Chapitre 6 • Des allures de périples pour ce choix épineux
Le froid mordant, voilà ce qui me réveilla ainsi que sentir des mains squelettiques agripper ma gorge et leur peau glacial. Je frissonnais en ouvrant grand les yeux.
— Il se réveille !
La voix lointaine de mon père me parvenait difficilement dans ma brume. Tel un phare, je m'accrochais aux sons familiers pour sortir la tête de ce cauchemar vivant.
— Alaric ?!
Le timbre étranglé de ma mère me ramena inexorablement à la réalité. Je papillonnai des yeux et observai d'un regard vague le visage tordu pour l'inquiétude de mes parents.
Quand j'essayai de redresser mon torse, une violente migraine m'arracha un juron avant de m'étaler lourdement sur les draps. C'était peine perdue pour une journée sans encombre. Jusqu'au bout, cette après-midi de malheur allait m'en faire voir de toutes les couleurs. Mes souvenirs en désordre, il me fallut un certain temps pour me rappeler les évènements troublants qui m'avaient plongé dans cet abime.
— Mon louveteau, que s'est-il passé ? Qui a osé atteindre à ta vie ? L'oracle ?
Prise dans une panique protectrice, la voix de ma mère montait dans les aigus. Pourtant, le timbre tranchant était sans appel. Ses yeux flambèrent d'une résolution meurtrière pour l'être qui avait osé s'en prendre à sa progéniture.
Un vague souvenir remontait à la surface du tourbillon d'images qui défilaient dans mon esprit. Un frisson glissa le long de mon échine dorsale. Les doigts squelettiques se posèrent sur la peau chaude de mon cou ; la pression me faisait voir des étoiles noires devant les yeux. La panique m'arracha de mon lit. Je sentis d'autres mains me maintenir fermement coucher, augmentant mon angoisse. Je hurlais, me débattais malgré la migraine qui soulevait mon estomac.
Une lourdeur sur mon plexus solaire me coupa le souffle. Un contact familier se frotta contre ma joie ; soyeux, un doux son rythmique l'accompagnait. Je fermais les yeux qui me trahissaient pour me focaliser sur le ronronnement qui me berçait. L'aura magique de Bastet me ramena dans la réalité.
— Un être difforme m'a attaqué en sortant de la Caverne, leur répondis-je d'une voix rauque.
— À quoi ressemblait-il ?
— Il faisait sombre, je n'ai pas bien vu, mais son odeur, elle... elle m'est restée. Une puanteur de chair en décomposition. Une horreur pour accompagner ma dernière heure. Je l'entends... j'entends encore son rire résonner à mes oreilles, sa joie de ma mort.
Je dus déglutir plusieurs fois pendant ma tirade tellement ma gorge me semblait en feu. La peau de mon cou me tiraillait à chaque mouvement.
Me replonger dans ce souvenir m'angoissait. Je me focalisais sur le ronronnement du Chat pour ne pas m'y reperdre encore une fois. Après mes maigres descriptions, je pris mon temps pour calmer les battements de mon cœur, des chuchotements m'entouraient, mais je n'y prêtai aucune attention.
J'ouvris les yeux sur ceux vert-jaune de Bastet. Les pupilles fendues à la lumière oppressante et agressive de la chambre, le Chat Noir me détaillaient intensément. Et moi, je me perdis dans la contemplation de toutes les nuances de ses iris.
— Que t'a dit l'oracle ?
— Qui était cet homme ? répondis-je.
— Aucune idée, nous allons mener une recherche, mais concentre-toi sur les dires de l'oracle, me pressa mon paternel.
Après avoir ravalé un sursaut de nausées plus récalcitrant, je lui répondis :
— Elle... elle n'a pas su lire mon avenir...
Ma voix se fit hésitante avant de se briser sur la révélation. Tout ça pour ça. Je n'arrivais pas à croire que j'en revenais au point mort, aucune piste sur le choix crucial de ma majorité.
— Pourquoi le sort s'acharne sur moi ? murmurais-je.
Je relevais la tête pour affronter le regard de mes parents avec l'envie de les implorer de me donner des explications sur mon cas. Pourquoi je me sentais aussi divergent ?
— Toc, toc, c'est ici que se trouve notre malade ? demanda une tête blonde qui dépassait de l'entrebâillement du rideau.
— Entre donc, Vassily ! l'invita mon père.
L'apothicaire s'approcha d'un pas léger. La forte odeur de plante mélangée à celle de la pluie après un soleil ardent le précéda. L'Hyade, appelé aussi Nymphe de la pluie, dégageait naturellement ce parfum caractéristique, le pétrichor, que j'affectionnais particulièrement. La senteur des différents végétaux que l'homme manipulait le camouflait, à mon grand désarroi.
