Chapitre 1 • Les cors de la Chasse Sauvage

Sanctuaire de la Rose Noire ~
Une heure avant le commencement de la Chasse

— C'est un esclandre pour nos traditions ! s'exclama haut et fort un Surnaturel bâti comme une armoire à glace.

— Inadmissible !

— Impardonnable !

Les voix fusèrent de toute part. Le même message d'indignation résonnait entre les murs blancs de la salle sphérique. Les mots volèrent et se répercutèrent contre la froidure de la roche pour finir se planter dans le cœur meurtri de la personne la plus impliquée de cette assemblée. Le visage impassible, Leandra écoutait ses collègues avec un calme apparent. À l'intérieur, son corps bouillonnait de révolte aux insultes sur la chair de sa chair.

À ses côtés, son mari était encore bien plus pâle que son habitue sous sa forme de Sylphe. Choqué, il devenait de plus en plus translucide au fil de la conversation au point d'en perdre ses contours. Ils se brouillaient telle une apparition lointaine. Il voulut à plusieurs reprises prendre la parole, mais le petit regard sombre enfoncé sous une épaisse broussaille de sourcil du doyen l'en dissuada à chaque fois.

Klaus Valdemon siégeait depuis une dizaine d'année à la plus haute marche de cette assemblée de vigoureux combattants. Le Kludde écoutait chaque personne avec une grand attention. Le menton reposait sur ses mains jointes dont les coudes étaient fermement ancrés sur la table. Une épaisse fourrure d'ours recouvrait son dos vouté dû à sa grande taille. Il en imposait par bien des aspects. Sa carrure trapue en était une comme les flammèches bleues qui crépitaient autour de lui.

Le père d'Alaric regarda Klaus avec insistance. Cette satanée conversation devait cesser et le seul qui pouvait y mettre fin sans tension était le plus âgé de tous. Le Kludde poussa un soupir avant de réclamer le silence sans élever la voix. Celle-ci était bien trop charismatique pour ne pas y prêter attention. Comme par enchantement, les discussions se turent et chacun tourna son regard vers le doyen en attendant sa bonne parole.

— Je pense qu'il faut permettre aux plus « impliqués » dans cette histoire de pouvoir exposer leur point de vue. Nous avons un cas exceptionnel qui ne s'est jamais présenté devant les membres de ce conseil. Un éclaircissement de la part des parents de ce jeune perturbateur ne sera pas de refus. Leandra, Ichabod, je vous laisse la parole.

Serrant les dents, le Sylphe se leva. Épié par les paires d'yeux de ses confrères et consœurs, il pressentait déjà le sort de son fils scellé. Personne ne lui laissera une seule chance de pouvoir défendre sa progéniture. Klaus avait déjà émis son opinion lors de son discours et les autres Hauts-Chevaliers allèrent se ranger du côté de son jugement comme à leur habitude. Mais l'élémantaliste de l'air ne pouvait baisser les bras si rapidement. Il devait tenter le tout pour le tout. Prenant une grande inspiration, il se lança dans sa plaidoirie.

〰️

— Tu as fait tout ce que tu as pu ! le réconforta son épouse en quittant la salle de réunion.

Leandra, elle n'aurait pas eu la patience et la diplomatie qu'Ichabod. Elle avait dû se faire violence pour ne pas étriper ou égorger tous ceux qui s'étaient élevés contre son fils. La magie des Nahulas pulsait dans ses veines et son esprit-animal réclamait du sang frais. Elle se savait dur avec Alaric, mais elle ne supportait pas qu'une tierce personne émettait une opinion aussi abjecte sur sa progéniture sans en connaitre les raisons d'un tel choix.

La mère n'arrivait pas à comprendre une telle trahison des traditions ancestrales de sa chair. Pourtant son instinct maternel lui soufflait qu'il y avait une explication plausible à ce revirement de situation. Elle voulait y croire. Elle pressentait que la rencontre avec La Cendre n'avait pas dû guider les pas d'Alaric sur un chemin facile et orthodoxe.

— Mais cela n'a pas été suffisant ... Pourquoi ne lui laissent-ils pas le temps de s'expliquer ? Pourquoi n'a-t-il pas droit à un procès équitable ?

— Tu as raison, il y a anguille sous roche. Alaric a toujours dérangé par sa mixité. Quelque chose de bien plus grand se déroule et on nous laisse dans l'ombre des propres informations sur notre fils. Klaus en sait plus qu'il nous en a dit... Où es-tu, Alaric ? s'inquiéta une Leandra suspicieuse.

Son mari n'eut pas le temps de répondre qu'une jeune Apsara, Nymphe aquatique d'origine indienne, vint les interrompre. Elle leur apprit d'une voix fluette que le doyen désirait leur parler en privé dans la grande salle.

Le couple se dirigea vers la pièce d'un pas sceptique. Klaus n'avait pas la réputation de pardonner facilement. Qu'est-ce qu'il allait encore leur infliger après la découverte ce matin que leur fils était un des plus grands criminels ? La conversation tournerait déjà au vinaigre dans l'esprit des parents.

Quand ils entrèrent dans la grande pièce sphérique, le Kludde les attendait au centre et leur tournait le dos. Les derniers Hauts-Chevaliers désertaient les lieux en jetant un regard mauvais sur Leandra et Ichabod.

Klaus regardait le sol à quelques pas de la mosaïque de marbre noir et blanc. L'agencement représentait une rose sombre qui commençait à éclore et révéla les prémices de son cœur.

