Chapitre 2 • Des plaines au manteau blanc charmeur
À chaque respiration, ma cage thoracique se soulevait difficilement. Un éléphant était venu s'endormir sur moi ou quoi ? Je levai un bras. Ce simple geste m'arracha un cri de douleur. Au moindre mouvement, la douleur fusait dans l'entièreté de mon corps tandis qu'une migraine me plomba le crâne. Le poignard s'enfonça continuellement dans mon crâne. Je me laissai choir en grommelant. C'était bien la seule chose que je puisse encore faire dans ma situation déplorable.
J'observais le plafond. La pénombre m'empêchait de détailler en profondeur mon environnement. Seul la roche qui nous entourait m'était visible. La brise glaciale qui entrait par coup me perforait jusqu'aux os et confirma mes doutes que nous étions bien plus au nord que la Bretagne.
J'étais déboussolé. Mon cerveau avait dû mal à agencer les pièces du puzzle qui m'échappait constamment. Le bruit des gouttes d'eau qui s'échouaient au sol n'arrangeait rien. Il était amplifié par mes oreilles sensibles qui encourageaient ma migraine à cogner plus fort.
L'angoisse me prit à la gorge. Et si nous étions pris au piège par nos poursuivants ? Des poursuivants ? Dans quoi m'étais-je encore embarqué ? Mordant sur ma chique, je me relevai sur les coudes pour ensuite, adosser mon dos contre la paroi froide. La douleur poignardante me martela la tête. La nausée me souleva des hauts-de-cœurs tandis que je dus me retenir de hurler face à mes nombreuses courbatures.
Le visage endormi d'Eulalia reposait au bord de ma couche improvisée. Ses traits étaient tout détendus et ne trahissaient aucune anxiété de notre captivité possible. Des mèches de cheveux formaient un rideau pour ses joues rosies. Ensuite, je recherchai des yeux la dernière personne de notre groupe.
Aucuns souvenirs ne faisaient toujours surface dans ma tête. Mon dernier remontait à notre course effrénée pour échapper à... à quoi déjà ? Après, le flou total.
Dans un renfoncement de la roche, deux globes luisaient à la faible lumière qui se dégageait maintenant d'une faille. Ils me fixaient avec une certaine méfiance et colère. J'eus un hoquet de frayeur et cherchai d'une main une arme potentielle. La créature s'avança et poussa des grognements rauques. Ma respiration s'accéléra sous l'adrénaline tandis que je ne trouvais rien d'intéressant qu'une pierre pour me défendre.
À la lumière, je détaillais les contours de la silhouette. Immobile et accroupie, la jeune Charmuzelle me foudroyait du regard.
Je poussai un soupir de soulagement.
— Alfdis ! Tu m'as foutu une de ces peurs...
Dans ma poitrine, mon cœur commençait à battre plus calmement.
— Sais-tu où nous sommes ?
— Tu ne te souviens donc de rien ? Quelle poule mouillée ! feula-t-elle.
Mes souvenirs me revenaient par bribe avant de m'échapper aussitôt. Tout n'était qu'incohérence ou trop flou et la migraine n'arrangeait en rien. Ma tête était une lessiveuse en pleine action à m'en donner le tournis.
Quand je détaillai le visage de la biche, ses crispations annonçaient sans un mot une nouvelle de plus amer à encaisser. Qu'est-ce qui s'était encore passé ?
— Notre course poursuite dans les Landes ? Tu ne te rappelles vraiment de rien ?
Je lui confirmai.
— Ni de la Chasse Sauvage ? murmura-t-elle avec méfiance.
L'entendre évoquer la mission punitive de la Compagnie raviva des frissons tout le long de mon échine. Les cors résonnaient à mes oreilles et la peur agrippa mes tripes. Oui, les souvenirs refaisaient doucement surface alors que mon esprit refusait de voir la réalité en face.
—Tu nous as incité à détaler comme des lapins pour ensuite nous hurler que la Chasse Sauvage était à tes trousses, commença-t-elle à m'expliquer avec rancœur. Nous courions dans les landes aux alentours de Brocéliande à l'aveuglette dans la brume. Tu as perçu la voix de Morgan apportée par le vent. Sans elle, nous serions cuits, enfin toi plutôt.
— Tu ne te rends même pas compte...
