Chapitre 26 - Menottes et forteresse
Dans la pièce aux murs blancs, le temps s'est arrêté. S'il n'y avait cette douleur constante dans son épaule, Severus commencerait à envisager qu'il n'est peut-être plus sur le même plan d'existence que le reste de l'Humanité. Mais la douleur qui le maintient éveillé et ses chaînes qui cliquettent à chacun de ses mouvements ont un goût trop réel pour qu'il les confonde avec un rêve. La luminosité n'a pas changé d'un iota depuis qu'il est enfermé dans cet enfer blanc. Agressive, elle lui use les rétines, transperce ses paupières, même quand il les ferme brièvement, à la recherche d'un peu de repos.
La fatigue a creusé de sombres cernes sous ses yeux et il craint que la pression qu'il sent croître dans sa vessie depuis de trop nombreuses heures ne finissent par avoir raison de sa parfaite maîtrise corporelle. Plusieurs fois, il a tenté de se libérer grâce à la magie, mais les protections dans lesquelles il est prisonnier n'ont pas faibli. Alors, il attend, et il espère que son idiot de petit ami, tout boudeur qu'il soit, finisse par remarquer son absence.
Quand la porte s'ouvre enfin, c'est avec une violence qui dénote de l'extrême mauvaise humeur de la personne qui l'a poussée. Au-delà de l'encadrement, il n'y a qu'un abîme d'obscurité d'où provient un tumulte de voix mêlées d'insultes et de cris. Severus ignore s'il peut attendre de l'aide de l'une de celles-ci, jusqu'à ce qu'une exclamation de surprise perce le brouhaha ambiant.
— Professeur Rogue ! Nous sommes venus dès qu'on a compris...
La jeune sorcière qui se précipite pour le libérer porte un tailleur et un chignon strict, si bien qu'il ne la reconnaît pas tout de suite. Elle a le temps de faire disparaître les chaînes et de lancer un sort de diagnostique sur son bras avant qu'il ne comprenne qui il a en face de lui.
— Granger ? Par Salazar, quel jour sommes-nous ? J'ai l'impression d'être resté ici une semaine et demie.
Les yeux rivés sur le parchemin qui vient d'apparaître entre ses mains, elle secoue imperceptiblement la tête.
— Mardi soir, professeur.
Un jour et demi. C'est moins qu'il ne l'a craint, mais c'est tout de même très long. Pourquoi est-ce que ça a pris tant de temps ?
— C'est Harry qui a donné l'alerte, je suppose ? grogne-t-il, vexé qu'il ait attendu si longtemps pour le faire.
Mais la sorcière secoue la tête, l'air surpris, puis désolé.
— Le professeur McGonagall. Votre épaule vous fait mal ? Ne bougez pas, s'il vous plaît.
Il n'a même pas le temps de répondre, qu'elle lance un sort dans sa direction. Il ne faut qu'une poignée de secondes pour que la douleur dans son épaule recule et trois de plus pour qu'il se retrouve avec le bras en écharpe.
— Je n'ai pas encore eu le temps de passer mon brevet de premiers soins magiques, s'excuse-t-elle, mais ce bandage devrait vous aider à tenir jusqu'à ce que vous voyiez un médicomage
Severus la remercie d'un grognement absent. Alors Harry n'a pas remarqué son absence. À moins qu'il l'ait remarquée et n'en ait rien eu à faire. Ce gamin va le rendre dingue. Quelle foutue tête de Gryffondor.
Dans le couloir, la voix énervée que Severus a entendue à l'ouverture de la porte s'est refait entendre et il comprend que s'il ne l'a pas reconnue tout de suite, c'est parce qu'il n'avait encore jamais entendu cette voix crier. Ainsi, quand le sorcier qui en est à l'origine passe à son tour la porte Severus est surpris de voir les muscles de sa mâchoire contractés et ses poings serrés.
— Severus ! C'est inacceptable ! Je viens seulement d'être mis au courant de tout ce qui s'est passé et je te dois des excuses.
