Chapitre I partie 5

Elle se faufila dans la grange, y dérangea deux bœufs, et fut ravie de l'odeur de cheval qu'elle y décela. Un cheval de trait, presque aussi massif que ses camarades bovins, reclus dans une stalle au fond de la grange, éleva une imposante tête brune dans sa direction et la salua d'un hennissement.

Mesha vint lui rendre visite : c'était un puissant percheron bai au chanfrein orné d'une belle face blanche.

« Hé bien mon grand ! C'est que tu vas être bien seul, désormais, ma parole ! » le salua la jeune femme en lui flattant les naseaux. L'animal parut la comprendre et frictionna sa tête contre sa paume, comme s'il était heureux de profiter d'un dernier signe d'affection.

« Dis-moi... est-ce qu'à tout hasard tu saurais répondre aux rênes ? Tu pourrais m'être bien utile, tiens ! Au moins... aurais-tu des bâts avec toi ? C'est que mon pauvre Croquetard va finir épuisé à force de tout porter tout seul, tu sais... tu lui filerais un coup de main pour transporter mes bagages ? Tu m'as tout l'air d'une brave bête, toi ! »

Elle fouilla l'endroit du regard. Une charrette avait été déposée devant l'entrée de la grange et un joug semblait permettre d'y atteler la bête, mais ce n'était pas exactement d'une charrette dont elle avait besoin...

Bingo ! Il y a exactement ce qu'il faut !

Elle venait de dénicher un harnais de bât et un licol pour lui.

« Hé bien ! Finalement tu as un peu de chance dans ton malheur, toi ! Je pensais t'abandonner à ton sort, mais c'est qu'il y a tout ce qu'il faut pour te permettre de m'accompagner dans mes aventures ! Je ne vais pas te laisser périr de faim ici, finalement. Mais tu sais, je n'aurais pas toujours beaucoup d'avoine pour Croquetard et toi, et tu devras rester harnaché la plupart du temps... c'est pas une vie facile qui t'attend ! Voyons voir, tu m'as l'air robuste... »

Elle inspecta l'animal avec un œil avisé et fut agréablement surprise. Il paraissait jeune et en parfaite santé, pourvu d'une musculature massive et d'une physionomie robuste et équilibrée. De surcroit, ses yeux, ses oreilles ou sa queue s'agitaient vigoureusement, alertes et vifs.

« Oui, tu es décidément un cheval de qualité, on dirait bien ! C'est que tu dois valoir une petite fortune, sur un marché, toi ! Allez ! C'est décidé, je t'emmène ! »

Elle l'harnacha avec les bâts et le licol, trouva une longe à y accrocher, puis le fit sortir de la stalle. Elle testa un peu sa réponse en longe pour constater avec joie qu'il paraissait parfaitement habitué à répondre à la voix et à la tête. Il saurait la suivre et l'accompagner même dans les forêts, les taillis ou les plaines désolées qu'elle parcourait seule tout ce temps. Il paraissait calme et placide, mais la puissance de ses jambes ne laissait aucun doute : il devait savoir galoper à toute allure s'il y était poussé.

Mesha était ravie. Elle ne s'attendait pas à une aussi bonne surprise de si bon matin. Et puis s'il ne faisait pas l'affaire, elle pourrait toujours le vendre sur une foire ; elle devrait pouvoir en tirer un bon prix, considérant l'élégance et la qualité de l'animal. Pour les bœufs, en revanche, ce n'était pas la peine d'y penser. La dernière fois qu'elle avait tenté de vendre un animal de ferme – un âne de bât qu'elle avait recueilli dans un autre village ravagé comme celui-ci – elle avait été accusée de l'avoir dérobé et avait dû prendre la fuite sans empocher une seule pièce. Mais pour le percheron, personne ne trouverait louche de voir une voyageuse arriver avec un cheval de bât pour le vendre ; même si elle conservait son cheval de bataille par ailleurs. Enfin... pas plus louche que de voir une femme vêtue d'acier, armée d'une épée de bonne facture et d'une hache princière accompagnée d'un destrier d'une qualité à faire pâlir d'envie de nombreux chevaliers, évidemment.

Elle poursuivit ensuite son inspection de la grange, pour y découvrir avec joie deux sacs de grain d'avoine jetés dans un coin. La nourriture du bai qu'elle venait de récupérer, certainement. C'était inespéré. Elle les souleva laborieusement, grimaçant sous les protestations de ses muscles froissés et fatigués, et les sangla sur les bâts de son nouveau compagnon de route :

« Tu viens avec moi, mais si tu veux ton avoine, il va falloir que tu le portes ! Navrée, mon ami, c'est le prix à payer ! Et il faudra que tu le partages avec Croquetard ! Tu vas voir, je suis sûre que vous allez bien vous entendre, tous les deux ! »

Elle ressortit de la grange en menant le percheron en longe. La bête placide ne prêta pas la moindre attention aux être hagards et vides qui erraient sans but dans la bouillasse immonde des venelles. Tout en sifflotant gaiement, elle le ramena auprès de Croquetard et noua la longe à côté de lui :

« Croquetard, voici ton nouvel ami, à qui je n'ai pas encore trouvé de nom. Sois gentil avec lui, tu veux bien ? C'est lui qui porte ton avoine, après tout, et si tu es un brave compagnon, il t'aidera même à porter mes bagages pendant un petit moment ! Tu imagines ? T'en as, de la chance, dis donc ! »

Et moi avec ; je ne vais peut-être pas être obligée de marcher avec mon armure sur le dos pour te soulager, tout compte fait !

