Chapitre 3 • Plantes et Sécrétions, une potion putrescible °2e partie°
Le temps s'écoula, les jours passèrent et la morosité de Carthew s'amplifiait. Il s'arrachait les cheveux bruns parsemés de blanc sur l'énigme de l'objet couleur suie. Depuis cette fameuse nuit, l'œuf n'avait montré d'autres phénomènes merveilleux, il se contentait, à l'obscurité quand la lumière lunaire le caressait, de laisser danser les aurores boréales sur sa surface.
Un matin, dont le noble ignorait la date, Shade pointa le bout de son nez par le bayement de la porte du bureau. Carthew somnolait sur sa chaise, il venait de passer une nuit blanche à marmonner des insanités que son isolement provoquait.
— Tiens, vous revoilà. Je pensais que vous m'aviez abandonné pour cet aristocrate cupide de Talbot, cracha le nanti, entre rêve et réalité.
— Avez-vous encore tâter un peu trop de vos alcools ? demanda Shade, calmement.
Il s'approcha de William qui n'arrivait toujours pas à faire la différence entre le matériel et l'onirique. Il se débattait dans les brumes du sommeil que le Scotch emprisonnait jalousement. Le maraud plaça une de ses mains glaciales sur le front fiévreux de Carthew, le contact le fit frémir, mais eut le mérite de le ramener dans le monde des réveillés.
— Êtes-vous enfin maitre de vous-même ?
Le baronnet grommela une réponse qui satisfait son compagnon, celui-ci sourit sous cape. Sans attendre l'autorisation de William, Shade attrapa le siège en velours bleu nuit sur le tapis, le rapprocha du bureau pour s'y assoir lourdement. Les lèvres toujours en croissant de lune, il épiait le noble qui reprenait peu à peu la contenance de son rang aristocratique.
— Veuillez oublier ce à quoi vous venez d'assister !
— De quoi parlez-vous ? questionna le maraud avec un sourire encore plus large qui dévoilait deux rangées de dents impeccables, bien que jaunies.
Carthew, un sourcil relevé, constata qu'il n'avait jamais vu Shade exprimer autre chose qu'un visage austère et à de très rares occasions, de l'émerveillement camouflé. Suspicieux, il tâtonna le terrain pour comprendre l'engouement trop visible de son acolyte.
— Que me vaut votre visite sauvage ?
Le rictus de Shade disparut, le sérieux marquait les traits de son visage, mais dans ses yeux verts, un éclat d'amusement persistait. Il se pencha, les coudes appuyés sur ses cuisses, il susurra au noble :
— Après de longues recherches, je pense avoir déniché une solution à votre... souci oculaire.
Piqué à vif, le baronnet en oublia ses réticences et arqua son buste vers le maraud pour écouter ce qu'il avait à raconter.
— Dans les bas-fonds de la ville, le surnaturel côtoie plus aisément les humains ivrognes et séniles. Grâce à vos propres recherches, il m'est plus aisé d'identifier ce qui sort de l'ordinaire. En laissant trainer mes oreilles, j'ai entendu parler de choses qui en feraient pâlir plus d'un, mais qui pour nous, regorgent de merveilles.
Il s'arrêta, observa d'un œil doré le noble. Attisé par l'appât de Shade, Carthew se dandina d'impatience sur son siège. La prestance de son titre avait disparu dans les gestes enfantins qu'il esquissait sous la jouissance d'une telle découverte.
— Continuez, je vous prie !
— Des rumeurs circulent qu'un marché noir avait vu le jour dans un entrepôt abandonné. Mais, ce qu'on y trouve n'a rien de pareil dans les autres lieux clandestins qui fleurissent. Les ivrognes parlent, à ceux qu'ils veulent bien les écouter, de plumes de phénix, de crins de licorne et j'en passe.
William ne tenait plus sur sa chaise, il gesticulait comme une anguille gluante qu'un pêcheur chevronné agrippait désespérément.
— Où a lieu un tel marché ?
— Je suis désolé de vous décevoir, mais...
Le cœur de Carthew rata un battement. Son esprit baignait dans un doute immense donc la phrase « Il ne sait pas. » naviguait avec fierté. Il était accroché aux lèvres de Shade qui s'étaient scellés avant la fin de son propos, cherchait-il une tournure qui lui ferait passer la pilule ?
— Mais, reprit-il après une éternité terriblement longue, vous ne pouvez y aller vu votre « anomalie ».
Il désigna du menton le visage du baronnet qui mit un temps avant de comprendre l'allusion à ses yeux. Il pesta sans retenue, lui, qui désirait tellement mettre les pieds dans ce marché si riche d'informations, le voilà, encore écarté.
— Ne vous inquiétez pas, je suis encore votre ombre pour cette fois.
Après le torrent d'obscénités, le cerveau de Carthew se remit tout doucement en marche. Il se redressa dans son siège, toisa de ses yeux taupe le maraud qui lui faisait face.
— En quoi un marché surnaturel va m'aider à cacher mon « anomalie » ?
Un sourire en coin se dessina sur les lèvres de Shade qui se redressa lui aussi.
