31 - Chacun son camp

Comme tout le monde, Jeremiah s'était fait berner par l'image d'une princesse innocente.

Une jeune femme bien apprêtée qui dégageait une grande naïveté et d'une beauté enfantine pouvant tromper n'importe qui. Elle l'était, en un sens, inexpérimenté.

Mais son enseignement à Stolheim et son passé encore douloureux l'avaient forgé, comme n'importe quel enfant ayant connu le drame de cette nuit d'été d'il y a dix-sept ans.

Vivianne Vaeryl était une belle fleur du nord qui, lorsqu'elle était contrariée, sortait ses épines.

Cela, Cassian l'avait perçu lorsqu'il se présenta à elle après des semaines d'absence. Une simple lueur dans les yeux. Comme toujours, elle était habillée élégamment et sa posture sur son trône était royale.

À ces côtés, en revanche, Jeremiah Leonidi faisait pâle figure. Le cousin du chasseur avait les traits tirés, le teint pâle et des poches sous les yeux. Il ne semblait avoir qu'une seule envie : que Cassian vienne le sauver.

Ce dernier fit une révérence à la princesse lui souriant, attendant qu'elle pose cette question à laquelle il ne pouvait répondre :

— Vous avez fait bon voyage dans l'ouest ? La situation y est stable ?

— Elle est comme elle doit être. Et non... Je n'ai pas bien terminé mon voyage de retour jusqu'ici.

— Ah vraiment ? demanda-t-elle avec une pointe d'innocence dans la voix, irritant le chasseur.

— La déforestation n'est clairement pas bonne pour mes affaires.

— Mais sans cela, pas de guerre donc pas de reprise de l'ouest. Et sans cela, pas d'accords commerciaux intéressants pour votre pays.

— Cela vaut-il le sacrifice de la nature ?!

La colère du chasseur avait été perçue par toute la salle, témoignant d'un réel intérêt à son environnement, lui qui n'aimait pourtant pas perdre aussi facilement son calme face à une quelconque royauté.

« Votre séjour chez les rebelles vous a grandement influencé et fait perdre le peu de manière que vous aviez... Mais nous en reparlerons plus tard. En attendant, j'ai des affaires à gérer. »

❄❄❄

« J'ai l'impression que mes draps sentent encore son odeur... et que le sang couvre mes mains. »

La tête caressant la pierre du mur de sa chambre, Jeremiah venait de raconter tout ce qu'il s'était passé depuis des semaines à Cassian. Ce dernier l'écoutant presque sans émotion et jouant à lancer sa dague en l'air.

Son cousin semblait avoir le poids de la mort de son amante la servante sur le cœur depuis des jours mais il n'arrivait pas à compatir. Si le prince avait été élevé selon les codes de la royauté, pour lui c'était l'inverse.

Il avait connu la mort avant même celle de sa mère et avait déjà perdu de nombreux compagnons de voyage dans sa vie, parfois même par sa faute. Il ne semblait pas hanté par les démons du passé mais il lui arrivait de repenser à tout ce sang laissé derrière lui et de ne pas en dormir pendant plusieurs jours.

Alors la culpabilité nouvelle de Jeremiah, il ne savait pas comment la gérer autrement que par de l'indifférence.

— Je l'ai senti en croisant son regard que Vivianne n'était plus une « proie docile » mais une prédatrice en devenir. C'est bien les femmes du nord, ça... Et que comptes-tu faire ? Tu vas en informer notre roi ?

— Je t'ai dit que j'avais passé énormément de temps avec Taras, le bibliothécaire royal de Vyrr. Il m'a donné les moyens de changer la donne, mais...

— Mais ?

— Ces dernières semaines où je ne t'ai pas écrit, j'ai tenté de ralentir voire bloquer les actions militaires de la princesse. J'en suis même venu à recruter des marchands d'Odyssey et autres touristes pour qu'ils jouent les informateurs pour moi. Mais la guerre civile est inévitable et elle arrive bientôt. Je ne sais pas sur quel pied danser : ma raison me dit de soutenir ma future femme mais mon cœur veut ardemment te suivre... Et j'ai mes obligations politiques.

— Me suivre ? Mon ami, je ne suis même pas sûr de mon camp. Je soutiens et fais confiance à Cornélia m-

Soudain, Cassian se tut. Il se mit à froncer les sourcils avant de frotter son menton, l'air perplexe. Jeremiah mit quelques longues secondes à comprendre son soudain changement d'humeur avant de le lui faire remarquer :

— Tu dis ne pas être sûr de ton camp mais tu dis également la soutenir... ? Que t'arrive-t-il ?

— Je ne sais pas. Ça doit être le voyage qui m'a fatigué... Non... ? C'est troublant.

— Ne serais-tu pas amoureux par hasard ?

— L'amour c'est pour ceux qui ont le temps. J'admets que j'aime la passion entre la cheffe des rebelles et moi, mais de là à accorder ma totale confiance par un supposé sentiment d'amour... Cornélia saurait vraiment rallier n'importe qui à sa cause juste avec son charisme.

Les deux hommes soupirèrent avant de se retrouver tous les deux assis côte à côte sur le lit, dubitatifs et réfléchissants silencieusement à leur situation respective.

Devaient-ils s'enfuir du pays quitte à provoquer de gros soucis à leur pays et salir leurs réputations ? Se battre aux côtés de Vivianne par soutien politique ou soutenir les givrecieliens et la rébellion ?

« Et moi qui n'étais présent que pour traquer un dragon, me voilà à réfléchir à la situation géopolitique d'un pays à l'aube de la guerre... » pensa Cassian en rangeant sa dague.

