Chapitre 2 • Séparation à l'amertume d'un adieu
Les rues étaient peu fréquentées, quelques rares passants se baladaient, des étudiants tiraient leur lourde valise dans une même direction : la gare de Louvain-la-Neuve, au cœur de la ville. Les roues laissaient dans leur sillage le vrombissement contre les pavés qui brisait la quiétude du silence. Le soleil déclinait et inondait le paysage d'une lumière tamisée par de lourds nuages grisâtres. La fin d'après-midi débutait seulement.
Bastet s'était faufilée dans le col de mon manteau pour se garder du froid mordant. Elle continuait à ronronner, me permettant de prolonger l'état de planer dans les effluves de la béatitude. Prisonnier de ses griffes, je marchais d'un pas plutôt léger vers l'immeuble de mon kot. Les regards inquiets de Jarys effritait peu à peu la bulle dont le félin me maintenait. Une boule d'angoisse jouait avec mes tripes, elle grandissait pour s'emparer de tous mes membres et les pouvoirs mystiques du Chat Noir parvenait difficilement à la contrer.
Arrivé devant le bâtiment en brique, mes yeux se posèrent sur la fenêtre de notre commun. J'étais tourmenté et des slaves de calme pulsaient et se battaient bravement contre la tempête qui faisait rage dans mon corps. Spectateur, j'étais impuissant face au duel. Je respirai un bon coup pour reprendre un semblant de maitrise sur mes émotions.
Quand nous fûmes dans la cage d'escalier, Bastet sauta de son promontoire avec grâce et souplesse et m'abandonna dans ma tourmente. Je perdis quelque peu l'équilibre sous les assauts bestiaux de mes affres. La rampe me fut d'un secours réconfortant. Je fermis les yeux et pris quelques minutes pour remettre de l'ordre dans mes idées. La chatte me narguait, quelques marches plus hautes, de son regard de jade, elle poussa un miaulement qui traduisait clairement son mécontentement. Puis, elle se leva, nous présenta sur arrière-train avec dédain et s'engouffra dans l'entrebâillement de notre kot.
Résolue à accomplir sa mission jusqu'au bout, Bastet nous attendit dans le couloir, à notre arrivée, elle se dirigea d'un pas sensuel vers l'accès de ma chambre. J'échangeai un dernier regard avec Jarys avant de pousser entièrement le battant de la porte.
Assise sur ma chaise de bureau, ma mère, Leandre, nous offrit un accueil froid alors que le félin ronronnait bruyamment, en se frottant contre ses mollets. Grande et élancée, elle ne pipa aucun mot, son corps parlait pour elle. Droite dans le siège, sa longue chevelure noire retenue par une queue de cheval haute, les traits sévères de son visage, les jambes croisées ainsi que les mains jointes sur les genoux, elle exprimait distinctement son désappointement.
Cette petite chipie de Bastet avait dû lui relater mes souffrances et ma perte de contrôle sur mes émotions qui avaient froissé ma génitrice. Ses yeux sombres me transperçaient et analysaient le moindre détail de ma posture. Figée comme une statue grecque, ma mère serrait tellement fort ses lèvres charnues qu'elles ne formaient qu'une ligne.
Quand elle se redressa, tous ses mouvements étaient imprégnés d'une aura sauvage, mais calculés avec une précision chirurgicale. Sa peau halée lui assombrissait son regard glacial donc les iris, sous de forte émotion changeait subtilement de teinte. Un rai de lumière embrasa ses prunelles qui miroitaient d'un vert-jaune, proche de ceux de son Familier. Tel un prédateur, elle me jugeait pour prendre connaissance de la valeur du morceau.
La bouche sèche, je n'eus pas le temps de m'exprimer qu'une voix familière nous parvint du fond du couloir.
— Fiston !?
Heureux d'une libération, je m'empressai de partir à la rencontre de mon père pour échapper au regard accusateur de ma génitrice. Une tête coiffée d'une chevelure châtain clair coupée court impeccablement dépassait du chambranle de la porte des communs quand je m'approchais. Ichabod m'accueillit avec un large sourire, en m'attrapant les épaules, tout le contraire de ma mère.
— Bonjour, Jarys ! Comment vas-tu, mon garçon ? Les études se passent bien ?
— Bien, bien... avec Alaric à mes côtés, j'm'ennuie jamais.
Mon père reporta ensuite son attention sur ma personne. Il m'observait de ses yeux ciel, la continuité de sa peau blafarde qui lui donnait un air maladif adouci par ses traits fins. Pourtant, il respirait la vitalité par tous les pores de sa peau. Ses origines Sylphes transparaissaient sur son enveloppe charnelle humaine ; s'il se laissait trop emporter par ses émotions, son épiderme devenait translucide où apparaissait son système sanguin. Un aspect assez perturbant pour les Ignorants.
