Chapitre 8 • Ennemi par son existence défendue °2e partie°
Les crépitements du feu me tirèrent des méandres brumeux de ma rêverie agitée. J'ouvris les yeux sur un ciel étoilé. Mon sommeil n'avait pas effacé les lourdeurs de mon corps lessivé. Je m'installai tout de même dans une meilleure position malgré les plaintes de mes muscles ankylosés.
— Enfin réveillé ?! murmura la Dryade.
Assise sur une pierre, elle était aux aguets tout en gardant un œil protecteur sur moi. Elle tressait les brins d'herbes pour faire passer le temps. Ses traits tirés étaient emprunt d'une mélancolie que je ne lui connaissais pas. Surtout ses yeux. Ils laissèrent furtivement transparaitre une détresse quand ils se posèrent sur moi. Elle ravala la boule coincée dans sa gorge.
— Qu'est-ce que j'ai raté ? demanda-t-elle d'un ton faussement détaché.
Elle ne pouvait me mentir. Je la connaissais suffisamment pour décrypter ses sentiments qu'elle tenait tant bien que mal à dissimuler. Quelque chose la tracassait, mais quoi ?
Mon regard se posa sur le corps endormi de la Charmuzelle. Les mouvements réguliers confirmaient qu'elle dormait d'un profond sommeil. Eulalia me le certifia oralement. Nous étions que tous les deux, les seuls conscients dans cette nuit calme.
— Je me doutais que tu ne désirais pas lui conter ta petite promenade dans les astres...
Elle cachait son trouble derrière une humour que je lui connaissais peu. Elle s'y essayait rarement avec moi. Vraiment quelque chose ne tournait pas rond. Il ne fallait pas la brusquer, elle allait sinon s'enfermer comme une huitre et je n'aurais aucune explication.
J'emportai ma couverture et m'installai à ses côtés. Je la bousculais au passage tandis qu'elle riposta avec plus de force en éclatant de rire. J'avais besoin de retrouver notre complicité pour me donner de la force.
La nuit était fraiche sous la barrière de protection de la Dryade. Les étoiles, elles étaient magnifiques dans cet espace ouvert dépourvu de pollution lumineuse. Elles dévoilèrent leur charme sans aucune pudeur. La voie lactée se dessinait tel une ligne accumulant dans son sein un nombre colossal de lucioles. Il m'était impossible de reconnaitre les constellations. J'avais rarement éprouve l'envie de lever les yeux pour les contempler. Je le regrettais. Elles étaient comme des amies fidèles dans la plus sombre des nuits. Toujours présentes, ne faiblissaient jamais.
— J'ai rencontré La Cendre, murmurais-je, le nez toujours levé.
— Je m'en doutais. C'est bien la seule chose que m'a dit Alfdis quand je l'ai secoué pour avoir des infos.
Ma langue se délia et je lui contai mon entrevue. Les mots se déversaient sans aucune retenue. Eulalia sut tout dans les moindres détails pertinents. Elle resta silencieuse, jamais elle ne m'interrompit de peur que je perte mon fil conducteur. Quand j'eus fini, elle ne sembla pas étonnée de ma destinée des plus chaotiques, ni de mon rôle Énonciateur. Comme si elle était déjà en partie au courant...
— Te rends-tu compte de ta chance ?
— Je ne vois pas où elle a pu apparaitre... ça ne va m'apporter que des problèmes.
— Tu ne comprends rien à rien. Les Fileuses t'ont offert une opportunité qui est extrêmement rare. Tu dois t'en saisir. Ne la gâche pas !
— J'aimerais bien te voir à ma place ! haussais-je le ton.
Si elle trouvait cela tellement génial, je lui laissais volontiers mes « supers » pouvoirs. Je n'en voulais pas et je ne l'avais jamais désiré. Elle trouvait facile, mais elle ne s'imaginait pas ce que j'avais enduré comme souffrance à cause de mon métissage. Elle ne voyait que le bon côté et omettait le reste.
Je m'affaissais dans le creux de la roche.
— Que t'est-il arrivé à la main ?
Par nervosité, je me grattai celle-ci s'en m'en rendre compte. La plaie de Nyctimène trônait sur le dos. Elle n'aurait pas dû être présente sur mon corps. C'était impossible. Je pensais que ce qui se déroulait dans le monde spirituel y restait, mais j'avais tort. La chouette me prouvait que ces actes pouvaient se répercuter dans le monde physique. Je devais être prudent à l'avenir.
