Chapitre 4 • Le coin du feu attisant les contes merveilleux

L'après-midi ne fut que bercée par des conversations houleuses entre mes parents. Ma mère éclata quand nous arrivâmes dans notre logis ; heureusement qu'un sort de silence nous isolait du reste des alcôves avoisinantes.

Leandra exprima toute sa fureur sur le Conseil qui osait mettre en doute l'autorité de la Compagnie de la Rose Noire. J'avais toujours eu vent de la relation conflictuelle entre Clans et Compagnie, mais je n'avais jamais imaginé l'ampleur de celle-ci. Je ne saisissais pas l'amertume exagérée des Anciens pour les Chevaliers. Pourtant, ces derniers avaient toujours œuvré à harmoniser la paix entre tous les mondes au péril de leur vie.

— Bande d'ingrats écervelés ! pesta ma mère.

Elle faisait les cent pas dans le salon à fulminer contre le Conseil et marmonna de temps en temps dans sa barbe des paroles incompréhensibles. Elle me donnait le tournis. Assis sur les coussins, mon père et moi-même nous l'observions et espérions qu'elle se calme sans notre intervention.

— Ils nous prennent pour quoi ? De simples pions à mener à la baguette pour ne faire régner que l'ordre ?

— Calme-toi, chérie...

— Je suis calme ! rugit-elle.

Avec mon père, nous échangions un regard consterné. Agacé par la réaction disproportionnée de sa compagne, Ichabod l'attrapa par le bras quand celle-ci le frôla dans sa déambulation. Il se leva pour l'écraser de sa hauteur. Il plongea ses yeux clairs dans ceux noirs de Leandra qui viraient aléatoirement vers le vert-jaune de son animal-esprit. Une tension crépitait dans l'air. Je me fis tout petit sur le coussin rougeâtre que j'occupais, Bastet sur les genoux.

— Je te somme, immédiatement, de te calmer sur le champ ! tonna la voix sévère de mon paternel.

— Tu n'as aucun droit de me dire comment me comporter ! surenchérit-elle.

— Ma chère, il vous sied de bien vouloir reprendre contenance ! Votre insolence dépasse les limites de mon acceptable.

Un courant d'air froid s'engouffra dans la pièce, il tourbillonna autour de mon père, tel un esprit frappeur. Les coussins s'envolèrent sous les assauts du vent qui grondait entre les murs de la pièce.

Se sentant menacées, les forces ténébreuses de la Nahula se déclenchèrent ; les deux mastodontes magiques se percutèrent dans le salon. Pris entre deux feux, je n'osa bouger de peur d'être frappé par un sort perdu. Toutes griffes sorties dans mon jeans, m'arrachant un cri de douleur,Bastet feulait le poil hérissé et braquait ses yeux coléreux sur mes parents.

— Je te pris de te calmer sur le champ, réitéra Ichabod d'une voix poussée dans sa sévérité.

Les iris verts de ma mère perdirent leur éclat et reprirent peu à peu celui sombre habituel. L'électricité dans l'air diminua, la lourdeur s'effilocha. Je pouvais commencer à respirer librement ; la pression dans ma poitrine diminua et mes poumons ne s'enflammèrent plus à chaque laborieuse bouffée d'air. Le Chat Noir se calma, mais continuaitd'observer attentivement la scène.

— Je ne supporte pas comment ces bouffons en décrépitude nous dénigrent, articula Leandra dans un calme irréel.

— Moi non plus, mais se mettre dans un tel état ne changera rien. Nous devons les amener à comprendre les dangers qui planent si la Compagnie venait à disparaître. Ils n'en ont pas conscience, ils ne voient que leur minable pouvoir.

〰️

— Alaric !

Le cri chargée de joie se répercuta sur les parois avant d'arriver à mes oreilles au moment où un corps se jeta à mon cou. Je n'avais même pas encore franchi le pas de la salle commune que j'étais déjà accaparé par une adolescente à la longue tignasse noire ondulante dans son dos. Ses cheveux aux effluves de feuilles mortes, de mousse et de sève me chatouillèrent le nez. La surprise me figea un instant sur place. Plus petite de deux têtes, un large sourire d'ange aux lèvres, des prunelles brunes pétillantes, la jeune femme respirait une gaieté débordante.

— Eulalia, chuchotais-je à l'intéressée.

Elle réagit au quart de tour, en se teintant d'un rouge pivoine jusqu'au bout de ses oreilles. Elle s'écarte vivement de moi et enfuit sa tête dans le col de son pull trop grand pour elle, une habitude pour cacher sa gêne.