— J'attendais que vous me posiez la question. Je me suis permis d'y faire un tour par pur recherche. J'y ai rencontré des êtres qui se disaient sorcières ou magiciens. Ce qui m'ont laissé entrevoir de leur capacité, m'a bien fait comprendre que je n'étais pas en présence de charlatan.
Il marqua encore une pause pour que l'imprégnation de ses paroles entre bien dans le crâne du noble.
— Ce monde-là n'en est pas un sûr pour que vous vous déplaciez en personne. Il regorge d'êtres infâmes qui n'hésiteront pas à vous détrousser et peut-être même vous tuer. Ils laissent les humains les côtoyer pour qu'ils colportent des rumeurs sur leur existence, bien que les autorités les voient comme de simples charlatans dégénérés sous le même rêve d'opium. Ces surnaturels doivent être la racaille du Merveilleux pour agir de la sorte, vous ne perdez rien.
— Soit ! Revenons à ma solution.
— J'y viens, j'y viens, mais je pensais, par prudence, vous avertir.
L'œillade que Shade lui renvoyait était claire. Il le dissuadait proprement de revoir ses envies d'escapade dans les bas-fonds à la recherche de ce fameux marché.
— Parmi tous ces gens, une demoiselle m'a offert un parchemin qui risque de vous intéresser fortement.
Il chercha dans sa sacoche ladite feuille qu'il tendit à Carthew. Celui-ci, après l'avoir pris sèchement dû à l'indigestion des avertissements du maraud, déroula la page avant de se plonger dans une lecture assidue.
— Ceci est une recette pour une potion de dissimulation. Est-elle efficace ? demanda le baronnet, en fixant au travers de ses lunettes d'appoint Shade au-dessus de la feuille.
— Elle m'en a assuré l'efficacité.
— Et, je présume que tous ses ingrédients incompréhensibles ne sont trouvés que sur son étal dans ce marché surnaturel ? articula-t-il, très distinctement, chaque mot
— Pas tout à fait, pour la plupart, ce sont des ingrédients courant dans ce marché.
— Comment en êtes-vous sûr ? questionna William d'un ton suspicieux.
— Elle a eu la gentillesse de me décrire tous les ingrédients et de me faire part de leur lieu d'achat.
— Je présume que nous allons devoir attendre le prochain marché pour les acheter...
— Vous présumez mal, Sir.
Carthew réenroula le parchemin lentement. Ses yeux faisaient des allers-retours entre ceux de Shade et la sacoche sombre qu'il portait en bandoulière sous sa longue veste.
— Avec quel argent avez-vous pu vous procurer les ingrédients ?
L'homme ne répondit que par un sourire donc les dents légèrement jaunies, mais en bon état, se dévoilèrent. Carthew ne réitéra pas sa question, Shade laissait présumer par son silence que le noble n'apprécierais pas d'en connaitre les circonstances de sa soudain rentrée d'argent.
— Qu'attendons-nous pour la préparer dans ce cas ? interrogea William.
— Bien que j'aie en ma possession les ingrédients, il nous reste à nous quérir du matériel pour la confection. Et surtout...
Qu'avait donc ce malotru à s'interrompre constamment pour faire languir Carthew de ses révélations ?
— Surtout, nous devons attendre cette nuit. La pleine lune doit nous accompagner lors de la création de l'élixir.
Ce fut sur cette révélation que Shade prit congé du noble aussi silencieux qu'un courant d'air. S'il avait été un être du Caché, le nanti l'aurait vu parmi le peuple du vent : tellement silencieux, mais pouvant retourner une ville sans dessus dessous à la moindre contrariété.
Le Sir écoutait, aucun son ne parvint du couloir, un vrai souffle d'alizé. William se demandait constamment par où le maraud passait pour rentrer dans sa demeure sans alerter les domestiques. Rarement, Alfred avait connaissance de la rencontre entre les deux hommes.
〰️
L'attente fut atroce pour le noble. Inquisitrice du temps, l'horloge délivrait son tic-tac incessant, narguant l'impatient. Il supposait même qu'elle ralentisse consciemment la tournée de ses aiguilles pour le faire languir et soupirer. Carthew accompagnait la mélodie affligeante du mécanisme par la musique de ses ongles contre le bois.
Il se leva pour la énième fois de la soirée et marcha en cercle dans sa salle d'étude. Il marmonnait des paroles disgracieuses à l'encontre de Shade qui n'avait toujours pas pointé le bout de son nez. William se planta soudain au coin de la fenêtre, dos à la bibliothèque. La lune ronde et haute dans le ciel se voila de quelques nuages passagers. Une nuit claire s'offrit à la vue de nanti qui n'apercevait de ses yeux que les flammes des réverbères et les rares passants dans la rue.
— Avez-vous tout le matériel ?
La voix limpide de Shade brisa le silence nocturne de la pièce. Carthew fit un bond et se retourna vers le visage austère de son acolyte qui niait la réaction du Sir. Ce malandrin, tel un vent sauvage arrivé sans crier garde, allait l'achever à rentrer dans le bureau sans bruit.