Chez les Surnaturels, il n'y a pas de médecin, juste des guérisseurs, des druides, des herboristes et des apothicaires qui exerçaient l'art du soin. Chacun avait sa spécialité propre et parfois, il y avait des tensions entre certains pratiquants qui empiétaient sur les plats de bandes des autres.
Vassily prit mon pouls, regarda la dilatation de mes pupilles et pratiqua d'autres examens avant d'observer mon cou. Je me rétractai quand ses doigts approchèrent la peau de ma gorge encore à vif.
— C'est étrange...
— Que se passe-t-il ? demanda mon père.
— Alaric, tu dis t'être fait étrangler et pourtant... aucune marque de strangulation zèbre ta peau. Depuis le temps de l'agression, elles devraient apparaitre. Vraiment très étrange...
Je ne savais quoi répondre tellement j'étais perdu par ses révélations. J'étais sûr de ne pas avoir rêver la scène. À travers le voile de mes cheveux bruns qui retombait sur mon visage, j'observais les yeux verts de l'apothicaire derrière le verre de ses lunettes au cadre marron. L'interrogation s'y lisait.
— Je vois que tes migraines sont toujours aussi fortes. Mâche ceci le temps que je prépare la décoction.
Changement radical, Vassily pouvait passer du coq à l'âne sans sourciller. Pourtant, quand il se détourna de moi pour s'attaquer à la préparation, j'entrevis ses sourcils froncés.
Une explosion de goûts prononcés se libéra dans toute ma bouche quand mes dents écrasèrent les feuilles sèches. Habitué à leur parfum, je reconnus la Mentha piperari et l'Anethum gravelo, deux plantes du Caché proches de leurs cousines du monde des Ignorants. Elles avaient le pouvoir de diminuer les symptômes de la migraine et de calmer mes nausées. La décoction de Tanacetum parthium qui suivait achevait de faire disparaitre mon désagrément crânien.
Tout en savourant les bienfaits des plantes, je me laissai emporter par le sommeil. Vassily prit congé de nous, je l'entendis à peine.
Je fus tiré de ma somnolence par les chuchotements de mes parents qui s'amplifiaient. Je feignis d'être plongé profondément dans les bras de Morphée alors que je tendis des oreilles curieuses.
— Ça me répugne de les mettre au courant ! rugit la voix de ma mère. Ils ne verront qu'un énième préjudice pour affaiblir la position de notre fils !
— Du calme, je n'ai jamais dit que...
— Je suis sûre qu'ils sont de mèche avec l'oracle.
— Arrête un peu de...
— Comment peut-elle ne pas lire l'avenir d'Alaric ?
— Si tu me coupe encore une fois, tu iras dormir dans ta forêt en rentrant !
La menace de mon père fit écho dans les pensées de ma mère. Elle s'arrêta nette de vociférer sur la conspiration des membres du Conseil.
— Je pense qu'il ne faut pas alarmer les Anciens pour si peu. Il est déjà arrivé à de rares occasions que les oracles ne soient pas assez puissantes pour lire l'avenir de certains Surnaturels. Et comme tu le soulignes si bien, leur dire ne fera que rajouter à la liste assez longue des « anomalies » de notre fils.
— Que devons-nous faire ? Il y a une signification à cette ignorance ?
La voix fatiguée de ma mère me surprit. Elle qui prévoyait toujours un coup d'avance semblait désemparer par la situation.
— Elle m'envoie vers La Cendre.
Ma révélation trancha nette leur conversation. J'avais ouvert les yeux et les observais intensément. Au nom de l'Oracle, mon géniteur blâma encore d'un cran dans son teint habituellement pâle. Leandra durcit les traits obscurs de son visage.
— La Cendre ?
Elle s'approcha de moi de sa démarche féline. Ses yeux sombres me fixaient ; j'étais incapable d'y déceler la moindre information sur ses pensées. Un frisson glacial me parcourut toute l'échine quand elle posa le bout de ses doigts contre le dos de ma main.
— Cela change tout... Nous n'avons plus le choix, il faut informer les Anciens. Eux seuls peuvent te permettre de voyager à sa recherche avant ta majorité.
Je sentis toute sa rage de devoir se plier à leur soumettre cette requête.
— Je n'aurais jamais dû naitre, lâchais-je, dépité.
— Alaric Williams ! Je t'interdis de dire ce genre de chose et même de le penser !
Le ton de ma mère était sans appel. Le fait de prononcer l'idée de ma non-existante la mettait hors d'elle. Elle bouillait d'indignation qui me laisser entrevoir que ma naissance était pour elle une bénédiction sans pareil.
