36 - L'amant de la nature
L'air était pur dans cette grotte mais pourtant, il avait un mal de chien à respirer.
Cassian était en pleine crise de panique.
Depuis le drame d'il y a dix-sept, il pouvait être sujet à ce genre de crise lorsqu'un événement allait tellement à l'encontre de ses principes et de sa pensée qu'il était inconcevable. Le chasseur en avait vu des choses surprenantes dans sa vie de solitude mais cette crise était la plus puissante depuis cette fameuse nuit d'été.
Ses mains grattaient le sol alors que son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et que son souffle devenait de plus en plus irrégulier. Il n'entendait que vaguement les inquiétudes des gens autour de lui sur son état et sa vision brouillée se contentait de fixer son amante le regardant de haut.
Il n'y avait que sa voix qui l'atteignait.
— Je n'ai pas eu le choix, Cassi. La famine nous aurait tous tués. La vie de tellement d'innocents était en jeu, celle de Cristal notamment. Si tu l'avais vu... Une enfant si frêle qui toussait déjà de la poussière d'okril et que la faim était en train de tuer... Je n'avais pas le choix ! Tous les givrecieliens que tu as rencontrés ont été sauvés grâce à moi ! Grâce à ce sacrifice de sang !
— Tu as emprisonné ta mère dans une statue pour ça ! s'écria-t-il soudainement. Est-ce pour ça que l'hiver est éternel ?!
— C'est elle qui a créé l'hiver éternel, elle qui s'est emprisonnée toute seule, je me contente de la faire saigner de temps à autre.
— Connie... Tu es...
— Un monstre ? Peut-être bien. Mais j'ai un devoir envers mon peuple et c'était la seule façon de les sauver. Si ma mère doit encore souffrir pendant des décennies pour que Givreciel vive, alors soit. Je l'utiliserais jusqu'à la moelle, elle et son fantôme de dragon.
— Alors ce n'est pas un vrai dragon... C'est... Comment peux-tu faire ça à ta mère ? Elle qui a brûlé toute une ville pour ne pas être séparée de toi ?
— Parce que c'est ses sentiments pour moi qui ont causé sa perte, notre perte à tous. C'est à cause de son amour que nous sommes ici aujourd'hui, traumatisés par une seule nuit ! L'amour peut-être beau mais pour moi, il est toxique. Il pousse aux pires des folies et à la destruction des peuples. L'amour a causé, cause et causera toujours des guerres parce qu'il est irrationnel. Moi, je ne veux pas de ce genre de sentiment.
— Tu veux tuer Vivianne par haine, c'est un sentiment aussi toxique !
— Peut-être bien mais ça ramènera l'équilibre dans notre pays.
Cassian ne put converser plus longtemps avec elle, sa crise de panique l'entrainant à l'évanouissement.
Plongé dans un sommeil profond, il ne ressentait que le froid de cette grotte et cette odeur de fruit pourtant agréable mais lui donnant maintenant des envies de vomir. Les racines, les arbres, les feuilles et les fruits étaient imprégnés du sang d'une divinité qui n'avait plus sa liberté et errait dans les profondeurs du pays sous la forme d'un fantôme.
— Qu'est-ce que vous attendez de moi, à la fin ?
— Je veux que vous changiez l'avenir. Restez perspicace, ne vous laissez pas corrompre quitte à souiller votre lame et surtout, n'oubliez pas votre liberté.
Une douce chaleur lui fit ouvrir les yeux et se relever. Son corps engourdi était dans une forêt d'érable rouge, identique à l'ancienne près du château de Voile-d'hiver. Il leva la main devant lui en observant les nuages blancs lorsqu'il se rendit compte qu'elle était plus petite. Bien plus petite qu'avant.
Et que les arbres semblaient être plus grands. Tout était différent.
Il toucha son corps, ses cheveux et ses vêtements et se rendit compte qu'il n'était plus adulte mais bien un enfant. Il n'y avait pas de neige, que de l'herbe et une agréable chaleur adoucit par une légère brise marine.
