Chapitre 3 : La Cochonne en Jarretelle

-Monsieur la Tulipe, comptez-vous cesser de regarder les fesses de la jeune femme train de danser ? Où êtes-vous venu pour profiter d'un effeuillage aux frais de la couronne ?

Prenant le dernier morceau de son jarret de porc à la bière, elle attendit la réponse de l'homme en face d'elle tout en mangeant. La pauvre Clara, qui s'était faite si belle pour ce rustre, picorait son assiette. Pourtant, si la Cochonne en Jarretelle était un lieu de mauvaise vie, c'en était un de luxe. La nourriture y était divine, les femmes magnifiques et les hommes en string de cuir avaient un fessier à se damner. Charles avait toujours adoré cet endroit. Dire qu'à l'époque il la regardait danser sur cette même scène pour, le soir venu, lui délacer son corset avec les dents...

-Navré, mes pensées divaguaient, s'excusa monsieur la Tulipe, l'arrachant à ses coquins souvenirs.

Ici, les automates domestiques ne faisaient pas le service. Ils se trouvaient dans la cuisine, à mettre la main à la patte. Le serveur qui vint les débarrasser arborait un pompon blanc juste au-dessus des fesses, accroché à son string. Hum... C'était nouveau, ça.

-Oh mon dieu, elle le fait en entier ! s'exclama doucement Clara, en écarquillant les yeux de stupéfaction.

Ah, oui. La jeune femme venait pour la première fois dans ce « lieu de mauvaise vie ». La danseuse, sur son estrade, venait d'enlever son soutien-gorge, attirant l'attention sur deux globes rebondit qui n'échappèrent pas à La Tulipe.

-Vous en ferez de même le jour où vous serez mariée, ma petite.

Ou bien plus tôt si elle choisissait une voie plus amusante, ajouta la Marquise pour elle-même. La nouvelle génération avait tellement cru aux mensonges de la précédente qu'ils étaient bien plus coincés qu'eux.

-Madame, il parait que votre fils à quelques déboires avec une Dinde et un Canard.

-Effectivement. La volaille n'a jamais été son fort, c'est d'ailleurs pour cela qu'il n'y en a aucune trace à aucun de ses domiciles. D'ailleurs, Lecave de service serait d'accord avec moi, en dépit du fait que je suis une femme trop âgée pour y comprendre quelque chose.

Monsieur la Tulipe éclata de rire. Fort bien fait de sa personne, il avait un charme plein d'assurance qui lui faisait penser à Charles. Toujours cet air d'en savoir plus que tout le monde.

-Le ministre Lacave est, à n'en pas douter, un ignorant quant aux services rendus par les de la Rose à la couronne, tout sexe confondu. Mais permettez-moi de vous préciser que la Dinde n'est pas celle à qui vous avez rendu visite ce matin.

-Ce n'était pas elle que je venais voir, mais plutôt le vieux machin qui lui sert de beau-père.

-Ah n'en pas douter, approuva-t-il. Mais connaissez-vous la dernière nouvelle de la cour ? Il parait que la courtisane favorite du roi est allée voir ailleurs.

Crotte.

Son fils n'avait tout de même pas touché à un cul royalement convoité ?

Dans tous les cas, cela n'avait aucun rapport avec sa fille et sa petite fille.

-Enfin... Tous ces ragots de cuisses ne siéent pas, j'imagine, à une future religieuse. Êtes-vous certaine de vouloir intégrer l'ordre de la Sainte Esperance, Marquise ?

La Sainte Esperance ? Plutôt se faire épiler le gros orteil à la cire chaude ! Ça sortait d'où, ça encore !?

-J'envisage avant tout un stage initiaque, fit-elle néanmoins, cherchant à comprendre où il voulait en venir. Une retraite me fera le plus grand bien, après la mort de mon Charles...

-La Mère Supérieure, Confiance, est ravie de votre venue, fit La Tulipe. Dire que vous y allez dès demain matin... Je vous félicite pour votre diligence.

