17. La colère du roi
L'ascension du roi Zor est un de ces événements catastrophiques qui grèvent l'histoire humaine. Passée la tempête, on se rend compte qu'il ne faut pas faire de « si ». Zor aurait-il pu être empêché ? Et si Jilèn l'avait assassiné ? Et si... non, c'est trop tard.
Adrian von Zögarn, Notes sur l'Omnimonde
Après le refus du Méditant, Zor se vit rapetisser. Il lui sembla que son âme se détachait de son corps et qu'il s'apparaissait à lui-même dans toute l'étendue de sa déchéance.
« Me voici, dit-il à haute voix pour conjurer l'horreur. Moi, Zor, roi de Xiloth, loup parmi les loups, animal parmi les animaux, je vis reclus au fond d'une caverne, où je bois de l'eau de pluie, où je mange à mains nues. J'arrache la viande crue de la carcasse de rats déjà verts. Je dispute ma nourriture avec la pourriture. »
Il se pencha sur cet être méconnaissable étendu dans une flaque d'eau saumâtre. Cette maigreur. Ces cheveux longs, ces griffes jaunâtres.
« Je ne le permettrai pas. »
Pirhus, maudit soit-il, faisait le tour de la pièce en maugréant que Zor n'était pas à la hauteur de ses attentes. Il n'avait pas réussi à convaincre le Méditant ! Que lui restait-il ? L'atman, peut-être ? Quel tour de magie pouvait-il encore être joué, afin de sauver la face ?
Il se moquait de lui. Il se riait de ce mort-vivant effondré dans la boue comme un ivrogne.
« Je ne le permettrai pas ! » hurla Zor.
Son cri de colère secoua le palais sur ses fondations. Les statues de ses ancêtres se dégagèrent des lichens rampants qui couvraient leur visage et des toiles d'araignée qui empêtraient leurs membres. Leurs regards de juges tombèrent sur lui.
« Vous êtes mon dernier espoir » les somma-t-il.
Les têtes descendirent vers lui un peu plus. Zor ne s'abaisserait pas comme il l'avait fait face au Méditant ! Il ne leur montrerait pas l'étendue de sa faiblesse, mais de sa volonté !
« Mais je suis aussi votre dernier espoir ! Je suis le dernier espoir de cette lignée. Le dernier à pouvoir rebâtir Xiloth et porter votre nom sur la terre de Ki toute entière. M'entendez-vous ? Je marcherai sur ce continent ; je ferai construire des vaisseaux qui transporteront mon armée par-delà l'océan. Et lorsque Ki sera mienne, je poserai le pied sur les étoiles.
— Ta volonté est immense, constatèrent les juges de pierre. »
Ils parlaient d'une seule voix, d'un seul timbre.
« M'aiderez-vous ?
— Nous te donnerons le pouvoir que tu désires, si tu es capable d'en faire usage.
— J'en suis capable.
— Nous n'ajoutons qu'une seule condition, Zor. Tu régneras sur tous les mondes et sur toutes les étoiles, sur tout ce que la Création a bâti et que tu es capable de désirer. Cependant, il existe un monde, dans cet univers, que nous te prendrons. Tu ne le réclameras pas. Tu nous le donneras.
— S'agit-il de la terre de Ki ?
— Non, grogna la statue.
— Dans ce cas, vous l'aurez ! Et moi... j'aurai tout !
— Qu'il en soit ainsi. »
Les statues regagnèrent leur socle de pierre et Zor son corps.
Les frontières du rêve se fracturèrent ; ses désirs prirent forme en un instant ! La réalité lui obéissait enfin !
Que ce corps se lève !
Et le corps, qui n'avait plus marché depuis des semaines, se remettait debout. Les cheveux trop longs tombaient ; la barbe disparaissait. Les dents se remettaient en place. Les muscles gonflaient de nouveau ses bras. Zor retrouvait son apparence d'homme !
Impressionné, Pirhus ouvrit les bras en signe d'apaisement.
« Voici ce que je voulais voir, dit-il. Le Méditant t'a refusé, mais tu as su trouver le pouvoir. Dis-moi, ô grandeur, de quoi s'agit-il ? Qui te donne cette puissance ?
— Silence. »
Le prêtre d'Aton ouvrit la bouche, puis porta les mains à sa gorge. Il tomba sur le côté ; les loups sortaient de leur tanière et s'approchaient déjà de lui en grondant.
« Il est temps pour moi de sortir à la lumière » dit Zor.
Ce palais qui avait été le sien tombait en ruine. Il ne chercherait pas à le rebâtir. Il en construirait un autre. Ses ancêtres lui offraient un nouveau départ.
Tout n'avait tenu en place que par un équilibre précaire, et Zor y mettait fin. Derrière lui, les colonnes s'effondraient, les plafonds engloutissaient chaque salle l'une après l'autre, une marée de poussière avançait dans les couloirs. Il faisait table rase de ce passé trop lourd.
Zor sorti, Xiloth lui apparut dans toute sa décadence.
« Peuple ! » gronda-t-il.
Il monta jusqu'au sommet d'une tour de garde. Sa voix portait comme le tonnerre.
« Peuple ! » tonna-t-il.
« Peuple ! »
Mais son peuple ne vint pas.
Ce peuple se terrait au fond de mille tanières. Ce peuple avait peur de lui, peur de son roi, peur de son pouvoir.
Zor hurla de rage. Que des océans de flammes fassent disparaître cette ville ! Que des gouffres s'ouvrent jusqu'aux entrailles de la terre de Ki et que les derniers souvenirs de Xiloth y disparaissent !
Et ses désirs devinrent réalité. La terre se mit à trembler.
Xiloth disparut dans un atroce silence, ponctué du déchirement des arbres du marécage. Des coulées de boue engloutirent des quartiers entiers. Pas un mur ne resta debout. La lune Nergal, qui jetait sur la scène un regard de cyclope, disparut derrière un voile de fumée. Car la terre de Ki appartenait à Zor, les dieux n'avaient plus droit de jugé sur ses actions !
Le roi détourna le regard de ce qui avait été sa ville. Il avança seul dans le marécage.
Tous ses désirs pouvaient-ils être vraiment réalisés ?
Son armée pouvait-elle émerger de ces fondrières ignobles, comme ses rêves le lui avaient prophétisé ?
Il serra le poing et cria au monde :
« Que mon armée se lève ! »
Alors, un par un, puis tous ensemble, ses guerriers se levèrent.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top