Chapitre 8 • Ennemi par son existence défendue °1e partie°
Revenir dans mon corps ne fut pas aussi désagréable que je me l'imaginais. J'avais la sensation d'enfiler un vêtement qui collait parfaitement à la peau. Doux, chaud, je revêtis mon enveloppe pour être enfin entier.
Quand j'ouvris les yeux, je fus déstabilisé. Je dus retrouver mes repères du monde des vivants ; je venais de quitter un rêve réaliste et bien étrange. Le Cornu m'observait de ses yeux de bouc. Silencieux, il attendait que je sois enfin maitre de tous mes sens puis il me tendit un petit paquet emballé dans des feuilles jaunâtres.
— Mange ! Tu as besoin de reprendre des forces.
— Vous ne me demandez pas comment ça s'est passé ?
— Ce qui s'est déroulé entre La Cendre et toi ne me regarde en rien.
Il se leva et sa taille imposante me fit déglutir. J'avais oublié qu'il frôlait les bons trois mètres ; je ne devais être qu'un moucheron à ses yeux aussi bien pour mon infime existence sur cette Terre. J'éloignais très vite la question qui commençait à me hanter : Pourquoi rencontrais-je que des illustres personnages ? Secouant la tête, je ne devais pas me morfonde sur ma destinée. La Cendre avait été clair : rien n'était encore joué.
Je déballai le paquet et y découvris une pâte dure. Elle était formée par un mélange d'une multitude de graines, miel et un dernier aliment inconnu à mes papilles. Le gout n'était pas désagréable mais tout aussi passable. En revanche, la mastication était difficile. Je dus laisser la chaleur de ma salive ramollir la friandise pour savourer la bouchée.
— Tu reprends enfin des couleurs.
— Qu'est-ce que c'est ? lui demandais-je entre deux mastications.
— Un dopant. Ta petite traversée n'a pas laissé indemne ton corps physique. Ton esprit a puisé dans ses ressources pour te faire voyager dans des contrées trop éloignées pour le commun des mortels. Garde le reste pour tes prochaines escapades.
— N'est-ce pas dangereux ?
— Pour toi, pas du tout. Tu y es préparé inconsciemment bien avant ta naissance. Avec le temps, tu n'en auras plus l'utilité d'en manger. Ton corps sera habitué à tes voyages.
Était-il lui aussi au courant de mon rôle d'Énonciateur ? En même temps, ces Esprits étaient bien trop puissants pour ignorer ce qui se déroulait sous leurs yeux. Ils avaient accès à des secrets qui nous dépassaient tous et que nous n'oserions imaginer.
— Ne regrette aucun de tes choix. Tu ne peux prédire leurs conséquences ainsi que les autres voies car elle n'ont pas existées enfin de compte. Permets à un vieux sénile de te livrer une perle de sagesse de sa longue vie : Arpente ton chemin avec sérénité.
Il se détourna pour s'enfoncer dans la végétation. Le murmure du vent était plaisant à mes oreilles tandis que Brocéliande grouillait de vie.
— Comment sortir de la forêt ? criais-je à la suite du Cornu.
Je venais de laisser filer le seul à connaitre la réponse. La forêt était tellement imposante et entourée d'une barrière que je me présumais incapable de trouver le chemin de retour.
— Suivez le ballet des fées, murmura le vent d'une voix étrangement emprunt du Gardien.
Je n'allais pas passer ma vie à suivre d'autres êtres surnaturels ?
Je me tournai vers Alfdis. Obnubilé par les lucioles, elle ne m'entendit pas approcher. Elle souriait comme un enfant, en voulant attraper les petits insectes qui volaient autour d'elle. La biche bondissait avec les mains en forme de cage. La déception se lisait sur son visage quand elle les écartait pour n'y trouver que du vide.
— Nous partons.
Elle se retourna avec un regard noir. Je ne savais la cause : ma réplique brisait-elle son jeu ou était-ce son incapacité à capturer une luciole ? Je n'attendis pas et fis volteface pour me concentrer sur la recherche des fées.
— Où vous cachez-vous mes petites ? murmurais-je, désespéré.
Je n'avais pas fini ma phrase qu'un halo bleu traversa la périphérie de ma vision. Un rire cristallin le succéda. Je m'élançai à sa suite sans attendre la Charmuzelle. Je ne pouvais me risquer de perdre notre seule chance de sortie.
Je traversais la végétation où ramures, fougères et autres me barraient la route. Étant une adepte du vol, la fée n'avait pas besoin de se tracer un chemin dans les bois, tout notre contraire. Une branche me fouetta le visage. Je poussa un grognement face à la douleur qui augmenta l'euphorie féérique.
J'avais perdu la piste de la lumière, mais leurs voix me parvenaient toujours.
— Montrez-vous ! les suppliais-je.
— Attends-moi ! s'écriait la biche cent mètres derrière.
Elle avait pris ses affaires à la hâte. Maintenant, elle se débattait avec une ronce qui s'agrippait à son paquetage.
Je débouchai dans un espace clairsemé. Les railleries se répercutaient en échos et me déboussolèrent. J'étais exténué de ma longue nuit éveillée et je n'avais aucune envie de jouer avec le Peuple Silencieux.
