Chapitre 18 : Gueule de bois et traces de pas

Il est sept heures dix quand Harry ouvre les yeux. À ses côtés, Severus dort encore, épuisé par toutes les interactions sociales qu'il a été forcé de subir et tout l'alcool qu'il a ingurgité pour y parvenir.

Sans un bruit, Harry glisse hors du lit. Il attrape sa cape de voyage et quitte la chambre dans le plus grand silence. Il fait encore sombre à l'extérieur, mais la neige qui recouvre tout reflète la brillance de la lune et lui permet d'observer la campagne environnante sur des kilomètres.

Seul, les joues piquées par le froid, il souffle sur ses mains avant de sortir une fiole de sa cape. Il en avale la moitié sans même y penser, puis, trouvant que ses effets mettent un peu trop de temps à se déverser dans son corps, il s'enfile le reste cul-sec. C'est à cause de sa gueule de bois, se persuade-t-il. Et il sera toujours bien temps de rentrer au château en avance s'il se retrouve à court de potion.

Cette fois, les effets se font ressentir et il sourit en sentant son énergie lui revenir. Il pourrait proposer un match de quidditch à ses amis avant de repartir. Il a hâte de se mesurer à Ginny maintenant que la jeune femme a officiellement rejoint les Harpies de Hollyhead. Elle leur a raconté son premier match pendant le dîner et, quoique ravi pour elle, Harry n'a pu s'empêcher de ressentir une pointe de jalousie. D'eux deux, c'était quand même lui le meilleur attrapeur, sauf qu'aujourd'hui, c'est elle qui joue dans une équipe nationale et lui qui entraîne les bons comme les mauvais élèves de Poudlard.

Il aime enseigner, bien sûr, tout comme il aime jouer avec ses élèves pendant leurs entraînements. Et par dessus tout, il aime vivre à l'école et pouvoir ainsi passer toutes ses nuits avec l'homme dont il est profondément amoureux. Mais au fond de lui, tout au fond, vraiment très profond, il y a une petite voix qui ne cesse jamais de se plaindre. En général, il se passe assez de choses autour de lui pour qu'il soit en mesure de la faire taire, mais hier soir, alors qu'il écoutait Ginny raconter ses exploits, des étoiles dans les yeux, elle a crié plus fort, elle a quitté les tréfonds de sa conscience, et, depuis, il ne parvient plus à la museler.

Ça devrait pourtant n'avoir aucune importance. Le simple fait qu'il rêve de voir Severus lui lancer le sort de mort devrait suffire à rendre ses autres envies caduques. Sauf que ce n'est pas le cas et que sa non-carrière de joueur pro le rend amer vis-à-vis de Ginny. Pourquoi est-ce que ses ambitions doivent se réveiller comme ça et le rendre jaloux et mauvais ? Agacé par cette part de lui, il se met à déambuler dans le jardin, piétinant d'un pas contrarié l'épais manteau de neige qui le recouvre. Dès qu'il s'y sent trop à l'étroit, il saute par-dessus de muret qui l'entoure et s'éloigne d'un bon pas, sans savoir où il va.

Occupé à se fustiger comme il l'est, et revigoré par la double dose de potion, il aurait pu marcher très loin et très longtemps si une voix familière ne l'avait sorti de sa transe.

— Harry ! Par le slip de Merlin, j'ai cru que tu ne t'arrêterais jamais. Tu vas où, comme ça ? Il n'y a rien par là, tu sais ? Rien sur des kilomètres, puis rien pendant encore quelques-uns de plus.

Rouge d'avoir couru, Ron se tient devant lui, plié en deux. Lui aussi a beaucoup bu la veille, et Harry s'attendait à ce qu'il soit parmi les derniers levés.

— Tu t'es levé tôt, lui fait-il alors remarquer, oubliant qu'en fait lui aussi.

— Trop besoin de pisser pour rester couché. J'allais y retourner quand je t'ai vu par la fenêtre.

Le rouquin, pas totalement réveillé, a jeté la première cape qu'il a trouvée sur ses épaules. Celle-ci, probablement celle de Molly, ne lui arrive même pas aux genoux et laisse apparaître ses longues jambes engoncées dans un pyjama en pilou-pilou et ses pieds chaussés de pantoufles aux couleurs de Gryffondor.

