Chapitre 5 • Le chant du Rossignol de la nuit joaillère
Par quelle étrange magie la forêt s'était subitement transformée ? Moins lugubre, quelques cris d'oiseaux nocturnes agrémentaient la tiédeur de la nuit. Les branches tordues s'étaient redressées vers le ciel étoilées. L'oppression de l'air avait déserté. Le bois s'était miraculeusement détendu et j'étais persuadé que Le Cornu y était pour quelque chose.
Partagé entre soulagement et anxiété, mon corps tremblait. Je n'osais plus regarder mes avant-bras pour ne pas être confronté à l'horreur de mon sang. J'essayais de me focaliser sur autre chose pour oublier. Tout, même Le Cornu et son physique repoussant.
Je ne m'étais pas attendu à une apparence si lugubre et bestiale. Natūre pour qui la beauté et l'élégance étaient primordiales, pourquoi s'encombrait-elle d'un Protecteur si disgracieux ?
— Toujours aussi cachotière... mais elle pourrait prévenir. Cela m'éviterait de me montrer sous mon plus mauvais jour, murmura Le Cornu pour lui-même.
Alfdis s'avança. Toute inquiétude avait déserté ses traits, une tout autre émotion s'y lisait : l'admiration.
— Dites, vous êtes bien une Entité ?
La Charmuzelle avait posé la question avec l'innocence de la jeunesse. Nous considérions qu'il n'y avait que deux Entités dans ce monde : Natūre et Toūt, le bien et le mal. Donner ce titre honorifique à quelqu'un d'autre était bafouillé nos traditions.
— Peut-être que oui, peut-être que non. Tout dépend comme vous voulez percevoir les choses, sous quel angle vous vous trouvez, petite biche.
— Excusez-moi. Vous avez bien insinuez que vous connaissez la raison de notre venue ? Il n'y a que les êtres supérieurs qui ont une telle intuition, enchaina la fillette.
La Cornu se tourna vers moi. Ses yeux de bouc insondable me jugèrent.
— Il est peu courant que des Surnaturels s'aventurent sur mon sanctuaire. Ils ont bien trop peur de mon courroux. Seuls ceux qui désirent ardemment rencontrer l'Observatrice sont guidés à me rencontrer et bravent leurs peurs.
— Pourquoi vous, le Protecteur de Natūre, êtes le lien avec La Cendre ?
Il rigola à ma question.
— Il y a bien des secrets que tu ignores encore. Ça serait gâché la surprise de te les révéler. De toute manière, ce n'est pas mon rôle.
Pourquoi il étaient tous à connaitre des secrets me concernant et ils avaient tous le culot de m'en parler sans les révéler pour m'allécher ? J'espère que La Cendre n'allait pas être aussi cachotière...
La Cendre... Le Cornu avait bien exprimé au pluriel ceux qui désiraient la rencontrer. Je n'étais donc pas le premier à fouler ce chemin. Qu'avions-nous en commun ?
Mon cœur s'emballa à la perspective de ne pas être le premier avec autant d'anomalies. Un faible espoir. Je pris une bonne bouffée d'air fraiche pour calmer mes battements et j'avais inconsciemment bloquer ma respiration sous le choc de cette révélation.
— Comment la rencontrer ?
— Ne t'emballe pas, petit. Chaque chose en son temps.
Il s'approcha du tas de feuilles où quelques minutes plus tôt se trouvait encore Eulalia. La tristesse me plomba l'entièreté du mon être. Le vide était bien plus profond que je n'aurais pensé. La vue de portrait macabre de cet amoncellement automnal m'était insupportable. Il me rappelait ce que je venais de perdre et la vie ne tenait qu'à un fil. Pourquoi je lui avais autorisé à me suivre ? Je m'en voulais de ma naïveté. Le monde était bien trop cruel, ma mère me l'avais souvent répété.
Avant que je ne craque, Le Cornu m'assura d'une voix douce :
— Ton amie n'a pas encore quitté ce monde. Elle se porte comme un charme aux abords de la forêt.
Papillonnant des cils, je mis plusieurs minutes pour assimiler.
— La petite Dryade a utilisé une magie très ancienne de son peuple. Je suis impressionnée par ses connaissances et ses progrès pour son si jeune âge.
— Elle n'est pas morte ? articulais-je difficilement tellement je pensais que je rêvais.
— Il n'est pas de mes habitudes de me répéter, mais oui.
