29. Isowen
Quatre cavaliers, avaient-ils dit. Ils ne s'étaient pas trompés. À croire qu'il y a un fond de vérité dans les palabres des divinateurs.
Adrian von Zögarn, Histoire de l'Omnimonde
« Almena... »
L'armure détonnait parmi les fourrures moirées et le cuir bigarré des nomades de Ki. L'homme, un petit chevalier sec, trapu, vif de regard et d'esprit, décrocha une épée droite à sa ceinture. Sous une foule d'yeux curieux, peu habitué à ces rodomontades, il présenta l'arme à Almena.
« Je suis...
— Isowen de Zarith, maréchal et chevalier.
— On vous l'a dit ?
— Sans doute. Vous venez pour mettre votre arme à mon service. »
Almena posa la main sur l'épée.
« C'est accordé, dit-elle. Reprenez-la.
— Le prince Trant a ordonné à l'ensemble de la cour de le suivre pour sa traversée de l'océan, expliqua-t-il. C'était pure folie. Rien ne dit que le moindre d'entre eux en ressortira vivant. J'ai déserté. J'ai quitté le service du prince ; je suis au service de Zarith, et elle seule. »
Jilèn eut une expression involontaire. Sans doute se reconnaissait-elle dans ce personnage intègre.
« Plus de cent mille habitants sont pris au piège de cette ville, annonça Isowen. Ils disposent de vivres pour quelques jours, pas davantage. J'ai réussi à rassembler et à équiper deux milles femmes et hommes. Puisque vous devez être celle qui dirigera cette armée, je m'en remets à vous, Almena. Je suis à vos ordres. »
Un murmure d'étonnement parcourut les nomades rassemblés autour du feu. Malgré le refus cinglant du prince, elle avait réussi à réunir des enfants d'Enki et d'Enlil sous la même bannière...
Almena perdit son regard dans les braises. Leur rougeoyante diaprée résonnait en écho à celle d'Inanna, dont la taille inhabituelle attestait d'un exceptionnel mouvement céleste.
« Dites-moi, chevalier Isowen, à quoi cela ressemble-t-il, d'avoir une maison ?
— Je ne suis plus chevalier, corrigea-t-il rapidement. J'ai renié Trant. Pourquoi posez-vous cette question ?
— Je pensais à cette différence qui nous sépare. Nous, les fils d'Enlil, nous n'avons pas de demeure : le monde entier est notre demeure. Le vent nous dépose et nous emporte de la même manière. Vous, fils d'Enki, vous construisez une maison pour vous-mêmes, vos enfants, leurs enfants après eux. Vos ancêtres sont toujours là, partout où vous posez les yeux, dans chaque pierre de chaque mur.
— Les vôtres sont dans chaque col, chaque marche d'Enki, chaque passe que vous franchissez. Ils sont dans chaque bracelet que vous portez sur vous. Ils sont dans chaque message que vous transmet le vent. »
Adrian ne put s'empêcher d'acquiescer silencieusement.
« Nos coutumes sont différentes, mais nos aspirations sont identiques, affirma Isowen. Si demain, nous parvenons à nous battre ensemble, alors peut-être, après-demain, nous ne nous regarderons jamais plus en face comme des étrangers, mais comme des sœurs et des frères d'armes. »
L'alchimiste comprit qu'Almena avait, par ses quelques paroles, appelé ce discours, afin que les chefs nomades qui les entouraient acceptent Isowen dans leurs rangs. Il avait bien parlé, un souffle d'approbation générale avait parcouru l'assemblée demi-invisible.
Une longue discussion de préparation s'engagea alors.
***
La nuit rechigna à lever ses voiles d'ombres. Inanna quitta le ciel comme elle était venue, laissant un brouillard fauve. Les lueurs du soleil perçaient le fond nuageux qui progressait vers eux en de grandes traces ambrées, sans parvenir à vaincre l'appel de la pénombre.
C'était son dernier jour sur la terre des vivants.
Almena avait tenté de partager cette certitude avec Adrian, mais même l'alchimiste, malgré tout ce qu'il avait déjà vu, ne semblait pas enclin à la croire.
Ses propres gestes lui parvenaient de l'extérieur, comme dans un rêve. Elle se sentait ramenée en arrière, à sa vie d'alors, dans ses souvenirs les plus anciens ; ceux encore empreints de l'aura de ses parents.
« Te voilà enfin » dit Valeria.
La rebouteuse, sortie de sa tente, s'occupait de peindre des marques rituelles sur les fronts. Almena, déjà bénie par les dieux, n'en avait pas besoin. Elle quitta son ouvrage et laissa un homme d'une autre tribu prendre le relais. Valeria semblait terriblement inquiète.
« Je l'ai lu de nouveau, hier soir. Le tarot. Nous n'avions qu'une seule lune, pas trois, mais elle était exceptionnelle.
— Et qu'as-tu lu ?
— Les mêmes cartes.
— Pourquoi faire cela ?
— Je voulais être certaine.
— Toi, Valeria ? C'est toi-même qui me l'a dit. Le fait que tu te questionnes prouve que les dieux ont bien parlé.
— Je me moquais de toi en disant ça ! glapit la jeune femme. Je n'y pensais pas vraiment ! Je ne pensais pas le voir arriver si vite. Et pas de cette manière.
— Tu croyais que tout ceci était une métaphore.
— Ça n'a jamais été comme ça. Toutes les autres lectures que j'ai faites, auxquelles j'ai assisté...
— Alors, peut-être que le tarot n'a été conçu que pour moi seule et qu'il ne fonctionne qu'avec moi. »
La remarque laissa Valeria bouche bée. Almena serra la rebouteuse dans ses bras.
« Je suis désolée, dit-elle. Je ne saurais te mentir. Ta lecture était juste.
— Reviens, sanglota Valeria. Reviens.
— J'ai rencontré une personne très sage qui t'aurait plu. Elle a dit de très belles paroles sur le silence. Il nous a précédé dans cet univers. Il a précédé les dieux. Et, en réalité, toutes les vérités lui appartiennent.
Le silence reviendra ce soir, je crois. »
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