« Est-ce un songe du passé ? » pensa-t-il alors qu'il observait les environs, lorsqu'il repéra au loin une silhouette assise contre un arbre.
Il s'approcha à pas de loup avant de s'arrêter net. Devant lui, une femme à la beauté chavirante et qu'il commençait à bien connaitre. De longs cheveux blancs ornés de plusieurs bijoux dorés, une robe tout aussi blanche donnant une vision angélique à cette divinité aux yeux bleus hypnotisants.
Soudain, un sourire apparu sur son visage alors qu'elle regardait le jeune garçon avec amour, le faisait rougir comme une tomate.
« Approche, n'aie pas peur. » dit-elle en tendant sa main vers lui. Cassian obéit et s'assit en tailleur devant elle, l'observant jouer avec une feuille d'érable aussi rouge que ses lèvres. À cette distance, son parfum était déjà enivrant et il comprit enfin comment le roi Vaeryl avait pu tomber amoureux d'une telle déesse.
— Tu arrives de très loin, n'est-ce pas ? Je le vois dans tes yeux.
— Silja... Pourquoi êtes-vous dans mon rêve ? Pourquoi suis-je redevenu enfant ?
— Je voulais te montrer notre première rencontre. Tu ne t'en souvenais pas, malheureusement. Tu t'étais égaré dans la forêt derrière le château alors que le bateau de ton père venait à peine de débarquer à Voile-d'hiver. Tu avais voulu jouer avec Jeremiah mais tu t'étais aventuré trop loin. C'est là que je t'ai vu. Tu m'as regardé de cette même façon mais avec une innocence si mignonne... avant de t'évanouir de fatigue. Le voyage avait été éprouvant et mon aura t'avais tout de suite adouci jusqu'au sommeil. Je t'ai gardé près de moi pendant des heures avant de te ramener à ton père.
— Vous avez veillé sur moi...
— Je sentais que l'on serait amené à se revoir dans le futur et je le désirais ardemment. C'est pour ça qu'à ton retour à Givreciel, je suis apparu devant toi. J'ai conservé pendant tant d'années assez d'énergie pour te guider jusqu'à moi et te faire comprendre la vérité.
— Pourquoi ne pas me l'avoir dit clairement ?
— J'en étais incapable. J'aime ma fille et tous les habitants de Givreciel alors la trahir aussi tôt aurait conduit à la perte de ce pays. Tu devais découvrir la vérité par toi-même.
Cassian se laissa caresser les cheveux par sa main chaleureuse avant qu'elle ne le soulève et le pose sur ses genoux pour l'enlacer.
« Je t'aime Cassian. Je t'aime comme on aime un fils mais aussi un amant. Tu as tant souffert dans ta jeunesse avec la perte de ta mère et ce drame... Mais tu as tant aimé la nature. Tu trouves de la beauté là où les autres restent aveugles. Tu t'inquiètes pour des causes jugées futiles et condamnées... Tu es l'homme que j'aurais aimé avoir dans ma vie si seulement tu n'étais pas né si tard. Si seulement j'étais resté en vie quelques années, suffisamment longtemps pour te revoir et réchauffer ton cœur de glace. »
La déesse embrassa la joue du chasseur au cœur d'enfant prêt à exploser dans sa poitrine tant les émotions étaient intenses.
— Pourquoi l'hiver éternel ? Pourquoi vous être emprisonné au fin fond d'un lac et dans l'okril ?
— Après avoir été blessé par ton père, j'ai volé jusqu'à ne plus pouvoir battre des ailes. Cette fuite a déchaîné mes pouvoirs divins sans que je puisse en avoir le contrôle et a créé l'hiver éternel. Lorsque je suis revenu au château, j'ai trouvé le corps de l'homme que j'aimais inerte. J'ai tellement pleuré pour lui, pour cette erreur que j'avais commise lui coûtant la vie ainsi qu'à de nombreux givrecieliens... Je ne pouvais pas me remontrer face à eux.