Le lendemain matin, plantée dans sa chambre du cloitre de la Sainte Esperance, la Marquise se demandait bien ce qu'elle fichait là. Pourquoi donc monsieur la Tulipe lui avait-il conseillé de venir ici ? Elle aurait préféré aller chasser la courtisane dans les boudoirs de la cour, plutôt que de se coltiner toutes ces coincées de la coiffe !

Les veuves prenaient souvent le voile, afin d'échapper à un remariage avec un rapace. Ah ! Ça, elles ne devaient pas vivre longtemps, toutes ces vieilles bigotes ! Il faisait un froid de canard dans sa cellule de recueillement ! Et tous ses effets lui avaient été retirés, afin de faciliter sa retraite spirituelle. Heureusement, elle avait obtenu de pouvoir se changer dans le confort tout relatif de sa cellule.

Une heure plus tard, l'heure de la prière. Une des nombreuses de la journée. Au moment de se relever, elle crut sincèrement que ses genoux allaient la lâcher. Bon sang, l'arthrose se rappelait à son bond souvenir, avec ce froid ! Ses pauvres articulations...

-Tout va bien, sœur Rose ? s'enquit une des pensionnaires, dont le doux sourire la fit frémir.

Personne ne pouvait être gentil avec tout le monde sans raison. Ou alors, en l'occurrence, était-ce l'espoir de récupérer sa fortune à sa mort ? Beaucoup de veuves léguaient au cloitre où elles finissaient leurs jours.

-Mon cœur pleure toujours la mort de mon cher Charles, soupira-t-elle. C'était un mariage d'amour, vous savez ?

-Vraiment ? s'étonna la sœur, qui ne devait pas avoir plus de trente ans. C'est de plus en plus rare, de nos jours... Moi-même, j'ai échappé à une union forcée en entrant dans le cloitre de la Sainte Esperance.

Ah.

En discutant avec les vingt pensionnaires permanentes, la Marquise s'aperçut que beaucoup étaient dans ce cas de figure. La religion ou le mariage. Bah. Apparemment, personne n'avait envisagé de tuer le futur marié.

Quoi qu'il en soit, deux jours plus tard, elle avait une franche envie d'assassiner monsieur la Tulipe. Il faisait froid, la vie au cloitre était monotone et ses genoux semblaient la haïr un peu plus chaque jour.

Ici, les bonnes sœurs ne côtoyaient pas le monde extérieur. En vérité elles parlaient peu, priaient beaucoup, les yeux fermés ou rivés vers le sol. La Marquise avait plutôt tendance à avoir le nez levé.

Le cloitre se trouvait à une heure de Paris, perdu sur un domaine d'une centaine d'hectares de forêt. Des paysans entretenaient les terres de l'ordre de la Sainte Esperance, sans jamais en croiser les représentantes. Autonomes, elles vivaient dans une autarcie quasi totale. Elles se trouvaient au milieu de nulle part, en un lieu où les hommes n'étaient pas tolérés.

Pourtant, elle en repéra un, en explorant le cloitre. Fidèle à la construction ancestrale, le bâtiment carré avait été bâti autour d'un jardin central. Mais il y avait également des annexes extérieures, visibles depuis la promenade sur les toits. Ces extensions se trouvaient dans l'enceinte sacrée, ce qui voulait dire qu'aucun individu de la gent masculine ne pouvait se trouver là.

Et pourtant, elle vit distinctement un mâle, en train de finir de fumer sa pipe.

Ayant toujours une bonne vue en dépit de son âge, elle distingua ses cheveux coupés courts. Une quarantaine d'années, il paraissait musculeux, patibulaire et désagréable. Préférant se détourner avant de se faire repérer, la Marquise n'en toucha mot à personne. Par contre, elle surveilla d'un peu plus prés la Mère Supérieure Confiance. C'était ici son domaine, elle savait tout ce qu'il s'y passait.

Poursuivant sa retraite exemplaire, la vieille dame resta sage durant les deux jours supplémentaires. Il y avait quatre hommes en tout. Confiance leur rendait visite à la nuit tombée. Aussi silencieuse qu'une ombre, enveloppée dans sa tenue de bonne sœur, la Marquise se glissa la troisième nuit jusqu'à l'annexe. Nul ne la vit. Les lourdauds qui servaient de gardes étaient persuadés de se trouver dans une zone sécurisée. Leur conversation grivoise, sur le passage de la bigote, mit la puce à l'oreille de la Marquise.

