Chapitre 7 • Libération des secrets, impact sur les univers
Je bondis de ma chaise à tel point qu'elle se renversa. Le fracas provoqua la peur de Rossignol qui poussait des cris stridents dans mon dos. J'en avais que faire. La crainte traversait mes pensées chaotiques ; aucune cohésion ne ressortait du flot. Une bataille entre corps et esprit faisait rage.
— Bois un peu de thé, ça te calmera, m'encouragea La Cendre d'un ton calme.
Je me rassis après avoir ramassé le siège. Avalant le breuvage, je me laissai bercer par les saveurs de fruits agrémentés de la rose. Pas d'extravagance surnaturelle, mais eut le mérite de me ramener à la réalité. Plus posé, j'analysais mieux mes sensations.
À l'annonce d'être Énonciateur, mon esprit refusait de l'admettre alors que mon corps hurlait d'être enfin compris. Une belle dualité entre les deux.
— Sais-tu comment sont écrits les Rameaux ?
Les fameux Rameaux ! Ils relataient sous forme de poème la vie générale du Caché depuis son commencement. Ils furent les premières traces de notre passé. Personne ne savait réellement comment ils étaient écrits. Certains pensèrent que l'Esprit de la Rose Noire en était l'auteur, d'autres suggéraient plutôt La Cendre.
Je fis non de la tête. Je ne m'étais jamais assez posé la question pour avoir une bride de réponse de mon propre jus.
— Un Surnaturel quelconque en est responsable... enfin pas si quelconque en réalité.
Le puzzle prenait doucement forme et là, ce fut l'évidence.
— L'Énonciateur.
— Tout à fait exacte. Il est le seul Surnaturel à détenir ce pouvoir.
J'en frissonnais. Le monde tanguait. Je perdais mes maigres repères si friables et altérés. Toutes mes croyances volèrent en éclats.
J'étais donc le poète contemporain. Pourtant, jamais je ne m'étais rappelé avoir écrit un Rameau un jour depuis la naissance.
— Tu n'en as pas encore conscience. Tes séances sont encore rares, mais tu en subis déjà les effets comme tes migraines ou tes douleurs à ton poignet dominant.
— Pourquoi moi ?
Elle resta silencieuse. Elle était résolue à ne pas me donner de réponse. Elle ouvrit plusieurs fois la bouche, mais finissait toujours par la refermer avant d'émettre un son. Elle hésitait et ça ne faisait qu'augmenter mes craintes.
— Ce don est à double tranchant, murmura-t-elle en niant complètement ma question. Il t'offre des facultés particulières, mais tu es contraint à écrire quand il te l'ordonne.
— Que sont-elles ?
— Voyager dans la Bibliothèque de Saena et ...
J'éclatai de rire. Cela eut le mérite de me détendre.
— La Bibliothèque de Saena !? Ce n'est qu'une légende pour les enfants. Beaucoup de Surnaturels rêveurs sont partis à sa recherche pour revenir bredouille. Vous n'allez pas me dire qu'elle ex...
Je m'arrêtai net. L'expression de La Cendre s'était durcie ; elle ne rigolait pas.
— C'est impossible... comment peut-elle exister si on ne peut pas la trouver ?
— Seul l'Énonciateur peut y accéder.
Ce lieu mythique en avait fait rêver plus d'un. Il regorgeait de tout le Savoir et l'Histoire des mondes entiers, aussi bien surnaturel qu'humain.
— Pourquoi seulement lui ?
— Je te laisse le découvrir par toi-même, même si je sais que La Simorg se fera une joie de tout te dire à ce sujet. Elle meurt d'impatience de faire enfin ta connaissance.
— La Simorg ?
La Cendre me sourit, un de ceux énigmatiques. Je compris que je n'aurais pas plus de réponses. Elle jouait habillement pour me titiller suffisamment.
— Est-ce la seule faculté ?
— Si tu ne m'avais pas coupé, tu l'aurais déjà su.
Son ton légèrement exaspéré m'amusa. Je sentais qu'elle cachait sa joie de discuter avec un être qui ne la craignait pas. Je ne savais l'expliquer, mais j'étais maintenant à l'aise en sa présence. En confiance comme avec un membre de ma famille.
— C'est en lien avec le pourquoi de ta venue ici : ton choix.
Où voulait-elle en venir ? En quoi mon choix était une faculté de mon rôle d'Énonciateur ?
— Je ne comprends pas...
— Tu n'as plus à le faire.
Mon cerveau s'arrêta de fonctionner. Éteint ou trop lent, il n'était plus capable d'analyser cette information cruciale.
