25. Le roi déçu
Le roi est colère.
Et, plus il avance sur ce chemin, plus il souffre, plus il éprouve de rancœur.
Jilèn, Méditations
Lorsqu'Utu se leva sur la terre de Ki, le dieu-soleil vit la victoire du roi.
Durant la nuit des combats, Zor s'était tenu à l'écart de Lydr. Le jour levé, les incendies éteints, il se décida à marcher vers la ville. Les lignes au cordeau de ses golems d'argile, arrêtés tels des statues impassibles, le précédaient dans ses pas.
Les murailles de Lydr s'étaient effondrées comme un château de sable, emportées par le glissement de la terre. Les tours de la cité, aspirées par leurs fondations, surgissaient maintenant du sol en biais, comme plantées de travers.
Les flammes s'étaient tues ; seuls des éboulements fréquents brisaient le silence revenu.
Zor passa l'arche éventrée du portail principal de Lydr, marcha dans les rues remplies d'éboulis. La terre avait absorbé les corps. Son armée réclamait de nouvelles recrues.
Statma claudiquait à ses côtés.
« Qu'êtes-vous venu chercher ici, seigneur ? demanda-t-il. Les soldats et les citadins qui ont fui devraient être poursuivis sur le champ. Or votre armée n'est rien sans vous, seigneur. Vous devriez vous mettre en marche. »
Énervé, Zor écrasa une pierre de sa botte, qui s'enfonça d'une dizaine de centimètres dans le sol encore meuble.
« C'est ma victoire que je suis venu chercher ici. Je ne veux pas seulement la voir de loin. Je veux la toucher. La sentir. Je veux savourer cet instant qui ne se reproduira plus. Aujourd'hui, j'ai tué Clemn, et j'ai tué sa ville. J'ai anéanti ceux qui ont conspiré les premiers contre moi.
— Il vous reste encore à occire Jilèn.
— Jilèn sera la dernière. Il m'importe qu'elle survive à ces batailles. Je veux pouvoir lui parler de nouveau. Je veux pouvoir lui dire à quel point j'ai souffert. »
Zor marcha jusqu'au palais. Les herbes aromatiques et les fleurs exotiques avaient brûlé dans les jardins. Plus rien ne pousserait sur cette terre empoisonnée par les cendres et le soufre.
À chaque pas, l'odeur qui refluait à ses narines lui donnait la nausée. Pourquoi ne parvenait-il pas à apprécier cette conquête écrasante ? Tout ce dont il rêvait, quelques mois plus tôt, il l'avait obtenu. Tous les affronts de Clemn et de Lydr avaient été punis.
Il cracha pour se purger d'un goût amer qui emplissait son gosier. Zor erra parmi les salles éventrées, à demi comblées par les éboulis. Il s'arrêta tantôt. Une dernière pièce semblait avoir mieux résisté que les autres, un cellier qui avait gardé son plafond. Une amphore de vin, un vieux jambon. Ces aliments, pour lesquels Zor éprouvait désormais le plus grand dédain, lui apparaissaient comme le dernier affront de Lydr. Désormais qu'il s'élevait vers le séjour des dieux, Zor ne consommait plus de nourriture matérielle. Il n'en avait plus besoin. Bientôt, il quitterait son enveloppe corporelle : son ascension serait complète.
Néanmoins, le goût dans sa bouche le gênait comme une épine plantée dans le pied.
« Que faites-vous, seigneur ? »
Zor cassa le goulot de l'amphore d'un geste rageur et versa le vin dans une coupe. Il la but, la recracha, en but une encore. Le vin, une plaie, ne parvenait pas à masquer le goût, comme si Zor pourrissait de l'intérieur. Il cracha à nouveau, plus que le vin cette fois, des glaires rougis, quelques particules sombres.
Assis sur le corps de ses ennemis vaincus, Zor prenait un repas.
Cette vision le rassura. Puis il lui opposa la réalité moins reluisante : au fond d'une cave à vin, Zor, déçu de ne pas trouver de saveur à sa gloire, s'enivrait. Il se sentait aussi ridicule que lors de sa vie de loup, dans la salle du trône de pierre de Xiloth.
Alors, il but de nouveau. Le vin seul ne pouvait épancher sa soif ; cela ne fit qu'attiser un peu plus sa colère.
***
En chemin, Zor avait traversé la forêt de cèdres. Elle lui avait obéi. Les arbres avaient brûlé, ils s'étaient couchés le long d'une grande trouée pour faire passer ses troupes. L'incendie avait cessé sitôt son attention reportée sur la ville.
Lydr, à une lieue ou deux, disparaissait dans une colonne de fumée.
Kira s'était arrêté ; le groupe avait fait de même. Ils attendaient un signe. Ou une attaque. Nul mouvement du côté de la ville ; difficile de voir si le roi s'y trouvait encore.
Un cavalier traversa l'étendue de cendres et de charbon.
Almena vivait encore.
Elle avait changé.
« Vous voilà, dit-elle, comme si la présence de Málem et des nomades du sud n'avait jamais fait l'objet du moindre doute ; comme si leur arrivée pouvait se deviner à l'heure près.
— Nous sommes venus trop tard, reconnut Kira.
— Nous aussi, dit Almena en désignant, d'un geste évasif de la main, les arbres derrière elle. Les guerriers qui sont avec moi sont à l'abri des arbres. Zor se trouve encore dans la ville. Ses golems l'encadrent. Ils sont immobiles, mais bien vivants. Nous devons frapper aujourd'hui.
Kira, toi qui as déjà vu Zor, tu dois diriger ce groupe. Nous attaquerons de deux bords à la fois. À qui arrivera au roi en premier. N'oublie pas : tant que Zor ne sera pas tué, ses soldats de glaise continueront de renaître. »
Cela ne fonctionna pas.
Dans son souvenir, Kira mélangerait les instants fragmentés de la bataille, ces étranges images d'ennemis héréditaires chevauchant côte à côte vers les fumées troubles, avec les paroles d'Almena. Sa métamorphose en élue des dieux était maintenant complète. Il devait se montrer à sa hauteur.
Il dirigea le second groupe. Il franchit une première ligne de golems ; quantité de cavaliers tombèrent derrière lui. Il reconnut Almena, qui avait dévié de sa trajectoire initiale en tentant de forcer le passage. Mais la muraille d'argile les bloquait dans les ruines de Lydr.
À partir de cet instant, fidèle à sa promesse, il ne la quitta pas d'un pas.
Ils aperçurent le roi Zor.
« Je te reconnais ! dit-il de loin, à l'abri derrière ses monstres artificiels. Que fais-tu ici, enfant ? Qui es-tu ? Que me veux-tu ?
— Je suis Almena. Je viens te tuer, car telle est la mission des dieux. »
Zor rit aux éclats comme à un bon mot.
« Il n'y a pas de dieux, ou il n'y en aura bientôt plus. Je serai le dernier d'entre eux. »
Les lignes des golems se refermaient sur eux. En quelques brefs regards, ils surent que l'assaut échouait ; malgré la surprise, les cavaliers n'avaient pas réussi à percer les barrières d'argile. Ils s'étaient désorganisés en entrant dans la ville, comme une vague meurt en heurtant le rivage.
Ils abandonnèrent pour cette fois.
Le prochain affrontement n'aurait pas lieu dans l'urgence, mais sous les murailles de la prochaine ville sur leur chemin – de la dernière. Le plus grand regroupement d'enfants d'Enki sur le continent. Zarith.
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