Chapitre 14 : Le Monstre des Rues
Certaines personnes étaient douées par la sculpture, l'écriture, le sport, ce genre de chose. D'autres l'étaient pour l'espionnage, la torture et le meurtre. Rose de la Rose était une experte dans le premier et le dernier. La Tulipe dans le deuxième et le troisième.
Enfant errant aux tendances psychopathes nées d'une vie à être battu, vendu, et maltraité psychologiquement par les adultes, il était devenu un monstre des rues. Pour autant, il n'avait commis des actes barbares que sur ses tortionnaires lorsque la Marquise l'avait trouvé.
À ce moment-là, Luc le sans nom venait de recevoir un couteau dans le ventre. Il en serait mort, si cette magnifique femme ne l'avait pas recueilli. Elle le savait responsable de tous ces meurtres, et pour autant, elle était venue l'aider. Lui, le monstre des rues. Elle lui avait donné son nom de famille, la Tulipe, car ce fut la première fleur qu'il lui offrit. À son contact, et à celui de Charles, il avait eu quelque chose. Des gens sur qui compter. Des gens qui s'intéressaient à lui, sincèrement. Il avait obtenu un avenir.
Et ce, en dépit de ses tendances psychopathes.
Car, quoi de mieux qu'un couple d'assassins gouvernementaux pour canaliser un enfant dans son genre ? Quoi de mieux qu'une femme capable de le secouer par une oreille quand il venait de tuer le mauvais méchant ? Ou de lui donner la fessée quand il torturait un ennemi sans qu'on le lui demande ? Ah, que de bons souvenirs...
Si ses sentiments pour la Marquise n'avaient rien à voir avec de l'amour filial, il lui était toujours resté fidèle.
Dans la vie, ou dans la mort, il servirait toujours celle qui lui avait donné un avenir.
Voilà pourquoi il se retrouva assis dans le bureau du chef des agents secrets du Roi, en compagnie d'une Marquise aussi ouverte qu'une porte de prison.
-Je vois que vous avez toujours une sale tête, George.
-Toujours aussi désagréable, Rose, rétorqua monsieur Villardière. Que je sache, votre grand âge vous a poussé à la retraite.
-Vous avez mon âge, vieux machin. Et pourtant, vous faites bien plus vieux.
La bouche de l'un des hommes les plus puissants du royaume se crispa.
-Vieille carne ! Vous avez toujours la peau aussi dure, bien que votre beauté se soit fanée !
-Aux dernières nouvelles, votre femme n'est pas plus à votre gout qu'il y a trente ans, George, ricana la Marquise. Toujours frustré ?
-J'ai eu bien des amantes depuis, même si vous avez toujours refusé d'en faire partie !
-Voyons, voyons... Vous avez essayé de me forcer à devenir votre amante, en prétextant avoir un argument de poids pour pouvoir briser mon mariage avec Charles. Manque de pot, il était lui aussi dans le lit de votre meilleur ami ce jour-là !
Elle éclata d'un rire légèrement sadique. La Tulipe eut beaucoup de mal à se retenir de son côté. Il connaissait bien cette histoire. George Villardière, qui pouvait tout avoir, avait été contraint de céder face à un couple de libérés sexuels. Techniquement, la Marquise n'avait jamais trompé son mari, étant donné que Charles se trouvait toujours là avec les autres partenaires. Mais un homme comme George n'avait pas pu envisager une seule seconde que le Marquis soit ainsi.
Bref, de vieilles querelles.
-Rose de la Rose, vous n'êtes pas venu pour me pomper l'air, que je sache ! Que voulez-vous !?
-Lequel d'entre vous a vendu ma fille ?
Ah, enfin droit au but. Le visage de pomme ridée de George venait de perdre trois teintes.
-Qui a vendu l'un de mes meilleurs agents ? ajouta La Tulipe.