Il se détourna de nous. Le regard perdu dans la végétation, il marmonna dans sa barbe tout en se grattant ses longs poils sur le haut du crâne. Il pointa plusieurs fois des directions avant de se raviser chaque fois et murmura que ça ne serait pas suffisant.
— Suivez-moi, nous ordonna-t-il après un long laps de temps.
— Pourquoi ? lui demandais-je avec réticence.
Je n'aimais pas l'idée de m'éloigner du tas de feuilles d'Eulalia. J'avais toujours l'espoir de la revoir réapparaitre comme elle avait disparu aussi mystérieusement.
— Si tu veux rencontrer l'Observatrice, il est préférable que tu me suives sans m'interroger sur chacune de mes directives.
Il s'enfonça dans les sous-bois sans plus attendre. Alfdis le suivit d'un pas léger. Avant de disparaitre sous le couvert forestier, elle me lança un dernier regard qui en disait long. Je n'avais pas intérêt à faire poireauter Le Cornu. Après quelques secondes d'hésitation, je leur emboitai le pas.
La forêt s'ouvrait devant la créature. Les branches s'écartaient pour libérer son chemin. Tous les êtres y vivants le servaient avec une obéissance naturelle qui me faisait froid dans le dos. Avaient-ils encore leur libre-arbitre ?
Je ne pus me plonger davantage dans mes questions et réflexions, car le chemin déboucha sur une petite clairière. Les rayons pâles de la lune caressaient les brins d'herbe qui dansaient au doux rythme du vent. Les hauts arbres autour formaient un cocon protecteur. Des lucioles voltigeaient dans un ballet majestueux.
Le Cornu me poussa d'une faible pression de la main sur l'épaule à le suivre au centre de la trouée. Alfdis s'arrêta à l'orée et nous suivit des yeux envieux. Il m'incita ensuite à m'asseoir dans l'herbe avant qu'il ne prenne place en face de moi.
— Ce lieu regorge d'énergie brute qui alimentera ton voyage. Je vais t'aider pour l'initiation, le reste dépendra que de toi.
— Comment ça ? À quoi vais-je devoir faire face ?
— Tu as déjà la clé pour y arriver. Tous ceux qui quémandent mon aide ont reçu un message pour les guider. Chaque mot à son importance.
La dernière phrase énigmatique de la Pythie allait enfin prendre tout son sens. Ses mots étaient gravés en ma mémoire comme une cicatrice au fer rouge sur la peau. Je ne pourrais jamais les oublier de toute ma vie.
En tailleur, le Protecteur me toisait de sa grandeur colossale. Il me décrivit d'une voix douce et posée la position à adopter. Respirant un grand coup, je me laissai guider les yeux fermés.
— Ne pose aucune question et ne parle pas. Aie confiance en mes directives. La Cendre ne vit pas dans notre dimension, pour ce faire, tu dois t'y rendre en délaisser ta forme physique... J'ai dit pas de question, me menaça-t-il quand il vit ma bouche s'ouvrir. Écoute-moi attentivement. Prends conscience de chacun des points d'appuis sur la Terre. Détends chaque partie de ton corps. D'abord tes pieds... tes jambes... ton tronc... tes mains... tes bras... ta tête. Ressens au plus profond de chaque fibre qui constitue ton être. Respire profondément ensuite libère l'air progressivement et avec elle, toutes tes tensions.
Sa voix grave et monocorde m'apaisait. Elle me berçait de ses mots et m'envoûtait dans l'exécution de ses instructions qui ne m'étaient pas inconnues. Je savourais chacune des syllabes posément récitées. Elles devenaient mon fil conducteur dans la prise de conscience de mon corps.
— Maintenant, connecte-toi à la terre. Ancre-toi. Elle t'apportera l'énergie nécessaire et la stabilité... Ouvre-toi à la lumière du cosmos. Laisse-toi baigner par sa clairvoyance.
Il s'interrompit pour me laisser les accomplir. Vu l'engouement des méditations de ma mère que j'accompagnais souvent, je m'exécutai avec facilité. Mon esprit se plongea dans un état de bien-être et de sérénité.
— Maintenant, élève ton esprit.
Il entama un chant mélodieux que je lui pensais impossible à moduler. Pris dans son torrent et mon état de semi-conscience, je sentis des bras puissants m'attirer vers le haut. Avant même de comprendre ce qui m'arrivait, je quittais mon enveloppe charnelle.
