24 - Cœur

Cassian soupira d'aise, relâchant sa tête en arrière sur le dossier de sa chaise avant d'étendre ses bras et de grogner : il n'avait pas aussi bien mangé depuis son arrivée à Givreciel. De la viande de lapin tendre et parfaitement cuite, du pain chaud aux épices, des pommes de terre vapeur et une coupe d'Arctic Whisperer.

Cornélia avait avoué que c'était un repas « royal » et exceptionnel qu'elle avait préparé toute seule et grâce aux ingrédients issus du commerce illégal entre les rebelles et les autres nations de l'est. Seuls le lapin et l'alcool étaient à cent pour cent givrecieliens.

— Pourquoi cet accueil ?

— On ne peut prévoir son dernier repas alors parfois, je m'autorise ce plaisir en imaginant ma fin.

— C'est morbide. Mais aux dernières nouvelles, tu ne voulais plus voir « ma belle gueule » sur ton territoire. Que vaut ce revirement ?

— Tu m'intrigues, Cassian. Tu intrigues tout le monde. Je n'arrive pas à savoir si tu es un allié ou un ennemi. Si tu peux soutenir notre cause ou celle de Vivianne. Que fais-tu à Givreciel après tant d'années ? Après le traumatisme de cette nuit d'été il y a dix-sept ans ?

Le liquide bleu alcoolisé coulant dans sa gorge, le chasseur ne répondit pas immédiatement. Se demandant à quel point il devait lui mentir, la vérité étant exclue d'office vu le doute qu'il avait sur sa nature divine.

Un silence s'installa entre eux mais malgré l'absence de réponse, Cornélia en profita pour débarrasser la table et sortir du parchemin, un encrier et une plume pour la correspondance de Cassian à son cousin.

« Je ne suis qu'un chasseur. » déclara-t-il en terminant son verre avant de se resservir et de se préparer à écrire. La cheffe ne voulant pas lâcher l'affaire s'installa à côté de lui, posant sa tête dans ses bras et l'observant avec intérêt.

— Je ne suis fidèle qu'à moi-même. J'aime ma liberté, mes voyages, mes rencontres et mes combats. Je ne m'engage que lorsque cela me concerne ou que j'y vois un intérêt.

— Et le prince Jeremiah ? Lui semble avoir choisi son camp.

— Je ne suis plus lié à la royauté leonidienne mais je le soutiens. Il est comme un frère pour moi et s'il est en danger, je devrais agir. Je ne parlerais pas de cet endroit ou de la rébellion, je veux juste lui signaler que je suis encore en vie. Tu devrais comprendre vu ta relation avec Viktor.

— Tu ne sais rien de nous... Pendant que la princesse avait une vie luxueuse hors du pays, nous avons souffert comme le reste des habitants. Chaque jour était une épreuve de survie. Nous avons souvent connu la faim et c'est un miracle que l'on ait réussi à s'en sortir. Je ne souhaite pas qu'un étranger vienne ruiner nos efforts.

— N'aies crainte, je ne suis pas là pour empêcher ta révolte. Je te l'ai dit, je suis un chasseur.

— Très bien alors laisse-moi émettre une théorie.

Cornélia se leva de sa chaise, commençant à faire les cent pas tout en jouant avec un couteau trainant encore sur la table. Elle se mit à fredonner un air familier, la complainte qu'il avait déjà entendue, jusqu'à s'arrêter derrière lui.

« Avec tout ce que l'on m'a dit sur toi mais également mes propres observations et analyses, je peux en déduire aisément les choses suivantes : tu es arrivé avec ton cousin Jeremiah venant se marier avec la princesse régente mais la vie de château t'a déplu. Tu es un chasseur donc tu aimes la solitude et les grands espaces et c'est ce qui t'a poussé à t'aventurer dans ce pays.

Par un pur hasard, tu as rencontré mon frère et de fil en aiguille, des membres importants liés à la rébellion. Tu as également fait la connaissance de cet elfe, Vyrr Rhapsody, qui t'a inconsciemment poussé à venir jusqu'ici. Tu dis tout faire pour la liberté mais tu te contentes souvent de suivre la destinée.

Maintenant, j'arrive à déceler ce que tu caches : tu es un chasseur, c'est une évidence, et tu caches bien la vérité derrière ton masque impassible mais je ne suis pas dupe. À l'instant où tu as posé ton pied dans la neige de Givreciel, tu t'es mis à traquer ta proie...

Tu n'es là que pour cela, pas pour soutenir ton cousin. Tu ne serais pas revenu dans ce pays t'ayant traumatisé si tu n'avais pas une mission. La question ensuite serait « qui t'a confié une mission te forçant à affronter tes souvenirs désagréables de ce pays ? » or ce n'est pas compliqué à deviner : ton roi.

Tu as certes renié ton titre et la royauté mais tu as un grand sens de la famille. Ça se sent dans tes paroles. Cela veut dire que c'est le père de Jeremiah, ton oncle le roi Leonidi qui t'a confié cette mission.

