Chapitre 2
C'est l'esprit carrément ailleurs que je file chez ma sœur. Celle-ci m'a invitée à dîner et puisque je ne la vois pas souvent, sa famille et elle, j'ai accepté sa proposition. Je passe à nouveau devant le grand mur et mon cœur se serre, comme toujours. Je crois que jamais je ne m'habituerai à cette muraille.
Ma grande sœur Geneviève habite à environ trente minutes de chez moi. Elle est mariée depuis six ans et a deux enfants, Zoée et Liam, deux adorables petits monstres. Je les adore, mais ils ont tellement d'énergie que je reviens toujours à la maison exténuée.
Je frappe à la porte de l'immense cottage de ma sœur et attends patiemment qu'elle m'ouvre, ce qui ne tarde pas.
— Olivia ! s'exclame-t-elle avec entrain. Entre, ne reste pas là.
Je la suis dans le hall d'entrée et suspends mon manteau à un crochet vacant.
— Euh...tu n'aurais pas pu mettre autre chose, pour une fois ? fait ma sœur en jaugeant ma tenue d'un air désapprobateur.
Comme toujours, j'ai le look de la parfaire jardinière, c'est-à-dire les cheveux attachés en queue-de-cheval avec une salopette en jeans. Le pire, c'est que je ne travaille jamais vêtue ainsi car je ne me sens pas libre de mes mouvements. Je mets plutôt des vêtements de sport, comme des leggings et un débardeur sous une chemise légère. Je préfère porter une salopette pour sortir, c'est un peu ma tenue casual. Mes parents et ma sœur détestent mon look, mais je m'en moque. Après tout, je n'ai personne à impressionner et je vis ma vie comme je l'entends. De plus, je trouve que ça me va bien.
— C'est une soirée chic ou quoi ? interrogé-je en détaillant la robe courte de ma sœur.
Elle a toujours de la classe, même lorsqu'elle est chez elle. Comment fait-elle pour avoir l'air irréprochable chaque fois que je la vois. Je regarde des émissions avec des enfants et c'est toujours le bordel chez les familles. Je la suspecte de vouloir paraître parfaite, mais qu'elle galère lorsque personne ne la regarde. D'ailleurs, elle a engagé une femme de ménage pour l'aider puisqu'elle travaille à plein temps. Son mari, Peter, possède une chaîne d'hôtel et n'est pas souvent à la maison. Je suis même franchement étonnée de le voir ce soir.
— Nous avons un invité, m'informe Geneviève. C'est Simon, le collègue de travail de Peter. Tu verras, il est super sympa.
Je lui jette un regard circonspect. Je rêve ou elle est en train de me matcher avec lui. ?
— Gen, commencé-je, je t'ai déjà dit que je ne voulais rencontrer personne.
— Ne me fais pas croire que tu veux rester seule toute ta vie, m'interrompt-elle. Tu vas bientôt avoir trente ans. Tu ne veux tout de même pas passer à côté d'une vie remplie d'amour !
Je retiens un soupir. Premièrement, je n'ai pas encore trente ans et, deuxièmement, j'ai comme le pressentiment que l'ami de Peter est comme lui, c'est-à-dire un citadin qui ne sait même pas comment planter un arbre. Toutefois, je me tais, ne voulant pas provoquer de dispute puisque je sais à quel point ma sœur est susceptible.
Elle m'invite dans le salon, où je salue mes neveux et les deux hommes qui s'y trouvent. Peter est plutôt costaud et ses cheveux commencent à grisonner malgré ses quarante-quatre ans. C'est un homme d'affaire accompli qui parait sévère, mais qui a beaucoup d'humour, surtout lors des dîners en famille. Il passe son temps à raconter des anecdotes sur son lieu de travail ou ce qu'il entend raconter par les femmes de chambres.
— Un alligator, tu imagines ? dit-il à son interlocuteur. Ils ont retrouvé un alligator dans un bain de la chambre d'hôtel. C'était aux îles Canaries.
— Incroyable ! s'exclame l'autre homme qui doit être Simon.
Je remarque qu'il a les cheveux courts et qu'il est rasé à la perfection. Il a revêtu des pantalons noirs et une chemise bleue en plus d'une cravate.
Je me dandine sur mes pieds, tout à coup mal à l'aise. À côté de lui, j'ai l'air d'une paysanne.