Mon esprit voguait dans les limbes d'un univers inexploré. Je paniquai. Ce qui défilait sous mes yeux dépassait ma conception du monde. Je pilai comme un cheval des quatre fers. Ma respiration s'accéléra alors que mon cœur cognait douloureusement à mes oreilles.
Les présences immatérielles à mes côtés me drapèrent de leur énergie apaisante. Ils m'encouragèrent par de doux murmures qui m'incitèrent à continuer. Ils attendirent. Leur patience m'allait droit au cœur.
Je devais remettre de l'ordre dans mes idées. Tout avait été bien trop vite pour que mon esprit encaisse sans broncher. Mon désir ardent de réponses prit le dessus. Revenir en arrière sur le sol terreux et solide signifiait un très profond regret et l'amertume.
Cette résolution me poussa à me projeter dans un faisceau étincelant.
〰️
Le noir. Après la lumière aveuglante vint le noir. Il n'y avait plus que cela qui m'entourait. Tous les êtres avaient disparus. J'avais atterri dans un lieu qui sentait la poussière, le renfermer et une odeur désagréable qui m'agrippait les narines. Une manche sur le nez, j'avançais à tâtons.
Mais où avais-je bien pu atterrir ? Le sol sous mes pieds et mon corps consistant étaient bien trop réels pour être encore dans la non-matière. Je doutais de la véracité des dires du Cornu. Ne m'avait-il pas piégé ?
Ce fut la douche froide quand ma hanche rencontra un objet dur qui m'arracha une plainte et eut le mérite de me distraire de ma panique. La douleur fusait dans mon bassin. Je ravalai les larmes pour ensuite entreprendre d'identifier l'objet. Mes mains palpèrent la surface froide qui me rappelait une colonne de pierre. À son sommet un réceptacle tout aussi glacé, il résonnait d'un bruit métallique.
— Un brasero.
Le mot s'échappa tout seul de ma bouche. À cette simple appellation, un feu ardent s'embrassa dans le récipient. Surpris, je reculai de quelques pas précipités pour éviter de me brûler.
Quand mes yeux s'habituèrent à la lumière, je commençai à discernais les contours de la pièce. Quatre voies s'ouvraient autour de moi. Chacune dans une des directions d'une boussole. Elle étaient plongées dans une pénombre que les flammes n'arrivaient pas à percer. Cela n'augurait rien de bon.
Malgré le feu, le froid emplissait la salle et mordait chaque parcelle de peau. Il se répandait au plus profond de mon être en s'insinuant dans chacune de mes cellules. Je frissonnais sous sa douloureuse langue de givre. Une buée s'échappa de ma bouche entrouverte.
Mes yeux se déposèrent sur le sol pavé. Une mosaïque monochrome se dessinait sous des arabesques envoutantes. Je n'avais pas assez de lumière et de recule pour comprendre l'entièreté du motif.
Je reportai alors mon attention sur les portes obscures. Un long frisson cascada le long de mon échine. Elles n'étaient pas anodines, non, elles révélaient chacun des pans de l'univers bien différent. J'avais le pressentiment qu'elles menaient vers des êtres au-delà de la compréhension. Mais laquelle choisir ? Aucune erreur possible. Pourquoi j'en avais autant conscience ? Comment je connaissais autant leur secret ?
Quatre oiseaux se présentèrent et me sortirent de mes interrogations. Chacun venait d'un couloir et ils se posèrent sur un perchoir devant les ouvertures tels des gardiens. Ils étaient d'espèces radicalement opposées pour certains. Le son de chaque chant se répercutaient dans la pièce en échos lointains et mélangés. Un concert ornithologique complètement anarchique dont une étrange sérénité s'en dégageait.
Un moment magique qui ne devait m'éloigner de ma mission première. Je me ressaisis assez vite et commençai à observer avec un regard différent les quatre volatiles. J'ignorais combien de temps m'accordait Le Cornu.
Je sus que la phrase de la Pythie prenait tout son sens ici. D'instinct, je me dirigeai vers le rossignol puisque son nom apparaissait on ne peut plus clairement dans la devinette.
Quand je fus proche de lui, je me figeai. Je rétractai mes doigts qui allaient frôler le plumage. Les sourcils froncés, je m'intriguais face au chant qui ne correspondait pas. Un croassement exécrable du corbeau emplit mes oreilles quand je m'approchai de la porte.
