44 - Deux Ex Machina

« Chère fille de givre,

Depuis Brise-Lac, je sens la rage de la déesse.

Il neige sans cesse et les nuits sont dures mais ça, tu le sais très bien. C'est toi qui as chanté la complainte. Ce qui m'énerve autant que la déesse de l'hiver, c'est l'odeur de bois brûlé.

Depuis hier soir, je la sens de plus en plus. Venant de l'est, cela ne m'étonnerait point que Vivianne Vaeryl ait décidé de brûler la forêt entre nous et Yolmin.

Les oiseaux ont le loisir de fuirent vers les montagnes... mais les autres créatures ? J'ai l'impression d'entendre les pleurs des arbres à chaque pas que je fais. Je fixe le lac en pensant à nos ennemis et aux moyens employés dans cette guerre.

Nous avons rapatrié les soldats blessés du clan de Volkan mais nous ne sommes pas assez nombreux. Si la forêt est en feu, nous nous exposons aux armées stolheimiennes mais également à d'autres créatures aveuglées par la colère.

J'ai juré de faire mon possible pour ton peuple et je m'y tiendrais mais je ne peux repousser à moi seul une armée et des bêtes fantastiques.

J'espère te retrouver bientôt et j'attends la venue de ton frère.

Le garçon solaire,

XXX »

Cassian se frotta le menton en fronçant les sourcils alors que quelques rayons de soleil traversaient les nuages pour mieux disparaitre à l'horizon. La nuit allait de nouveau prendre le dessus et laisser grandir la peur chez les rebelles établies à Brise-Lac.

D'autres hommes et femmes étaient venus depuis la cité souterraine pour renforcer ses rangs mais le chasseur craignait la fumée qu'il arrivait enfin à voir au loin depuis peu.

Si Vivianne avait mis le feu à la forêt, cela aurait dû prendre à peine quelques heures pour tout brûler...

« Alors pourquoi est-ce après deux jours que je vois cette fumée ? » se demanda-t-il avant de tourner la tête vers Volkan arrivant dans sa direction depuis le lac.

Deux gros poissons à la main et une canne à pêche de fortune dans son dos, il souriait comme un enfant en agitant ses prises du jour.

Le chasseur percevait très bien la tristesse due à la mort de ses compagnons que tentait de cacher le chef de clan. C'était un homme qui avait du vécu et avait surement connu bien pire mais les émotions étaient humaines et un masque pouvait cacher bien des sentiments.

Cassian et sa froideur en était un expert tant il avait vu la mort dans son métier de chasseur.

— Tu nous rejoins pour le diner ? demanda Volkan en lui passant devant.

— Mmm...

— Inquiet ? Ce n'est pas parce que Viktor a du retard qu'il est arrivé quelque chose au sud. Notre cheffe peut gérer n'importe quelle situation. Elle est surhumaine et j'ai foi en elle.

— C'est la boisson qui te fait dire ça... murmura Cassian sérieusement alors que Volkan approuva en riant.

Ne se doutant pas un instant que ce n'était pas une blague.

« Surhumaine, oui. C'est une demi-déesse qui n'a pas l'air d'avoir de forme divine. Du moins, qu'elle ne révèle pas. Il n'y a chez elle que des réflexes hors du commun, une température froide, un charisme attirant et un esprit assez tordu pour emmener tout un peuple au combat. »

Cassian soupira en se retournant, prêt à suivre Volkan pour faire une pause et déguster du poisson grillé lorsqu'il entendit des bruits étouffés.

Il s'arrêta, ignorant les interrogations du chef de clan avant de tendre l'oreille en arrière. Se retournant doucement vers la forêt au loin où il comprit enfin ce qu'il entendait : des grognements.

— Ça se rapproche.

— Tiens, intervint Volkan en plissant les yeux. La fumée est plus dense et... on dirait qu'il y a de la lumière qui s'échappe du bois.

— Ce n'est pas de la lumière mais du feu.

— Voyons Cassian, ce serait un raisonnement logique mais, malgré l'odeur, le bois ne semble pas brûler. Peut-être qu-

— Peut-être que ce n'est pas la forêt qui est en feu.

Soudain, un silence inquiétant s'installa tout autour d'eux. Volkan suivait le regard de Cassian, tendant l'oreille comme ce dernier dont les pupilles avaient changé de couleur. Passant du noisette au gris, il inspectait les bois devenus sombres à mesure des secondes où le soleil disparaissait au loin.

— Volkan, chuchota-t-il enfin, fait évacuer la ville. C'est un ordre.

— Tu penses que... ?

— Je prie pour que Viktor arrive rapidement.

Sur ces mots, Cassian prit une gorgée d'eau dans sa gourde, la finissant et la jetant au sol avant de sortir No Mercy de son fourreau. Volkan suivit l'ordre de son chef par intérim et se mit à courir en direction de la ville à moitié détruite.

S'il savait que Cornélia était surhumaine de par ses gênes, il avait déjà eu la preuve que Cassian n'était pas en reste. Il s'étonnait même qu'un peu de sang elfique ait autant d'effet sur un homme.

Un hurlement de loup le rassura car il le reconnut immédiatement et remercia Silja pour ce possible Deus Ex Machina qu'elle lui offrait. Une chance qu'il n'avait pas le temps d'attendre alors que la fumée se rapprochait, que l'odeur du bois brûlé se faisait de plus en plus forte et que de la « lumière » traversait les arbres.