— Olivia est arrivée, annonce ma sœur.
Zoée et Liam me sautent dessus et je peine à garder mon équilibre tandis que mon beau-frère m'adresse un signe de la main. Son collègue, lui, se contente de me dévisager.
— Olivia, je te présente Simon, ajoute ma sœur. Il gère plusieurs hôtels avec Peter.
Je lui adresse un sourire timide, mais il se contente de détourner les yeux et reprend sa discussion avec Peter. Bon...je crois que je n'ai pas fait bonne impression. Pourtant, je ne suis pas laide, mais il n'aime peut-être pas les rousses. J'ai hérité de la chevelure flamboyante de ma mère tandis que ma frangine a hérité de celle de mon père, qui est aussi blond qu'un champ de blé. Autant ils ont une peau mate et foncée, autant j'ai une peau claire et parsemée de taches de rousseur. Lorsque je vais au soleil, ceux-ci s'accentuent, surtout sur mon nez. En plus, mes yeux verts s'éclaircissent, ce que les gens ne manquent pas de remarquer.
En résumé, j'ai un style bien particulier et je me tue à expliquer à ma sœur que l'homme de mes rêves devra m'accepter telle que je suis.
— Nous devrions passer à table, propose Geneviève en s'éclaircissant la gorge.
Elle aussi a remarqué le désintérêt de leur invité envers ma personne, mais je n'en suis point offusquée. Peut-être qu'elle va retenir que je vais me débrouiller seule pour mes futurs rendez-vous.
Le dîner se passe bien et je prends des nouvelles de mes neveux. Zoée a six ans et va à l'école, mais Liam est encore à la crèche. Ils veulent que je joue avec eux, alors, après le dessert, nous désertons la salle à manger et je me rends dans la salle de jeux avec les enfants.
J'ai juste le temps d'entendre Simon s'exclamer : « Quel manque de respect de quitter la table ainsi ! ».
Je prends sur moi pour ne pas lancer un commentaire désobligeant à cette espèce de pompeux. Je ne voudrais pas créer de différents entre lui et mon beau-frère.
Geneviève nous rejoint un quart d'heures plus tard, me révélant qu'elle s'ennuie avec les deux hommes, qui ne parlent que de boulot. Parlant de boulot, je lui raconte la proposition que j'ai eue de la vice-présidente des Civitatem Immortalem.
— Tu ne comptes tout de même pas travailler chez ces saletés de vampires, s'offusque-t-elle.
— Ce sont des êtes humains comme nous, Gen, la corrigé-je.
— Ils vivent la nuit et boivent du sang, argumente ma sœur. Il faut appeler un chat un chat. Et pourquoi les défends-tu ?
Parce que je refuse de croire que Joshua soit devenu mauvais.
— Je crois seulement qu'on les a jugés un peu trop vite. Je suis sûre qu'ils ne sont pas méchants. En tout cas, la dame semblait bien aimable au téléphone.
— C'est pour recruter des fidèles dans leur secte, Olivia. Si tu vas là-bas, tu deviendras comme eux.
— Le sang ne m'intéresse pas, seulement les fleurs.
— Ce sont des manipulateurs. Ils parviendront à te convaincre de devenir comme eux.
— Alors, ils perdront leur jardinière puisque personne ne pourra s'occuper des fleurs. Personne ne jardine la nuit.
— Avec un bon éclairage, oui.
Je lève les yeux au ciel.
— Écoute, je suis une grande fille et si j'ai un contrat de plus, alors tant mieux.
— Et qu'est-ce papa et maman en pensent ?
Je pince les lèvres, embêtée. En fait, je n'avais pas l'intention de les informer de ce petit détail.
— Olivia, gronde ma sœur. S'ils découvrent que tu traverses le mur, ils te tueront.
Elle exagère, comme toujours, mais les connaissant, je crois qu'ils m'enfermeraient dans un cachot pour m'empêcher de me rendre chez les Immortalem. Ils les ont en horreur, bien que je ne comprenne pas pourquoi.
— S'il te plaît, ne leur dit pas, la supplié-je. Il n'y aura pas de problème, je te le jure. Je vais travailler uniquement quelques petites heures par semaine. Et si je vois qu'ils deviennent insistants à mon égard, je reviendrai sur-le-champ.
Geneviève pousse un long soupir, l'air excédé.