Elle t'a marqué. C'est ce que m'avait dit La Cendre. La plaie était boursouflée et en bonne voie de guérison, mais je garderais une marque en croissant de lune.
— Une simple blessure dans un buisson en suivant les fées de Brocéliande.
Je n'avais rien dit du coup de bec de Nyctimène à Eulalia. Je n'y avais prêté aucune attention particulière. Pourquoi lui mentais-je ? J'ignorais ce qui me poussait à le faire. Si en fait, je voulais garder secret l'étrange amitié que me portait cette chouette.
— Que vas-tu faire ? s'exprima l'espagnole avec plus de douceur.
Je soupirais, car j'en avais marre de cette question. J'étais venu voir La Cendre pour arrêter de me la poser et j'étais ressorti toujours avec elle sur les basques. Quelle déception en fin de compte.
Plusieurs voies s'offraient toujours à moi, moult inconnus et aucune certitude de survie ou réussite. Soit, je retournais au Clan où je passais ma majorité normalement en choisissant une espèce pour rentrer dans les normes et plaire à tout le monde. Soit, je faussais ma majorité pour garder ma mixité dans le plus grand des secrets. Dans les deux cas, je vivrai ma petite vie presque normale. Je resterai l'Énonciateur. Ou encore, puisque j'avais des emmerdes jusqu'au cou, je pouvais partir et me faire oublier. Enfin, espérer qu'on m'oublie.
J'étais acculé par la Nymphe. Elle était bien trop enthousiaste à l'idée que je garde mes deux moitiés et surtout elle n'avait pas été déroutée par toutes mes révélations. Que cachait-elle ?
J'étais pris de panique. La Cendre n'avait pas tort. Et si je devais me méfier de mes alliés ? Être Énonciateur m'apportait un nombre incalculable de dangers. J'avais peut-être été trop confiant envers la Dryade...
— Que t'es-tu arrivé ? Je veux dire face au Cornu.
J'avais besoin d'éloigner la discussion précédente. Je n'étais plus prêt de lui faire part de mes futurs dilemmes. J'avais bien trop peur désormais.
— Une magie ancienne des Dryades, me répondit-elle, en haussant des épaules comme si ce n'était rien de particulier.
Je n'étais pas dupe. Ma mère m'avais souvent dit que les magies anciennes avaient été oubliées pour beaucoup d'espèces. Leurs traces écrites étaient rares car la transmission se faisaient essentiellement à l'orale et les rares occasions de leur manifestation prouvaient leur immense capacité.
— Ça n'a rien d'anodin. Où l'as-tu appris ?
— Le Passe-Arbre est un sort qui permet à la Dryade expérimentée de voyager à travers nos amis par leur interconnexion, répondit-elle en détournant les yeux.
La petite filoute ! Elle niait ma question pour assouvir ma curiosité par une explication pour m'éloigner du principal. Je ne pouvais lui en vouloir, je venais de l'exécuter aussi.
— C'est vrai qu'il fiche la frousse ce Cornu, la charriai-je pour détendre l'atmosphère.
Nous partîmes dans un fou-rire qui se finit par un long silence. Le feu crépita bruyamment. Je reportai mon attention sur lui puis plus loin sur les traces de poudre de la Nymphe.
— Pourquoi le sortilège de protection n'a pas empêché le Kérion de nous ennuyer ?
— Ah ça... c'est simple. Il n'éloigne que ceux qui ont de mauvaise intention ou les Ignorants.
— Nous faire mourir de peur n'est pas une mauvaise intention ?
Elle fit non de la tête puis rajouta :
— Pour eux, ce n'était que de l'amusement. Ils sont persuadés de leur bon fondement et jamais ils n'ont désirés nous faire du mal.
Ça me fit froid dans le dos. Elle venait de m'exposer la faille de son sort sans s'en rendre compte elle-même. Je n'osais lui demander ce qu'adviendrait-il si un être était parfaitement persuadé qu'il était pour notre bien de nous tuer.
— Alors, que faisons-nous ?
