Chapitre I partie 7
Elle posa la pointe de son épée au creux de la nuque entre les cervicales, appliqua ses deux mains sur sa garde de part et d'autre de sa fusée, contracta ses bras endoloris et pressa d'un coup de tout son poids. Elle sentit la colonne se disloquer avec un bruit mat comme sa pointe se planta profondément dans la nuque, séparant les vertèbres.
« Mais vous comprenez, reprit-elle en récupérant son épée, il faut bien que je mange ! »
Mesha remit le corps sur le dos et étudia brièvement la posture de la gorge. Difficile de trouver la pomme d'Adam tant les muscles étaient raidis et durcis par la mort, et la trachée déjà gonflée par les premières exhalaisons de décomposition.
Ah, décidément, trancher la gorge d'un mort bien refroidi s'avère autrement plus difficile que trancher celle d'un vivant ! J'espère que Galore saura apprécier mes efforts à leur juste valeur sinon je lui fais avaler le cœur de ce cadavre, tiens !
Elle éleva son épée au-dessus de sa tête, une main empoignant la garde et l'autre fermement nouée autour de la fusée.
« Et puis, croyez-moi sur parole, les amis, mieux vaut fournir les ingrédients des décoctions aux Mages plutôt que les contraindre à user de magie ! Au moins, les philtres de magiciens n'empoisonnent que ceux qui les boivent... pas comme leur magie ! »
Elle abattit sa lame comme une hache sur une bûche à fendre. Son coup était d'une précision inégalée, mais la gorge raidie ne céda que partiellement. Elle s'y était attendue, cependant. Elle commençait à avoir l'habitude – morbide habitude – de décapiter des cadavres rigides comme des triques. Elle avait néanmoins brisé la pomme d'Adam et sectionné la trachée et l'œsophage, créé une bonne entaille dans la chair, qu'il ne lui restait plus qu'à terminer.
Elle rengaina, surveilla les Creux qui la scrutaient toujours sans bouger, puis haussa les épaules avec désinvolture :
« Vous vous fichez royalement de ce que je vous raconte, dites-moi. Tant mieux. S'il y avait eu des adorateurs de notre fameuse Guilde parmi vous, je m'en serais voulu de vous avoir offensés et nous aurions dû laver l'affront à la manière des chevaliers. Ah, ça n'aurait pas été pour me déplaire, notez bien, mais disons que j'ai d'autres priorités pour aujourd'hui, et mon corps est un peu las de mes amusements nocturnes récents... »
Elle s'accroupit de nouveau et tira encore le coutelas, dont elle se servit pour achever de découper les chairs raides et froides qui tenaient encore la tête attachée aux épaules. Elle le glissa par la fente créée dans les cartilages par son épée, nettoya les derniers tendons qui se défendaient encore, plongea jusqu'à trouver les deux cervicales qu'elle avait séparées. De là, elle entailla les muscles durs et élastiques récalcitrants avec une impatience qui faillit la mener à ruiner le travail. Elle n'aimait pas vraiment patauger dans cette bouillasse puante, fouiller au couteau la gorge ouverte d'un mort qui commençait déjà à puer presque autant que le fumier dans lequel il reposait, sous les regards scrutateurs et vides de tout un village siphonné de ses âmes.
Mais la tête finit par venir. Elle l'attrapa par les cheveux, la secoua un peu de la boue qui la maculait, puis ouvrit le sac croûté de sang séché et la plongea avec les deux autres. De plus en plus de regards se posaient sur elle, et du mouvement lent mais indéniable commençait à se faire voir dans son assistance silencieuse. Des têtes tournaient vers elle, quelques pas convergeaient en sa direction depuis une bonne distance.
Elle se redressa et essuya la fange qui s'agglutinait sur ses genouillères d'acier et s'incrustait dans ses chausses de maille. Elle glissa le bocal de formol avec ses trois autres trophées macabres, jeta ses sacs sur son dos, et décida de quitter l'endroit.
Elle marcha lentement en sifflotant, passa devant les yeux blancs des villageois... et remarqua qu'ils la suivaient du regard. Avec un léger retard, mais ils la suivaient malgré tout.
Oh là, je sens plus le sang que le cadavre dépoitraillé et décapité que j'ai laissé derrière moi ? En voilà, une histoire !
« La bonne qui s'en vient,
Tu la... tu... oh je commence à en avoir assez, de cette chanson. Hé les amis, vous n'auriez pas un autre air à me mettre dans la tête ? Je suis sûre que vous en connaissez, des chansons de bon goût, hein ? »
Le silence pesant qui répondit à ses mots manqua de la faire pouffer de rire :
« Ah, vous n'avez vraiment pas le sens de l'humour ! »
Elle s'interrompit soudainement comme elle faillit buter sur un corps : une femme. Celle qu'elle avait assommée avec la hampe de sa hache comme elle s'était agrippée à ses bottes. Pourquoi était-elle morte alors qu'elle avait reçu un simple coup de bois sur le crâne ?
Mesha s'inclina un peu sur le corps, curieuse. S'il suffisait d'un simple coup sur le nez pour tuer des Creux, elle s'était sûrement fatiguée pour rien tout ce temps ! Elle eut vite sa réponse : elle avait la gorge arrachée par une morsure. L'arcade sourcilière était enflée et avait commencé à bleuir, le nez était de travers et avait saigné le long de la joue, exactement là où elle l'avait cognée. La vérité, c'était que la morsure qui avait vidée la vilaine de son âme l'avait aussi vidée de son sang. Assommée, elle était tombée dans la rue. À en juger par le bleuissement et l'hématome qui commençait à poindre, elle était demeurée vivante plusieurs heures durant, inconsciente, avant que le cœur ne se taise enfin.
Hé, mais je n'ai pas de tête de femme, pour Galore ! réalisa Mesha en son for intérieur.
Elle lança de nouveaux regards autour d'elle. Les yeux blancs étaient pour partie tournés dans sa direction, mais ils ne pesaient pas vraiment sur elle. Plutôt sur l'endroit approximatif où elle se tenait.
J'ai encore un peu de temps. Ça devrait lui plaire !
Lorsqu'elle regagna enfin les chevaux, ce fut le dos lourdement chargé et plusieurs Creux qui déambulaient lentement dans son sillage, attirés par l'odeur de sang que dégageait son sac de trophées de guerre.
Elle frissonna en regardant les individus hagards qui sortaient lentement de la ville sans trop savoir ce qu'ils suivaient, et songea qu'elle espérait les semer rapidement. Elle noua ses sacs sur les bâts encore légers de son tout nouveau roncin, en attacha la longe à son arçon, sauta en selle de Croquetard.
« Allez, filons d'ici. Il n'y a plus rien à voir ! »
Elle quitta la bourgade au petit trot, laissant derrière elle cadavres et Sans-Âmes.
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