— Depuis que je t'ai senti dans mon ventre, j'ai su que ton destin serait exceptionnel. Ne me demande pas comment... peut-être une prémonition ?
Son sourire masquait la blessure de mes mots. Elle m'observait avec avidité et me caressait avec tendresse la joue et mes cheveux, des gestes maternels.
— Ta quête ne sera pas de tout repos, enchaina-t-elle après ce long silence. La Cendre réside dans un lieu inconnu donc personne n'a connaissance de la clé pour y accéder. Être en sa présence n'est pas réjouissant. Pour le peu qu'on l'a croisée, elle est inaccessible. Je crains que cela n'aboutisse à rien de concret et que tu en attendes de trop.
Sa voix était lointaine, pongée dans les méandres de sa mémoire.
〰️
Le feu au centre crépitait joyeusement dans son large brasero. Les flammes projetaient ses ombres vacillantes et sinistres sur les visages tirés des Anciens. À mon approche, j'entendis les chuchotements de Daphné, la Lamia, qui partageait, à son voisin, avec arrogance mon incapacité à faire comme tout le monde.
— Jeune Alaric Williams, approche, mon enfant. Le Conseil a tranché sur ton cas.
L'Ainé, le Meneur de loups, avait parlé d'une voix trainante qui me laissait entrevoir que la Lamia n'était pas la seule à être exaspérée de mon anormalité. Je crispais mes mâchoires, j'étais à leur yeux qu'une simple abomination ou quoi ?
Seul face aux sept Vénérables, la sentence allait tomber. Devais-je poursuivre la cérémonie de ma majorité ou un temps me sera accordé pour remplir la mission de l'oracle ?
— Une quête a été demandé, commença Phoebé, la Naïade.
— Et elle a été accordé, continua le Tempestaire, l'homme à la gauche de l'Ainé.
Tous les Anciens n'étaient pas ravis de l'aboutissement de cet accord. L'Oréade, l'Armière et la Lamia exprimaient ouvertement leur dégout sur leurs traits facials. Daphné me foudroyait même du regard. Ce n'était pas ma faute si l'oracle avait été inapte à lire mon avenir.
— Jeune hybride, nous espérons que tu mesures la difficulté d'une telle entreprise. Trouver l'Antre de La Cendre n'est pas permis au commun des mortels, accentua ses dires l'Ainé.
Je grinçai des dents à l'appellation « hybride ». Ce terme me collait à la peau depuis si longtemps, je voulais à tout prix m'en débarrasser une bonne fois pour toute. Je n'étais pas sorti d'une éprouvette d'un savant fou, ma parole !
— J'en ai bien conscience, leur affirmai-je.
— Tu sembles bien confiant, aurais-tu donc une piste ? s'empressa de demander l'Armière.
Sous ses longs cils, ses deux yeux soupçonneux me dévisagèrent avec une attention toute particulière. Sa curiosité maladive par cette simple question m'alarma. Une douloureuse impression me tordit les entrailles et les mots s'échappèrent de ma bouche à mon insu, leur certifiant que non.
— Une bien longue et triste voie, conclu la messagère de la mort, tout en regardant la courbure de ses ongles sans un égard pour moi.
J'étais soulagé de ne pas avoir délivré la clé que m'avait offert la Pythie pour rencontrer sa Mère. J'avais même omis à mes parents ce détail, je ne savais l'expliquer, comme un désir de secret que je voulais partager seul avec l'oracle.
Avant de me renvoyer hors de la salle du Conseil, l'Ainé reprit une dernière fois la parole :
— Ta quête te mènera sur un chemin initiatique à la rechercher de ton toi profond. Comme le veux la tradition, appuya-t-il en articulant exagérément le mot, aucun membre de ta famille ne sera permis à t'accompagner. Pars maintenant, jeune Alaric. Ne reviens qu'une fois ta mission exécutée, alors seulement ta majorité te sera accordée.
Le sujet étais clos. Je m'inclinai avec respect avant de faire volteface pour quitter ce lieu qui m'étouffait sous la méprise des Anciens. Leur minable « punition » à m'envoyer seul affronter mon destin était pour moi une bénédiction. J'avais besoin de sortir des entraves parentales. J'avais le sentiment que je devais être seul face à La Cendre, loin des yeux protecteurs de mes géniteurs.
〰️
La préparation de mon sac de voyage fut une aventure des plus rocambolesques que je n'avais eu le plaisir d'assister depuis une éternité. Mes parents anxieux échangeaient, dans une tornade de mots, l'utilité ou non des objets que je disposais sur mon lit pour préparer mon baluchon. Leurs paroles n'étaient que des bruits parasites pour me concentrer sur l'énigme de la Pythie. Suivre le Chant du Rossignol à la parure nébuleuse parsemée d'Étoiles, en voilà une devinette pour trouver La Cendre. Même dans la faune surnaturelle, aucun oiseau n'avait doté d'une telle parure.
