporte.
Soudain, je pense à Jérôme. Je désire qu'il soit le premier au courant pour ma nomination, et mon triomphe de ce soir.
J'hésite face à l'acte, peut-être n'est-il même pas éveillé. Puis je le revois, toujours aussi avenant, ce qui achève de me décider. Je frappe deux coups légers sur la porte. On m'ouvre.
— Monsieur dort-il ?
— Point encore, mais...
J'entre dans la pièce sombre, de la lumière semble émaner de la chambre à coucher. Je pousse la poignée, hésitante, puis plus franchement.
— Élisabeth ?
Il est assis, à son bureau, plume en main, simplement vêtu de sa chemise blanche.
— Monsieur... Vous n'allez pas me croire. Sa Majesté en personne vient de me complimenter sur ma musique. Il m'a fait la demande de devenir musicienne à son service selon son gré. Et cela commence par ce jeudi soir. Je ferai une représentation.
J'en suis émue de joie. Il fait un bruit d'admiration, et me sourit, ravi.
— C'est une excellente nouvelle.
— Je.. Je voulais que vous en soyez le premier averti, comme... La veille... Enfin, oh pardonnez-moi d'être ainsi entrée à l'improviste !
Je réalise alors mon acte dans son entièreté. Il en rit un peu.
— Ce n'est rien, ma porte vous sera toujours ouverte. Et cette nouvelle en valait la peine. J'en suis vraiment ravi pour vous.
— Moi aussi, vous serez toujours le bienvenu.
— Cette fonction auprès de lui, fait de vous désormais une personne indissociable de la Cour... Vous vous devez de vivre aux côtés du Roi. Je me demande s'il ne va pas vous attribuer un appartement dans le palais.
— Oh vous pensez ?
— Ce serait probable. Quel morceau lui avez-vous joué ?
— Comme c'était à la harpe, j'ai dû adapter notre morceau de la veille.
— Ce doit être si beau la harpe... Je suis certain que vous avez su le faire à merveille.
— Monsieur... Merci, sincèrement. Je vous souhaite une excellente nuit. Et bien du courage pour finir vos affaires.
— Merci, j'en ai besoin.
Il se lève, et vient prendre ma main, me demandant avant :
— Permettez ?
Il la porte à ses lèvres, pour y déposer un léger baiser.
— Faites de beaux rêves, talentueuse demoiselle.
Encore sur mon nuage, secouée par tant de sentiments, je marche doucement jusqu'à ma chambre à coucher puis à mon lit.
Le sourire et les yeux azur de Jérôme me hantant.
Levée aux aurores, j'explique à Mélanie ma folle soirée de la veille.
— Mademoiselle... Il a dit son harpiste ? Mais.. cela est un honneur tel ! Oh, Élisabeth, j'ai toujours eu foi en vous ! Il était temps que l'on vous remarque pour vos talents.
— Oui, Mélanie, je sais, et je t'en suis reconnaissante. Merci, dis-je sérieusement.
Elle me pince affectueusement la joue.
— Ce mignon petit sourire. Ah, Mademoiselle... Votre père serait si fier de vous.
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