— Que fais-tu ici à cette période ?

Elle se dandina sur ses pieds et observa les alentours à la recherche d'oreilles indiscrètes. Son teint basané s'enflammait à la clarté des torches suspendues à la paroi.

— Un secret... mais je veux bien te le partager quand nous serons moins entourés...

J'aimais le chantonner des phrasés de l'espagnol. Son accent sudiste rendait les intonations de la langue commune des surnaturels, le surnélien, plus chaudes et plus accueillantes.

Eulalia était arrivée dans le Clan sans connaitre l'existence de notre monde. Consciente de sa différence, elle avait été livrée à elle-même de nombreuses années. Sa connexion avec les arbres l'avait aidé à comprendre qui elle était ainsi qu'à exploiter son potentiel et préserver son identité. Elle fut un des rares enfants surnaturels à passer entre les filets de la Compagnie et être adoptée par une famille d'Ignorants.

Ne pouvant laisser un enfant magique libre des lois, les Anciens inventèrent toute une machination pour que la brebis galeuse puisse rentrer dans les rangs. Une famille espagnole de Surnaturels fut contactée pour prendre la fillette sous leur aile. Maintenant, elle les accompagnait lors de leur venue dans le Clan.

Au début, cette enfant s'était repliée sur elle-même. Peu habituée à côtoyer des êtres merveilleux, elle avait été impressionnée par la diversité des Surnaturels qui fréquentaient les Tŭlķ'iŋs. Muette, elle avait mis longtemps à quitter les jupons de la mère de famille. Je fus un des premiers à l'amener dans nos jeux d'enfants parmi les couloirs du labyrinthe du Clan. Depuis, elle s'était accrochée à moi comme une bouée et une confiance mutuelle était née. Son aîné de cinq ans, je la considérais dorénavant comme ma petite sœur.

Au coin d'un feu magique, nous nous assîmes côte à côte, heureux de retrouver notre complicité. Traditionnellement, les soirées dans le Clan se déroulaient dans la grande salle, où les saltimbanques et bardes narraient les légendes, héritages de notre Histoire, à la lumière tamisée.

Plus jeune, j'attendais avec impatience les contes qui me faisaient tellement voyager ; depuis quelques années, leur registre n'ayant jamais changé, je connaissais par cœur leur récital. Les yeux rayonnant d'Eulalia me confirmaient que certains y trouvaient encore du plaisir à les écouter.

— Oh ! J'aimerais tellement entendre la légende du Baron Samedi et de la Blanche Biche, me chuchota l'adolescente.

Le jeu de romance entre les deux personnages mythiques de la Mort happait toujours l'espagnol dans les filets de son imagination. Elle rêvait d'un tel amour qui viendrait frapper à sa porte comme toutes les jeunes femmes au seuil de la maturité.

Moi, j'y trouvais un tout autre engouement à ce récit. Le Baron Samedi avait une telle personnalité débridée qu'il m'incitait à espérer un jour briser les murs qui me gardaient dans un carcan acceptable pour la société. Je rêvais d'aventures, d'inconnus... mais la sécurité me rappelait toujours à la réalité de mon petit confort.

— Mes chers auditeurs ! débuta un des orateurs de sa forte voix. Laissez-moi avoir le plaisir de vous conter l'histoire de la Dryade Téméraire.

L'excitation de la soirée retomba au point mort à l'annonce de ce premier récit. Eulalia se plongea dans un mutisme sans nom. Elle détestait cette légende qui mettait en scène un membre de son espèce dans une situation peu glorieuse. À force de la raconter, beaucoup de Surnaturels avaient amalgamé le comportement de cette simple dryade à toutes les autres.

Je bousculai gentiment de mon épaule celle de l'espagnol pour capter son regard. D'un simple sourire et d'une parole réconfortante, je lui fis oublier le conte qui se déroulait en arrière-plan de notre conversation. Nos gentilles chamailleries nous voulurent des coups d'œil chargés de reproches de nos jeunes voisins. Imperturbable, j'incitais Eulalia à les ignorer.

Le conte suivant absorba la Dryade dans son écoute. Silencieux, peu enclin à me laisser bercer dans les paroles des orateurs, je perdis le fil de l'histoire dès son début. Mon esprit vagabondait sur des sujets banals avant que la douloureuse pensée du choix m'explose en pleine face. L'anxiété revint au galop. Fatigué de tous ces questionnements, j'allais annoncer mon départ de la grande salle. J'amorçai le mouvement de me lever, quand une main me cloua sur place.

