« Votre Majesté, vous ne trouvez pas que le prince Jeremiah a... changé ? »

Vivianne tourna légèrement la tête, observant le prince se tenant à l'écart et fixant l'horizon l'air bien trop sérieux. Elle et son escorte de conseillers étaient arrivées au port de Voile-d'hiver de bon matin, attendant l'arrivée des bateaux de Stolheim et de Leonidia.

À quelques kilomètres, la guerre divine faisait rage mais la princesse n'en avait que faire : elle savait qu'avec les nouvelles troupes, aucun stratagème de Cornélia ne pourrait réussir. Jamais elle ne pourrait reprendre Voile-d'hiver et revendiquer le trône.

Mais pourtant, le retard de plusieurs heures maintenant des flottes de bateaux l'inquiétait de plus en plus. Elle avait envoyé des éclaireurs dès la première heure de retard et attendait avec impatience de voir les drapeaux de l'est et du sud apparaitre au loin.

— Comment ça « changé » ? demanda-t-elle enfin à l'un de ses conseillers.

— Ses yeux sont plus bleus qu'auparavant et... il a l'air ailleurs depuis hier soir.

— Peut-être que mon futur époux comprend enfin que nous ne pourrons être cléments avec son cousin lorsque nous gagnerons la guerre.

— Qu'en pense le roi de Stolheim et celui de Leonidia ? C'est tout de même son neveu et le fils du chef de leur armée.

— Tout le monde se fiche du sort de ce chasseur dissident.

Vivianne croisa les bras et laissa s'échapper un souffle chaud lorsqu'ils aperçurent enfin revenir leurs éclaireurs. Elle avait l'espoir qu'ils ramènent de bonnes nouvelles mais malheureusement, c'était loin d'être le cas.

« Majesté, toute la flotte de Stolheim et de Leonidia a été détruite. Nous n'avons retrouvé que ce malheureux soldat. » avait déclaré un des éclaireurs en montrant du doigt le corps presque gelé du survivant dans leur barque.

Ce dernier fut rapidement pris en charge alors que la princesse restait figée sur place. Ses conseillers s'agitaient tout autour d'elle pour trouver des réponses et savoir si ce n'était qu'une vaste blague ou un stratagème de leurs ennemis...

Jusqu'à ce que le survivant arrive à articuler quelques mots :

— Nous avons été attaqués...

— Par qui ?! s'écria un conseiller. Les rebelles ? Tous les bateaux ont été touchés ? Et le navire du roi Stolh ?!

— Tous... Tous les navires se sont fait emporter dans les profondeurs de l'océan glacial.

— Comment ?!

— Un monstre. Une créature marine géante et effrayante dont seules les légendes parlent.

Le survivant ne put terminer sa phrase qu'en toussant et fut emmené d'urgence au palais pour recevoir des soins.

Vivianne ne bougeait plus, trop sonnée par la révélation. Elle venait de perdre non seulement ses liens avec sa famille d'accueil mais également ses atouts pour battre la rébellion.

Si le roi Stolh était mort, Stolheim n'aurait plus de dirigeant et prendrait bien trop de temps à établir un gouvernement provisoire. La guerre de Givreciel serait déjà finie que les nouveaux soldats n'auraient même pas été recrutés.

Elle songea un instant à fuir et abandonner Givreciel pour prendre la place du roi du nord-est mais sa place serait encore moins légitime qu'au pays de l'hiver éternel. Et la fuite était bien trop douloureuse pour son égo.

Soudain, elle se tourna vers Jeremiah qui lui, était resté insensible à la nouvelle. Elle s'approcha de lui, l'espoir grandissant en elle avant de poser ses mains sur son avant-bras et de parler d'une voix douce :

« Mon prince, vous devez être peiné d'apprendre la mort de votre père... Est-ce que votre frère ainé prendra sa place sur le trône ? Pourriez-vous lui demander de nous envoyer des troupes en urgence ? Notre mariage n'est pas encore officialisé mais c'est tout comme et maintenant, le destin de nos deux pays sont liés. »

Le silence de Jeremiah l'inquiéta de plus en plus, tout comme son absence d'émotion. Elle secoua son bras, persuadé que la non-réponse devait être due au choc, lorsqu'elle vit un rictus apparaitre sur son visage.

— Avez-vous peur de perdre la guerre ? demanda-t-il calmement. Je pensais que la présence de la déesse de la guerre suffisait et que nos troupes étaient assez nombreuses ?

— C'était des troupes nécessaires à notre stratégie et au cas où les rebelles arrivent jusqu'à la capitale. Dites-moi si votre frère p-

— Ce n'est pas mon frère qui montera sur le trône.

La princesse ne saisit pas le sens de cette phrase et continua à insister auprès de son futur mari lorsqu'elle émit la possibilité de rejoindre Stolheim en dernier recours. À cette proposition, le sourire de Jeremiah s'étira.

— Vous seriez prête à tout abandonner pour votre survie ?

— Pour notre survie. Et ça temporairement pour revenir plus fort à Givreciel.

— Alors allez-y. Tentez donc de partir... Peut-être que le « monstre » sera clément envers vous. Si ce n'est pas un dieu, il n'y a aucune raison qu'il vous juge pour vos actes passés.

Pour la première fois, Vivianne dut s'écarter de son futur mari à cause du frisson de peur l'envahissant. Ce dernier avait une expression presque amoureuse envers elle mais tellement en contraste avec ses paroles qu'elle était évidemment fausse et inquiétante.