Profitant de la végétation florissante, aussi bien que des nuages voilant les rayons de la lune, elle longea le bâtiment, pour tomber sur une fenêtre. Là, le chef d'une quarantaine d'années, celui qui fumait la pipe, était en train de besogner une Mère Supérieure qui jouissait particulièrement de la situation.

Bon.

Au moins, elle savait ce qui motivait cette accro au protocole. Néanmoins, une partie de jambes en l'air ne justifiait pas la présence de plusieurs gardes armés.

Monsieur la Tulipe ne l'avait certainement pas envoyé ici pour constater la rupture des vœux de chasteté de Confiance. S'asseyant un peu plus loin contre le mur, la Marquise attendit le départ de la bonne sœur. Rapidement, les gardes retournèrent dans la pièce encore pleine des effluves sexuels, pour rire avec leur chef sur ses nouvelles prouesses.

Lasse de ce type de discours, les genoux douloureux, la Marquise se demandait surtout ce qu'elle fichait ici, les fesses dans le froid, sous une fenêtre anonyme.

-Le petit surveille toujours la gamine ?

-Ouais, chef. Pas de soucis, ils sont dans le grenier.

Alors, elle sut pourquoi elle était ici.

Parfait.

Elle avait justement ce qu'il lui fallait au fond de sa poche : une grenade lacrymogène, qu'elle dégoupilla avant de la lancer par la fenêtre. Des cris précédèrent de peu le « boum » et des jurons à faire rougir une catin.

Bondissant à l'intérieur avec une souplesse plus que surprenante vu son âge, elle prit le temps de réajuster son masque à gaz, avant de se saisir du numéro trente-sept. Son pistolet gravé au nom de Charles était d'une légèreté et d'une justesse appréciable. Une balle pour une rotule. Deux, trois. Bientôt, tous les lourdauds se trouvaient à terre, en train de hurler comme des gorets tout en pleurant à cause du lacrymogène. Ceux-là, ils n'avaient vraiment rien vu venir !

Les assommants ensuite d'un coup de crosse à la tempe, la Marquise entrepris de tous les attacher, avec de la corde trouvée dans un coin de la pièce. Elle finissait de saucissonner le chef lorsque la Mère Supérieure arriva en trombe, les yeux écarquillés. Forcément, les détonations l'avaient alertée, lui faisant rebrousser chemin. Dire qu'elle avait laissé son silencieux dans sa cellule.

-Mais qu'est-ce que...

La balle lui traversa le flanc. S'écroulant avec un hurlement strident, Confiance parue sur le point de s'évanouir, autant de douleurs que de colère.

-Calme-toi, ma petite, fit la vieille dame en s'approchant d'elle d'une démarche assurée. Je ne vais pas te tuer, j'ai besoin que tu parles. Mais tu es bien trop bruyante.

Assommée et attachée, elle reçut un bandage de fortune pour sa blessure, ma foi, plutôt superficielle.

Bon. Plus personne ne venait. Elle pouvait y aller.

Dans le grenier, un jeune homme d'une vingtaine d'années se trouvait devant son otage. Les yeux bandés, cette dernière était aussi immobile qu'une statue, bien que sa respiration soit saccadée. Les bras attachés dans le dos, sa robe rose étalée autour d'elle, elle avait les nattes sens dessus dessous.

-N'approchez pas ! Sinon, je...

Elle lança son pistolet, si vite et si fort que le jeune homme s'écroula. Il allait avoir une énorme bosse sur le front, là où la crosse l'avait percutée.

Récupérant le numéro trente-sept, la Marquise se tourna vers l'otage.

-C'est qui !? C'est papa !? Maman !? Tonton !? Vous m'avez retrouvé !? Je leur avais dit que vous viendriez pour leur botter les fesses ! C'est ce que papi dit toujours on...

La vieille dame ôta le bandeau de la petite otage, qui écarquilla les yeux en la reconnaissant, non sans sourire de toutes ses dents.

-Mamie ! Tu es la plus forte, tu m'as trouvé avant tout le monde !

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