Chapitre IV partie 2
Il se retourna et lui fit face, sans l'ombre de son habituel sourire malicieux :
— Ah, autant vous le dire, maintenant. Vous avez devant vous le chevalier d'aubépine, sieur Ascelin d'Almes, troisième fils de l'une des familles nobles du comté d'Arde, ancien paladin pricaire.
— Pa... paladin ? Vous voulez dire...
Cette fois, il sourit de toutes ses dents :
— Que je traquais et menais au bûcher les gens tels que vous, acheva-t-il pour elle. Pour les moins chanceux. J'abattais purement et simplement les plus chanceux d'entre eux. Je sais bien quelles menaces pèsent sur vous dans le canton d'Ardeville. Vous n'avez pas idée du nombre de prétendus hérétiques que j'ai moi-même massacrés de mes mains.
Elle fit un pas de côté, le détaillant avec méfiance, s'approchant lentement du flanc de Croquetard. Il savait qu'elle ne partageait pas sa foi. Il l'avait mise en garde... allait-il maintenant la livrer aux prêtres pricaires ? Était-elle en danger ?
Elle glissa sa main vers la poignée de Cymon, à l'arçon de son destrier. Lui, il posa sa main gauche sur le pommeau de son épée à sa ceinture, avec une apparente nonchalance qui pouvait lui offrir l'opportunité de tuer en dégainant.
Il la contempla qui se tendait vers son arme et lui sourit :
— Malgré tout, murmura-t-il avec une étrange intensité, je ne me suis jamais senti béni du Patriarche qu'après ma désertion et mon installation avec ma bien-aimée. Pour ce qui est de la force surnaturelle destinée à me permettre de combattre les ennemis de Dieu... ni un entraînement rigoureux, ni le massacre de dizaines d'innocents ne m'auront rendu plus fort. Soit il n'en a rien à faire de nos inepties, soit il m'a jugé bien assez fort comme cela. Et je l'étais, bien assez fort ! Oh oui ! Juste ce qu'il fallait pour passer au fil de l'épée les sorcières et guérisseuses qui avortaient ou accouchaient les femmes dans les villages du canton, les serfs qui produisaient trop peu de grains, les vilains qui s'acquittaient mal des droits de péages et des dîmes, les femmes récalcitrantes aux droits de cuissage des seigneurs... bref, tous ceux qui ne courbaient pas l'échine suffisamment bas à l'invocation des droits divins conférés à mes pairs et étaient donc jugés hérétiques, au même titre que ceux qui pleuraient à chaudes larmes lorsqu'on les contraignait, souvent sous la torture ou la menace, à vilipender leurs anciens dieux. Oui, pour ces besognes, le paladin que j'étais, chevalier de la foi, était bien assez fort et n'avait nul besoin d'une bénédiction du Patriarche. Mais j'ai ensuite rencontré Miryme, et j'ai voulu la prendre pour femme, ce qui était contraire à mon droit de Manteau Pourpre. Sans mentionner qu'elle était roturière et moi noble. On m'a bien suggéré de la prendre pour maîtresse mais cela ne me suffisait pas. J'ai donc brûlé mon manteau, laissé mon épée à ce vieux rat en échange d'une bourse suffisante pour nourrir ma femme et moi quelques mois, vendu tous mes chevaux au marché pour acquérir une somme me permettant de monter mon affaire... et je suis devenu le Ascelin Brocardier que vous avez rencontré. Voilà tout.
Elle se détendit quelque peu. Il paraissait sincère, et l'éclat cynique et désabusé qui pétillait dans ses yeux la rassurait un peu sur la ferveur de sa foi. Il lui rendit un sourire profond et franc :
— Et maintenant, ironisa-t-il, vous savez tout ce qu'il y a à savoir sur moi tandis que moi, je ne connais toujours que votre prénom. Et encore, je n'ai aucune garantie que ce soit le vrai, et pas un éhonté mensonge.