J'avais besoin de temps et j'en manquais cruellement. J'étais tiraillé entre les attentes de le Compagnie, de mes parents ainsi qu'en quelque sorte du Clan. Et en même temps, j'avais une trouille bleue de les affronter. Je désirais m'enterrer dans un trou et qu'on m'oublie pour l'éternité. L'ombre de Natūre et ce Sir Carthew m'intriguaient tout en éveillant en moi des craintes inexpliquées.
— Demain, Alfdis et toi, vous retournez dans le Clan, chuchotais-je.
L'envie d'être seul pour réfléchir encore un peu et puis, je n'étais pas censé revenir au Clan accompagné.
Eulalia se retourna et me fusilla du regard.
— Jamais de la vie !
La fureur dans sa voix m'éberlua. Elle ne m'avait jamais répondu aussi agressivement.
— J'ai besoin de temps et de solitude pour démêler ce que j'ai dans la tête, lui assurais-je avant d'ajouter inconsciemment, je ne veux pas t'emmener sur la voie sombre et chaotique qu'est la mienne.
J'aurais voulu reprendre mes mots, mais c'était trop tard.
— Je le choisis de ma propre initiative. Laisse-moi mon libre-arbitre, se lamenta-t-elle avec moins d'ardeur.
— Je pense que le moment est mal choisi. Je ne sais ce que je vais faire et sous la fatigue, on peut dire des choses qu'on ne veut pas. Va te coucher, les poches sous tes yeux feraient peur à un mort-vivant.
Elle partit sans un mot, mais me lança une œillade réprobatrice qui en disait long. Elle ne digérait pas un coup bas de ma part. Je n'en avais pas l'intention.
〰️
Je sursautai dans mon rêve. Un liquide froid sur ma joue continua à me ramener à la réalité. J'avais bavé et laissais une tache humide sur la couverture dont j'avais fait une boule sous ma tête. La classe ! Je m'étirai tout en grommelant. Des douleurs dorsales se réveillèrent. Quelle idée géniale se s'assoupir assis contre une pierre !
Le feu était presque éteint. Je l'alimentai de quelques petites buches avant qu'il ne délivre son dernier souffle. Ensuite, je portai un regard compatissant sur la silhouette endormie de la Dryade. Et un autre bien plus énigmatique sur la couche vide d'Alfdis.
Elle s'était faufilée hors du campement pendant mon sommeil. Il n'y avait aucune présence humanoïde dans les environs ; seuls l'herbes et des petits buissons à la lumière lunaire. Où était passée cette satanée Charmuzelle ?
Je me réinstallai sur mon rocher pour l'attendre. Elle était imprudente de quitter le cercle de protection, car elle n'avait aucune connaissance des dangers qu'elle en courait. J'espérais qu'elle n'avait pas arboré sa physionomie de Surnaturel. Elle allait m'entendre !
Il ne fallut pas longtemps pour définir une forme animale blanche s'avancer entre les hautes herbes à pas feutrés. Les oreilles aux aguets, elle scrutaient notre campement. Je ne bougeais pas et fis semblant de dormir.
La biche reprit son apparence humaine en entrant dans le cercle de poudre. Elle se glissa sans bruit dans sa couche.
Les yeux grands ouverts, je l'interpelai d'une voix claire :
— Où étais-tu ?
Elle sursauta. Son visage se crispa en un éclair avant de revenir à l'animosité habituelle. Elle rétorqua le besoin d'urgent de se soulager. Sa réplique sonnait faux à mes oreilles, mais ne devenais-je pas trop suspicieux avec ce que m'avait dit La Cendre ?
— Tu aurais dû me réveiller !
— Et pourquoi encore ? Pour que tu m'accompagnes jusqu'à un buisson ? Non merci ! Je n'ai pas besoin de ta permission pour sortir du campement.
Puis elle se roula en boule et me tourna le dos.
Je soupirai et me rencognai plus confortablement contre la pierre fraiche tandis que la tiédeur maintenue dans le sortilège d'Eulalia nous garda du froid de la plaine. J'y trouvais une certaine satisfaction. Elle me permettait de me concentrer sur mes pensées au lieu de m'inquiéter sur l'état de mon corps. Je ris en repensant à la Grèce. Notre nuit dans la neige me semblait déjà si loin.