— J'espère que vous avez conscience de l'embarras dans laquelle votre fils nous a mis ? débuta la conversation d'un ton sec le doyen quand ils furent seuls.

Les deux parents restèrent silencieux. Leandra bouillonnait tandis que son époux se dandinait sur ses pieds, le regard ailleurs. Elle aurait tellement voulu cracher tout son venin à la figure du doyen, mais ça n'aurait servi à rien. Elle connaissait l'entêtement du Kludde. Il aurait dû avoir la capacité de se transformer en âne et non en ours, pensa-t-elle.

Elle ne voulait plus le suivre aveuglement. Cette pensée s'imposa à elle et devint une évidence. La mère ne désirait plus se laisser marcher sur les pieds par cet ours mal léché qui n'avait toujours pas digéré une quelconque jalousie envers elle. Son ego avait dû prendre une bonne gifle et la Nahual en ignorait l'origine.

— Vous le jugez sans en connaitre les fondements ! Je ne me souviens pas que la Compagnie était tombée aussi bas, feula la mère.

Le doyen poussa un soupir, mais toute sa musculature se contracta. Après avoir calmé ses pulsions, il se tourna enfin vers les deux parents, deux statues de colère. Sous ses petits yeux menaçants, il s'avança vers eux et s'exclama d'un ton exaspéré :

— Vous croyez que c'est aussi simple pour moi ? Je ne fais que suivre les ordres comme vous... Elle souhaite vous adresser la parole.

Sur ses mots, Klaus s'arrêta à la hauteur de l'épaule d'Ichabod, il observa le couple qui ne lui accorda pas un regard. Il ouvrit la bouche avant de se raviser. Puis il sortit de la salle sans aucun mot, certain que ce n'était plus son rôle et soulagé de ne plus porter ce fardeau.

Le son du claquement de la lourde porte ramena un silence. Leandra et son mari échangèrent une œillade avant que leur attention soit attirée par la faible clarté se dégageant de la rose.

Vous êtes des parents attentionnés, mais vous m'avez juré fidélité ! Ne l'oubliez jamais...

La lumière s'intensifia. Des milliers de lucioles volaient dans la pièce. Étrangement elles n'étaient pas d'une blancheur absolue, car au sein de chaque cœur, une noirceur entachait la pureté. Les petits volatiles se regroupèrent pour former les contours d'un être. Son physique de nitescence empêchait de donner un sexe bien définit. Inconsciemment, tout le monde la prenait pour une femme dû à sa voix aiguë.

L'Esprit de la Rose Noire détailla les deux Surnaturels qui lui faisaient front. Avec un visage impassible, ils n'étaient guère impressionnés par son arrivée. Ils en avaient vu d'autres lors de leur mission pour être choqués ou honorés.

— Vous savez pertinemment que la Compagnie à une place importante dans notre vie, mais celle de parents l'est encore plus à nos yeux, se justifia Leandra.

Les mortels et leur sens de l'héritage... Je ne comprendrais jamais votre résignation ! Alaric a dérogé aux règles établies depuis la création de la Compagnie.

— Oui, mais...

Vous ne comprenez pas qu'il nous met tous en danger, haussa le ton l'Esprit.

Respirant un bon coup, la Nahula savait pertinemment qu'elle devait se calmer avant de prendre la parole. S'énerver ne ferait pas avancer le schmilblick, surtout face à la Rose Noire.

— En quoi présent-il un danger ?

Il brise l'équilibre des Mondes. Depuis le commencement, aucun Surnaturel adulte n'a pu garder sa mixité. Cela va à l'encontre de l'ordre établie par notre Mère ! fut catégorique la Rose Noire.

— Comment êtes-vous sûr de son choix ? Vous ne lui avez même pas laissé le temps de...

Il l'a fait ! Il n'y a plus de machine arrière.

Ses pieds de lumière déambulèrent sur la surface de marbres noirs. Le silence planait, lourd et atroce pour les parents partagés entre devoir et amour. Quelle responsabilité et quelle douleur.

Votre fils n'est plus l'être que vous avez connu. Il a embrassé la cause de notre ennemi, il est passé du côté des Ombres. Il ne pourra plus jamais revenir dans notre Lumière. Ne l'oubliez pas quand vous le reverrez lors de la Chasse Sauvage.

— La Chasse Sauvage... s'étrangle Ichabod.

— Ce n'est pas possible ! Vous nous mentez, hurla Leandra. Alaric ne peut être ce que vous prétendez. Ce n'est qu'un enfant, il... il... Pourquoi une telle sentence ?

La Chasse Sauvage vient d'être lancée. Plus rien ne peut l'arrêter !

Ce furent les derniers mots de l'Esprit avant que sa douce lumière disparaisse. Les lucioles se laissèrent choir dans une danse plaintive sur le sol en mosaïque sombre. La Rose s'était retirée vers sa demeure loin des deux parents prisonniers de leur triste sort.

Choquée, la Nahual glissa les genoux contre le marbre froid de la salle. Ichabod enlaçait celle qui ne pouvait réprimander quelques soubresauts de son corps. Les larmes roulèrent sur ses joues pâles. L'homme lui embrassa le cuir chevelu tandis que les mots restèrent coincer dans sa gorge pour apaiser la détresse de sa femme. Il était tout aussi perdu.

Le verdict était bien plus terrible et impossible à accepter pour cette mère fidèle. Non, elle ne laissera pas les Esprits ou Entités dicter sa vie. Ils allaient lui voler ce qui comptait le plus.

Les yeux brûlants de rage, elle se leva dans un silence et quitta la pièce, son mari sur ses talons.

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