— Et vous vous en contenterez, riposta-t-elle sombrement en dénouant la bride de Croquetard de l'anneau de la façade.
— Ah ! Quel dommage... allez, venez ! Allons réclamer notre salaire pour ce colis morbide !
De nouveau, il la mena avec assurance dans les rues de la ville jusqu'à la garnison de la maréchaussée, mais parut hésiter devant la porte.
— Un problème ? demanda-t-elle en remarquant sa tension.
Il fit la moue :
— Hé bien... je ne suis pas sûr de pouvoir y aller moi-même sans risquer d'être reconnu par certains des brigadiers, mais vous ne pouvez pas y aller non plus, car ils ne paieraient pas une tête de criminel à une femme sans soulever de sérieuses questions qui vous mettraient en péril.
— J'y envoie mon cheval ? Aurait-il davantage de chances que moi de toucher notre paie ?
— Oh ! Ne le prenez pas mal, vous savez ce que je veux dire. Ou alors, dissimulez vos cheveux et allez vous faire passer pour un écuyer !
— Encore ? Vous appréciez ça, hein !
Ascelin ricana, mais elle se renfrogna et rassembla sa chevelure blonde, qu'elle noua et glissa dans sa cotte. L'ancien chevalier fouilla dans son bagage et en tira une cale sombre qu'il enfonça sur les oreilles de la jeune femme en prenant soin de masquer la chevelure, se permit de rehausser le col de son manteau de pluie pour qu'il dissimule son cou et les éventuels cheveux rebelles, puis lui sourit :
— Un vrai garçon dans les âges précédant le Sacrement Viril, dites-moi !
— Traitez-moi encore de garçon... débuta-t-elle entre ses dents sans parvenir à finir sa menace.
Finalement, elle se rendit à la raison : elle ne pouvait pas lui en vouloir. Il avait sûrement raison. Si une femme ne pouvait posséder d'armes, attributs offerts aux hommes par le Patriarche, elle ne pouvait tuer et moins encore décapiter des criminels. Alors, elle jeta un regard noir à Ascelin qui riait sous cape, s'empara du sac contenant les deux têtes et des avis de recherche froissés et humides, et pénétra assez brutalement dans le corps de garde.
Elle servit le mensonge qu'il lui avait proposé, mais nul ne lui posa trop de questions. Elle en ressortit peu de temps après, déchargée de son sac morbide remplacé par une bourse pleine. Elle l'ouvrait pour en compter les pièces à rendre à l'ancien chevalier pour sa prise lorsqu'il la rabroua :
— Pas ici. Pas dans les rues. Allons chez Herbert en espérant qu'il nous offre une chambre, nous verrons cela là-bas.
Elle grommela et remballa la bourse en la dissimulant dans les plis de son manteau, reprit la bride de Croquetard qu'elle avait laissée à son compagnon de route, et le suivit de nouveau à travers la ville.
Ils parvinrent dans les beaux quartiers, ceux des maisons à encorbellements, parfois même bâties de pierre, et elle en vint à se sentir pouilleuse, dans ses vieux habits élimés. La qualité de Croquetard et Vaillant lui valait néanmoins des regards appuyés et parfois envieux, aussi s'enorgueillissait-elle de mener deux si belles bêtes, avant de réaliser que les regards allaient surtout sur Ascelin, qui donnait l'impression de pavaner en laissant son écuyer se préoccuper seul de mener les chevaux.
Ils parvinrent devant une auberge et Mesha noua la bride de Croquetard à la barre de bois devant l'abreuvoir destinée à recevoir des chevaux, en contemplant avec envie l'écurie adossée à la belle demeure.
— Bien, soupira Ascelin, il ne reste plus qu'à espérer que le bougre se souviendra du service qu'il me doit ! Allez, venez. Vous pourrez mettre les chevaux à l'écurie s'il nous accueille. Sinon... nous devrons trouver un autre établissement... ah ! Allons-y !
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