S'il n'avait pas déjà vécu beaucoup de situations anxiogènes dans sa courte existence, Harry aurait crié. Il aurait peut-être même attaqué sans réfléchir. Mais si ces années de conflits lui ont appris une chose, c'est à rester calme, même dans les pires moments. Alors, au lieu de ça, il fait briller sa baguette plus fort et envoie sa boule de lumière jusqu'à l'inconnu. Celui-ci, hélas, lui tourne le dos. Il est mince, presque maigre, ses épaules sont voûtées et ses cheveux mi-longs et sales semblent avoir été blonds un jour.
— Qui êtes-vous ? demande Harry, sur ses gardes. Que me voulez-vous ?
Le rire qui lui répond fait se dresser tous les poils de son dos.
— Je suis vexé que tu ne m'aies pas reconnu, s'amuse son hôte.
Mais ce n'est plus vrai, car il l'a enfin reconnu. Ce rire pincé et nasillard qui vous donne l'impression d'être un cancrelat sur le point de se faire écraser, c'est lui qu'il n'a que trop bien reconnu.
— Malfoy...
Dans la lumière de son lumos, le jeune homme se retourne et Harry peut voir son feu se refléter dans les yeux gris. Son visage émacié est sale, ses cheveux aussi, et il n'y a pas si longtemps, il n'aurait laissé personne le voir dans des vêtements aussi mal ajustés, tachés et déchirés. Aujourd'hui pourtant, rien de tout ça ne semble l'inquiéter. Quand il marche vers lui, Malfoy redresse les épaules et Harry reconnaît son port altier et arrogant. Même dans des loques de paysans ce petit con reste princier. Quelle injustice.
En fait, même diminué comme il l'est, le Malfoy qu'il a sous les yeux lui semble en bien meilleure santé que l'ombre de lui-même qu'il était il y a quelques mois, lors de l'attaque du ministère. Et d'ailleurs, en parlant du ministère...
— Mais... tu n'es pas à Sainte Mangouste ?
Drago soupire en levant les yeux au ciel et Harry se renfrogne. Qu'on l'excuse de ne pas être au courant de tout ce qui se passe dans le monde.
— C'est pour ça qu'ils empêchent quiconque de te voir ? insiste-t-il. Parce que tu leur a échappé ?
Le sourire en coin qui lui répond agace Harry plus encore que la simple présence de Drago. Ce petit con ne changera jamais. Au contraire, il prend à malin plaisir à enfoncer le clou.
— Toujours aussi lent à la détente, Potter.
Mais avant qu'Harry n'ait pu répondre, Drago continue.
— Je vais pas te bouffer, et je te jetterai pas de sort non plus, alors vient te mettre au sec, pour l'amour de Merlin. Tu es ridicule à rester là.
En toute autre circonstance, le coup d'œil dégoûté qu'il jette à son pantalon couvert de boue aurait suffi à Harry pour faire demi-tour, repasser à travers le trou dans le plancher et disparaître. Après tout, si Malfoy est heureux de patauger dans une cave inondée, à bouffer des rats, qui est-il pour tacher de l'en dissuader ? Seulement il n'est pas arrivé ici par hasard, il s'est donné une mission. Et si cette rencontre imprévue a failli la lui faire oublier, les tremblements dans ses mains suffisent à le remettre sur les rails. Alors il piétine, éclabousse un peu plus son pantalon et ses chaussures de moins en moins étanches de boue répugnante. La main agrippée à sa baguette, il l'interroge.
— C'est toi qui fournis ces potions à Flitwick ?
Drago s'est reculé pour le laisser passer, mais voyant qu'il ne quitte pas son marais, il revient se poster sous l'arche de pierre qui mène aux espaces plus secs et habitables.
— Je n'ai pas la moindre idée de ce dont tu parles, nie-t-il en enfonçant les mains dans ses poches.
— La chouette m'a amené ici, explique Harry. Alors ne me mens pas ! Si ce n'est pas toi, c'est la personne qui vit ici avec toi.
Drago sourit d'un sourire mauvais. L'épaule appuyée contre l'arche, il ricane.
— Quelqu'un habite ici avec moi, d'après toi ? Mais qui ? Qui serait assez fou ou désespéré pour venir habiter ici ?