Elle ne me laissa pas le temps de finir. Sa voix monta dans les aigus d'exaspération, me poignardant plus en profondeur le crâne migraineux. Je me massai le front entre mes sourcils.
Et là, je compris. La douleur lacérante transperça ma chair du poignet. Un Rameau. J'avais eu une séance d'écriture à la vue de tout le monde. Je déglutis. Ma salive était épaisse dans le fond de ma gorge. J'essayai de paraître à l'écoute de la Charmuzelle, calme et serein.
— Nous l'avons retrouvé aux cercles de pierres. Elle était inquiétée... Sans explication, elle nous a fait voyager à travers l'énergie tellurique. Nous nous sommes retrouvés ici, donc ce monde blanc et hostile. Ça ne ressemble en rien aux montagnes que je connais. Ici, il fait encore plus froid...
— Et Morgan ?
— Elle est repartie après avoir échangé quelques mots avec la Brindille. Il fait bien l'admettre qu'elle était la seule encore sur pieds avec ce voyage dimensionnel.
Son amertume contre la Dryade était féroce. Eulalia m'avait appris que la dualité entre Faune et Flore, les Jumeaux de Natūre, impactait les relations entre les Surnaturels issus de leur fonction. J'avais été choqué des répercussions de ces deux Esprits pouvaient avoir sur nous. Moi qui pensait que ça ne concernaient que la terre, je m'étais leurré depuis longtemps sur leur influence et leur rôle dans les engrenages de nos Mondes.
— Nous sommes loin des menhirs ?
J'avais fermé les yeux pour calmer la migraine. Mais ma soif de comprendre pour que le puzzle se forme était plus grande que mes douleurs et nausées.
— Pas très loin. La Pousse t'a trainée jusqu'ici, car tu étais mal en point. Tu n'arrêtais de vomir tes tripes et tu divaguais complètement. Tu parlais de fin des mondes, d'étoile promise qui sombrait... Depuis lors, une tempête de neige fait rage dehors. Alors la Brindille t'a laissé dormir, mais tu as continué à divaguer longtemps. Il s'est même passé un truc étrange...
Je pus lire dans ses yeux de la peur. Qu'est-ce qui avait bien pu se produire pendant le Rameau pour qu'elle me craigne autant ?
Je bougeai pour me repositionner convenable. Une crête plus saillante de la roche me rentrait dans la cuisse et ça devenait douloureux. Ma migraine se rappela à moi avec ses coups lardants.
— Depuis combien de jour sommes-nous ici ?
Je devais l'éloigner des questions gênantes. Je ne voulais pas la mettre au courant de mon anormalité, ce rôle qui me collait à la peau et qui inciterait tout le monde à me posséder.
— Depuis trois jours.
Étrangement, je ne ressentais rien de particulier à cette annonce. Mes pensées étaient bien trop accaparées par ma révélation d'un nouveau Rameau et l'envie de ne pas me justifier.
Quand je réussis à calmer les battements de mon cœur et que ma tête retrouva un minimum de raison, là, je fus pris de panique. La Chasse Sauvage ! Elle n'avait pas dû attendre que nous nous rétablissions pour continuer sa traque. Ma mère m'avait appris à ne jamais m'éterniser dans un même endroit en cas de poursuite. Il fallait constamment bouger pour flouter les traces.
— Tu sais où Eulalia a mis mon sac ?
Sans un bruit, la Charmuzelle se déplaça pour m'apporter ledit sac en toile. Dedans, j'y retrouvai mes feuilles à mâcher et mes deux fioles de potion encore pleine. Encore une forte migraine et je n'aurais plus le savoir-faire de Vassily pour me soigner.
La lumière commençait à entrer de plus en plus goulûment par la faille. Le soleil pointait le bout de son nez. La grotte avait été creusée naturellement dans le flan de la montagne qui l'hébergeait. Eulalia m'avait installé le plus au fond sur nos couvertures pour alléger la dureté de la pierre. Le tracer de sa poudre révélait qu'elle avait usée de sa magie pour nous éviter le froid mordant de l'hiver nordique. Un feu mourant réchauffait quelque peu l'atmosphère.
Alfdis était retournée à sa place et me dévisageait comme si j'étais devenu un monstre. Elle tournait machinalement les billes de pierre de son bracelet. Quand elle se rendit compte de son geste et de mes yeux qui les détaillaient, elle cacha le bijou sous sa manche. Elle recula ensuite dans l'ombre de la roche, comme un rempart qu'elle irriguait entre nous.