Cette mission qui est... »

Cornélia s'interrompit dans son monologue alors qu'elle s'était tellement rapprochée de Cassian encore assis que sa poitrine touchait sa chevelure. Le couteau de cuisine proche de sa nuque, le chasseur l'avait éloigné d'un coup avec sa dague, son agilité surprenant à nouveau la cheffe.

Il n'avait qu'à faire un mouvement pour déclencher les hostilités mais il attendait qu'elle révèle à voix haute ce qu'elle avait découvert sur lui et l'intérêt de sa venue à Givreciel.

Si elle était le dragon blanc, il ne devrait pas hésiter à la tuer ici même et il en était résolu.

Soudain, Cornélia lâcha son couteau au sol avant de se coller à Cassian et de poser ses mains sur la table, autour de son corps. Son visage à quelques millimètres du sien et son parfum le faisant légèrement frissonner, il suivit son regard fixant la lettre qu'il venait de terminer d'écrire.

Elle se décolla tout en attrapant la lettre, ses yeux grands ouverts, avant de revenir à Cassian s'étant levé et tourné face à elle. Sa dague elfique encore en main, il essayait de comprendre sa réaction et si cela allait mener à l'affrontement lorsqu'elle tourna la lettre devant lui.

— C'est ta signature ? Les trois croix en bas du parchemin ?

— Oui, et ? Quand j'étais enfant, ma mère et moi avons créé un langage codé que nous utilisions dans nos correspondances lorsqu'elle partait en voyage. C'est assez rudimentaire mais la longueur des traits, le tracé et le nombre de croix signifient des mots. Pas de quoi réinventer la langue.

— Il n'y a que toi qui utilises ce langage ? Et ton cousin ?

— Il en a connaissance mais ne la jamais utilisé. Il dit que c'est mon « petit truc à moi ».

— Et qu'est-ce que ces croix veulent dire ?

Il ne répondit pas, fronçant les sourcils à l'intérêt soudain de Cornélia et ne comprenant pas comment sa lettre avait pu taire son envie de le tuer. Elle insista en le regardant presque d'un air suppliant, ce qui le surprit davantage avant qu'il ne soupire et avoue avec gêne :

« Ça veut dire « cœur ». Comme pour dire « prends soin de toi », « tu me manques » ou « je t'aime ». Je te l'avais dit, c'est rudiment- »

Cassian ne put terminer sa phrase, les lèvres de Cornélia sur les siennes l'interrompant immédiatement. Elle s'était collée à lui, attrapant sa nuque et emprisonnant sa bouche pour mieux la savourer.

Et malgré son incompréhension, il répondit à son baiser et fit bien plus. Ses mains allèrent caresser son cou pour mieux s'engouffrer dans ses longs cheveux. Sa langue invita la sienne à de multiples caresses humides, lui coupant parfois le souffle tellement la situation devenait intense.

Il vint ensuite céder un peu plus en tirant sur son chemisier pour déshabiller sa poitrine et elle fit de même avec ses vêtements, caressant son torse de ses doigts froids. Une passion dévorante les habitait comme s'ils avaient trop attendu ce moment que la tension entre eux n'aurait pu aboutir qu'à un bain de sang ou à une étreinte charnelle.

Cassian saisit soudain les jambes de sa partenaire, la soutenant de toute sa force pour la poser sur la table à manger qu'il nettoya d'un violent coup de bras. Étalant l'encre et le papier au sol mais n'ayant comme seule priorité que la poitrine qu'elle lui offrait à l'instant.

Il la caressa avec douceur puis se sépara des lèvres de Cornélia pour couvrir le haut de son corps de baisers avant de s'attarder sur ses seins qu'il continuait à malaxer. Les soupirs d'aise de sa partenaire l'encourageant dans cette direction lorsqu'il s'arrêta subitement, prenant enfin conscience de la situation.

Il avait craqué, faible qu'il était face à l'appel de la chair et à ses désirs primaires. Il n'avait pas encore la certitude qu'elle était un dragon mais surtout pas celui qu'il devait traquer. Tellement de questions se chevauchant dans son esprit le faisant hésiter alors que son corps n'attendait qu'une chose : qu'il cède à Cornélia.

Mais alors qu'il allait à nouveau rejeter la cheffe des rebelles, cette dernière comprit ses doutes en un simple regard et lui avoua sans détour la raison l'ayant poussé à l'embrasser :

« Ce n'est pas Vivianne qui écrivait ses lettres. Elle ne voulait que s'amuser avec ses frères et sœurs légitimes. C'est moi qui écrivais, moi qui ai reçu les correspondances du « prince soleil »... Et ce prince, c'était toi. Pas Jeremiah. Tu signais toujours de trois croix à la fin de tes lettres, c'est comme ça que j'ai compris. Ils se trompaient mutuellement, des imposteurs... Comme nous qui nous faisions passer pour eux. Jamais je n'aurais imaginé une seule seconde que ça puisse être toi, Cassian. »

C'était elle, la petite fille de givre dont il était tombé amoureux.



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