— Alors vous avez fui jusqu'au lac.
— Je n'ai pas fui, j'ai trouvé un moyen de les sauver. Je suis allée dans cette grotte mystique, celle-là même où je suis née comme une divinité de l'hiver par la main de l'ancienne déesse Onhild. Je me suis mise à prier et j'ai laissé mes pouvoirs agir. J'ai pu créer un refuge accueillant pour mon peuple dans les profondeurs des montagnes, créer de nouvelles espèces de plantes et de fruits résistant au froid...
— Vous avez refaçonné le pays de Givreciel pour qu'il survive et ça vous a coûté votre liberté.
— L'okril me donnait plus de pouvoir et lorsque j'en ai ingéré, mon corps s'est transformé. Je me suis figé en statue priant éternellement. C'était ma punition pour avoir fait souffrir mon peuple à cause de mon amour.
Une larme coula sur la joue de la déesse avant de se changer en minuscule pierre précieuse tombant dans l'herbe et s'évaporant instantanément. Les mains d'enfant de Cassian caressèrent sa joue pour la réconforter tant bien que mal.
— Silja, vous avez bien assez payé pour cette erreur. Vous devez vous libérer de cette prison et empêcher votre fille d'utiliser votre sang pour manipuler la fidélité du peuple de Givreciel.
— Si seulement je pouvais, Cassian. Je souffre en voyant la guerre arriver, je crie en sentant la douleur de cette épée près de mon cœur. Cette arme forgée à partir de mon arc et de la lame de mon Jaden... Cet amour me transperce et fait couler mon sang depuis des années mais je suis incapable de me libérer. Je suis définitivement prisonnière de l'okril.
— Vous ne pouvez pas l'être ! Si ce qu'elle affirme est vrai, votre forme divine de dragon doit errer dans le ciel et elle doit avoir le moyen de la contrôler pour terrasser ses ennemis. Je me fiche des vies humaines, je n'ai que peu d'empathie, mais je sais qu'un simple souffle de dragon peut détruire toute la beauté de ce pays.
— Un amoureux de la nature... Je t'avais bien jugé. Mais même si tu trouves un moyen d'arrêter ma peine, ce sera pire encore. Je suis toujours la déesse de l'hiver et me sortir de ma prison dérèglera le climat même du pays. La vie y deviendra éphémère, les animaux rares et les plantes gelées. Givreciel ne pourra plus prétendre à l'indépendance et tout le travail de Cornélia depuis des années n'aura servi à rien.
— Et votre souffrance aurait été vaine... Je comprends mais... Je ne peux définitivement pas vous laisser comme cela. Je trouverais un moyen quitte à participer à cette guerre futile.
— Oh Cassian, mon amour...
La déesse serra un peu plus fort l'enfant dans ses bras avant de lui embrasser le front. Elle l'enveloppa de toute la chaleur qu'elle disposait avant qu'il ne s'évanouisse et retourne à la réalité.
Les larmes coulant jusqu'à son cou alors que le froid reprenait possession de son corps. Son corps d'adulte retrouvé mais sa colère encore présente lorsqu'il se releva du banc en pierre où il avait été installé, face au lac de Silja.
Viktor en forme de loup le regardait depuis l'îlot, assis dans la neige et baissant la tête comme pour s'excuser. Mais Cassian l'ignora. Ce songe l'avait remué autant que la vérité sur le pouvoir de fidélité de Cornélia.
Il avait besoin de se retrouver seul avec ses esprits pendant un temps.
J'espère que ce doux chapitre dans les bras de la déesse Silja vous a plu. Cassian avait besoin de ce moment après cette révélation qui chamboule encore son esprit et son cœur.
Comment va-t-il réagir après cela ? Quel moyen va-t-il trouver pour délivrer la déesse ? Si vous avez été attentif lors de Flambée de désir, vous avez déjà une partie de la réponse...
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