Severus l'arrête d'un mouvement de la main. Il y a plus urgent que des excuses, viennent-elles du premier ministre en personne. Sortir de cette pièce pour vider sa vessie, par exemple.
— Un résumé sera amplement suffisant, Kingsley, assure-t-il en l'accompagnant calmement, mais sûrement, vers la sortie.
À peine a-t-il posé un pied dans le couloir qu'il libère sa vessie d'un informulé. Quel soulagement. Il rechigne d'ordinaire à réaliser ce genre de magie de déplacement à l'intérieur d'un corps, et plus encore du sien, mais parfois, c'est le seul choix digne à rester. Que ce bon vieux Shacklebolt s'excuse tout son saoul, maintenant, s'il le désire. L'urgence est passée. Enfin, l'une des urgences.
— En ne te voyant pas revenir, Minerva a envoyé un hibou à Sainte Mangouste, explique Kingsley. Une infirmière lui a répondu que le fils Malfoy avait été transféré au ministère et que tu étais venu jusqu'ici pour tenter de le voir. À peu près au même moment, je rencontrais Hermione Granger dans l'atrium. Elle était en train de me parler de tes nombreuses visites infructueuses au garçon quand des cris nous ont attirés près des ascenseurs. Narcissa Malfoy faisait un scandale et trois gardes tentaient de la maîtriser sans succès. Elle ignorait, avant ce matin, que son fils avait été déplacé. Je la conduisais jusqu'à mon bureau quand le patronus de Minerva m'a averti de ta disparition. Ça faisait trop de coïncidences, alors nous avons changé nos plans et sommes venus directement ici. Je suis désolé, Severus, il y a eu de gros manquements dans le service des aurors, je vais m'atteler à corriger ça au plus vite.
Si ce n'était que chez les aurors pense Severus sans pour autant faire part de ses inquiétudes à Shakelbolt.
— Où est-elle ? demande-t-il plutôt, après avoir jeté un regard bref aux quelques personnes présentes avec eux. Narcissa, où est-elle, maintenant ?
— Elle a souhaité voir son fils aussi vite que possible, je l'ai fait escorter jusque-là.
— Je veux le voir aussi.
Le ministre approuve d'un hochement de tête compréhensif.
— Bien sûr.
Dix minutes plus tard, ils trouvent Drago dans une pièce aux murs blancs, semblable à la cellule de Severus. À sa différence, le jeune homme, lui, ne porte pas de menottes, mais bien sa blouse d'hôpital. Il est assis sur un lit spartiate. Sa mère, à côté de lui, lui chuchote à l'oreille en lui caressant les cheveux. Sur son visage, aucune expression, dans son corps, aucune réaction. Il est juste assis là, silencieux, comme pétrifié.
Severus s'avance vers eux et s'accroupit face au garçon. Il prend ses mains dans la sienne et tente de capter son regard.
— Drago ? Drago, est-ce que tu m'entends ?
— Il ne réagit pas, sanglote Narcissa. Il ne bouge même pas, ne me regarde pas. Qu'est-ce qu'ils ont fait à mon garçon, Severus ? Ces monstres...
Severus libère son bras droit de l'écharpe posée par Hermione pour attraper la main de Cissy qu'il serre, compatissant, en refoulant une grimace de douleur.
— Tu m'autorises à essayer quelque chose ? demande-t-il en la relâchant.