— Je vous en supplie.
Ma voix se brisa. Ce labyrinthe sylvestre allait m'en faire voir de toutes les couleurs. J'étais au bord des larmes et prêt à m'effondrer dans la terre meuble.
Un lampion bleuté zigzagua et s'arrêta devant mon visage. La petite créature pouffait de rire devant mon désarroi. Elle ressemblait à sa consœur croisée dans un pan de l'espace-temps. Les mêmes puits sans fond reflétant le monde extérieur leur servaient d'yeux. La même délicatesse des traits presque inhumains de leur visage. Magnifique et si mystérieuse. Les différences se dessinaient au niveau de leurs ailes et de leur excroissance vestimentaire. Elles se confondaient avec la fleur d'un hellébore sauvage.
La fée me tira la langue avant de filer dans un épais taillis. Je courus à sa suite. Je n'allais pas la reperdre de sitôt. Mon guide farceur me devançait, mais calqua son allure à la mienne.
Je me frayais un chemin difficilement et débouchai sur la rive d'un ruisseau. Le coulis de l'eau dévalait contre la roche pentue. Il sonnait à mes oreilles comme une douce mélodie radieuse qui eut le mérite d'atténuer mon angoisse. Au-dessus, le ballet de fées était formé de danseurs et danseuses expérimentés. Ils se livraient à un spectacle grandiose où chacun connaissait ses différentes cabrioles. Aucun faux pas.
L'essaim de toutes les nuances de bleu tourbillonna puis s'étira pour lancer la marche, en suivant le sens du ru. J'attrapai la main de la Charmuzelle pour m'élancer à leur suite sur la rive. Les fées serpentais à notre rythme. Je les talonnais tel un possédé. J'étais dans un état de sérénité proche de l'inconscience provoqué par leur aura et l'harmonieux mélange des vrombissements de leurs ailes. J'étais subjugué. Si la poussière de fée existait, elle ne permettrait pas de voler mais de planer comme un envoûté.
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Quand je revins pleinement conscient, je me trouvais face à une plaine immense. De l'herbe à perdre de vue au soleil levant. Sous mes yeux ébahis, la forêt de Brocéliande se situait dans mon dos tel une ombre menaçante. Plus aucune trace des fées.
— Alaric !
La voix transperçait le silence avec tellement de force et de joie. Je n'avais pas besoin de la voir pour reconnaitre le timbre chaud de la Dryade. Elle m'avait tant manqué. Alors qu'elle courait dans les hautes herbes en agitant les bras, les dernières pointes d'angoisse s'envolèrent à la lumière de son sourire. Quel plaisir d'être accueillit par un visage familier.
— Elle décide que maintenant de sortir le nez de son feuillage, maugréa Alfdis.
Si Eulalia l'entendit, elle n'en laissa rien paraitre. Elle se jeta plutôt à mon cou en riant aux éclats.
— Joyeux anniversaire !
Puis elle déposa un baiser sur ma joue avant de s'écarter et de lancer un regard malice à la Charmuzelle.
L'annonce me foudroya sur place. Je remerciai l'espagnole avec un sourire forcé. Je n'avais que très peu de temps de réflexion face au dilemme de La Cendre, juste celui du trajet du retour. Les effluves des fées avaient complètement déserté mon sang. J'aurais désiré avec ardeur y replonger pour m'arracher à cette réalité angoissante. Une éternelle anomalie aux yeux des Surnaturels.
— Les arbres aux abords m'ont susurré que tu as rencontré Le Cornu, se réjouit Eulalia.
— Pourquoi tu nous as pas rejoints ?
La contrariété remplaça la joie. Elle fit la moue avant de s'exprimer avec une pointe de colère.
— Ils m'en ont empêché. Ils m'ont dit que je n'étais pas utile là-bas et puisque j'avais choisi la fuite, revenir n'était plus possible.
Étonnant ! Elle avait beau ne pas les nommer, je savais qu'elle parlait des arbres. Depuis quand ils barrèrent la route à une Dryade ?
Des petits points noirs voltigeaient à la périphérie de ma vision. Mes bras étaient lourds pour mes épaules. Mes jambes commencèrent à flageller ; elles qui m'avaient porté jusqu'ici sous l'adrénaline allaient bientôt craquer. L'énergie fuyait mon corps terriblement fatigué.
— Alors cette rencontre ? Tu sais comment accéder à La Cendre ?
— Plus tard ! J'ai besoin de repos...
— Ça va ? Tu es tout pâle... Alaric ?
La prononciation de mon prénom mourut dans sa gorge.
Je chancelai sur mes pieds incertains. Ma vision se brouilla et je sentis les mains de la Dryade me soutenir. Sa voix lointaine me promettait un sac de couchage douillet au coin du feu.
J'avais présumé de mes forces ces derniers jours. Je n'étais plus qu'une loque bonne à la déchèterie. La fatigue saupoudrée d'un infime soulagement, le tout mélangé à divers tensions accumulées, mon corps m'exprimait clairement son mécontentement.
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