En remarquant cela, Harry se rend compte que lui aussi est toujours en pyjama, quoi qu'il ait eu l'intelligence d'enfiler ses bottines et une cape à sa taille avant de sortir.

— On devrait rentrer, propose-t-il. Je ne m'étais pas rendu compte que je m'étais à ce point éloigné.

Ron fronce les sourcils tandis qu'il le dévisage, mais il approuve et, aussitôt, ils rebroussent chemin, ne laissant bientôt plus de leur escapade que les traces de leurs pas dans la neige immaculée.


De retour dans la cuisine, Ron leur sert un chocolat chaud puis s'assied face à Harry, l'air soudain sérieux.

— Je voulais t'en parler hier, mais il y avait trop d'oreilles qui traînaient de partout.

Attentif, Harry se penche vers lui et Ron en fait de même alors qu'il baisse la voix pour n'être entendu que de lui, même en cas d'apparition soudaine d'un membre de sa famille.

— Andrés, mon pote péruvien, il a reçu la réponse de son maître sur la potion dont tu m'as parlé. Dans sa lettre, le vieux dit qu'il a longuement hésité avant de lui fournir ces informations, parce que c'est pas quelque chose que les initiés veulent voir se répandre. Il dit aussi que s'il a fini par s'y résoudre, c'est parce qu'il connaît son intégrité et que si quelqu'un lui a demandé des informations aussi précises, ça ne peut être que parce qu'il y a été confronté et que si c'est le cas, alors c'est très grave et qu'il faut agir vite avant que cette personne n'ait de vrais problèmes...

— Ron, viens en au fait.

Le rouquin grimace devant l'impatience d'Harry. Il se mord les lèvres, recule sur sa chaise, puis se penche à nouveau en avant, à moitié allongé sur la table.

— Tu soupçonnes quelqu'un d'en prendre, pas vrai ?

— Ron...

— C'est une drogue, Harry. Une drogue sorcière très puissante. Mais ce n'est pas tout, elle a aussi certaines propriétés qu'on ne retrouve nulle part ailleurs.

C'est au tour d'Harry de froncer les sourcils. Ron se trompe. Ou son nouvel ami a mal expliqué au vieux mage de quoi il s'agissait. Mais dans tous les cas, ils ne parlent pas de la même chose. Malgré tout, il reste curieux, car ça ne peut pas être inutile d'en apprendre plus.

— Du genre ?

— Il n'y a qu'un sorcier extrêmement puissant qui puisse être capable de la réaliser. Pas seulement un Maître des potions, Harry, mais un génie.

— Ron...

— Vous êtes tombés du lit ou bien ? Même le jour de la Coupe du monde de quidditch, vous ne vous seriez pas levés aussi tôt sans une aide extérieure.

La voix ensommeillée d'Hermione les fait sursauter. Elle contourne la table et vient se servir un café grâce à la cafetière qu'elle a elle-même achetée et fait entrer dans la maison après quelques améliorations pour ne pas la voir tomber en panne toutes les dix minutes à cause de la magie présente au Terrier. Les yeux encore collés, elle baille à s'en décrocher la mâchoire et se laisse tomber sur la chaise à la droite d'Harry.

— Vous parliez de quoi ?

— De... euh...

— De la formation de Ron

D'un regard, Harry fait comprendre à son ami qu'il ne souhaite pas qu'Hermione sache. Ce qu'il avait déjà dû deviner puisqu'il a attendu d'être seul avec lui pour aborder le sujet. Futée comme elle est, elle ne mettra pas longtemps à comprendre que lui aussi prend de cette potion, et si elle croit que le Maître de cet Andrés ne s'est pas trompé, elle fera un scandale. Ce dont il n'a vraiment aucune espèce d'envie.

Son cerveau sur-boosté par ladite potion trouve alors la parfaite diversion.

— Et ce type, alors, que tes parents ont adopté, t'as eu le temps de le rencontrer ?

Son rugissement fait trembler les murs et Harry se met à rire alors que Ron se tasse un peu plus sur sa chaise.

— Ils ne l'ont pas adopté ! Je ne les laisserais pas faire une chose pareille ! C'est hors de question...