La mère éplorée approuve, alors, conscient que ça risque de prendre un peu de temps, il s'agenouille face à Drago et redresse sa tête de sa main valide pour forcer un contact visuel. Aussitôt happé, il plonge dans ses souvenirs avec la facilité que lui confèrent ses talents d'occlumens. Vu l'état de son ancien élève, il ne s'embarrasse pas de douceur, contrairement à ce qu'il a fait il y a des mois, au ministère. Les barrières mentales qui l'accueillent à son arrivée sont défoncées en quelques secondes. Il fera difficilement plus de dégâts en le brusquant un peu que ce que celui ou celle à l'origine de son état n'en a déjà fait, de toute façon. Les premiers souvenirs à apparaître sont ceux qu'il a déjà vus dans l'atrium. Drago en pleurs à même le sol, la maison qui brûle, avec toujours à ses côtés cette silhouette encapuchonnée, l'attaque du ministère. Rien de neuf, de plus ancien ou encore de plus récent. Aucune trace des contacts avec les aurors à Sainte Mangouste. Circonspect, Severus laisse les souvenirs se dérouler une première fois sans intervenir. Exactement la même séquence. La seconde fois, il s'attache aux détails, les trouve grossiers, le visage sous la capuche, en particulier, est bien camouflé. Il repasse cette séquence plus de quinze fois avant de renoncer.
Choisissant un autre angle d'attaque, il part à la recherche de souvenirs en commun avec Drago. Certains cours mémorables, l'une ou l'autre visite faite au manoir Malfoy, les assassinats auxquels ils ont tous deux assisté du temps de Voldemort. Ceux auxquels ils ont participé.
Mais il n'y a rien de plus derrière les palissades dressées par le jeune sorcier. Rien qu'un échantillon, des événements auxquels il n'a, pour la plupart, pas assisté.
Drago est un bon occlumens, ce n'est pas une nouveauté, mais il n'est pas censé être meilleur que lui, alors Severus s'attaque au second barrage. Celui qui est si bien fondu dans le décor qu'il a failli ne pas le voir. Son aspect diffus et flou est prévu pour le rendre quasiment invisible. C'est un genre de barrière mentale que Severus n'a encore jamais vu. Il l'analyse une première fois, n'y trouve aucune vulnérabilité. En refait le tour, la palpe sur toute sa longueur, la respire, la vit. Elle est d'une telle pureté, d'une telle finesse, une véritable œuvre d'art. Utilisée autour d'un esprit plus fourni, juste complet, en fait, pour cacher certains secrets, elle serait indétectable. C'est exactement ça qu'il aurait dû enseigner à Harry, mais il ignorait alors qu'une telle perfection était possible. À court d'idées après en avoir fait encore une fois le tour, il choisit un endroit qui lui semble plus fragile que le reste de la forteresse. Pendant des minutes entières, il l'assaille, alors. Sa volonté frappe contre le mur, se faufile tout autour tel un réseau de tentacules, se fraie un chemin dans le moindre creux, la moindre anfractuosité. Et il force, et force et force encore. Il force tant et si bien qu'une faille fini par apparaître. Infime, mais décisive.
Hors de son esprit et de la bataille qu'il livre, Severus entend les conversations de ceux qu'il a laissé dehors. Quelqu'un lui parle à lui, une main se pose sur son épaule. Non. Ce n'est pas le moment. Il ne peut pas abandonner maintenant, pas si près. Alors, il verrouille son esprit à la fissure qu'il a créée et expulse une vague de magie chaude de son corps. La main se retire et les conversations meurent autour d'eux. Enfin seul avec Drago, il reprend son attaque bélier. La tâche n'a rien d'une partie de plaisir, surtout pour quelqu'un qui n'a pas fermé l'œil de la nuit et dont le bras est toujours porté en écharpe, aussi lui faut-il plus de temps qu'il ne lui en aurait fallu en temps normal. La sueur de son front coule jusqu'à ses yeux, elle fait danser sur ses paupières closes des lambeaux de lumière colorée. Et enfin, après ce qui lui semble être des heures de lutte, la faille s'agrandit, un trou se forme et la muraille s'effondre.
Les souvenirs analysés de près s'évanouissent aussitôt, recouvert par une brume grise des plus mauvais augures. Loin de se laisser impressionner, Severus survole les plaines désolées de la mémoire de Drago. Il ne reste même pas une ruine, un vague bribe de souvenir, un son, une couleur. Il ne reste rien. Severus n'a jamais eu l'occasion de pratiquer l'occlumencie sur une victime du baiser d'un détraqueur, mais il est intimement persuadé que l'expérience ne serait pas très différente. Barrière de protection à part.