— Je vais retourner à l'Ouest, déclara-t-il. Je ne suis revenu que pour toi et m'informer de la situation ici.

— Donc tu choisis les rebelles ?

— Non, je choisis la nature. Je dois encore découvrir ce pays et les secrets qu'ils cachent... Et si je dois me battre, ce sera pour interrompre ce conflit et-... Qu'est-ce qui te fait sourire ?

— Tu es tellement toi, Cassi ! Je suis heureux car malgré le fait que tu aies un peu changé, tu restes attaché à tes valeurs profondes. Tu es aussi froid qu'une nuit à Givreciel mais malgré ton cœur de glace, tu dégages une sincérité profonde quand tu es passionné et ça fait tout de suite son effet.

— Toi aussi tu penses que j'ai un harem ?

— Si tu as réussi à séduire la cheffe des rebelles, ce n'est pas qu'avec ta belle gueule et ton fessier.

— Dit-il, « Jeremiah le Don Juan d'Odyssey ». Et que comptes-tu faire ?

— Je vais suivre la volonté de Taras Faraelyne et rester ici. Je veux en apprendre plus sur l'histoire de ce pays... Et puis je dois garder la face jusqu'à ce que mon père arrive.

« S'il arrive vivant... » pensa Jeremiah en détournant le regard et en repensant à son marché avec Taras.

*TOC TOC* « Monseigneur, je viens vous informer du départ des elfes de Rhapsodia »

— Aussi tard ? s'exclama Jeremiah avant d'enfiler son manteau. Il doit être presque minuit... Pourquoi est-ce qu'ils partiraient comme cela, dans le plus grand des secrets ?

— C'était qui ?

— Un de mes informateurs. Allez, allons leur dire adieu.

Les deux hommes quittèrent le château le plus discrètement possible, profitant de la nuit et de sa lune cachée par les nuages. Ils descendirent jusqu'au port à peine éclairé par des torches, l'endroit étant presque « mort » la nuit car il était impossible d'accueillir ou de faire partir des bateaux sans phare.

Et pourtant, en y arrivant, ils purent constater que l'informateur de Jeremiah avait bel et bien raison : le bâtiment royal de Rhapsodia était à deux doigts de quitter Givreciel.

« Vyrr ! » s'écria Cassian en apercevant le haut-elfe sur le pont de son bateau. Ce dernier esquissa un sourire et vint volontiers à la rencontre de cet homme qu'il avait su apprécier malgré sa froideur.

Le haut-elfe serra la main du prince, le laissant monter à bord pour qu'il puisse dire au revoir à Taras Faraelyne, et se planta enfin face au chasseur, les bras croisés.

— On est triste, Cassi ? plaisanta Vyrr d'un ton moqueur.

— Tais-toi. Je suis bien content que tu partes parce que tu ne m'apportes que des problèmes.

— Tu mens mal mais soit, je te l'accorde.

— Pourquoi un départ aussi discret ? Ne devais-tu pas t'entretenir avec la princesse ?

— Disons qu'elle m'a fait comprendre que je n'étais pas le bienvenu ici.

— Comment ça ?

— Juste après mon arrivée, elle a envoyé une missive à Rhapsodia et à mon roi actuel. Sa réponse a confirmé que je n'étais pas présent à Givreciel pour une mission officielle et il a également exigé mon retour immédiat. Ça ne sent pas bon mais... on verra bien.

— Et ta famille, les Loraelyan, ne peut pas te soutenir ?

Cassian n'eut pas de réponse à sa question et il ne put constater qu'une gêne dans les mouvements de Vyrr triturant les bagues à son doigt à ce moment précis. L'elfe garda un sourire mauvais sur son visage avant de détourner le regard vers son bateau et de soupirer.

— Tu sais quoi ? Je t'aime bien. Tu es facile à aborder mais difficile à comprendre et pourtant, je t'apprécie. J'espère qu'un jour, on sera amené à se revoir.

— Je ne le souhaite pas, ou alors quand tu seras moins chiant.

— Fais gaffe à ton cul, Cassi. Reste fidèle à tes convictions, ne te laisse pas manipuler et n'oublie pas ce que je t'ai dit : va vers le lac de Silja. Garde ton calme et mesure ta colère. Tout a une explication et le monde n'est pas blanc ou noir.

Vyrr conclut son petit discours en serrant la main du chasseur avant de le prendre subitement dans ses bras, se faisant rejeter par ce dernier, avant de rire en lui tapotant l'épaule et de remonter dans son bateau.

« Adieu, Vyrr Loraelyan Rhapsody. »

Cassian et Jeremiah regardèrent le bateau quitter le port de Givreciel dans la pénombre, son capitaine ne se fiant qu'à sa nyctalopie pour le diriger, et s'enfoncer dans la brume glaciale.

C'était le premier départ en prévision de la guerre, le premier avertissement, créant un sentiment d'urgence chez Cassian qui ne pouvait définitivement pas rester plus longtemps à Voile-d'hiver.

Il devait impérativement aller à la rencontre de ce qu'avait découvert le haut-elfe tout à l'ouest du pays. Quitte à revoir son jugement sur le conflit à venir.



Qu'avez-vous pensé du maigre échange entre Vivi et Cassi ? De sa colère face à la déforestation ? De ses retrouvailles avec son cousin et de leur situation ?

Et enfin du départ de Vyrr fuyant la guerre et de ce qu'il lui a demandé d'aller vérifier ? Vos théories ?

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