— Je n'en sais rien, avoue Harry. Mais tu ne déments pas ? Alors il y a bien quelqu'un ici ?
Sans attendre de réponse, il fait un moulinet avec sa baguette et prononce l'incantation qu'il a vu Hermione lancer plusieurs fois lors de leur chasse aux horcruxes.
— Hominum revelio.
Un souffle d'air les traverse tous deux sans que Drago ne cherche à l'en empêcher et quand il revient jusqu'à lui, Harry l'entend murmurer « Drago Malfoy ».
— C'est la réponse que tu espérais ? s'amuse le Serpentard.
— Pas vraiment.
Drago hausse les épaules et se redresse, l'air plus sérieux.
— Tu ferais mieux de l'accepter, parce que tu n'en auras pas d'autres.
— Tu me jures que c'est pas toi ? insiste Harry, et Drago hoche la tête.
— Mais tu sais de quoi je parle ?
Aucune réaction.
Ça stresse Harry. Et ses mains qui tremblent toujours autant, qui l'empêcheront d'envoyer un sort précis si le besoin s'en fait sentir. Il ne faut pas qu'il s'éternise.
— Je... j'ai bes...
Horrifié, Harry s'interrompt. Est-ce qu'il allait vraiment avouer à son pire ennemi qu'il ne tardera plus à avoir besoin d'une dose ? Il faut qu'il reste sur ses gardes. Être civilisé, pour faire plaisir à Severus, parce que Malfoy compte pour lui, OK. Mais se livrer à cette tête de con, lui avouer des choses qu'il n'a dites à personne ? Plutôt crever.
— Mon invitation tient toujours, mais plus pour longtemps, Potter, raille Drago en se retournant et en disparaissant, cette fois, dans la pièce plongée dans l'obscurité.
Harry voudrait rebrousser chemin, sortir des ruines du manoir et disparaître, mais il est si proche de découvrir qui est le fournisseur de Flitwick. Il ne peut pas dépendre du professeur toute sa vie pour quelque chose d'aussi important, il doit savoir qui lui fournit ses doses. Alors, rempli d'appréhension, il emboîte le pas à Malfoy.
Celui-ci le conduit à travers un dédale de couloirs à peine illuminés par quelques torches jusqu'à une pièce au plafond arrondit où il l'invite à s'asseoir sur un canapé plus de première fraîcheur.
— Je t'aurais jamais imaginé vivre dans un trou à rat pareil, l'attaque Harry en prenant place.
— Et j'aurais jamais cru que tu serais assez stupide pour venir m'y chercher.
Dans son fauteuil défoncé, Harry se tend. Il dégaine sa baguette et la pointe vers Drago sans que celui-ci ne réagisse à la menace.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Tu m'as dit que tu n'étais pas celui que je cherchais.
— C'est vrai, confirme Drago comme s'il venait de s'en rappeler. Mais venir ici était quand même une idée stupide.
— Je n'avais pas vraiment prévu d'atterrir ici, bougonne Harry.
— Hum ? Cette histoire de chouette ?
Harry approuve d'un hochement de tête, mais n'ajoute rien. Il n'a pas envie de lui expliquer. Déjà, parce qu'il ne l'aime pas, mais aussi parce que lui narrer la course à la chouette à laquelle il s'est adonné ne ferait qu'appeler de nouvelles questions plutôt que de clore le sujet. Alors, au lieu de ça, il ramène la discussion sur un terrain plus inoffensif.
— Bien, bien... Mais alors, qu'est-ce que tu fais ici ?
Drago attrape un biscuit moldu sur une table basse faite d'une planche en bois posée sur deux petits chaudrons.
— Je ne comprends pas ce qui te surprend. C'est chez moi, ici. Alors j'y habite.
Il déballe le biscuit, balance l'emballage roulé en boule et le regarde voleter jusqu'à la poubelle.
— Le manoir est détruit.
— D'où le fait que j'habite dans le sous-sol, s'agace Drago. Tu crois qu'à choisir je ne préférerais pas réintégrer ma chambre ? Prendre mes repas dans la salle à manger ? Me détendre dans la salle de billard ou la bibliothèque ?
Il semble légitimement énervé, mais n'a toujours pas sorti sa baguette, ni la moindre insulte. C'est étrange pour Harry de parvenir à lui parler ainsi. Que n'aurait-il donné il y a quelques années pour que ça leur arrive.