Parfaitement réveillée, désormais, Hermione se lance dans le compte-rendu détaillé du week-end qu'elle a passé avec ses parents et le sorcier Australien.

À sa plus grande déception, elle n'a rien trouvé de louche à son sujet. Il a étudié sur le Campus Flottant d'Arnhem, une école qui n'a pratiquement aucun contact avec les autres et qui n'a pas répondu à sa demande de pouvoir consulter la liste de leurs élèves. Il en est sorti diplômé en 1996 et a rencontré le couple Granger par hasard alors que ceux-ci, partis exploser le bush, étaient tombés en panne. Le courant est si bien passé entre eux qu'il les a invité à passer la nuit chez lui, soit disant pour lui laisser le temps de jeter un œil à leur moteur. Bien sûr, une fois seul avec le véhicule, il l'a réparé grâce à sa magie. Ce qu'il aurait pu faire sur la petite route en terre où il les a trouvés, mais bien moins discrètement, n'ayant aucun outil en sa possession pour donner le change.

— Ils ont passé les trois mois qui ont suivi à voyager avec lui, râle la jeune femme. Et ils ont percés son secret à jour quand il a dû réparer une nouvelle fois leur moteur, sauf que cette fois, il n'a pas pu leur cacher qu'il n'était équipé que de sa baguette magique.

— Il n'a pas l'air d'un mauvais gars, a le malheur de prononcer Harry alors qu'elle lui raconte comment il a rénové la maison de ses parents depuis qu'il y loge, les équipant des meilleures fournitures dont ils pourraient rêver.

— C'est un pique-assiette ! Comme s'il ne pouvait pas faire ça chez ses propres pa... Oh ! Harry, pardon ! Je ne voulais pas...

Horrifiée par ce qu'elle vient de dire, Hermione se cache la bouche des mains comme si ça allait lui permettre de ravaler les mots qu'elle regrette d'avoir prononcés.

— C'est rien, souffle Harry. Je sais que tu pensais pas à moi en le disant. Mais du coup, puisque ça nous fait un point commun merdique, avec ce type, je pense que tu devrais lui laisser sa chance. Donne-lui rendez-vous sans tes parents et explique-lui ta situation. Je suis prêt à parier que votre relation s'améliorera après ça. Parce que là, de son point de vue, tu es exactement dans la même situation que lui.

Il voit à son regard qu'Hermione n'en croit rien, mais elle s'en veut toujours suffisamment pour ne pas le contredire.

— Encore une chose, ajoute Harry avec un regard stressé en direction des escaliers. Severus ne veut pas que j'en parle, mais si je ne le fais pas, j'ai peur que cette situation ne se débloque jamais...

Tout ouïs, ses amis, se rapprochent de lui, curieux, quoi que prêt à hurler dans le cas de Ron si jamais Harry recommence à leur raconter des détails trop intimes sur leur vie à deux.

— Je sais que Malfoy est gardé à Sainte Mangouste et que des hommes du Ministère empêchent quiconque de le voir. Sauf que si quelqu'un peut obtenir quelque chose de cette tête de con, c'est Severus. Il s'y rend presque chaque semaine depuis la rentrée, mais il se fait systématiquement refouler...

— Je ne peux rien faire pour ça, s'excuse Hermione en secouant la tête. Je ne m'occupe pas de ce qui concerne l'attaque du Ministère...

— Mais tu es en contact avec Kingsley.

— Oui. Je le vois de temps en temps.

— Parle-lui-en. S'il te plaît.

Hermione hésite un instant. Si le nouveau ministre n'était pas un ancien membre de l'Ordre, un homme qu'ils ont côtoyé en de tout autres circonstances et aux côtés de qui ils ont combattu, Harry ne pense pas qu'elle se serait risquée à aborder un tel sujet avec lui. Mais Kingsley est Kingsley. Et si son courrier est trié avant de lui être remis, ce qui explique que les deux lettres qu'Harry lui a envoyées soient restées sans réponse, il doute qu'il ignore une telle demande si elle lui est faite directement. Plus encore par un autre membre de l'Ordre.

— Je verrais ce que je peux faire, lui promet-elle.


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