Puis elle repartit en direction de la ville, emportant avec elle un sac de jute vide et plié mais aussi le morbide paquet de sang croûté qu'elle avait transporté à l'arçon de son destrier, qu'elle comptait enrichir davantage.

Elle choisit une haute maison à colombages cossue et coquette, correctement entretenue et joliment couverte de tuiles de terre cuite, avec une cheminée de pierre de taille dépassant d'encorbellements. L'une des demeures les plus cossues de la bourgade. Aucun doute, il devait y avoir un garde-manger bien garni, dans celle-ci.

Elle sentait son ventre qui s'en réjouissait déjà. La porte de la demeure était ouverte, preuve que ses occupants ne devraient certainement rien trouver à redire à son introduction fortuite dans leur logis. Aussi s'y glissa-t-elle avec assurance.

La porte donnait sur la principale pièce à vivre, où se tenaient deux habitants, debout, en vêtement de nuit. Un homme bedonnant au crâne dégarni et à l'oreille arrachée par une morsure, qui brandissait encore fermement un chandelier de fer dont il avait dû espérer se servir dans un ultime soubresaut de courage ; une femme, à la mine sévère et aux cheveux gris, saignant encore un peu à l'avant-bras.

« Messieurs-dames, salua-t-elle ironiquement devant les regards blancs et vitreux. Permettez que je jette un coup d'œil à votre superbe demeure ! »

Elle passa devant eux sans qu'ils ne lèvent un regard sur elle – mais sa main traîna inconsciemment sur le pommeau de son épée, malgré ses sifflotements désinvoltes. Surveillant le comportement des deux créatures, Mesha se glissa dans la cuisine, qu'elle eut le plaisir de découvrir vaste et cossue : c'était le signe d'une opulence de vivres qui ne serait pas pour lui déplaire.

Elle fouina rapidement dans la pièce et eut le plaisir d'y dénicher une miche de pain encore fraiche, qu'elle rompit et se mit à grignoter distraitement le temps de mener ses maraudes. Elle rafla une meule de fromage, quelques pommes sauvages fraichement cueillies, quelques conserves, et fourra le tout dans son sac.

Elle jeta ensuite son dévolu sur le cellier attenant et trouva ses yeux ravis par l'abondance. Un jambon séché trônait même fièrement sur une étagère, ce qui arracha un regard d'étonnement à la jeune femme :

« Hé bien, messieurs-dames, on ne se refuse rien, ma parole ! Qui êtes-vous donc, pour une telle opulence ? Au moins le bourgmestre, j'imagine ! Mesha, tu as toujours autant le nez creux, dis donc ! »

Elle fit une véritable razzia sur le garde-manger, emportant tout ce qu'elle pourrait consommer avant que ça se perde. Tranches du jambon, légumes, herbes fraîches, gruau d'avoine...

Elle avait déjà les yeux brillants de son butin lorsque sa journée décida de s'améliorer encore : en ouvrant le couvercle d'un gros pot de terre, elle découvrit avec joie une capiteuse eau de vie de prune, dont elle emporta une bonne quantité dans une bouteille. Elle l'aiderait à passer les longues soirées d'hiver seule. D'ailleurs, pour parachever sa journée, le pot en terre d'à côté contenait une bière légère et désaltérante. Une boisson bien plus sûre que l'eau des torrents ou des puits. Elle vida à terre le fond d'eau douteuse contenu dans son outre en cuir et la remplit de la bière.

Ce fut un sac de jute lourd et plein à craquer qu'elle hissa sur une épaule fatiguée lorsqu'elle estima avoir achevé sa rafle sur le garde-manger de ses deux hôtes. Mais elle n'allait pas quitter la maison tout de suite. Après tout, une fois ses provisions consommées ou périmées, il faudrait bien qu'elle trouve de quoi se nourrir encore. Or, la richesse de ces aliments présageait d'une richesse d'un autre ordre disponible dans d'autres pièces, à n'en pas douter.

Elle déposa son sac à côté de l'autre, abandonné dans l'entrée, sous les yeux à vous glacer le sang des deux Creux, et leur repassa devant pour grimper l'étroit escalier de bois qui menait à l'étage. Elle trouva bien vite un petit boudoir cossu pour Madame et y fouina avidement.

Elle n'eut pas à chercher bien longtemps. Elle découvrit quelques bijoux d'une valeur certaine : des pierres précieuses, de l'argent, des ornements d'oreilles ou de bras en or... elle dénicha même un vrai trésor, rare dans ce genre de petite bourgade paysanne : une parure d'or incrustée de plusieurs émeraudes.

Dans le bureau de monsieur, elle dénicha un coutelas au manche d'or et d'ivoire, une chaine de bourgmestre en or – elle ne s'était donc pas trompée – et une chevalière portant le sceau de la ville du même métal. Elle trouva également un pourpoint de brocart, une étole de soie, une fourrure d'hermine pour border un col masculin ou féminin. Elle rassembla ce butin dans un carré de tissus solide découvert pour servir d'étole à madame, et sourit. Elle pourrait obtenir un bon prix de certaines de ces pièces, en les vendant à quelque camelot sur une foire. De quoi se nourrir quelques jours supplémentaires, après avoir achevé ses provisions et en attendant de se trouver un autre travail.

Elle redescendit l'escalier... et se figea.

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