Jeremiah avait bel et bien changé et était passé d'un simple Don Juan charmeur à un prince charismatique que l'on n'aimerait provoquer pour rien au monde.

Faisant regretter à Vivianne sa sanglante réaction face à l'infidélité de son futur époux.

❄❄❄

Le combat entre les trois divinités avait autant arrangé Cornélia qu'il l'embêtait. Toute la ville avait pu être évacuée, mais pas sans sacrifice.

Les dégâts causés par l'affrontement avaient détruit le trois-quarts d'Emyth, tuant par la même occasion des familles entières de givrecieliens et une partie de l'armée ennemie.

Le souffle de glace d'Alvasi était dévastateur mais n'atteignait jamais la forme fantomatique de Silja focalisé sur le reste de l'armée à abattre. Et même s'il était ignoré, Viktor répondait aux assauts de la déesse de la guerre en l'attrapant à chaque passage trop près de la terre.

Mais après une quinzaine de minutes de combat, Alvasi comprit enfin que quelque chose n'allait pas dans le comportement de sa consœur : elle l'ignorait et se concentrait bien trop sur l'anéantissement des humains.

Il manquait une lueur dans ses yeux et c'était impossible qu'aucune de ses attaques ne l'affaiblisse, pas même légèrement.

Alors elle changea de stratégie et au moment où elle reprit forme humaine pour envoyer sa lance sur le dragon, elle fut interrompue par Viktor et esquiva de justesse un coup de patte.

La déesse de la guerre fixa le nouveau dieu loup puis tapa le toit de la maison où elle se tenait avec sa lance pour exiger une discussion avec ce dernier. Viktor céda sans pour autant se retransformer en humain, rapetissant simplement sa forme divine par précaution.

— Cette « chose » n'est pas la déesse de l'hiver. Ce n'est pas Silja. C'est une coquille vide.

— Qu'est-ce qui vous fait penser cela ?

— Silja a trop d'honneur pour m'ignorer. Jamais une déesse aussi puissante ne perdrait autant de temps à anéantir des humains alors qu'elle pourrait invoquer une tornade de glace pour les réduire au silence. Ceci n'est qu'un fantôme.

La déesse n'avait été trompée que quelques minutes alors que le subterfuge fonctionnait depuis des années. Viktor dû reconnaitre, en plus de la puissance de la déesse, une grande clairvoyance.

— Je refuse de me battre contre une telle abomination. Je veux voir Silja.

— La déesse est morte.

— Ne te moque pas de moi, petit dieu. Si Silja était vraiment morte, la neige ne tomberait pas et elle aurait été remplacée par sa descendance.

— Alors il n'y a que le lien par le sang qui autorise la transmission d'un statut divin... Je comprends mieux.

— Dis-moi où est Silja et qui utilise sa puissance pour de piètres desseins ! Je jure que si tu ne me dis pas où elle est, je n'hésiterais pas à te mettre à terre.

— Les pouvoirs que l'on m'a transmis m'interdisent de vous révéler une telle information. Le sort de la déesse n'est pas entre vos mains, ni les miennes. L'avenir de Silja appartient à la destinée d'une autre personne.

Alvasi leva les yeux au ciel, regardant le fantôme du dragon s'élever avant de cracher son souffle de glace sur ses ennemis fuyant la ville.

Elle n'avait aucune envie de perdre du temps dans de pareil combat et n'était motivée que par la déesse Silja or, si cette dernière n'avait même plus son destin en main, sa présence n'avait qu'une utilité sur ce champ de bataille.

— Un humain, n'est-ce pas ? Silja a toujours eu un faible pour ces créatures inférieures et j'ai été surprise qu'elle décide si tôt de s'occuper de sa descendance avec le roi de ce pays. Il lui restait de belles années devant elle.

— C'est l'amour qui a guidé sa décision.

— Pfff... Un dragon ne peut tomber amoureux et encore moins d'un humain.

— Si vous n'avez plus rien à faire ici, partez. Laissez-moi gérer ce conflit et rétablir l'ordre dans ce pays.

La déesse dévisagea le loup blanc géant avant de grogner et de saisir sa lance pour la pointer vers son museau.

« J'ai encore une dernière chose à faire. Pour Silja. »

Elle prit sa forme originelle avant de s'élever très haut dans le ciel, par-delà les nuages, avant de foncer droit sur le dragon blanc et de pousser un cri à faire trembler les montagnes.

Son souffle de glace, cette fois-ci, créa de nombreux piques de glace sortant de terre et venant transpercer le corps fantomatique de Silja, arrêtant sa course et permettant au peu de survivants stolheimiens de s'enfuir en direction de Voile-d'hiver.

Alvasi savait que même si le dragon devant elle disparaissait, il reviendrait car il était contrôlé comme un pantin. La seule solution était de mettre fin à la vie de sa consœur introuvable mais si Viktor avait vu que ce n'était pas leur destin, alors elle laisserait ce blasphème à un autre.

Quelqu'un qui aurait la force de mettre fin au jour d'une déesse de l'hiver et assez de cran pour accepter la punition divine de cet affront.

Un chasseur à quelques kilomètres de là, s'éveillant à peine de son coma, déjà déterminé à mettre fin au calvaire de Silja.

❄ Chapitre suivant déjà disponible ! ❄

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? De la nouvelle cassant la stratégie de Vivi et la faisant paniquer devant un Jeremiah froid comme la glace ? De ses réactions ? 

Du combat entre les divinités et des paroles de Viktor faisant partir Alvasi ? Est-ce que Cassian sera bien celui libérant Silja ?

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