Je doutais. Je devais éclaircir mes idées pour m'aiguiller correctement vers mon choix final. Près du rouge-gorge, un hululement l'accompagnait tandis que le corbeau poussait la douce mélodie du frêle oiseau à la gorge flamboyante. Il ne restait que la chouette dont le chant du rossignol était associé.
Quel chemin emprunter ? L'oiseau ou le chant ? Je n'avais pas le temps de tergiverser pendant des heures. Je regardais indécis le rossignol et la chouette... Les mots du Cornu me revient en mémoire avec la douleur d'un coup de fouet : Chaque mot à son importance. Phrase anodine perdue dans la masse. Respirant un grand coup pour me donner le courage, je m'approchai du prédateur nocturne.
— Je te choisis.
Un éclat de bienveillance traversa ses prunelles jaunes. Hypnotisé, je tendis la main gauche vers le plumage moucheté. Inconscient ! Elle m'assaillit d'un bon coup de bec qui ouvrit une plaie entre le pouce et l'index. Je réprimandai un juron. Pourquoi tant de violence ?
La main en bouche pour lécher le sang, je contournai prudemment l'oiseau pour affronter la porte. Il n'y avait aucun battant, mais la pénombre brumeuse en créait un immatériel. Je pris mon courage à deux mains. J'avançai le premier pied et j'eus en hoquet de frayeur en perdant l'équilibre. Le vide ténébreux m'appela à lui.
Après la frayeur de chuter vint la peur de mourir. Elle ne resta pas longtemps, juste le temps que mon esprit comprenne qu'il ne chutait pas, mais planait telle une feuille dans sa lente danse au gré du vent automnal.
J'atterris alors avec douceur sur un objet solide après quelques secondes. Le sol s'illumina autour de moi d'une couleur bleue-verte phosphorescente. Les graviers scintillants traçait un chemin dans une végétation luxuriante et imaginaire. Elle aussi luisait. Dans le vide nébuleux par-delà les plantes, des fleurs cristallines flottaient comme sur la surface d'un lac. Le sentier s'éclairait que lorsque mon pied le touchait et l'obscurité engloutissait celui que je venais de quitter. L'impasse où résidait La Cendre était tracé pour les êtres qui étaient attendus.
La pénombre environnante avait un air malsain. À cette idée d'y plonger, mes poumons me brûlèrent et mon cœur se comprima douloureusement. Si le chemin venait à disparaitre, l'agonie serait terrible. Ce fut avec la boule au ventre que je continuais à poser les pieds l'un devant l'autre en priant que le sol se forma.
Je relevai la tête brusquement. Le son du rossignol perçait avec difficulté le silence. Plus je progressais, plus il s'intensifiais. Malgré le chant de l'oiseau comme guide, je continuais à douter de mon choix.
Les minutes filèrent et rien ne changeait dans ma promenade. Le chemin continuait à se dévoiler et le gringottement à s'amplifier. Je commençais à désespérer. Les pensées obsédantes se manifestaient à m'en faire perdre la raison. J'étais égaré à jamais dans ce pan entre deux mondes.
Un éclat au loin retint mon attention. Une forme sombre se dandinait au rythme du chant sur un bout de chemin qui s'illuminait faiblement. Il me fallut me rapprocher encore pour commencer à la distinguer plus nette.
Elle portait une longue cape qui la recouvrait en entier. Le bout de tissu ressemblait à un pan de la voûte céleste arrachée pour se protéger d'autrui. Seuls ses avant-bras dépassaient. Ses mains portaient à sa bouche un petit objet. Bien plus tard, il se révéla être l'instrument qui délivrait le son mélodieux du rossignol. Il m'avait bercé entre doute et espoir pendant toute ma marche sur le fil de ma vie. Je ne savais comment interpréter ce qui se trouvait sous mes yeux. Était-ce bon signe ?
Quand je m'aventurai plus loin, la créature assise sur une pierre lumineuse se leva d'un bond preste. Elle me devança sur le sentier sans s'arrêter de jouer. Je la suivis sans réfléchir. Mes pensées envoutées se perdirent dans le néant de la mélodie. J'en oubliai le gouffre sombre, les craintes de mes pieds ne toucheraient plus le sol, les peurs des réponses que je pourrais entendre... plus rien ne comptais sauf l'angoisse de la perspective que la musique s'arrête.