Intrigué, je me tournai vers la personne qui se tenait dans mon dos. Un large sourire béat m'accueillit, surmonté par une paire de lunette qui glissait sur le bout du nez de Vassily. Ses longs cheveux blonds étaient retenus en queue de cheval basse dans son dos. Une forte odeur de plantes se dégageait de ses vêtements ce qui était tout à fait normal vu sa profession d'apothicaire-herboriste.

— Mon garçon, je te conseille de rester encore un instant. Le temps des légendes n'est pas écoulé. Ça serait déplaisant de ne pas en profiter encore une dernière fois en tant qu'enfant, m'interpella-t-il dans un murmure.

Un nouvel orateur prenait place devant la grande assemblée. Assez petit, il portait des vêtements extravagants par rapport aux autres de ses confrère. Une lourde cape de fourrure brune reposait sur une de ses épaules et descendait le long de son corps.

— Laissez-moi, chers auditeurs, vous conter le dernier récit de cette soirée, tonna sa voix grave à l'accent fort prononcé du nord. Faites place à l'histoire de l'Enfant et du vieux Chêne.

Les sourcils froncés, je ne me souvenais pas avoir eu l'occasion d'assister à la diction de cette fable. Je me retournai encore une fois vers Vassily qui m'observait de ses yeux bleus illuminés par un sentiment de bonheur. Je n'eus pas le temps de lui poser plus amples questions, car le narrateur commença sa litanie et je reportai mon attention vers lui.

Il fut un temps où les arbres parlaient à qui voulait bien entendre. Leur sagesse était immense pour ces êtres qui avaient traversé les siècles. Notre conte commence à cette époque.

À mes côtés, Eulalia s'agita, elle remuait, cherchant une meilleure assise pour cacher son malaise que je percevais sans mal.

— Dans une lointaine contrée du Nord, chaque jour, un gamin passait près d'un très vieux chêne. Il admirait sa ramure imposante. L'ombre qu'il projetait sur le sol permettait aux plantes de pousser, les recoins de ses branches accueillaient la vie des petits animaux... Le bambin prit l'habitude de poser sa main sur le tronc. Fermant les yeux, il sentait les vibrations du centenaire. Par ce contact quotidien, leur énergie se mélangèrent et insuffla la flamme de vie de chacun dans celle de l'autre.

Attentif, j'écoutais le récit avec une vivacité enfantine. Le conteur avançait avec lenteur et mima avec professionnalisme les scènes qui dictait avec ferveur. Plein d'entrain, il portait l'assemblé dans son monologue. J'étais accroché à ses lèvres, désirant connaitre la chute.

— Que je résous le problème de toutes les manières possibles, les villageois ont toujours à redire ! imita le conteur de sa voix d'enfant.

Il en prit une plus grave et adopta la gestuelle statique de l'arbre pour questionner son interlocuteur imaginaire :

— Qu'as-tu donc pu en conclure ?

Changeant de rôle, il arbora les mimiques enfantines pour conclure :

— Je n'écouterai plus les gens autour de moi. Je prendrais mes décisions en fonction de mon propre jugement sans me soucier de ce que peuvent penser les autres ! Leur avis m'importe peu ! J'agirai à ma façon !

À la dernière note prononcée, des applaudissements clôturèrent la séance. Intrigué, je restai stoïque face à l'effervescence du lieu. La première fois que la liste habituelle de conte vint à être perturbé et le choix se répercutait dans mon esprit avec un doux gout d'amertume.

Le destin se jouait de moi avec brio. Je me fiais trop aux avis d'autrui pour essayer de bien paraître en leur présence. Je m'étais souvent brulé les ailes, car jamais, je ne pouvais satisfaire le monde entier. Il fallait que je prenne conscience que le seul qui importait le plus était : moi.

— L'heure des légendes pour ce soir prend fin ! Je demande aux enfants de bien vouloir prendre le chemin de leur couchette. Le temps des adultes est à venir, déclara un des Anciens.

Les Tŭlķ'iŋs et leurs comportements arriérés, ils n'avaient jamais été effleurés par l'idée de changer ces règles ancestrales et obsolètes du monde actuel. Généralement, lors des veillées, les enfants n'étaient pas désirés. Seuls ceux qui avaient passé leur cérémonie de la majorité surnaturelle étaient autorisé aux réunions. Parfois, notre présence pouvait être requises pour certaines, mais notre parole était silencieuse. Quelle plaie d'être obligé d'écouter pendant des heures interminables des adultes palabrer sur le sort du monde sans y donner son opinion.