Quand, dans tout ce vide inquiétant, une porte minuscule se matérialise au ras-du-sol, il se rue dessus. L'ouvrir se révèle presque aussi compliqué que de fissurer la muraille, mais, têtu, il obtient gain de cause, et après une autre éternité, il peut plonger les mains dans des fragments de souvenirs brisés. Au début, il n'en reconnaît aucun, il ne comprend pas, mais à mesure qu'il en déverse de pleines poignées dans l'espace jadis recouvert par la brume, c'est l'illumination. Alors il abandonne ce qu'il fait. Terrassé, il regarde un instant les lambeaux de souvenirs s'extraire de la porte fracassée, puis, dans un état lamentable, il laisse son esprit glisser en arrière jusqu'à réintégrer son propre corps. Il laisse derrière lui la petite porte, les souvenirs incomplets, la brume et, surtout, un être humain brisé, perdu à tout jamais.
Quand ses yeux s'ouvrent, il tombe à la renverse et le champ de répulsion qu'il avait mis en place se délite. Aussitôt, les voix mêlées de ses compagnons l'assaillent et se mélangent en une bouillie informe. Deux mains rattrapent sa tête avant qu'elle ne heurte violemment le sol, celles de Granger, et il voit Cissy se précipiter sur le garçon blond toujours assis sur le lit. Ce dernier baisse la tête pour le regarder et la terreur que lit Severus dans ses yeux pales lui tord le ventre.
Un instant plus tard, avant même que sa mère ne l'ait atteint, le garçon roule sur le sol, un cri muet coincé dans sa bouche béante. Le hurlement qui suit vient de Narcissa. À genoux auprès de Drago, elle tente inutilement de le prendre dans ses bras pour le calmer.
— Qu'as-tu fait ? l'invective-t-elle. Qu'as-tu fait à mon fils ? Tu es encore plus monstrueux qu'eux ! Salaud !
La sorcière lui saute dessus et Severus a juste le temps de se protéger le visage alors qu'elle le griffe de ses ongles manucurés. C'est Kingsley qui l'attrape par les épaules et la force à se remettre debout en tentant de la raisonner, mais elle lutte, furieuse, et il est obligé de la ligoter magiquement pour parvenir à l'éloigner de Rogue. Il souffle, accablé, quand il s'éloigne d'elle et se tourne vers le professeur toujours affalé par terre.
— Severus, que s'est-il passé ? Vous êtes restés dans cette position plus de trois heures. Tu m'as repoussé quand j'ai voulu mettre un terme à cette mascarade, personne ne pouvait vous approcher. Et maintenant, ça ? Je pensais que tu étais là pour protéger le gamin, pas pour empirer son état.
Groggy, et les jambes tremblantes car pleines de fourmillements, Severus s'assied à même le sol. Il secoue la tête, regarde le garçon qui se tord de terreur à ses pieds, puis les trois autres personnes encore présentes. Alors, la voix enrouée, il prononce ses premiers mots depuis que l'effroyable vérité s'est imposée à lui.
— Ce n'est pas Drago Malfoy.
**
Les gens !
Désolé, il n'y a pas eu de chapitre vendredi.
J'explique plus ou moins en détails pourquoi sur mon insta (@kobaitchi, comme ici), mais en gros, c'est parce que je bossais sur les chapitres à venir et que je prends des médocs aux effets secondaires un peu chiants (mal de tête, insomnies, vertiges) qui me ralentissent. Mais d'ici une dizaine de jours j'en aurais fini d'eux donc tout devrait rentrer dans l'ordre (et, vu ce qui me reste à écrire, je pense que j'aurais fini le premier jet, aussi, d'ici là).
Il me reste peu de chapitres à écrire, mais il vous en reste encore entre dix et vingt à découvrir.
J'espère que l'histoire continue de vous plaire.
Des bisous.
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