— Emporte ceci avec toi, insista mon paternel.
— Tu as vu la taille de son sac ? le dissuada ma mère.
Leur côté protecteur avait le mérite de me faire sourire. Ils étaient les plus habitués à de longue péripétie dans le monde, mais j'avais le pressentiment que pour cette quête, je pouvais suivre ma propre intuition. Je bouclai mon sac puis saisis mon manteau que je m'empressait d'enfiler.
— Tu... tu ne vas pas partir maintenant ? bégaya mon père sous la surprise.
— J'ai pile le temps pour descendre de la montagne et rejoindre le village avant la nuit.
Le silence accueillit ma détermination. Plus vite j'étais parti, plus vite je pourrais trouver La Cendre et l'air ambiant du Clan ne faisait que m'étouffer. J'avais besoin immédiatement de liberté, de sentir le vent caresser mon visage.
— Je ne suis pas prêt, murmura Ichabod.
Moi si. Étrangement, j'étais serein et prêt à affronter mon insolite destinée.
Comme à son habitude, ma mère, elle, s'était enfermée dans un mutisme au masque stoïque alors que mon père laissait transparaitre sa détresse et son anxiété sur son visage.
〰️
Je respirais une grande bouffée d'air avant d'entreprendre de dévaler le . Mes pas étaient légers et sûrs, pas comme à mon arrivée. La neige chantait sous les semelles de mes bottines ; un courant d'air vint ébouriffer ma chevelure. La dextérité des Nahulas me permettait de descendre la pente à une allure non permisse à un humain qui ne voulait pas se rompre le cou. Je me moquais, je jubilais de ses sensations de vitesse.
Sous la couche des nuages, la neige tombait doucement. Le ballet des minuscules étoiles de givres égayait mon humeur d'enfant. Je m'arrêtai un instant pour une chasse aux flocons qui s'accrochait à la laine de mes gants. Mon souffle chaud laissait échapper une brume à chaque expiration. En une fraction de seconde, je devins insouciant de ma propre destinée.
— Alaric ? m'interpella une voix chaude.
Elle hurlait mon nom à ma recherche et seul son écho lui répondait.
Le timbre ne m'était pas inconnu. La suivant, je tombais nez à nez avec la jeune espagnole emmitouflée dans son manteau. Ravie de me retrouver, elle voulut me sauter au cou, mais elle rencontra, la tête la première, la neige traitresse. Je partis dans un fou-rire monumental qui me valut un regard d'éclairs.
— Que fais-tu ? lui posais-je, car je venais d'apercevoir son sac à dos.
— Je te suis, répondit-elle en s'époussetant de la neige.
La jeune Dryade qui laissait souvent transparent de la gêne dégageait en ce moment une assurance que je ne lui connaissais pas.
— Eulalia, ce n'est pas...
— Possible ?! me coupa-t-elle. Tu n'es pas le seul en mission.
Je me pinçai l'arête du nez. Ses yeux marrons pétillaient, l'audace y faisait concurrence avec la détermination ; je ne percevais plus la fragile et timide Eulalia que j'avais toujours connu.
— Tu es encore mineur.
— Seulement pour les Surnaturels, j'ai eu mes 18 ans il y a plus d'un mois. Et tu sais que les Surnaturels ne sont pas aussi regardant sur la majorité lors des trajets.
Elle avait bien préparé sa plaidoirie. Je cherchais désespérément une combine pour lui ordonner de retourner dans le Clan, mais à chacune, elle y trouvait à redire. Désemparé, je poussai un énorme soupir avant de reprendre mon chemin. De toute manière, les Anciens m'avait interdit d'être accompagné par un membre de ma famille et non d'être seul pour ma quête. Avec Eulalia, nous ne partagions aucun lien de sang et elle ne faisait pas parti d'aucune espèce qui se partageait mon corps.
— Je peux donc te suivre ? minauda la voix de l'espagnol dans mon dos.
— De toute manière, même si je refuse, tu es décidée à m'accompagner et rien ne pourra te faire changer d'avis comme j'ai pu le voir...
Elle dévala les derniers mètres qui nous séparait pour se poster à mes côtés avec un large sourire. Un silence s'installa que je brisai lorsque mes questions devenaient trop pressantes :
— Comment as-tu justifié ton absence auprès du Clan ?
— Pas d'inquiétude, tout est déjà réglé !
Encore un long silence.
— Je n'ai pas foncé tête baissée pour te suivre, j'ai bien conscience des conséquences et dangers possibles que représente ton périple. Mais à deux, nous sommes bien plus fort !
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