N'étant toujours pas majeur, mes parents me firent signe de retourner dans notre logis à l'annonce. J'inclinais de la tête pour lui confirmer que je suivais leur recommandation docilement. Bientôt, je pourrais comprendre ce qui se déroulait lors de ces réunions qui m'intriguaient de plus en plus au fil des années.

Eulalia m'accompagna dans le dédale de Clan. Dans un des couloirs déserts, elle m'attrapa subitement l'avant-bras pour me stopper, puis elle m'attira à sa suite dans une alcôve à l'écart du passage.

— Ne ris pas de moi, débuta-t-elle la conversation.

Gênée, elle fuyait mon regard et fixait un point sur la paroi rocheuse à sa gauche. Elle inspira et expira plusieurs fois à grandes bouffées avant de reprendre d'une voix hésitante :

— Je suis ici pour deux raisons...

Elle m'avait donc pris à l'écart pour me faire part du motif de sa venue au Clan. Pourquoi tant de mystère ? Fronçant des sourcils, je l'écoutais attentivement.

— Premièrement, je voulais être présente pour ta majorité...

Elle avait lâché sa phrase au triple galop comme si elle lui écorchait de le dire calmement. Le far aux joues, elle enfonça sa tête dans son col. Si je ne relançais pas de si vite la conversation, elle allait s'enfuir sans m'expliquer la suite.

— En quoi devrais-je rire ? répondis-je, le sourire aux lèvres qui cachait l'étrangeté de la situation que je ressentais inlassablement.

— Arrête de me regarder comme ça ! s'emballa-t-elle quand elle riva ses yeux noisette dans les miens.

Elle battait de ses amples manches de son pull avec une envie de s'envoler loin d'ici. La scène était tellement surréaliste que j'éclatai d'un rire insouciant, rajoutant à sa frustration, Eulalia se mit à me frapper de ses poings ma poitrine pour me faire taire.

— C'est bon, je capitule ! lui promis-je entre deux gloussements incontrôlables. Et cette deuxième raison ?

L'espagnole reprit un semblant de contenance. Hésitante, elle se mordit la lèvre inférieure et me lança des regards furtifs qui trahissaient clairement son dilemme. Ses réactions de timide envers moi m'intriguaient. Que cachait-elle qui lui demandait autant d'incertitude ?

— Que sais-tu des Dryades ?

Chaque espèce de Surnaturels gardait jalousement ses secrets. Les exposer revenait à dévoiler les faiblesses que d'autre pouvait exploiter. Par soucis d'impartialité, la Compagnie avait stipulé une loi où seule la divulgation de la connaissance nécessaire à la compréhension du fonctionnement d'une race était autorisée. Toutes autres informations qui puissent la mettre en déroute, en soumission ou en danger seront dissimuler.

Par mon métissage, j'étais une exception à la règle. Mon savoir sur les Sylphes et les Nahuals dépassaient la limite imposée. Pour le moment, par mes deux natures, cela ne dérogeait pas à la loi, mais dans un futur proche, quand mon choix sera défini, je serais contraint de ne jamais révéler mes connaissances.

— Comme tout le monde : vous êtes des Nymphes des forêts, vous vivez en lien avec un Arbre, comme un jumeau symbiotique. À la différence de vos cousines, les Hamadryades, vous pouvez vivre librement loin de votre Arbre. Votre magie est la manipulation végétale.

La jeune femme n'avait pas arrêté d'hocher de la tête pour confirmer mes paroles. Satisfaite, elle reprit dans un murmure à la suite de mon maigre exposé :

— Je vais te révéler une information que mes sœurs ne divulguent rarement. Nos Arbres ne sont pas de simples feuillus que tu peux croiser dans chaque forêt. Ils ont une sagesse et un droit de parole supérieure, mais ils communiquent avec tous ceux « normaux » de la Terre et nous rapportent des connaissances. Pour ma part, le mien est...

Elle s'arrêta brutalement, l'éclat de ses yeux se perdirent dans une brume onirique. Je passai ma main plusieurs fois devant ses prunelles sans parvenir à la faire revenir dans le monde des vivants.

— Eulalia ?