« Tiens, ça sent autre chose maintenant... » pensa-t-il en reniflant. « Ça me rappelle un truc. »

Un vieux souvenir de chasse au sud-ouest du continent lui revint en mémoire : il se souvint d'une traque de lion géant avec ses compagnons chasseurs les ayant emmenés à la frontière du pays maudit de NightHallow. Ce même pays mystérieux et corrompu par un ancien dieu qui avait contaminé sa mère lors d'une expédition, lui causant la mort et une quarantaine imposé pour Cassian.

Un lion qui faisait du tort à la population naine du pays voisin et qui s'était échappé le temps d'une semaine en terrain souillé jusqu'à revenir rempli de rage et le corps purulent. Rongée par un mal inconnu, sa peau s'était mise à brûler et avait causé la traque la plus dégoutante de sa vie.

Cassian avait perdu trois camarades et était le seul chasseur ayant eu assez de chance de s'en sortir indemne. Les survivants ayant perdu des membres ou alors étant tombé malade pendant des mois.

« C'est l'odeur de la chair brûlée et de la rage. » conclut-il en devinant peu à peu ce qu'il s'était produit dans cette forêt.

Vivianne avait dû commencer par la brûler mais l'affront n'avait pas plu à une divinité animale. Et comme dans cette histoire que lui avait contée sa mère plus jeune, la nature enragée se vengeait toujours des humains, sans distinction. La fumée ne provenait pas du bois mais bien d'une créature et si elle était comme le lion, cette bête avait une ascendance « divine ».

Ses craintes furent confirmées quelques minutes après lorsqu'il entendit un nouveau grognement, que l'air devenait nauséabond et que les arbres se faisaient écarter par le corps d'un animal massif.

La main de Cassian trembla quelques secondes avant qu'il ne serre fort son poing et vienne agripper le manche de No Mercy. Il n'avait pas connu la peur à cette intensité depuis longtemps et elle était malheureusement justifiée.

Sortant de la forêt, à moins d'un kilomètre de lui, apparaissait dans la semi-pénombre un animal géant dont le corps brûlant dégageait des flammes et des bulles de sang.

Un loup géant. Plus imposant encore que les loups-de-givre, plus grand que Viktor et sa forme divine. Une bête aussi grande qu'un arbre et qu'une nuée de flèches ne pourrait arrêter.

Cassian se retint de jurer mais la vision de cette créature souffrant le martyre et aveuglée par la rage fit trembler ses jambes. Il dû se mordre la lèvre pour retenir son corps de craquer face à la peur alors qu'avec sa nyctalopie, il distinguait les crocs noircis de la créature prête à attaquer la ville.

« Cassian ! »

Malgré la surprise en entendant la voix de Viktor, son corps n'eut pas la force de sursauter tant il était tétanisé. Son ami arriva à ses côtés sous sa forme humaine en pinçant son nez et en pointant une direction devant lui au hasard.

— Qu'est-ce qui arrive vers nous ?! s'exclama-t-il. Je ne connais pas cette odeur ! Elle brouille ma « vision ».

— C'est... Un loup. Du moins en apparence. J'ai déjà vu ça, c'est une créature à ascendance divine mais corrompue. Le mal a pris possession de son corps devenu flamme. Cette bête est déjà morte à l'intérieur et l'achever serait la plus grande des délivrances pour elle.

— ... Un loup ? Qui venait de la forêt entre Brise-Lac et Yolmin ? Cassian, décris-le-moi.

Le chasseur s'exécuta, n'omettant aucun détail alors que la créature au loin marchait avec lenteur sur la neige, aveuglée par le sang coulant sur ses yeux.

— Il a un bout d'oreille coupé, conclut Cassian.

— Par tous les dieux... murmura Viktor en reniflant et en passant le dos de sa main devant ses yeux. Je connais cette divinité. C'est une louve qui a quitté il y a quelques semaines les montagnes du sud pour aller au nord et calmer la colère des loups-de-givre affolé par l'activité des nains de Yolmin préparant la guerre. La déforestation l'a attiré et elle s'est fait avoir par le plan de Vivianne... Merde...

— Une louve ? Tu veux dire que... Non. Ce n'est pas possible.

— Elle a arrêté le feu de forêt en se sacrifiant. Sans elle, des milliers d'hectares auraient brûlé et encore plus de créatures seraient mortes. Comme Silja, son cœur est entièrement dédié à la nature mais je ne pensais pas qu'elle irait jusqu'à donner sa vie pour ça.

— Viktor, cette louve, c'est Fenrir, n'est-ce pas ? C'est ta mère ?

Son silence fut sa réponse et alors que Cassian s'apprêtait à jurer à nouveau, le hurlement de la louve géante les fit sursauter et se mettre en position de combat.

Mais ils étaient conscients de la triste réalité : jamais ils ne pourraient battre à deux une déesse corrompue et ça même avec tous les Deux Ex Machina que les dieux pouvaient leur faire.



Deux chapitres pour le prix d'un ! La suite est déjà disponible.

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre annonçant un rude combat ? Des impressions de Cassian et du plan de Vivianne ayant amené cette créature face à lui ?

La fin de ce chapitre et la situation de Fenrir est clairement un clin d'œil à Princesse Mononoke, mon film préféré !

❄On se retrouve directement pour la suite mais n'oubliez pas de voter et mettre un commentaire pour donner votre avis sur ce chapitre !❄

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