— Vous avez un billard ? Mais c'est un jeu moldu...
Les yeux de Drago brillent de malice et il ricane.
— Tu serais surpris de découvrir comme les jeux moldus peuvent devenir intéressants quand on y ajoute une pointe de magie.
En réalité, non, ça ne le surprend pas tellement. Ce qui le surprend, en revanche, c'est que le père de Drago ait aussi pu penser ça à un moment.
— Tu pourrais faire reconstruire. Vos procès vous ont fait perdre beaucoup d'argent, mais je ne peux pas croire que tes parents n'ont pas quelques sacs de galions planqués quelque part.
— Potter, soupire Drago, personne ne sait que je suis ici.
— Alors tu t'en bien enfuis de sainte Mangouste ! Mais comment ? C'est pour ça qu'ils empêchaient Severus de te voir ? Ils n'osaient pas avouer qu'ils t'avaient laissé filer ?
Drago grimage de dégoût, et ça n'a rien à voir avec ce qu'il vient de mettre en bouche.
— Tu l'appelles Severus...
Ah. Effectivement, si Drago est passé d'Azkaban, au ministère, à Sainte Mangouste, à ici, il ne doit pas être au courant de la nouvelle qui a secoué le monde sorcier voilà un peu plus de sept mois.
— On... Oui... C'est vrai que tu as peut-être loupé l'info... Je suis pas sûr que tu reçoives la gazette, ici. On est... heu... ensemble.
Mais pourquoi est-ce qu'il bégaye comme ça ? Il n'a pas honte de cette relation, n'en a jamais eu honte, en fait, et il ne regrette sûrement pas qu'elle existe. Alors quoi ? C'est parce que Severus tient à ce petit con et qu'il ne veut pas semer la pagaille entre eux ?
— Il a l'âge d'être ton père...
Harry secoue la tête. Ils sont tous si prévisibles avec leurs oppositions toutes faites.
— Mais il ne l'est pas. Et il s'inquiète pour toi. Beaucoup.
— J'espère bien, bondit Drago. Il a promis à mon père de prendre soin de moi quand je suis entré à Poudlard.
— Tu en es sorti entre temps...
— Et ? Tu veux qu'il ne fasse plus attention qu'à ta petite personne ?
Harry soupire et lève les yeux au ciel.
— Pas du tout. Il peut bien veiller sur un débile comme toi, s'il le veut, ça ne change rien aux sentiments qu'il a pour moi.
— Des sentiments ? Tu vas essayer de me faire croire que ce n'est pas qu'une histoire de cul entre vous ?
Harry sait qu'il ne devrait pas monter au créneau pour une attaque aussi grossière, mais cette dernière l'énerve profondément, et c'est, du coup, exactement ce qu'il fait.
— Ça n'a jamais été une histoire de cul ! On s'est rapprochés et on est tombés amoureux comme... Comme n'importe qui, en fait !
— C'est ça, baille Drago.
— Puisque je te le dis.
Son sourire mauvais revenu sur ses petites lèvres pincées, Malfoy s'installe mieux dans son fauteuil. Le dos droit et les bras posés élégamment sur les accoudoirs usés, il reprend.
— OK, je fais une supposition, d'accord ? Tu viens de sauver le monde une nouvelle fois et tu es en dernière année. Ta relation avec la fille qu'on t'a foutue dans les bras a capoté parce qu'en fait, tu ne ressens rien pour elle, elle était juste la seule fille célibataire parmi tes amis proches, et comme elle te rappelle ta famille d'adoption, les Wesmoche, elle te rassurait. Pour la première fois depuis que tes hormones se sont réveillées tu n'as pas de trucs du genre « Oh Merlin, comment vais-je faire pour sauver le monde ce mois-ci ? Je vais encore devoir me battre avec des méchants, bouhouhou. » à penser et tu te mets à te poser des questions sur ce que tu ressens dans certaines situations qui jusque-là ne te faisaient rien. Est-ce que c'est de voir ton pote rouquin à poils dans les douches ? Ou peut-être un autre élève ? Est-ce que ça t'a fait prendre conscience que les filles, c'était pas ça ? Ou alors qu'il n'y avait pas que les filles ? Enfin, t'aurais facilement pu te taper tous les gays de Poudlard, toutes maisons confondues, et tu l'aurais peut-être fait si tu n'avais pas été blessé. Sauf que tu l'a été, encore. À partir de ce moment-là, tu te retrouves en tête-à-tête avec Rogue tous les soirs et vu que ce n'est pas autant un connard que tu le pensais, vous finissez par sympathiser. Tu dois te déshabiller pour qu'il te soigne, hein ? Alors ton esprit inexpérimenté associe sa présence et ta nudité. Tu commences à fantasmer que les soins se transforment en caresses. Tu l'allumes...