Je dus lever les yeux pour affronter le regard de mon paternel. Légèrement plus petit que lui, j'étais déjà assez grand par rapport à la normalité. Avec de tels parents, je ne pouvais pas être une crevette et dépassais Jarys une petite tête.
— Tu aurais pu être un peu plus présentable, souffla mon père après son examen de mon physique. Regarde tes cheveux, ils auraient besoin d'une bonne coupe !
Qu'est-ce qu'ils avaient mes cheveux ? J'attrapai une mèche rebelle châtain foncé pour attester de sa longueur ; mi-long, ils n'arrivaient toujours pas à mes épaules. En revanche, les pointes laissaient à désirer, plus le temps de passer sous les mains d'un coiffeur. Les standards de mode de mon père n'étaient pas les miens, il aspirait tellement de me voir arborer la même courte toison que lui. Il n'avait toujours pas conscience que la mode était en perpétuellement changement.
— Tes affaires sont prêtes ?
La voix cristalline de ma mère se montra coupante comme à son habitude. Rare étaient les moments où elle ne bridait pas ses émotions. Elle avait eu une éducation assez stricte où le maître mot était contrôle de soi, révéler un soupçon de sentiment était considérer comme une faiblesse. Elle avait essayé de faire de même avec moi, mais mon père avait fait pencher la balance. Malgré son austérité légendaire, je savais qu'il se cachait un cœur tendre qu'elle se permettait de dévoiler partiellement quand nous étions que tous les trois.
— Presque bouclée, il me reste juste à mettre deux-trois trucs.
Elle nous dépassa de sa démarche souple, Bastet sur ses talons, et entraina son époux dans son sillage. Son parfum boisé planait dans le couloir, j'avais toujours aimé cette odeur réconfortante.
— Laissons-les, Ichabod, je dois te parler des derniers détails.
Quelle douce prévenance. Elle me permettait de passer encore quelques instants avec Jarys. Il fallait toujours lire à travers ses paroles, car ce n'était pas dans sa nature d'être explicite sur ses attentions.
— Ta mère me fait toujours autant flipper !
— Normal, tu es plus sensible que la moyenne des humains, surtout que c'est accentué avec ta bague. Le côté sombre des Nahulas est d'autant plus présent quand elle est contrariée, lui expliquai-je encore une fois.
— Mouais, mais pourquoi j'ai pas ça avec toi alors ?
— Peut-être parce que je ne suis pas entièrement Nahula, j'ai une part de lumière avec mon sang de Sylphe.
Très rare était les Ignorants qui captaient l'aura des Surnaturels, même pour nous, ce n'était pas aisé. J'arrivais à différencier un humain d'un être du merveilleux, mais j'étais médiocre pour connaitre leur essence. Tout ce que je ressentais était leur origine : la lumière ou l'obscurité. Elles se côtoyaient sans mal, vivant même en cohérence ; les actes de bien et de mal n'étaient pas dû à la source de la race. Pour nous, ceux qui perturbaient l'harmonie étaient les Ombres. Ils avaient tourné le dos à la raison, et s'amassaient sous les idéaux de Toūt, formant : l'Ordre des Ombres.
Pourtant, leur présence était indispensable pour l'équilibre du cosmos. Le jour où mon père m'avait déclaré cette évidence absurde, je n'en avais pas dormir de la nuit tellement à me turlupinait. Je ne comprenais pas en quoi leur existence était si nécessaire. N'était-ce pas la mission de la Compagnie de les éradiquer ? Tant que les Ombres subsistaient, la paix dans le Monde Caché ne prospérait pas. Ichabod n'avait jamais voulu répondre à mes questions, me laissant le soin de les trouver par moi-même.
Jarys me parlait des futilités qui cachaient son malaise de mon départ pendant que j'emballais mes dernières affaires. La conversation s'orienta sur la présence de neige tant espérée et non apparue en Belgique tandis que moi, j'aurais la chance d'une vision blanche à perte de vue. Le ciel grisonnant de la ville ne désirait pas déverser un seul flocon, un bel hiver blanc nous narguait comme depuis plusieurs années.
— Je croise les doigts pour un Noël blanc cette année.
— Ne rêve pas trop, Hiver n'est pas enclin à nous faire plaisir cette année, lui répondis-je machinalement.
— Pourquoi Natūre est-elle si capricieuse ?
Je relevai le bout de mon nez de ma valise pour arrimer mes yeux noisette dans ceux cyan de mon ami, puis je repris d'une voix sérieuse :
— Tu n'as pas une petite idée sur la question ?
Il fronça des sourcils. Après une longue réflexion, où à plusieurs reprises, il ouvrit sa bouche puis la referma comme un poisson, il se lança avec perplexité :
— Mh ! À cause de l'homme et sa maladie destructrice de son environnement ?
— Par ses origines liées à la faune et la flore, peut se montrer capricieuse mais les humains sont au centre de bien des conf...