Les mains de la Marquise se crispèrent sur les accoudoirs. Ils se trouvaient dans les locaux des agents masculins de la couronne. En cette époque de misogynie marquée, il n'y avait aucune femme ici, si ce n'était les secrétaires ou les femmes de ménage. Rien à voir avec les Couturières. La Tulipe assurait un poste important uniquement parce qu'il en avait les compétences, pas pour ce qu'il avait entre les jambes. Et aussi parce que Rose l'avait introduit auprès des Couturières.
Bref, ils étaient au dernier étage de la tour du Secret, rien à voir avec le hangar désaffecté des Couturières. On voyait tout de suite à qui allait le gros des financements. Pourtant, la Reine Marguerite faisait tout son possible pour leur débloquer des fonds.
-Je peux savoir pourquoi vous me posez cette question ? gronda George. C'est quoi, cette histoire !?
-Pour vous résumer la situation, fit la Tulipe avec un grand sourire un peu trop sympathique, Louise de Champfleury était en charge de l'affaire des trafiquants de cadavres. Or, ils sont parvenus à lui mettre la main dessus de façon inexplicable.
-Peuh. Ce n'est pas bien difficile à comprendre, c'est une femme. Une erreur de sa part.
-Ne sous-estimez pas les Couturières de la Reine. Aux dernières nouvelles, nous avons un meilleur taux de résolutions d'affaires que vous, George, alors vos réflexions, vous pouvez vous les garder.
La colère de Luc la Tulipe commençait à monter d'un cran.
-Vous êtes un peu trop jeune pour prétendre pouvoir comparer nos services, cingla Villardière. Vous...
-Louise est comme sa mère. Elle ne fait aucune erreur, jamais. N'oubliez pas de qui elle est la fille. De qui elle est la soeur.
George se tut, les dents serrées.
-Joshua, le fils de Joseph l'ancien trafiquant de cadavres, a avoué avoir obtenu l'information sur Louise par le biais d'un agent de la couronne.
-Mensonge ! Comment cela serait-il possible !?
-Parce qu'il y avait ce document dans ses appartements, gros malin ! cracha la Marquise en jetant un rouleau sur son bureau.
Le papier en question comportait le nom de Louise, son adresse, le fait qu'elle avait une fille, un mari, et qu'elle enquêtait sur lui. Ce n'était pas signé d'un nom, mais du sceau des agents de la Couronne.
-Putain de merde ! s'exclama George. Attendez.
Tirant un tiroir de son bureau, il en sortit un briquet en forme de salamandre, et une loupe. Faisant chauffer le papier, il altéra l'encre du sceau de l'agence. Il devint d'un vert immonde. C'était un vrai.
-Ça vient bien de chez nous, souffla Villardière. Mais je ne comprends pas... Pourquoi quelqu'un aurait donné ça à un trafiquant de cadavres ? Pour condamner votre fille, en plus !? Tout le monde sait qu'il faut se tenir à l'écart des de la Rose !
-Bonne question, vieille chose. Vous savez quoi ? On va passer tous vos hommes au détecteur de mensonges.
Et merde, songea monsieur Villardière en regardant la Marquise. C'était parti pour une journée bien pourrie.
Une heure et demie plus tard, les locaux de l'agence étaient pleins à craquer. Ça se bousculait, ça se questionnait, mais aucun ne savait pourquoi. Tenue à l'écart, la Marquise contemplait tout ce beau monde depuis l'arrière de son miroir sans tain. Ce n'était pas leur chef le coupable. Ce dernier aurait déjà pu ordonner leur exécution, à elle et la Tulipe, et faire disparaitre leur corps à jamais.
-Je vais m'occuper des interrogatoires, déclara le cinquantenaire en sortant du bureau.
-Ce sont mes hommes !
-Justement, vous ne pourrez pas être gentil avec eux de cette façon. Amusez-vous bien, Marquise
La porte se fut à peine refermée sur lui que Rose pivota vers George. Ce dernier recula d'un pas, inquiet.
-Quoi ?
-Où est mon fils ?
-Pardon ?
-Vous n'êtes pas sans savoir que Henry, l'un de vos meilleurs éléments, a disparu. Où est-il ?
Incrédule, Villardière la considéra.
-Je n'en sais rien. Que je sache, vous le cherchiez, vous.