Elle eut un sursaut au son de ma voix, elle papillonna plusieurs fois des cils, m'observa comme si des cornes m'avaient poussé puis reprit :

— Bref ! Je devais venir ici car je dois accomplir ma mission.

La consternation agrippa mes traits faciaux. Elle avait alléché langoureusement mon envie de curiosité pour ensuite le couper d'un coup net de faux. Je n'avais pas d'autre chose que d'abandonner la partie avant de l'avoir commencée.

Sur ce silence, nous reprîmes notre marche pour nous séparer à deux croisements suivants. Perplexe sur ce début de conversation bancal, j'observais la Dryade s'enfoncer dans un tunnel. Ses cheveux libres se balancèrent au rythme de ses pas. Quand je la perdis de vu, je tournais la tête vers mon propre chemin, indécis à rejoindre maintenant mon lit. Ma tête bourdonnait bien trop de questions pour trouver un repos calme et réparateur. La fatigue musculaire n'en eut pas raison non plus.

Je rebroussai chemin, un seul endroit pouvait m'accueillir pour laisser cours à mes pensées oppressantes. Avec la réunion des adultes, j'avais le champ libre pour y accéder tranquillement, aucun Surnaturel pour me poser des questions embarrassantes.

Au carrefour précédent, je bifurquai sur la droite, ensuite, j'empruntai un escalier en colimaçon qui m'emmena dans les étages supérieurs. Je circulai dans les couloirs silencieux, les sens en alerte et guettant le moindre bruit d'une rencontre fortuite. Au milieu d'un boyau mal desservi par la lumière, je m'arrêtai et vérifiai si j'étais bien seul.

Ma main se balada sur la surface rugueuse de la roche à la recherche du mécanisme. Quand elle rencontra le renfoncement habituel, j'appuyai et chuchotai en surnélien : « Esprit des pierres, j'en appelle à toi pour m'ouvrir la voie. Je te remercie de ton geste. » Il fallait toujours être respectueux avec le Peuple Silencieux. Un manque de politesse et ils nous fermaient la porte à tout jamais. Un clic signala l'enclenchement du mécanisme, une porte dérobée se dévoila.

Je débouchai dans un tunnel étroit qui serpentait entre les boyaux du Clan jusqu'à une ouverture vers le ciel. Le froid mordant de la nuit flagella mon visage. Pour pallier la température drastiquement basse, je modifiai mon corps ; la physionomie héritée de mon paternel était plus encline à résister à l'air hiémal. Mon enveloppe charnelle devint translucide, je poussai au maximum ma condition immatérielle de Sylphe. Comme le vent, je perdis les mailles de ma subsistance.

Nous autres, les Élémentalistes des cieux, nous manipulions l'air à notre guise. Alors, ce fut un jeu d'enfant de ressembler à un courant glacial et de ne plus le craindre. Mais, mon père m'avait toujours mis en garde, il ne fallait pas se perdre dans cette extase de l'immatériel, au point de ne faire d'un avec le vent et d'en oublier son corps physique pour l'éternité. Ça faisait froid dans le dos.

Assis sur une pierre plane qui surplombait le précipice de la montagne, mon regard se perdis dans le firmament de la Voie lactée. Les myriades de lucioles cosmiques m'offrirent leur danse nocturne. Le silence, à cette altitude, était impressionnant ; seul le vent qui sifflait entre les roches le brisait.

Le calme envahissait mon corps, mais livra une bataille quand mes angoisses ressurgir sans crier gare. Je me sentis submerger pour ma tornade de questions qui me donna le tournis. Elle fusait et agressait mon crâne. Ce choix allait me rendre dingue avant ma majorité.

Je fermai les yeux et me concentrai sur ma respiration pour rétablir l'apaisement que je recherchais. Je basculai dans un autre univers où une certaine exaltation prit le dessus sur la peur. Ses bras me bercèrent dans une mer de plénitude qui m'emmena dans des contrées de mon esprit encore inconnues. Les images défilèrent derrière mes yeux clos. Indifférent, pourtant une m'arracha à ma tranquillité : un enfant observant la ramure imposante d'un arbre.

Les yeux grands ouverts, je me remémorai les paroles du conte qui glissèrent, tel l'eau, dans mon esprit. Il m'intriguait, me chamboulait. Je désirais suivre à tout prix sa conclusion, être aussi déterminer que l'enfant, mais ma confiance me faisait défaut. À cet instant, j'aspirais tellement connaitre les révélations de l'oracle pour mettre fin à tant de ténèbres de mes incertitudes.

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