— Tu n'as pas à trancher. Ton sang mêlé peut rester à vie. Si tu le décides au moment de ta majorité.
— Attendez deux minutes, murmurais-je.
Pâle, je n'aurais jamais cru possible une telle réponse. Jamais les annales du Caché n'avaient relaté cette possibilité et j'en avais fouillé. C'était presque inespéré pour moi qui doutais de mon choix. Mais je ne pouvais me résigner à gober cette affirmation sans en comprendre le fondement. Tous se bousculait dans ma tête. Des flashs de certains souvenirs remontèrent en surface dans des éclairs de lucidités.
— Une question à la fois.
— Vous avez dit que c'était en lien avec mon choix, que voulez-vous dire ?
— Bien que dans le passé certains Surnaturels ont préservé leur mixité après leur majorité, toi, tu as la capacité de les utiliser en même temps. Tu en as déjà fait l'expérience avec Le Cornu.
L'image de mes veines noiraude dans mon corps de Sylphe. J'y avais sentis un brin de la sauvagerie des Nahuals très vite noyée par la peur que cette anomalie avait engendrée.
— La suivante ?
— Pourquoi il n'y a aucune trace dans les archives ?
— Tu as le droit de ne pas me croire et je pense que tu es assez grand pour te faire ta propre opinion. Il n'y a pas seulement Toūt qui désire réécrire l'Histoire... Les propres Chroniques que détiennent la Compagnie ont été falsifié pour préserver le secret et ne pas susciter de rébellions.
— Êtes-vous occupée à me dire que la Compagnie qui clame sa sincérité et la transparence ose dans l'ombre trafiquer à son avantage ? Ce que vous avancez est passible d'être vu comme une trahison.
— Je n'ai jamais dit que la Compagnie était en tort. Une autre question.
Le sujet était clos. La graine du doute était plantée. Qui nous mentait depuis toutes ses années, décennies ou encore siècles ? Si l'Oracle disait vrai, une partie de la Compagnie pouvait être corrompue. Toūt avait une trop grande influence sur les Surnaturels. Avait-il réussi à y soudoyer des espions ?
Mes mâchoires se contractèrent. Il va falloir que j'aie une discussion avec mes parents en rentrant.
— Comment mes prédécesseurs ont-ils camouflé leur mixité ? questionnais-je un peu trop agressivement.
J'étais toujours secoué, mais elle ne m'en tint pas rigueur. Elle répondit d'un ton calme :
— Lors de votre majorité, c'est une décision qui ne vous concerne seulement. Pendant la cérémonie, ils arborent une des enveloppes en clamant avoir fait un choix. Par la suite, ils ne prennent l'autre forme surnaturelle sans témoin vivant pour ne pas se trahir. Car si la Compagnie en a bruit, seule la mort s'ensuive. Ils sont très peu avoir fait ce choix et certains sont décédés de vieillesse sans avoir éveillé de soupçons.
— Assez audacieux, mais pourquoi en venir à ce non-choix au risque de sa vie ?
— Tu en connais déjà la réponse.
Ils étaient comme moi : incapable de faire un choix. Ils se sentaient en parfaite harmonie avec leurs deux espèces et donc, la cruauté du dilemme était inimaginable. Ils auraient dû renoncer à la moitié d'eux-mêmes.
— Question suivante.
Elles fusaient dans mon esprit. J'essayais de capter les plus opportunes, mais la liste était longue et le temps allait me manquer. Je devais pointer l'essentiel, trouver le chemin qui m'aidera à compléter mes réponses.
— Comment accéder à la Bibliothèque de Saena ?
— Te souviens-tu du carrefour aux oiseaux ?
Je confirmai d'un hochement de tête. Ces quatre longs couloirs sombres me donnaient encore la chair de poule rien que d'y penser.
—N'oublie pas comment accéder à la Rosace, car derrière chaque corridor se trouve un confrère ou une consœur. Pour La Simorg, tu n'auras qu'à suivre le hululement de Nyctimène.
— Où mènent les autres portes ?
— As-toi de le découvrir.
Des réponses amenant d'autres questions, La Cendre devait clôturer les branchements qui n'aboutissaient pas à de bonne réflexion.
— Quels sont les inconvénients d'être Énonciateur ?
Elle sourit tristement.