-Pas vous ? C'est un agent du roi.
Les dents serrées, le vieil homme considéra la concentration de personnes derrière la vitre. La Tulipe venait d'en inviter un dans la salle d'interrogatoire, un mauvais sourire aux lèvres.
-Ça n'a rien donné. Il a disparu, corps et âme.
La Marquise l'avisa, cherchant à desceller la vérité entre les lignes. L'ambiance du bureau, lourde, s'épaissit davantage lorsqu'elle demanda :
-Pourquoi avoir mis un contrat sur ma tête ?
-J'en ai entendu parler. Où est le ministre ?
-Six pieds sous terre.
Sa réponse abrupte fit sursauter George.
-Et je vous assure que vous l'y rejoindrez si vous ne me dites pas la vérité. Qui a vendu ma fille ? Qui a mis un contrat sur ma tête ? Qui s'en ait pris mon fils ?
-Seriez-vous devenue paranoïaque, Marquise ?
Elle lui sourit presque gentiment. Doucement.
-Il n'y a personne dans la pièce que vous pouvez persuader d'une soi-disant hystérie féminine, mon bon George. Dites-moi pourquoi vous voulez nous tuer, moi et toute ma famille, et peut-être que j'épargnerais toute l'agence.
Plissant les paupières, il considéra attentivement la femme la plus dangereuse du pays.
-Vous bluffez.
-Mon bon, mon bon...
La Marquise éclata de rire.
-Qui a vendu ma fille ? Qui a mis un contrat sur ma tête ? Qui s'en ait pris à mon fils ?
-Je ne sais rien ! Qu'est-ce que vous allez faire, hein !? Poser une bombe !? Tous nous tuer, avec vous dedans !? Ça vous mènera à quoi, Rose, hein !? Je vous hais ! Je vous hais depuis le jour où je n'ai pas pu vous posséder, je vous hais depuis le jour où Charles m'a passé à tabac pour avoir voulu vous manipuler ! Il m'a fallu des dizaines d'années pour réussir à tuer ce fils de pute et...
Il se tut soudain, livide. Portant une main tremblante à sa bouche, il écarquilla les yeux. La Marquise, elle, ne souriait même plus de façon menaçante. Il y avait dans son regard son arrêt de mort.
-Je me doutais bien que tout cela était un peu trop gros pour un concours de circonstances. Et pourtant, j'espérais encore que Charles soit mort d'une mort naturelle.
Elle soupira.
-Comment l'avez-vous tué, George ?
-Du poison. Je savais qu'il prenait un remède pour l'érection, j'ai fait en sorte d'empoisonner son achat et... de... Putain ! Comment vous avez fait !?
-Comment j'ai fait pour vous faire ingérer un sérum de vérité ? Avec la Tulipe, nous en avons versé dans le château d'eau de l'agence et dans vos futs de vin, cette nuit.
-Espèce de...
Il voulut se ruer sur elle. La Marquise lui décocha une droite qui le projeta contre son bureau. Se remettant sur pieds d'un bond, il sentit l'adrénaline courir dans ses veines... Mais la vieille dame venait de saisir la carafe d'eau pour la lui fracasser sur la tête. Sonné, il ne le resta pas longtemps. Rose de la Rose lui planta le tesson dans l'épaule avant de planter son propre coupe-papier dans sa main. Le chef des services secrets poussa un hurlement de douleur.
La Marquise, aidée de son exosquelette, le projeta à terre, avant de lui tirer deux balles, une pour chaque rotule. Heureusement, son bureau était insonorisé. Aucun des agents de la couronne à l'extérieur ne pouvait entendre les gémissements de leur chef.
-Avant de mourir, tu vas me dire tout ce que tu sais, George, souffla-t-elle en s'agenouillant à côté de son corps ensanglanté. Pendant ce temps, la Tulipe va trier le bon grain de l'ivraie parmi tes hommes. Seuls les coupables seront exécutés.
-Vous... êtes... une meurtrière.
Un mauvais sourire fendit le visage de la Marquise.
-C'est maintenant que tu t'en rends compte, George ?
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