D'un pas mécanique, le noble se dirigea vers la haute plante qui faisait le coin après la fenêtre. Là-bas, Alfred y avait déposer dans une caisse les ustensiles qu'il avait dégoté de la journée pour leur atelier d'apprenti-sorcier.
Le bureau dégagé de toute sa paperasse servit de table de laborantin, Shade y déchargea les tiges de plante sèche, les fioles et paquets de sa besace. Carthew les observait d'un regard admiratif.
Mal habile de ses mains pour une telle expérience, le baronnet laissa son acolyte à la confection de la potion sans en perdre une miette du déroulement. L'homme de main commença à faire bouillir de l'eau sur le bec brûleur difficile à dégoter, puis il s'attela à couper un amas de filaments de racines nettoyées de sa terre qu'il mit à infuser quand des bulles se propagea à la surface du liquide.
— Il n'y a plus qu'à attendre et nous aurons du Sėktes... c'est une infusion de racine d'herbe-du-loup, ce que m'a expliqué la vendeuse, rajouta Shade devant la mine interrogatrice de Carthew.
Dans le bocal en grès, le maraud y versa un soupçon de lait de chèvre traite une matinée de pluie et conservé grâce à des herbes surnaturels pour que le liquide ne tourne pas. Il demanda à Carthew de lui apporter le plus petit flacon de verre. Intrigué, le noble le débouchera et porta son nez à l'orifice pour y percevoir le parfum du liquide jaunâtre.
— Imprudent, le sermonna Shade, en lui arrachant l'objet des mains. Ceci est du venin d'hypnalis, une goutte et c'est la morte assurée.
Le nanti blêmit et bégaya une réponse donc le maraud entreprit de rétorquer :
— Le lait de chèvre atténue l'effet du poison, nous en tirons que les effets que nous désirons sans y mettre votre vie en danger. Ce procédé se nomme : Ẵasptạtiķ. Pendant ce temps, réduisez les feuilles séchées d'hyoscyamus dans le mortier en pierre à l'aide du pilon, ensuite, quand vous avez obtenu une belle poudre, vous ajoutez progressivement un peu de sa sève, que voici, pour réaliser une pâte d'Yptẹr.
De son côté, le noiraud s'attelait à filtrer une solution, l'huile d'oliette, où des minuscules grains noirs de papaver nigrum y nageaient pour obtenir le fameux Hớlpidặn. Il expliqua chaque démarche pour assouvir les penchants curieux de Carthew.
Shade disposa ensuite les sept ingrédients finaux devant lui : en plus des précédents, une poudre noire faite à partir d'une plume de nycticorax qu'il nommait Ŭłx՞ΐ, un liquide verdâtre, la Blǽvǿj, à base de mucus d'un bufo luchunnicus cornu et le Myāliptìs, une petite pierre confectionnée grâce à des épines d'un velue réduites et fondues par son propre feu. L'apprenti-apothicaire les mélangea ensuite dans un récipient en suivant méticuleusement les indications sur le parchemin sous la seule lumière lunaire qui traversait la fenêtre du bureau.
Carthew n'avait aucune connaissance de tous ces plantes et animaux. Son imagination fleurissante les esquissait dans son esprit, le faisant rêver à ce monde qu'il désirait tant découvrir. Les végétaux prirent une forme et couleur hors normes tandis que les animaux furent un mélange d'espèces exotiques dont il n'avait vu que des croquis dans un livre.
Lorsque Shade eut fini, il présenta au baronnet une fiole remplie d'un liquide verdâtre à l'allure abject. Quand le nanti ouvrit le capuchon en liège, une odeur pestilentielle s'en dégagea au point que Carthew dût se boucher le nez et ventiler devant lui. Il avait l'impression que la mixture avait accueilli l'eau infecte de Londres après des semaines de macération. Répugné, le Sir ne put réprimander une grimace de dégoût.
— Suis-je supposé le boire ? demanda-t-il.
— Pas tout de suite, répondit le préparateur d'un ton sérieux.
Horrifié, Carthew se sentit nauséeux, il aurait préféré que Shade le contredise en lui expliquant d'une application sur ses yeux suffirait. Le maraud, toujours assidu, lui expliqua sur sa lancée les dernières démarches à suivre :
— Vous devez la conserver dans le noir total pendant un cycle entier. Lors de la prochaine pleine lune, elle sera enfin prête à sa consommation.
Révulsé de devoir un jour boire cette mixture immonde, le Sir ne se rendit point compte du temps long à patienter. Comme un automate, il plaça la flapule dans le lieu le plus sombre de la pièce. Il entreprit de ficeler les poignées pour ne point avoir l'envie de l'ouvrir, puis il se retourna vers Shade en demandant :
— Combien de temps vous m'avez dit ?
— Un cycle de lune entier.
Serrant des dents, le temps demandé était bien trop interminable pour le baronnet. Comment pouvait-il expliquer à ses confrères de la noblesse, et surtout au vicomte Elder, son absence si prolongée ?
En proie avec ses soucis sociétaux, Carthew ne vit point Shade quitterle bureau.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top