— Que t'est-il arrivé ?
Nous arrivons au point crucial que je redoutais tant.
— Je ne supporte pas les voyages dimensionnels, tout comme toi. Je ne suis pas le seul dans ce cas, alors que me veux-tu ?
— Je ne parlais pas de ça.
— Alors, je ne vois pas ce que tu veux dire. Tu m'as toi-même dit que j'étais inconscient tout ce temps. Comment veux-tu que je sache ce qui m'est arrivé ?
— Après la première journée, tu t'es subitement redressé de ta couche. Assis en tailleur, tu as commencé à faire des signes de la main dans l'air, un peu comme si tu écrivais. Tu marmonnais aussi. Une langue étrange et inconnue. Tu étais inatteignable, aussi bien par nos paroles que tu niais ou physiquement. La Fougère a essayé à plusieurs reprises de t'approcher, mais un vent violant nous repoussait. Elle paniquait et moi, tu m'effrayais. Surtout, tes yeux. Ils était sans vie, complètement blanc. Ils nous transperçaient comme s'ils apercevaient une dimension qui nous était insoupçonnée. Je les vois encore quand je ferme les paupières pour m'endormir. Ils me hantent...
Elle ne mentait pas. Son corps trahissait ses peurs. Elle me craignait, ignorant ce qui m'arrivait. Peut-être qu'on lui avait conté des légendes sur des Surnaturels métis qui se transformaient en monstre s'il refusait de se plier à choisir ?
Je me rendis comptes à sa description qu'être Énonciateur impliquait des énergies mystiques. Quand il le décidait, il m'imposait des séances de force.
— Que t'arrive-t-il ?
Je ne pouvais me résoudre à lui expliquer.
— Je n'en sais fichtrement rien.
Ses yeux me scrutèrent et j'avais la vague impression qu'ils décelaient mon mensonge.
Eulalia remua à mes côtés et choisit ce moment pour se réveiller. Ma sauveuse !
— Alaric ? demanda-t-elle d'une voix vaseuse avant de se frotter les yeux. Alaric !
Elle cria à m'en arracher les tympans pour ensuite me sauter au cou. Elle pleurait de joie de me retrouver indemne et dans mon état normal, m'expliqua-t-elle entre ses sanglots. L'odeur de forêt pluviale se dégageait de sa chevelure. Ce parfum m'apaisait. Alfdis nous lançait un regard écœuré, mais je m'en fichais.
Un rayon de soleil inonda la grotte. Les yeux de la Dryade flamboyèrent de leur brun noisette à la lumière. Elle s'était écartée et m'examinait sous toutes les coutures. J'avais beau lui dire que tout allait bien, elle ne me croyait pas.
— Tu as fini ? Il ne va quand même pas s'envoler, cracha Alfdis d'exaspération.
La Dryade se tourna vers elle et avant qu'elle ne réplique, je calmai le jeu :
— Je ne veux plus entendre de reproches ou de piques, nous avons d'autre chat à fouetter.
— La Chasse Sauvage, commença Eulalia, la voix chargée d'émotions. Qu'allons-nous faire ?
Pour le moment, je n'en savais presque rien. Peu d'options s'offraient à nous. J'avais besoin de temps pour y réfléchir, mais mon cerveau refusait de tourner pour y dénicher une plus viable.
— Leur échapper, je présume. Nous n'avons pas beaucoup de choix.
— Comment ? Nous n'allons pas passer notre vie à les fuir ? Il doit bien y avoir une solution...
Je lui fis non de la tête. La seule pour que le Chasse Sauvage s'arrêter était la mort de celui ou celle qu'elle pourchassait. Et par ma faute, j'y avais impliqué involontairement les deux jeunes femmes. Je m'en mordais les doigts.
Les yeux fermés, je rêvais me réveiller dans mon lit en Belgique loin de ce cauchemar et entendre Jarys y rigoler après lui avoir expliqué. J'étais très loin de cette insouciance. Las, je devais affronter la réalité. Je n'avais aucun autre choix.
— C'est tellement facile pour eux de juger un Surnaturel qui n'a pas passé sa majorité, me lamentais-je.
— Pourquoi tu ressasses cet évènement aussi trivial ? me questionna Eulalia, perplexe par ma déclaration.