Même les étoiles me narguèrent. Leur vie était bien plus sereine que la mienne à s'écouler lentement dans leur propre système, sans prise de tête. J'aurais tout donné pour un destin banal sans grand exploit. Je n'étais pas de la trempe des héros, je ne l'avais jamais voulu. Espérons que les jours prochains seront plus calmes, mais c'était un peu trop espéré.
Alfdis se retourna. Les yeux perdus dans les flammes, la Charmuzelle caressait du bout des doigts les billes de pierre qui ornaient son bracelet. Elle les fit rouler autour de la tige, inconsciente de ma surveillance. Je n'arrivais pas à distinguer correctement leur couleur à la lumière orangée du feu. Subitement, sentant la brulure de mon regard, la biche me fusilla avant de remonter sa couverture et de me montrer à nouveau son dos.
〰️
Une voix stridente m'arracha de la brume de mon rêve.
— Alaric ! Lève-toi ! ALARIC !
On me secouait avec énergie.
— Laisse-moi dormir. Il fait encore noir, lui murmurais-je d'une voix très endormie.
— Le grondement des arbres me parviennent jusqu'ici. Ils nous préviennent de partir sur le champ.
— Laisse donc ces branches nues murmurer leur... Argh !
Je n'eus pas le temps de finir ma phrase, car je me retrouvai pendu par un pied, les bras ballants, à un mètre du sol. Les Dryades ne rigolaient pas quand on dénigrait leurs amis les arbres.
Je lui ordonnai de me relâcher. Elle le fit sans rechigner, mais ne prit pas le peine d'amortir ma chute. Je m'écrasai douloureusement. Accroupi, je me massai la nuque endolorie tout en grognant dans mon coin.
Eulalia était exaspérante à nous houspiller de nous dépêcher. Je ne l'avais jamais vu aussi désagréable au point d'utiliser des méthodes aussi radicales. Que lui avaient dit les arbres ?
Nos baluchons sur le dos, nous suivions l'espagnole qui marchait d'un bon pas sous les premiers rayons du soleil matinal. Une brume épaisse s'était levée depuis peu et planait tel un mystère sur les lieux. Nous ne voyons pas à deux mètres de nous.
— Tu vas nous expliquer ce qu'il se p...
Elle plaqua sa main sur ma bouche. Stoppée, elle scrutait les alentours avec une peur viscérale. Elle ne cachait même pas qu'elle était terrifiée, mais par quoi ? Que se cachait-il dans cette brume ?
J'écoutais les bruits environnants. Je fus frappé de stupeur de n'entendre aucun son, même pas le chant d'un oiseau ou encore les cris d'un mammifère. Le vent ne chuchotait pas. Un silence total. La nature retenait son souffle. Que se jouait-il ?
Un craquement résonna. Proche, trop proche. Nous nous retournions comme des toupies. Mes mains tremblaient de peur. La Nymphe s'agrippait désespérément à mon bras au point de me faire mal.
Une forme se découpait dans le brouillard. Élancée, elle s'avançait à notre rencontre d'un pas léger et puissant.
— Voici donc ce sale morveux qui m'a fait lever de mon lit pour affronter ce merdier, cracha le nouvel arrivé. J'ai une chance de monstre cependant.
Le blason sur sa poitrine — un Black Dog aux yeux flamboyants cerclé de rouge — me fit perdre tout le sang de mon visage. Mes souvenirs me revinrent avec douleur. Je n'y croyais pas mes yeux ; ça ne pouvait pas être vrai.
Pris d'une poussée d'adrénaline, je beuglais de courir à mes deux acolytes. Mon hurlement les réveillèrent de leur léthargie et nous déguerpîmes comme des lapins.
Dans notre dos, un cor de chasse déchira le silence tandis que d'autres le rejoignirent autour de nous. Ils signalèrent notre présence. Ces longues plaintes graves résonnaient tel des glas sanglants à mes oreilles. Je les détestais. Un frisson glacial parcourut tout mon épiderme. Je savais ce qu'auguraient leurs sons acerbes : la Chasse Sauvage. Elle n'avait d'une fin : la mort et plus précisément, la mienne. Cette battue était menée par la Compagnie de la Rose Noire comme mission punitives pour un traite de Surnaturel.
Pourquoi ? Cette question tournait en rond alors que je courais à l'aveuglette dans la brume. Mon souffle était saccadé. Je ne savais pas où aller. Je devais fuir, mais où ?
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