Le chant des verres parvint à nos oreilles. Intrigué, je regardai autour de moi. Le fond de ma bouteille d'eau posée sur mon bureau ondulait à la suite des vibrations qui secouaient toute la chambre. Jarys murmura son inquiétude sur la situation particulière. Concentré, je déposai une main sur le sol et me connectai à la Trame, filaments d'énergie qui reliaient toutes choses.
— Un simple rappel à l'ordre... murmurais-je.
— Un rappel à qui ? C'est pas un simple tremblement de terre ?
— De source magique.
Son silence en disait long, il attendait que j'approfondisse mes explications car il était perdu sur la situation qui se présentait à lui. Jarys était curieux concernant le Merveilleux, j'avais toujours veillé à ne pas lui fournir plus que nécessaire pour ne pas attiser son vilain défaut de fouiner. Pris au piège, je ne pouvais le laisser plus longtemps dans l'ignorance.
— Les Jumeaux ont dû encore faire des siennes. Leur mère a exprimé son mécontentement face à leur éternel dispute. Nous le ressentons comme un séisme, mais le message est passé.
Entre Flore et Faune, l'harmonie n'existait plus. Les enfants de se querellaient depuis des centaines d'années, voire bien plus. Les Surnaturels n'avaient pas ou plus connaissance de la raison originale de cette confrontation. Elle prenait une telle ampleur que même les êtres du Merveilleux qui dépendaient de l'un ne piffaient plus ceux de l'autre. Des tensions montaient au sein des nôtres, accentuant les mésententes déjà présentes.
Seule Natūre pouvait mettre fin aux dérives de sa progénitures, mais son attention était portée sur une tout autre menace. L'Entité grondait de temps en temps quand ses enfants exagéraient, puis elle s'en détournait. De bonnes remontrances et instaurer un dialogue pour les apaiser n'étaient pas dans son programme. Certains Surnaturels ne comprenaient pas ses motivations, voulait-elle notre perte ?
Je bouclai ma valise sur cette pensée. La main sur la fermeture éclair, j'avais des difficultés à me résigner de mon départ. Ma bouche s'assécha subitement.
— J'aurais aimé me débiner, mais fuir le problème n'est pas une solution.
Jarys me confirma de la tête. Silencieux, les traits fermés, il était tout aussi conscient que ce voyage me changerait à jamais et je ne pouvais le contredire pour le rassurer, ça revenait à mentir.
Quand nous fûmes lever, il me prit dans ses bras. Tout en me tapant dans le dos, il exprima à mon oreille son envie que je revienne vite et en bonne santé. Je ris nerveusement, en lui garantissant que je ne comptais pas partir guerroyer.
Son côté humain me fit prendre conscience de notre différence. J'ai vécu mon enfance dans l'insouciance des Ignorants, ma vie de Surnaturels me rattrapa. Jamais je ne pourrais être autre chose qu'un fils du Caché.
On toqua à la porte ce qui nous surpris tous les deux. Ahuris comme deux voleurs pris en flagrant délit, nous regardions suspicieux le battant fermé. Une voix aigüe nous parvint :
— Il est l'heure de partir, je ne permettrai pas que nous rations l'avion.
Le ton était tranchant et me houspillait de me hâter. Résolu, j'attrapai ma valise et me dirigeai d'un pas lent vers ma potence.
Dans la rue, j'attrapai l'avant-bras de Jarys, il fit de même sa main presque à la jonction de mon coude : notre poignée de main depuis l'enfance. Elle avait la coutume de nous redonner courage quand nous doutions. Les yeux dans les yeux, je me gorgeai de la force de mon meilleur ami pour avancer.
— À dans deux semaines, me lâcha-t-il tristement avant de s'éloigner.
Je me détournai de lui après une brève réponse de la tête. Les mots me manquaient. Je suivis mes parents, ma valise à ma suite, elle me semblait bien lourde à tirer sur les pavés. Un dernier regard en arrière, j'aperçus Jarys comme un piquet planté au milieu de la rue, se confondant avec les lampadaires.
Je m'étais fait une promesse : protéger mon ami d'enfance de la Compagnie de la Rose Noire, et maintenant, je sentais son poids. Ses connaissances sur le Monde Caché l'avaient toujours mis en danger. Pour les prochains jours, je devais feindre l'ignorance de sa subsidence.
Un fardeau supplémentaire affaissa mes épaules. Mon passage à la majorité sonnait avec responsabilités. Celles qui incombaient en tant qu'apprenti Haut-Chevalier. Je savais qu'à partir d'aujourd'hui, je ne pouvais plus passer autant de temps avec mon meilleur ami.
Vouté comme j'étais, je n'avais plus qu'à redresser la tête pour affronter ma destinée, le regard étincelant d'une nouvelle détermination. Seul une phrase qui trottait dans ma tête en boucle me maintenant fier et droit : Je l'ai choisi !
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