— Tu te fais des films, Malfoy.
— C'est ça, mais j'ai pas fini. Je me doutais depuis quelques années que Rogue était gay. Il l'affichait pas, hein, j'ai pas dit ça, mais on le voyait jamais avec aucune femme. Il participait pas non plus quand une moldue était... enfin, t'as compris. Alors, quand il a compris que Celui-Qui-A-Vaincu le draguait... un mec jeune, plutôt bien foutu, sportif...
Harry hausse les sourcils, surpris.
— N'en jette plus. Je vais finir par me sentir flatté.
Les joues de Drago se teintent de rose, mais il ne se laisse pas distraire.
— Roh ta gueule. Je vois très bien la fierté qu'il peut y avoir à se taper l'Élu, surtout pour lui. Qu'elle revanche sur sa vie de merde. Mais en dehors de ça, qu'est ce que vous pouvez bien avoir en commun ? Lui, le cérébral, toi, la tête brûlée. Un Serptentard et un Gryffondor purs jus. Me dis pas que vous filez le parfait amour sans jamais vous accrocher, j'y croirais pas.
Harry croise les bras sur son torse, agacé. Bien sûr qu'ils ont des différences, mais elles ne font pas tout. Ils ont aussi beaucoup de points communs.
— Tous les couples ont des accrochages, bougonne-t-il.
— Sûrement. Mais à quelle fréquence ? Ça remonte à quand la dernière fois que vous vous êtes engueulés ?
Harry se tortille sur son siège. Ses mains tremblent plus fort, alors il décroise les bras et les cache sous ses cuisses.
— Je vois pas pourquoi je te répondrais. Ça te regarde pas. Et tes suppositions sont fausses à 200 %.
— Ah ouais ? T'as pas fantasmé sur lui en premier ? T'as pas fait le premier pas ? Et le second ? À cause de ses mains sur ton corps ou de la puissance qu'il dégage au combat ? Tu voulais vraiment finir ta vie avec poils de carotte ?
Harry ne juge même pas utile de répondre. Quelle importance que ce soit vrai ou non ?
— T'as pas découvert que t'aimais les mecs l'année passée, peut-être ? insiste Drago, qui veut le pousser à bout.
Harry ricane. Si tu savais, pauvre imbécile.
— Non. Ça, je le savais déjà.
Drago est surpris, mais il se laisse peu de temps pour assimiler la nouvelle, car il a d'autres questions.
— Rogue était pas le premier ?
Harry fait mine de réfléchir avant de sourire à son tour de cet air insupportable qu'ils savent si bien prendre quand ils sont ensemble.
— Franchement Malfoy, on est pas assez proches pour parler de ça. Je sais même pas pourquoi je reste ici à écouter tes conneries. Je me casse. Tu passeras le bonjour à tes vermines.
Et il se lève avant de se diriger vers la sortie – ou ce qu'il espère être la sortie. Ses jambes aussi se sont mises à trembler, mais pas assez pour l'empêcher de marcher. Il faut qu'il quitte cet endroit au plus vite et qu'il rentre à Poudlard. Il doit lui rester une fiole quelque part, c'est obligé. Peut-être même que sa nouvelle livraison l'attend devant sa porte. Il aura tout le temps de revenir chercher son fournisseur plus tard. Mais dans son dos, la voix de Drago résonne, comme amplifiée dans sa tête qui commence à tourner.
— Potter ! Potter, il faut que tu le saches... Tu ne peux pas sortir d'ici.
— C'est ce qu'on verra.
— Non, je suis sérieux. L'endroit par lequel tu es entré n'existe plus. Tu es prisonnier de lui, maintenant. Comme moi.
**
Hey les gens,
Je suis pas sûr d'apprécier ce chapitre, mais j'espère qu'il est utile quand même :)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top