Un son plus grave brisa l'ensorcellement. Je m'arrêtai encore sur le sentier. Interloqué, j'écoutais la musique qui me parvenait voilée par la longue distance. Le mélange des deux symphonies s'accordait à merveille pourtant, chacune jouait un registre bien différent.
Je repris mes esprits et remarquai trop tard la disparition de la forme encapuchonnée d'étoiles. Sa mélopée s'était éteinte avec elle. Seul le nouvel instrument persistait dans le silence. Tant de mystères planaient en ce lieu mystique. Sans hésiter, je continuai à progresser jusqu'à arriver à un pan déchiré de l'obscurité où une douce lumière matinale s'en libéra.
La chaleur m'attira inexorablement. J'étais tellement frigorifié que je passai le pas de la porte sans me poser plus de questions. Ma peau glaciale rencontra les rayons tièdes du soleil. Par sa vive luminosité, je fus aveuglé.
Le temps que mes yeux s'habituent, je pus distinguer la pièce circulaire dans laquelle je venais t'atterrir. Des brises légères balayaient la pièce ouverte à tout vent et accompagnées de parfums sucrés et étranges. Aucune vitre ne garnissait les arches en ogive végétales. Le plafond en forme de coupole était constitué de branches entrelacées où aucune lumière s'y filtrait. L'ensemble était charmant et harmonieux.
Le centre n'était que recouvert d'un tapis de filaments beiges et rouges tressés aux motifs circulaires. Quelques petites commodes basses à la décoration épurée reposaient contre les rares murs en torchis crème. D'abondantes plantes verdoyantes de vie trônaient sur la surface du mobilier.
Dehors, j'entrevis un large monde où forêts et plaines se partageaient la haute vue. Des oiseaux colorés volaient dans le ciel azuré dépourvu de nuage. Leur chant enchantaient mes oreilles de sons multiples qui se mêlaient à celui grave de l'instrument.
Derrière moi, la porte avait disparu et à sa place, un escalier descendait dans la pièce inférieure. Une rampe en fer forgé à la découpe ciselée tranchait avec le bois sombres aux nervures claires des marches. Un mélange à l'esthétique à couper le souffle.
La chanson aux accents mélancoliques s'amplifiait quand je m'approchai du bord. Elle était merveilleuse et j'aurais voulu qu'elle ne s'arrête jamais. À mon grand regret, quand elle délivra sa dernière note soyeuse, un applaudissement impulsif survint accompagné de quelques cris inhumains qui provoquèrent les rires d'une tierce personne.
Je posai le pied sur la première marche. Je ne pus réprimander la grimace à la suite du grincement peu discret. Des bruits effrénés de courses accueillirent mon entrée. Une pièce jumelle se dévoila sous mes yeux ébahis — seul l'agencement et rajout de mobilier y différaient.
Au centre trônait une table ronde et encadrée par trois chaises. Un sofa reposait avec envie le long d'une des arches qui permettait d'admirer confortablement le paysage. Un second escalier dévalait vers l'extérieur dans une clairière. Seule un lourd rideau bordeaux attaché par une cordelette dorée bloquait par moment l'accès.
— Notre invité tant attendu ! m'accueillit une voix féminine dépourvue d'intonation.
Sa silhouette élancée se découpa alors de l'ombre de l'escalier mural. Elle était vêtue d'un long voile carmin. Je fus interpellé par son bandeau blanc qui reposait sur ses yeux ainsi que le teint grisâtre de sa peau. Le portrait exact de La Cendre que m'avait dépeint mes parents avant mon départ.
Elle inclina légèrement de la tête sur le côté quand je me positionnai à sa hauteur. Ce ne fut pas sa grande taille — elle me dépassait de quelques centimètres —, mais son aura puissante qui m'intimida. Je déglutis sous la menace des traits durs de son visage. Elle se détourna et la froideur de ses gestes lents exécutés avec finesse me firent regretter ma venue. Une envie pressante de fuir secoua mon corps. Je serrais les poings à m'enfoncer les ongles dans la paume. Je n'avais pas entrepris tout ce chemin pour me carapater devant le dernier obstacle.
— Je suis sincèrement désolé de vous déranger et d'être entré dans votre demeure sans y être autorisé.
Ma voix monta dans les aigus sous le stress, mais je tins bon.
— Tss tss tss, commença-t-elle, agacée. N'ai-je point précisé que je t'attendais ?
Son ton était sanglant. Je paniquai d'autant plus. Avais-je fait une bêtise monumentale ?
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