Pour les Clans et la Compagnie, c'était plus facile de plier un jugement pour un enfant qu'un adulte. Les mineurs n'avaient rien à redire des décisions prises donc, pour un procès, aucune utilité de leur présence.
La Compagnie avait jugé mon cas sans m'entendre en retour. Elle avait eu un écho et c'était basé dessus sans en connaître les fondements. Quelle absurdité archaïque !
— Tout se serait passé autrement !
— Est-ce si important de s'en inquiéter maintenant ? Cela ne changera pas le passé ! répliqua Alfdis.
— Tu ne peux comprendre ! lui crachais-je. Être majeur apporte tous les avantages. Les Surnaturels prennent enfin au sérieux tes paroles, actes ou autre. Quand tu es jeune, tu es sans jugeote à leurs yeux. À croire que pendant l'espace d'une cérémonie à la noix, ton raisonnement change soudain !
Je fulminais. Pourquoi n'avaient-ils jamais évoluer ? J'avais toujours détesté cette idée et sans réfléchir aux conséquences, je montrais les crocs à celle qui me faisait face. Si elle lâchait la bride de ses émotions, le duel serait fatal.
— Est-ce si important maintenant ?
Elle était si calme à me regarder cracher toute ma colère. Que cherchait-elle à me faire comprendre ? Ma tornade passa et mes idées revinrent plus éclaircies.
— Je n'ai aucune voix. Je suis insignifiant comme toujours, murmurais-je.
Peut-être qu'une part de moi avait toujours été égoïste. Peut-être que si j'avais pu rentrer dans les rangs, je n'aurais pas eu à subir tous ses malheurs. Je regrettais de ne pas être modelé pour la normalité. Je ne voulais plus être considérer comme une anomalie aux yeux de tous, pour ce fait, j'avais envie de choisir qu'une seule espèce. Un sale désir de m'effacer. J'en prenais enfin conscience.
Les larmes roulèrent sur mes joues. Je les essuyais du revers de ma manche d'un geste rageur. Je ne supportais pas cette fatalité.
— Les Anciens ne sont pas les seuls à pourvoir t'octroyer le droit à la majorité, se hasarda de soumettre la Dryade.
Je la détaillais en fronçant des sourcils. Ce qu'elle avançait était incohérent, seuls le Conseil des Clans pouvait accorder ce statut tant désirer. Nos traditions étaient formelles, mais maintenant, avec les dires de La Cendre, je doutais.
— Donc, ça n'a plus d'importance, rectifia Alfdis. Cette préoccupation est secondaire. Elle n'est qu'un cataplasme sur une jambe de bois qu'est ton égo.
Elle en avait de la répartie cette fillette. Son dialogue était même bien trop mature pour la petite sauvageonne. Elle avait changé...
— Plus un mot ! coupa court la Dryade.
Elle observait l'entrée de notre refuge d'un regard soucieux. Sa mâchoire se cisela sous la contracture de ses muscles.
— Tu n'entends pas ? me demanda-t-elle avec des yeux suppliants.
Le vent murmurait des paroles qui me parvenait difficilement. J'entendis vaguement les mots : arbre, message, Morgan. Nous nous hâtions à sortir tous les deux alors que la Charmuzelle ne quitta pas son refus d'ombre.
À l'entrée, j'eus un hoquet de stupeur. Une étendue blanche s'étendait à perte de vue. Les conifères, eux aussi recouverts, perçaient d'ombres l'imposant manteau de neige. Une forte odeur de pin vint chatouiller mes narines. Le vent glacial me cingla le visage. Un tel climat extrême et une flore si caractéristique annonçaient un voyage plus au nord que je le pensais de base.
Après l'admiration, je rejoignis Eulalia. Les yeux clos, elle avait collé son front et posé ses mains contre l'écorce d'un sapin. Je claquais des dents en attendant son verdict. La protection de la grotte n'était pas étendue jusqu'ici et être en possession que d'un simple pull ne me soustrait pas au froid.
Le temps me paraissait long. Quand je me décidai à faire demi-tour par aller chercher une veste, la Dryade récita d'une voix rauque et vague : « J'espère que mon message vous parviendra avant, mes chers enfants. Votre temps est compté, la Chasse Sauvage approche, vous devez fuir. Courage ! »
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