— J'espère que tu sais ce que tu fais.
— Mon but est d'embellir la ville, Gen, rien d'autre.
— Et de revoir Joshua, ajoute-t-elle, l'air grave.
Je me crispe, comme toutes les fois où je songe à lui.
— Ce n'est pas mon intention. Nous ne sommes plus amis depuis des lustres, alors je ne chercherai certainement pas à communiquer avec lui.
— Tu n'es pas curieuse de savoir ce qu'il est devenu ?
— Non...
Petit mensonge. Je me demande souvent s'il a réalisé ses rêves, s'il a une femme et des enfants.
Geneviève n'est pas dupe et elle me toise d'un air sévère.
— Petit conseil, Olivia : Tu ne dois, en aucun cas, chercher à le revoir.
— Pourquoi ? Joshua est quelqu'un de bien.
— Était, me reprend-elle. Il a choisi son camp au moment où il a franchi la muraille.
— En même temps, il n'avait pas vraiment le choix. Ses parents ne l'auraient certainement pas laissé ici.
— À ce qu'on dit, la pomme ne tombe jamais loin de l'arbre.
Mais qu'ont-ils tous contre les parents de Joshua ? Sa mère est peut-être la fondatrice de la communauté des Immortalem, mais elle n'en reste pas moins une personne.
— Pourtant, tu sais comme moi que les enfants ne sont pas nécessairement à l'image des parents. Regarde-moi.
Un sourire étire ses lèvres.
— Toi, tu es un cas à part, sœurette, plaisante-t-elle.
En effet, à l'exception de portrait physique, je ne leur ressemble en rien. Autant ils tiennent à tout contrôler, autant je laisse le hasard faire les choses. Autant ils considèrent l'argent prioritaire à leur bonheur, autant je m'en moque. Autant ils jugent les autres selon leur apparence, autant je creuse plus loin et ne me fie jamais à la première impression.
— Plus sérieusement, poursuit-elle, fait attention à toi. Ces gens se trouvent dans cette partie de la ville pour une raison bien précise. Ils prônent leur affreux mélange, cette soi-disant cure de jeunesse éternelle, mais tout le monde finit par vieillir, eux y compris. Peut-être que ce...breuvage va retarder leur dernière heure, mais ils en sont tant obsédés qu'ils ne profitent plus de leur vie.
— Tu généralises, morigéné-je. Les humains ne sont pas tous pareils. Je suis certaine qu'ils vivent une vie aussi ordinaire que la nôtre.
Geneviève secoue la tête de gauche à droite.
— Ils vivent de nuit, précise-t-elle.
— Et alors, Las Vegas et Hong Kong sont des villes très actives la nuit et leurs habitants ne sont pas pour autant des vampires.
— Sauf qu'ils ne boivent pas de sang, eux. Où penses-tu qu'ils le prennent ? Ce job de jardinière est peut-être un prétexte pour s'emparer de ton sang.
Alors là, j'hallucine ! Va-t-elle me proposer d'apporter une croix et de l'eau bénite, tant qu'à y être ?
— Tata Olivia, m'appelle Zoée, aimerais-tu que je te présente mes poupées ?
Heureuse de pouvoir échapper à cette conversation de plus en plus déplaisante, j'accepte et ma sœur lâche finalement l'affaire. Je sens par contre ses yeux accusateurs posés sur moi durant le reste de la soirée. Peter et Simon restent dans la salle à manger et, bien que Geneviève insiste pour se joindre à eux, je trouve un bon prétexte pour rester avec mes neveux. Hors de question que je parle à ce crétin snobinard.
Tout juste avant de prendre congé, Geneviève me met une nouvelle fois en garde contre nos voisins et je perds patience.
— Tu dis qu'ils sont des manipulateurs et qu'ils vont essayer à tout prix de me convaincre de joindre leur communauté, mais n'as-tu jamais songé au fait que tu avais facilement cru tout ce qu'on racontait sur les Immortalem ? C'est à se demander qui influence qui.
Ma sœur va bouder pendant une semaine, mais j'espère qu'elle va réfléchir à ce point. Nous avons été conditionnés à détester les êtres différents sans poser de questions et on nous a presque retiré notre liberté de penser.
Mais on ne m'enlèvera pas le droit de travailler où je veux.
Alors, qu'en pensez-vous jusqu'à présent?
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