— Tu ne peux t'en défaire. Jusqu'à la fin de ta vie, tu le demeureras. Mais ce qui faut retenir, ce sont les nombreux dangers qui te guettent... Les scribes des Rameaux sont mal vus des autres Surnaturels. Ce qui est différent et incompris est généralement persécuté. Pas seulement chez les Humains... Tu es aussi vu comme une anomalie qui peut servir leurs sombres desseins. Tu seras pourchassé d'un côté comme mes filles et de l'autre, pour ta mise à mort. Tes alliés peuvent devenir tes pires ennemis. Ne divulgue qu'à de rares occasions tes capacités.
Ses traits du faciès étaient mélancoliques. Le rappel de sombre destin qui devait parsemer constamment l'Énonciateur. Combien de fois les avait-elle mis en garde pour les voir dans un futur proche se faire enchainer ou occire ?
Quelle funeste destinée s'offrait encore à moi ? Les bonnes nouvelles devaient me fouir comme la peste. Ma cote de popularité chez les Surnaturels frôlait le zéro de base, maintenant, je ne donnais plus cher de ma peau.
À qui pouvais-je accorder ma confiance ? Eulalia était une évidence. Il fallait juste que je la retrouve. Je ne pouvais garder ce secret éternellement, car j'avais le besoin de le partager. Il pesait sur mes épaules. En puis, la Dryade semblait en connaitre un rayon sur ma vie que j'ignorais moi-même. Mais jamais, elle n'avait montré des penchants à m'occire ou m'utiliser à ses fins. J'avais une nécessité vitale de croire en elle.
— Pourquoi moi ?
Ma voix n'était plus qu'une plainte. Je n'attendais pas forcément de réponse, j'avais juste émis cette question pour que les Fileuses ressentent ma détresse de m'avoir imposé un tel destin. Elles avaient bien dû rire dans leur temple à tisser mes fils.
— Je te comprends. Pour un Surnaturel, tu cumules. Mais ta destinée n'est pas forcément funeste. Tu as le choix de ta route. Chacun a le choix ; certains préfèrent se laisser porter par l'eau sans réfléchir aux conséquences et d'autres, au contraire, nagent à contre-courant pour contrer ce qu'on attend d'eux. Tu n'as pas à subir les attentes de Natūre. Même si elle t'a imposé une lourde responsabilité. Elle et l'esprit du Sir Carthew ne peuvent quand même pas influencer tes décisions qui t'éloigneront ou non de leur mission.
Je n'avais jamais vu un soupçon de colère chez La Cendre et pendant cette tirade, sa voix vibrait d'une pointe de rage qui reflétait son ardent feu interne.
— Qui est Sir Carthew ?
Quand elle tourna la tête vers moi, elle regretta aussi vite ses paroles. Un instant, elle avait oublié ma présence et avait divulgué des secrets qu'elle aurait voulu garder. Elle s'en mordit la lèvre.
— Il est sans importance. N'oublie pas : ton libre-arbitre peut faire pencher la balance. Tous pourront te dire que tu es l'élu, si toi tu le décides, tu n'es pas obligé de te plier à leur exigence. Reste-toi... Un conseil que je me permets de te livrer pour t'aider : Ne choisis point ton chemin en rapport avec ce que les autres attendent de toi, prendre tes décisions en fonction de ton propre jugement sans te soucier...
— De ce que peuvent penser les autres ! Leur avis m'importe peu ! J'agirai à ma façon ! continuais-je.
La Cendre avait employé les mêmes mots que la fin du conte L'Enfant et le vieux Chêne. Était-ce un hasard ? Cela fait depuis bien longtemps que je ne croyais plus à ce pan obscur de l'univers.
— Ne l'oublie pas ! Reste-toi, c'est cela le plus important. Personne ne peut te changer sans que tu le décides.
Son insistance me fit prendre cette recommandation avec une grande précaution. J'imprimais ce nouveau mantra dans ma matière grise pour ne jamais l'oublier.
— Pourquoi m'expliquer tout cela ? Je veux dire ce que Natūre et l'espèce de Sir veulent que j'accomplisse. Pourquoi me dire si vous voulez que je garde mon libre-arbitre ?
— Je me suis un peu emballée dans mes idées.
Même La Cendre pouvait commettre des impairs. Personne n'était parfait. Les être supérieurs nous le prouvaient aussi.
— Il y a une part que tu es à même de savoir maintenant et une autre que tu dois découvrir par toi-même. Même si j'en ai un peu trop divulgué, rien ne peut encore empiéter sur tes multiples destins. Il est temps pour toi de l'affronter.
— J'ai peur de ne pas y arriver.
— La peur n'est qu'un état d'esprit que ta conscience t'impose. Elle désire te garder dans ses bras. N'écoute pas ton serpent persifler et tu verras les mondes autrement.
Plus facile à dire qu'à faire. Vu le sourire mystérieux que m'offrait l'Oracle, je ne me permis pas d'approfondir sur le sujet. À moi d'en découvrir les autres facettes.
— Il est bientôt l'heure de nous quitter... mais sache que ça ne sera pas la dernière fois que nous nous voyons, me devança-t-elle en réponse à ma question silencieuse.
Je me levai à sa suite. Un poids immense me plombait les épaules quand je remontais l'escalier. Je trainais des pieds. Je n'avais aucune envie de retourner dans mon monde pour affronter un destin qui ne me plaisait guère, mais je n'avais pas non plus envie de rester ici éternellement. Ce n'était vraiment pas pour moi. Coincé dans un espace-temps avec seulement deux êtres dont un assez particulier, j'allais devenir fou.
À l'étage, La Cendre s'arrêta brusquement. Elle fit volteface et me détailla avec les traits durcis du faciès.
— Je me disais bien... Il est assez subtil, mais bien présent, murmura-t-elle d'une voix suave et contrariée.
— À quoi faites-vous allusion ?
Elle déposa une main sur mon front et l'autre qu'elle plaqua contre ma poitrine à la hauteur de mon cœur. Un frison traversa tout mon corps à ce contact froid comme la glace.
— Il est temps de te délester de ce qui ne t'appartient pas.
Je la dévisageais avec un regard incompréhensif. Son visage si proche du mien, je pouvais observer sa peau surnaturellement lisse, l'empreinte de ses yeux bougeant contre le tissu, son souffle chaud et son parfum florale qui se dégageait de son épiderme. Son voile carmin glissa sur ses cheveux d'ébène quand elle se pencha.
Elle murmura quelques mots dans une langue inconnue. Une légère lumière rougeâtre embrasa ses paumes. Une chaleur bienfaitrice se diffusa dans l'ensemble de mon corps par vagues successives. Pendant une fraction de seconde, le sol se déroba sous mes pieds... ou perdais-je encore conscience ? Puis tout s'arrêta.
— Tu le rendras en touchant son propriétaire.
— Qui est-ce ?
Elle m'agaçait avec son sourire énigmatique. Je savais que les réponses arriveront au moment opportun, mais ma frustration était grande. Être à porter de main de toutes les connaissances et ne pouvoir en bénéficier, quel agacement pour un si jeune Surnaturel que moi.
La Cendre avait éclairci des ombres tandis que de nouvelles s'étendirent encore plus loin et nombreuses. Elle avait suscité tant de questions qui attendaient des réponses désormais. La trame de la toile commençait seulement à être visible.
Quand l'Oracle se décala, j'aperçus un nouveau portillon suspendu dans l'espace au centre de la pièce. Je m'inclinai respectueusement devant la Dame en soufflant un merci pour le temps consacré. Elle murmura que c'était tout naturel. J'agrippai ensuite la poignée métallique. Un frémissement face à sa froideur paralysante traversa mon épiderme. Une pointe d'angoisse inexpliqué tordit mes entrailles. Je redoutais ce que j'allais affronter derrière le battant en bois.
— N'aie aucune crainte tant que tu n'oublies pas.
Insufflé d'un élan de courage, je poussai la porte. Dans la pénombre, un chemin de pavés phosphorescent se traça devant mes yeux. Il aboutissait au loin dans la clairière où mon corps résidait.
L'atmosphère était sereine tout en étant particulièrement chargée. De petites étoiles tourbillonnaient autour de moi. Plus tard, je remarquais la présence de leurs ailes puis de leurs membres : des petites fées. Elles passèrent devant mes yeux avec curiosité.
Tendant un doigt, une d'elles eut le courage de s'y poser. Ses jambes se balancèrent dans le vide alors que ses petites mains s'agrippèrent à ma peau. Elles étaient telles des crochets aux pattes d'un phasme. Ses cheveux châtains avaient des reflets azurés à la lumière fluorescentes et ondulaient dans l'air comme en plein océan. Tellement étrange. Une fine pellicule bleutée recouvraient les courbures de son corps. Lorsqu'elle penchait la tête avec ses grands yeux sombres curieux, ses ailes de libellule vibrèrent. Je lui souris puis elles s'envola rejoindre ses consœurs.
Je sentais un regard me bruler le dos alors je me retournai. La silhouette svelte de l'Oracle se découpait dans la lumière de l'ouverture de son Antre. Les mains posées sur le montant, elle semblait soucieuse.
— N'oublie pas ! Rien ne peut te changer si tu ne le désires, mon enfant.
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